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Subject: EN DEVELOPPANT LE CONCEPT DE REVOLUTION
Date: 15 Janvier 2003
Salut, Voici la traduction d'un article d'abord diffusé sur A-infos
en portugais.
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EN DEVELOPPANT LE CONCEPT DE REVOLUTION
« ...les masses sont spontanément en marche vers la construction
d’un socialisme de base, sans leaders charismatiques, sans parti
d’avant garde illuminée ». »
Dans un article précédent (voir A BATALHA, n°191)
je soulevais la question de la révolution aujourd’hui.
Ce thème, à force d’être usé par de
multiples personnes, dans des contextes si divers, exige une brève
définition afin de préciser le sens donné à
tout ce que nous allons ensuite décrire. Ainsi, « révolution
» sera compris comme transformation sociale profonde et durable
qui place l’ensemble de l’ humanité en état
de jouir de tous les biens naturels et sociaux de façon libre
et égalitaire. La nécessité éthique de la
révolution ne me paraît pas susceptible d’être
remise en cause : en ce début de millénaire nous avons
les moyens matériels pour que toute l’humanité dispose
de conditions de vie décentes et même un peu plus, mais
les inégalités dans la répartition de la richesse
et du pouvoir se sont poursuivies de telle sorte que la misère
sous toutes ses formes et sous toutes les latitudes n’a fait que
se répandre. Ceci, sans affecter le bien-être d’une
minorité qui possède tout et tout gaspille, avec un total
manque de pudeur, indifférente aux valeurs d’humanisme
et de solidarité qu’elle continue de proclamer en discours,
uniquement pour endormir la mauvaise conscience (lorsqu’elle existe).
La nécessité de révolution n’est pas pour
autant mécanique, comme on pourrait en déduire à
partir d’une lecture du type « matérialisme historique
» de l’évolution du capitalisme et de ses contradictions.
Si c’ était le cas, il serait alors bête d’essayer
de la précipiter ou de la déchaîner, et l’on
n’aurait qu’à attendre son avènement comme
s’il s’ agissait d’un phénomène naturel,
aussi inévitable que le passage d’une comète traversant
le système solaire, par exemple. Le risque d’extinction
que court l’humanité n’est aujourd’hui mis
en cause par personne ayant deux doigts de jugeote ; au-delà
de la menace d’une déflagration nucléaire généralisée,
que personne ne peut considérer comme exclue dans les temps les
plus proches (tant qu’il y aura des arsenaux nucléaires),
il existe d’autres « bombes »... la « bombe
démographique » et la « bombe écologique ».
La planète peut devenir un lieu inhabitable à cause de
la cécité ou de la myopie de ses habitants. En conséquence
de la dégradation chaque fois plus dramatique des conditions
de vie, et non en raison d’un quelconque déterminisme aveugle,
beaucoup d’insurrections vont se produire qui forceront le système
à faire usage des moyens répressifs avec une « main
chaque fois plus lourde ». Il ne s’agit d’aucune «
prophétie », mais uniquement du constat de l’inévitabilité,
résultant des circonstances suivantes : - L’existence d’une
unique superpuissance mondiale à laquelle les autres puissances
se voient forcées de céder. - L’épuisement
à court terme des ressources pétrolières susceptibles
d’être facilement exploitées et dont les prix vont
par conséquent grimper jusqu’au point de rendre inévitable
une substitution par un autre type de technologie n’ayant pas
recours aux combustibles fossiles. - La misère croissante dans
ce que l’on nomme le Tiers et le Quart Monde, provoquée
par une politique économique et sociale prédatrice des
ressources, totalement destructrice des structures sociales, et conséquence
de l’ application de politiques ultra-libérales sous la
houlette du FMI, de la Banque Mondiale et de l’OMC. - L’impossibilité
de maintenir la population des pays dits développés occupée
à un niveau au dessus du seuil « d’agitation sociale
». Ceci parce que les grands centres industriels sont en train
de se délocaliser vers des pays périphériques dans
lesquels une main d’oeuvre semi-esclave est soumise aux conditions
d’exploitation les plus violentes (voir à ce propos le
cas des « maquiladoras » à la frontière Mexique/USA
ou les conditions dans lesquelles un capitalisme sauvage est en train
de s’installer en Chine), assurant une grande partie de la production
industrielle nécessaire à la consommation des pays riches.
