Origine : http://www.hns-info.net/article.php3?id_article=10811
http://www.cip-idf.org/
Chômeurs, intermittents, intérimaires, vacataires,
pigistes, rmistes, stagiaires, travailleurs pauvres, précaires,
étudiants, nous savons compter et les chiffres sont têtus
:
Nous vivons dans un pays riche où les politiques successives
de l’emploi ont fait preuve de leur impuissance à améliorer
notre sort.
L’ANPE compte 4.5 millions d’inscrits.
Plus d’1 chômeur sur 2 n’est pas indemnisé.
1 million 100 mille personnes touchent le RMI. Si l’on inclut
les conjoints et les enfants, 3 millions de personnes en dépendent.
Plus de 12 millions de salariés ont un revenu mensuel inférieur
à 843 euros [1].
Plus de 3 personnes sans logis sur 10 ont un emploi à temps
complet, partiel ou précaire, gagnent entre 900 et 1 300
euros, et cherchent soir après soir où dormir.
Cette situation est intolérable.
Et pourtant :
Les discours de droite comme de gauche prétendent encore
« réhabiliter le travail ». Il est temps de rompre
avec cette logique aux racines historiquement douteuses et économiquement
inopérantes afin d’asseoir les droits sociaux sur de
nouvelles bases.
Aujourd’hui, 80 % des embauches se font en CDD, la flexibilité
est la norme.
Il est grand temps d’oser dire que cette divinité
devant laquelle nous sommes tous appelés à nous incliner,
« le plein emploi » n’existe pas et n’a
jamais existé (rappelons que dans les années 60, la
plupart des femmes n’avaient pas un emploi et n’étaient
pas sur le marché du travail, elles étaient considérées
inactives, à la charge du conjoint : le « plein emploi
» n’a jamais été une donnée, mais
une représentation par rapport à une « norme
» de l’emploi).
Depuis 1999, en application de son projet de « refondation
sociale », le MEDEF, avec la complicité de certains
syndicats dont la CFDT, sape méthodiquement l’assurance-chômage.
Dans ce cadre, ce que l’OCDE et les gouvernants appellent
« activer les dépenses passives », consiste à
transformer le chômeur indemnisé en salarié
précaire mal payé, assujetti aux employeurs, voire
à verser directement les allocations à ces derniers,
comme avec le RMA.
Chômeurs, intermittents, intérimaires, vacataires,
pigistes, rmistes, stagiaires, travailleurs pauvres, précaires,
étudiants, nous savons lire : nous trouvons dans les recommandations
de l’OCDE [2] le paragraphe suivant :
« Les réformes structurelles qui commencent par générer
des coûts avant de produire des avantages, peuvent se heurter
à une opposition politique moindre si le poids du changement
politique est supporté dans un premier temps par les chômeurs.
En effet, ces derniers sont moins susceptibles que les employeurs
ou les salariés en place de constituer une majorité
politique capable de bloquer la réforme, dans la mesure où
ils sont moins nombreux et souvent moins organisés. »
Pourquoi l’assurance chômage a-t-elle été
particulièrement visée ? Parce qu’elle attribuait
un revenu aux chômeurs. Pourquoi le système de l’intermittence
devait-il être démantelé ? Parce qu’il
offrait un modèle alternatif à la précarisation.
Au croisement du droit du travail et du système de protection
sociale, il existait une zone d’exception où la flexibilité
des emplois se combinait avec une certaine « sécurité
» pour le salarié, garantissant des marges de liberté
plus larges et une certaine mobilité choisie. Tel était
le régime spécifique d’indemnisation chômage
des intermittents du spectacle jusqu’à la réforme
de juin 2003. Ainsi, pour un bon nombre d’intermittents, la
flexibilité de l’emploi n’entraînait ni
la précarisation, ni la paupérisation. Elle ouvrait
des espaces d’autonomie dans les diverses temporalités
de la vie mais aussi dans le choix des projets dans lesquels ils
s’investissaient.
C’est précisément pour ces raisons que ce régime
a été visé. Le danger de l’attaque ne
vient pas du fait qu’elle se concentre sur le secteur culturel,
mais bien qu’elle détruit un exemple au regard du MEDEF
et de ses alliés de garantie de revenus, exemple qui aurait
pu s’élargir à toute situation de discontinuité
de l’emploi, quel que soit le secteur d’activité.
