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La Conjuration des Egaux
On confond souvent le Manifeste des Egaux de Sylvain Maréchal
avec le Manifeste des Plébéiens de Babeuf qui à
notre connaissance n'a jamais été publié. Et
c'est souvent aussi que l'on attribue le Manifeste des Egaux à
Babeuf. C'est pourtant Sylvain maréchal, poète léger,
philosophe, journaliste, précurseur du calendrier républicain,
qui en l'auteur. Voici quelques extraits de Sur Babeuf et la Conjuration
des Egaux par Maurice Dommanget (Maspero 1970) en guise d'introduction
:
C'est au début de brumaire an IV {fin octobre 1796} que
la conspiration de babeuf prend naissance. Le Tribun du peuple {du
nom de son journal} et ses codétenus sortent de prison, bénéficiant
de l'amnistie. En présence de la Réaction plus arrogante
que jamais et de l'inertie populaire, ils reprennent immédiatement
la lutte et, aidés d'éléments patriotes modérés,
ils fondent plusieurs clubs parmi lesquels le club du Panthéon
qui groupa un moment plus de deux mille membres. Le Directoire,
effrayé, proscrit Babeuf et son journal, ferme les clubs
démocrates, oblige les Egaux à se cacher. (...) Les
Egaux ne pouvaient plus se contenter d'éclairer leurs concitoyens,
il leur fallait - comme l'a montré Buonarroti - aider le
peuple à recouvrer ses droits. Autrement dit, ils devaient
non pas seulement se livrer à la propagande, mais au combat
contre le pouvoir. Dans ce but, les plus marquants d'entre eux se
réunirent successivement chez Félix Lepeletier, chez
Reys, chez Clérex. Là, nous les voyons mûrir
leur entreprise et s'arrêter à l'idée de constituer
une organisation insurrectionnelle clandestine. Cette organisation
vit le jour vers le commencement de germinal an IV {fin mars 1796}.
Babeuf, Félix Lepeletier et Maréchal qui ne s'étaient
guère concertés jusque là que pour " régler,
dit Buonarroti, les sujets et le ton de leurs ouvrages politiques
“ se constituèrent avec Antonelle en Directoire secret
de salut public. (...) Le Directoire secret de salut public devait
réunir en un faisceau compact tous les amis de la liberté
avec, comme but immédiat, le renversement du gouvernement
directorial et comme ultime objectif l'établissement du communisme.
Au 10 germinal an IV cette organisation outre babeuf, comprenait
Félix Lepeletier, Antonelle et Sylvain Maréchal. Elle
s'assemblait presque chaque soir dans l'appartement occupé
par Clérex, près de la Halle au blé, appartement
qui servait de refuge à Babeuf. C'est au cours d'une des
premières séances que Maréchal soumit à
ses camarades le Manifeste des Egaux, sorte de résumé
de la doctrine des conjurés. En voici le texte :
Manifeste des Egaux
PEUPLE DE FRANCE !
Pendant quinze siècle tu as vécu esclave, et par conséquent
malheureux. Depuis six années tu respires à peine,
dans l'attente de l'indépendance, du bonheur et de l'égalité.
L'Egalité ! premier vœu de la nature, premier besoin
de l'homme, et principal nœud de toute association légitime
! Peuple de France ! tu n'as pas été plus favorisé
que les autres nations qui végètent sur ce globe infortuné
!... Toujours et partout la pauvre espèce humaine livrée
à des anthropophages plus ou moins adroits, servit de jouet
à toutes les ambitions, de pâture à toutes les
tyrannies. Toujours et partout, on berça les hommes de belles
paroles : jamais et nulle part ils n'ont obtenu la chose avec le
mot. De temps immémorial on nous répète avec
hypocrisie, les hommes sont égaux, et de temps immémorial
la plus avilissante comme la plus monstrueuse inégalité
pèse insolemment sur le genre humain. Depuis qu'il y a des
sociétés civiles, le plus bel apanage de l'homme est
sans contradiction reconnu, mais n'a pu encore se réaliser
une seule fois : l'égalité ne fut autre chose qu'une
belle et stérile fiction de la loi. Aujourd'hui qu'elle est
réclamée d'une voix plus forte, on nous répond
: Taisez-vous misérables ! l'égalité de fait
n'est qu'une chimère ; contentez-vous de l'égalité
conditionnelle ; vous êtes tous égaux devant la loi.
Canaille que te faut-il de plus ? Ce qu'il nous faut de plus? Législateurs,
gouvernants, riches propriétaires, écoutez à
votre tour.
Nous sommes tous égaux, n'est-ce pas ? Ce principe demeure
incontesté, parce qu'à moins d'être atteint
de folie on ne saurait dire sérieusement qu'il fait nuit
quand il fait jour.
Eh bien ! nous prétendons désormais vivre et mourir
égaux comme nous sommes nés ; nous voulons l'égalité
réelle ou la mort ; voilà ce qu'il nous faut.
Et nous l'aurons cette égalité réelle, à
n'importe quel prix. Malheur à qui ferait résistance
à un vœu aussi prononcé !
La révolution française n'est que l'avant-courrière
d'une autre révolution bien plus grande, bien plus solennelle,
et qui sera la dernière.
Le peuple a marché sur le corps aux rois et aux prêtres
coalisés contre lui : il en fera de même aux nouveaux
tyrans, aux nouveaux tartuffes politiques assis à la place
des anciens.
Ce qu'il nous faut de plus que l'égalité des droits
?
Il nous faut non pas seulement cette égalité transcrite
dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen,
nous la voulons au milieu de nous, sous le toit de nos maisons.