Comme la transition vers un autre type de société se trouve
bloquée par la domination militaire quasi absolue de la puissance
impériale planétaire, les sociétés périphériques
connaîtront toutes sortes d’insurrections, de coups d ’état,
de guerres inter et intra frontières, sans d’autre conséquence
que l’ aggravation de la misère et de la violence que subiront
des populations sans aucune défense. La guerre prendra chaque
fois davantage la forme de longues guerres civiles entre groupes ethniques
ou d’autres rivaux, uniquement stoppées en fonction du
bon vouloir et des intérêts des saigneurs impériaux.
Pour ce qui est des conséquences du réchauffement global,
elles se feront hélas dramatiquement sentir avec plus d’intensité
d’abord dans les zones tropicales en aggravant la sécheresse
dans les régions déjà désertiques comme
le Sahel (et d’autres) et en augmentant la fréquence des
ouragans et autres phénomènes climatiques dévastateurs
dans des régions comme les Caraïbes ou les côtes de
l’Océan Indien. Quant aux soit-disant « démocraties
occidentales », celles-ci révèleront chaque jour
davantage leur face totalitaire, par le recours aux technologies dans
le but d’exercer la répression sélective des dissidences,
par la vidéosurveillance généralisée, par
la violation de la correspondance électronique, etc... La raison
profonde de cette dérive sécuritaire - et on peut toujours
agiter devant nous l’alibi d’une guerre contre le «
terrorisme » - est bien trop évidente : les armées
de sans-emploi générées par la transformation soudaine
des moyens de production (révolution technologique), associée
à la délocalisation massive des unités de production
vers des pays où le coût du travail est plus bas, ne pourront
pas continuer à bénéficier de systèmes de
sécurité sociale et de retraite en déficit chronique
et auxquels les bourgeoisies « nationales » respectives
refusent de contribuer pour la part qui leur incombe (voir la fuite
massive aux impôts promue par une constellation de « paradis
fiscaux », non seulement dans des lieux exotiques, mais également
dans plusieurs pays de l’Union Européenne elle-même
: le Portugal avec Madère ; le Royaume Uni avec Gibraltar ; le
Luxembourg...) La majorité des personnes des groupes sociaux
opprimés, dans les pays riches comme dans les pays pauvres, verra
ses conditions de vie se détériorer. Les jeunes verront
s’éloigner chaque jour davantage un futur digne de leurs
désirs légitimes face au cauchemar de cette civilisation
décadente. La révolte se développera, inévitablement.
L’inconnue consistera donc à vérifier, non pas s’il
y aura plus d’agitation sociale, mais plutôt dans quelle
mesure cette agitation sociale débouchera dans la solution d’une
crise structurelle du capitalisme, sans perspectives de dépassement
à l’ intérieur de ses propres limites. En effet,
aux 19ème et 20ème siècles les crises cycliques
du capitalisme étaient absorbées et « résolues
» dans une large mesure, grâce à l’expansion
de la domination du capitalisme dans sa périphérie (colonies
d’abord et pays neo-colonisés ensuite) ou même dans
des guerres inter-impérialismes qui permettaient de faire fonctionner
de nouveau à plein régime une industrie auparavant paralysée
par l’effet d’une crise de surproduction (cas le plus évident
: la crise de 29-32 qui s’est « résolue » dans
la 2ème guerre mondiale). Aujourd’hui cependant, quelles
parties de la planète reste-t-il à exploiter ? Quelles
parties de la planète ne sont pas soumises à une forme
ou une autre d’économie capitaliste ? Seulement la Chine
dite « communiste », bien que totalement acquise au capitalisme
dans sa version la plus rude et cruelle, rejetant beaucoup de millions
de paysans affamés sur le marché aux esclaves des grandes
villes industrielles pour construire une structure d'entreprises capables
de rivaliser avec les autres puissances industrielles asiatiques. Le
continent africain est abandonné à son sort, réduit
à une simple réserve de matières premières,
les conglomérats transnationaux ne révélant aucun
intérêt pour y implanter des usines.