L’ancienne couverture sociale des intermittents du spectacle
fonctionnait selon un principe mutualiste de redistribution vers
les plus faibles revenus. Les réformes successives de 2003
et de 2006, voulues par les gestionnaires de l’Unedic, sont
résolument inégalitaires. Elles introduisent un principe
de capitalisation des droits suivant lequel les plus employés
et les mieux payés sont également les mieux indemnisés.
Les exclus du régime (près de 40000 en 2 ans) financent
ainsi les allocations ASSEDIC de « luxe » versés
aux salariés à haut revenus. Aujourd’hui, par
exemple, un salarié intermittent percevant en moyenne 12000
euros de salaire mensuel peut se voir octroyer, par le système
de capitalisation, environ 20000 euros d’allocations ASSEDIC
répartis sur 243 jours. Ce type d’aberration n’était
pas possible avant les « réformes ». Voilà
pourquoi ces réformes se révèlent plus coûteuses
que le précédent système. Mais le but clairement
avoué par le rapport de la Cour des comptes et par le MEDEF
ne se pose pas en termes de coût, mais de réduction
des effectifs. « La question n’est pas le déficit,
mais le nombre d’intermittents » déclarait ainsi
tranquillement M. Gauthier-Sauvagnac, négociateur du MEDEF.
Et ce n’est pas tout !
Chômeurs, intermittents, intérimaires, vacataires,
pigistes, rmistes, stagiaires, travailleurs pauvres, précaires,
étudiants, nous observons le fonctionnement politique qui
s’installe :
Pour accélérer les radiations des chômeurs,
tout un arsenal de dispositifs de contrôles et de contraintes
à l’emploi est mis en place. On fabrique ainsi une
nouvelle insécurité sociale faite de course aux cachets,
d’acceptation de n’importe quel emploi, de peur du contrôle
sous peine de se voir supprimer une allocation.
Qui aurait cru qu’après 4 ans de lutte, 4 ans d’actions,
de rapports, de missions d’information, de réunions
à l’Assemblée nationale ou au ministère,
les mêmes soi-disant « partenaires sociaux » allaient
signer un texte pire que le protocole du 26 juin 2003 dénoncé
par tous ?
Ils l’appellent « le protocole du 18 avril 2006 ».
Qui aurait cru que 4 ans de réflexions, d’expertises,
de propositions seraient balayés d’un revers de main
sans même qu’aucune discussion avec les donneurs d’ordre
(le MEDEF et la CFDT) ne soit possible ?
Comment ne pas être furieusement en colère ?
Le ministre de la culture Renaud Donnedieu de Vabres a répété
à de nombreuses reprises : « Le gouvernement ne donnera
pas son agrément à un accord qui ne contiendrait pas
les 507 heures en 12 mois ». Il nous a menti.
Non seulement aucune de ses promesses n’a été
tenue, mais il a supprimé le fonds transitoire versé
par l’Etat. Ce fonds avait été obtenu grâce
aux actions menées par tous les opposants au protocole de
2003 ; il a permis de « rattraper » 40000 exclus, leur
évitant de basculer au RMI. Et ce ne sont pas les pansements
que l’Etat a cru nécessaire d’ajouter au protocole
du 18 avril 2006 qui juguleront l’hémorragie à
venir de milliers d’intermittents radiés du système.
La lutte n’est pas un vain mot, nous devons nous battre pour
éviter l’agonie annoncée de notre système
de protection sociale.
Avec le laboratoire de recherche Matisse-ISYS de l’Université
de Paris 1, nous avons mené une enquête sociologique
sur l’intermittence. Les analyses et conclusions que nous
en retirons dépassent largement le monde spécifique
du spectacle. Les constats sont clairs :
L’emploi ne recouvre pas le travail. En d’autres termes,
l’activité déborde largement le temps de travail
effectué sous contrat.
Pour un intermittent du spectacle, par exemple, tous les temps
consacrés à la formation, l’élaboration
de nouveaux projets, la recherche, l’expérimentation,
quoique étant une étape indispensable à la
création, ne sont pas comptabilisés sur une fiche
de paye, mais considérés comme temps chômé.
Nous proposons d’arrêter d’opposer de façon
binaire emploi et chômage : le temps de non emploi, considéré
comme chômé est aussi -sinon plus que le temps en emploi-
producteur de richesses.
Il s’agit alors de relever le défi que constituent
toutes les formes de discontinuité, d’intermittence
de l’emploi : repenser les droits sociaux et le revenu au-delà
de l’emploi et du chômage.
L’assurance chômage n’est pas un coût passif.
Elle est un investissement productif.