Nous consentons à tout pour elle, à faire table rase
pour nous en tenir à elle seule. Périssent, s'il le
faut, tous les arts pourvu qu'il nous reste l'égalité
réelle !
Législateurs et gouvernants qui n'avez pas plus de génie
que de bonne foi, propriétaires riches et sans entrailles,
en vain essayez-vous de neutraliser notre sainte entreprise en disant
: Ils ne font que reproduire cette loi agraire demandée plus
d'une fois déjà avant eux.
Calomniateurs, taisez-vous à votre tour, et, dans le silence
de la confusion, écoutez nos prétentions dictées
par la nature et basées sur la justice.
La loi agraire ou le partage des campagnes fut le vœu instantané
de quelques soldats sans principes, de quelques peuplades mues par
leur instinct plutôt que par la raison. Nous tendons à
quelque chose de plus sublime et de plus équitable, le bien
commun ou la communauté des biens ! Plus de propriété
individuelle des terres, la terre n'est à personne. Nous
réclamons, nous voulons la jouissance communale des fruits
de la terre : les fruits sont à tout le monde.
Nous déclarons ne pouvoir souffrir davantage que la très
grande majorité des hommes travaille et sue au service et
pour le bon plaisir de l'extrême minorité.
Assez et trop longtemps moins d'un million d'individus dispose
de ce qui appartient à plus de vingt millions de leurs semblables,
de leur égaux.
Qu'il cesse enfin, ce grand scandale que nos neveux ne voudront
pas croire ! Disparaissez enfin, révoltantes distinctions
de riches et de pauvre, de grands et de petits, de maîtres
et de valets, de gouvernants et de gouvernés.
Qu'il ne soit plus d'autre différence parmi les hommes que
celles de l'âge et du sexe. Puisque tous ont les mêmes
besoins et les mêmes facultés, qu'il n'y ait donc plus
pour eux qu'une seule éducation, une seule nourriture. Ils
se contentent d'un seul soleil et d'un même air pour tous
: pourquoi la même portion et le même qualité
d'aliments ne suffiraient-elles pas à chacun d'eux ?
Mais déjà les ennemis d'un ordre des choses le plus
naturel qu'on puisse imaginer, déclament contre nous.
Désorganisateurs et factieux, nous disent-ils, vous ne voulez
que des massacres et du butin.
PEUPLE DE FRANCE !
Nous ne perdrons pas notre temps à leur répondre,
mais nous te dirons : la sainte entreprise que nous organisons n'a
d'autre but que de mettre un terme aux dissensions civiles et à
la misère publique.
Jamais plus vaste dessein n'a été conçu et
mis à exécution. De loin en loin quelques hommes de
génie, quelques sages, en ont parlé d'une voix basse
et tremblante. Aucun d'eux n'a eu le courage de dire la vérité
tout entière.
Le moment des grandes mesures est arrivé. Le mal est à
son comble ; il couvre la face de la terre. Le chaos, sous le nom
de politique, y règne depuis trop de siècles. Que
tout rentre dans l'ordre et reprenne sa place.
A la voix de l'égalité, que les éléments
de la justice et du bonheur s'organisent.
L'instant est venu de fonder la République des Egaux, ce
grand hospice ouvert à tous les hommes. Les jours de la restitution
générale sont arrivés. Familles gémissantes,
venez vous asseoir à la table commune dressée par
la nature pour tous ses enfants.
PEUPLE DE FRANCE !
La plus pure de toutes les gloires t'était donc réservée
! Oui, c'est toi qui le premier dois offrir au monde ce touchant
spectacle.
D'anciennes habitudes, d'antiques préventions voudront de
nouveau faire obstacle à l'établissement de la République
des Egaux. L'organisation de l'égalité réelle,
la seule qui réponde à tous les besoins, sans faire
de victimes, sans coûter de sacrifices, ne plaira peut-être
point d'abord à tout le monde.
L'égoïste, l'ambitieux frémira de rage. Ceux
qui possèdent injustement crieront à l'injustice.
Les jouissances exclusives, les plaisirs solitaires, les aisances
personnelles causeront de vifs regrets à quelques individus
blasés sur les peines d'autrui. Les amants du pouvoir absolu,
les vils suppôts de l'autorité arbitraire ploieront
avec peine leurs chefs superbes sous le niveau de l'égalité
réelle. Leur vue courte pénétrera difficilement
dans le prochain avenir du bonheur commun ; mais que peuvent quelques
milliers de mécontents contre une masse d'hommes tous heureux
et surpris d'avoir cherché si longtemps une félicité
qu'ils avaient sous la main ?
Dès le lendemain de cette véritable révolution,
ils se diront tout étonnés : En quoi ! le bonheur
commun tenait à si peu ? Nous n'avions qu'à le vouloir.
Ah ! pourquoi ne l'avons-nous pas voulu plus tôt. Oui sans
doute, un seul homme sur la terre plus riche, plus puissant que
ses semblables, que ses égaux, l'équilibre est rompu
; le crime et le malheur sont sur la terre.
PEUPLE DE FRANCE !
A quel signe dois-tu donc reconnaître désormais l'excellence
d'une constitution ? ...Celle qui tout entière repose sur
l'égalité de fait est la seule qui puisse te convenir
et satisfaire à tous tes voeux.
Les chartes aristocratiques de 1791 et de 1795 rivaient tes fers
au lieu de les briser. Celle de 1793 était un grand pas de
fait vers l'égalité réelle ; on n'en avait
pas encore approché de si près ; mais elle ne touchaient
pas encore le but et n'abordait point le bonheur commun, dont pourtant
elle consacrait solennellement le grand principe.
PEUPLE DE FRANCE !
Ouvre les yeux et le coeur à la plénitude de la félicité
: reconnais et proclame avec nous le République des Egaux.
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