Quelle possibilité existe-t-il pour qu’une guerre soit
la soupape d’échappement et la bouée de sauvetage
d’une industrie en crise ? Les guerres contemporaines se caractérisent
par leur façon de cibler des populations civiles totalement sans
défense, massacrées par les « valeureux »
soldats à des centaines de kilomètres de distance, la
fameuse guerre zéro morts (du côté impérialiste
bien entendu). Ce fut le cas en ex-Yougoslavie, en Afghanistan et ce
sera bientôt le cas en Irak (ou plutôt : .... c’est
le cas, puisque l’Irak est soumis à des bombardements meurtriers
depuis la fin de la guerre de 91, qui touchent régulièrement
des agglomérations, des zones industrielles, etc. sous le prétexte
de « raser des usines d’armes de destruction de masse »).
Par conséquent, la guerre détruira des ressources de façon
toujours plus efficace, et ne permettra aucun développement,
puisque ces pays seront placés en situation de marginalité
totale pour ce qui concerne les marchés, aussi bien en tant que
producteurs de biens industriels que comme consommateurs. Il suffit
de voir la situation de paupérisation dans laquelle sont restés
les pays de l’ ex-Yougoslavie, pour ne citer qu’un exemple.
L’augmentation des dépenses militaires de la part de l’unique
superpuissance qui subsiste (augmentation qui dépasse les dépenses
des années les plus tendues de la « guerre-froide »),
est venue colmater une profonde dépression sur le point de précipiter
les USA dans une situation de marasme (voir la chute de la bourse de
New York et surtout du Nasdaq entre avril et décembre 2000).
Mais colmater n’est pas résoudre : les produits de l’industrie
d’armement sont seulement destinés, ou bien à être
employés (en générant plus de destruction), ou
bien à être stockés, mais ils ne se destinent pas
à fournir des éléments susceptibles d’être
utiles à d’autres activités industrielles, ou alors
à une échelle infime uniquement. Le résultat final
est une énorme saignée de ressources de toute sorte (financières,
de matières premières, de capacité scientifique,
de main d’oeuvre spécialisée, etc.) dans un but
qui n ’est ni productif ni reproductif, ce qui revient à
dire qu’au bout du compte cela n’augmentera pas les profits
dans le système capitaliste pris dans son ensemble, même
si dans un premier temps cela permet de générer de grands
profits immédiats pour les industries associées à
cette course à l’armement de la « guerre des étoiles
». Pour maintenir leurs profits, les grands conglomérats
mettront en oeuvre deux processus : le pillage pur et simple des ressources,
comme ils le font déjà actuellement, mais à une
échelle encore plus vaste, et ils dépossèderont
toujours plus les populations des pays « développés
» des bénéfices et acquis sociaux qui découlent
de « l’Etat providence », mis en place pendant les
trois décennies d’expansion capitaliste à l’issue
de la 2ème guerre mondiale. Nous avons donc le capitalisme en
train de creuser les conditions de son anéantissement, et se
maintenant uniquement grâce à une machine à réprimer
devenant chaque jour plus monstrueuse, employant des moyens de surveillance
de tout et de tou-te-s, tout en gardant cependant, et si possible, les
apparences de la « démocratie », de façon
à maintenir la population endormie. Le capitalisme en état
de décadence accélérée ne se souciera pas
du destin de l’Argentine, ou même de celui de deux ou trois
« Argentines », car ses habitants désespérés
ne compteront guère dans ses calculs hégémoniques.