Il faut renverser les termes de l’assertion selon laquelle
le nombre d’intermittents aurait progressé plus vite
que les ressources : ce n’est pas le nombre d’intermittents
qui augmente plus vite que les ressources du secteur, ce sont les
ressources du secteur qui augmentent trop peu. Celles-ci sont inadéquates
et largement insuffisantes pour accompagner et soutenir l‘expansion
des activités artistiques et culturelles, pour permettre
le développement d’activités en dehors des normes
marchandes de l’industrie du spectacle. Cependant, le financement
des structures ne pourra jamais faire l’économie ni
se substituer au « financement » des individus. La discontinuité
des projets ne doit pas impliquer la précarisation des conditions
de vie des personnes. La pérennité des structures
est liée de manière indissociable à la pérennité
des droits sociaux et des revenus des individus, à leur mobilité
que seule la continuité du revenu permet effectivement.
Chômeurs, intermittents, intérimaires, vacataires,
pigistes, rmistes, stagiaires, travailleurs pauvres, précaires,
étudiants, nous voulons réformer les annexes 8 et
10, et aussi plus largement l’assurance chômage. Mais
nous voulons le faire autrement que le MEDEF et la CFDT.
Notre Nouveau Modèle d’indemnisation constitue un
au-delà de l’indemnisation chômage, et il se
veut un modèle de garantie de la continuité du revenu
en situation de discontinuité de l’emploi. Il répond
à un double objectif : d’abord être adapté
aux pratiques d’emploi et de travail des Intermittents. Il
vise ensuite à permettre au plus grand nombre de pouvoir
bénéficier de cette garantie d’un revenu au
moins égal au SMIC. Construit sur un principe de mutualisation,
le Nouveau Modèle intègre un plafond mensuel calculé
sur la base de l’ensemble des revenus perçus dans le
mois (salaires et indemnités). Il comporte ainsi une redistribution
en faveur de ceux qui perçoivent des salaires plus faibles
et connaissent une plus grande discontinuité de l’emploi.
Le Nouveau Modèle peut s’appliquer à tout travailleur
engagé par des employeurs multiples, avec un taux de rémunération,
et une durée de contrats variables : c’est-à-dire
à beaucoup de personnes ne relevant pas des champs de l’intermittence
actuelle, mais connaissant une précarité réelle.
Le principe du Nouveau Modèle est donc résolument
mutualiste. Loin de tout corporatisme ou de défense de privilèges
acquis, sa philosophie s’appuie sur la continuité de
revenu pour tous, conçue comme bien commun au même
titre que le logement, la santé et l’éducation.
Enfin, une refonte politique de l’Unedic s’impose,
à commencer par la remise en cause radicale d’un paritarisme
à bout de souffle initié après la seconde guerre
mondiale. Depuis 30 ans, cette forme institutionnelle a progressivement
dérivé vers le mépris du commun. Ainsi, alors
que partout on glose sur la « sécurisation des parcours
», des centaines de milliers de travailleurs précaires
cotisent à un régime d’assurance-chômage
qui ne les indemnise pas, ou très mal.
Les syndicats de salariés (CFDT, CGC, CFTC) qui ont osé
signer les dernières réformes scandaleuses de l’assurance
chômage élaborées par le MEDEF ne représentent
aucun chômeur. Il est inconcevable dans une démocratie
que les premiers concernés, à savoir les associations
de chômeurs, d’intermittents, de précaires, ne
puissent pas discuter des réformes qui décident de
leur vie. Il en est de même pour tous les syndicats non représentés
à l’Unedic. Mais le plus incroyable et pour le moins
incompréhensible, c’est l’absence de l’Etat.
Les 4 derniers ministres des affaires sociales et de l’emploi
Martine Aubry, Elizabeth Guigou, François Fillon et Jean-Louis
Borloo se sont pliés aux décisions du MEDEF avouant
ainsi leur totale impuissance ou leur parfait consentement.
Le temps libre nécessite des supports sociaux. Il s’agit
de replacer l’émancipation individuelle et collective
au cœur de l’action politique.
Chômeurs, intermittents, intérimaires, vacataires,
pigistes, rmistes, stagiaires, travailleurs pauvres, précaires,
étudiants, nous ne voulons ni la pseudo loi de l’économie
ni une politique compassionnelle.
Nous sommes nombreux et en avons assez d’être plaints.
CIP-IDF - Mars 2007
[1] Jacques Cotta, « 7 Millions de travailleurs pauvres,
La face cachée des temps modernes » Ed Fayard
[2] Perspective de l’emploi de l’OCDE (2006), stimuler
l’emploi et les revenus, Paris, 2006
Source/auteur : http://www.cip-idf.org/
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