A partir du moment où elles ne constituent pas une menace directe
à la survie du système dans sa globalité, il est
probable que seront tolérées des zones « d’entropie
» aux marges du système, simplement contenues, car leur
réhabilitation serait trop coûteuse et ne présenterait
pas d’utilité pour le capital. A l’intérieur
des sociétés dites développées, les zones
de misère, avec leurs corollaires de violence, de prostitution,
de drogue, etc. vont se maintenir et augmenter, car cela rendra plus
facile le contrôle social global. En effet, les populations auront
en permanence devant elles le spectre hideux de leurs semblables réduits
à la condition de déchets humains. Quelle meilleure dissuasion
de la contestation sociale ? Quel meilleur instrument pour gérer
la soumission, par la peur panique de ce qu’ impliquerait la perte
du misérable gagne-pain ? Cette évolution ne sera cependant
pas indéfinie, car au-delà d’un certain degré,
les mécanismes d’oppression deviendront trop insupportables,
déclenchant la prise de conscience sociale des jeunes générations
en contact avec la brutalité des pouvoirs. La recherche d’alternatives
a déjà commencé, et ceci bien avant Seattle. En
vérité, nous pouvons situer la nouvelle ère du
combat anti-capitaliste à partir du 1er janvier 1994, avec l’émergence
de l’insurrection armée au Chiapas, menée par les
zapatistes. A partir d’ici, le mouvement anti-capitaliste contemporain
- étiqueté mouvement « anti-globalisation »
par les média (n.d.t. : anti-mondialisation » en France)
- n’a cessé de croître, opposant des défis
toujours plus grands aux Etats et aux grandes corporations, non tant
par les manifestations elles-mêmes, qui ne représentent
aucun danger immédiat pour l’ordre » en vigueur,
mais plutôt par l’effet de perte de légitimité
de cet « ordre » qu’occasionnent ces mêmes actes
collectifs : les « happenings » libertaires d’une
jeunesse qui, plus que jamais (bien plus qu’en mai 68), sait ce
qu’elle rejette et s’assume comme créatrice d’un
autre futur où il n ’y aura plus de place pour l’exploitation
de l’homme par l’homme ni pour la dévastation de
la nature. Au niveau local, ces groupes et réseaux alternatifs
sont en train de développer des communautés de base, non
visibles parce qu’ostracisées par les média, mais
qui n’en sont pas moins actives et en train de semer les graines
d’autres modes de vie, d’une autre culture, d’autres
valeurs. Les laquais du pouvoir - qu’ils soient de droite ou de
la gauche autoritaire - vont continuer à dénigrer ce mouvement,
le présentant comme « chose de marginaux ». Cependant,
le processus est en marche et nous allons assister à une floraison
de projets dans de nouveaux domaines, à l’exemple de ce
que l’ on constate déjà dans certains secteurs,
depuis les infos (cas des Indymédia et d’autres projets
sur Internet) jusqu’aux squats, transformés en centres
sociaux, centres d’une culture alternative, où se développent
de nouveaux modes de fonctionnement, où l’on assume pleinement
une autre forme d’être ensemble, avec des collectifs qui
se régissent par la démocratie de base, par l’absence
de hiérarchies, par leur ouverture et entraide, formant des réseaux
solidaires entre eux. Les formes de démocratie de base que représentent
les assemblées de quartier à Buenos Aires et dans d’autres
villes d’Argentine sont également prometteuses dans la
mesure où elles rassemblent des voisins autour de la résolution
de questions concrètes. Là-bas, dans ce cas, c’est
la survie elle-même qui est très souvent en question. Dans
ce pays également, des usines occupées et autogérées
montrent - à ceux qui en douteraient encore - l’adéquation
de ce que les libertaires ont toujours défendu. Ces évènements
sont d’autant plus notables que le pourcentage de libertaires
est assez faible en Argentine(*), et l’on ne peut donc pas leur
attribuer un rôle déterminant, du moins dans le déclenchement
de l’insurrection. Nous pouvons donc constater, au Nord ou au
Sud, à l’Est ou à l’Ouest, que, malgré
les énormes moyens de répression mis en oeuvre sous prétexte
de lutte anti-terroriste », les masses sont spontanément
en marche vers la construction d’un socialisme de base, sans leaders
charismatiques, sans parti d’avant-garde « illuminée
». Ainsi est en train de se construire un nouveau concept de révolution,
d’action révolutionnaire en rupture avec le capitalisme
et à la recherche d’alternatives totalement en dehors,
et même en opposition, aux schémas routiniers des gauches
autoritaires du passé.
Manuel Baptista
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(*) Bien qu’il s’agisse d’un des pays où le
syndicalisme libertaire a été dominant au sein du mouvement
ouvrier (avec la confédération FORA, membre de l’AIT),
les survivants directs de ce passé sont rares, à cause
du péronisme et de la dictature sanglante de Videla. Les rangs
des libertaires argentins d’aujourd’hui, proviennent, pour
une large part, de dissidences en rapport avec des organisations marxistes
ou péronistes de gauche
Traduit du portugais par N@ndo