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origine http://malgretout.collectifs.net/spip.php?article119
ce texte correspond au début de nos recherches . les conclusion
du travail sont très différentes des hypothèses
de départ. ( cliquez ici pour écouter discussion récente
a propos de cette question).
Dans la perspective d’un travail de recherche autour de la
famille que nous nous proposons d’entamer au sein du service
de pédopsychiatrie du C.H.U. de Reims dirigé par le
Pr Schmit, et ce en association avec des universitaires et chercheurs
extérieurs au service, nous soumettons ce texte de présentation
au plus large public possible, texte qui constitue d’une certaine
manière notre déclaration d’intention.
Cette recherche, nous allons la mener sur un terrain commun à
"tout le monde", car en effet au sein de cette "année
de la famille", les multiples réflexions autour de ce
sujet ne sauraient être le monopole de quiconque. C’est
pourquoi nous soumettons le texte suivant à un grand nombre
de personnes auxquelles nous demandons dans une série de
questions exposées à la fin d’émettre
réactions et commentaires par rapport aux quelques hypothèses
proposées ainsi que plus largement par rapport au sujet abordé.
Cette recherche, nous la concevons sous un double angle, théorique
et clinique. En effet, au-delà de la tentation répandue
visant à nous faire croire qu’il pourrait exister une
véritable pratique "non dilettante" ne s’embarrassant
pas des détours nécessaires à tout questionnement,
il n’existe pas stricto sensu, à notre avis, de pratique
non théorique. Ainsi, plus une pratique se prétend
"l’évidence même" ("celle qui
vient des tripes"), plus celui qui en est l’exécutant
se trouve en fait déjà totalement noyé dans
un champ théorique dont il ignore tout. Toute pratique n’existe
donc qu’en tant qu’elle est rendue possible par un schéma
référentiel conceptuel opératoire, bien que
plus ou moins conscient, plus ou moins maîtrisé par
les opérateurs du champ en question.
C’est pourquoi, si dans l’organisation de notre travail,
nous allons différencier une partie "théorique"
de déconstruction et d’analyse des concepts dominants,
d’une autre partie "clinique" plus axée sur
l’observation concrète, ce ne sera que dans le but
d’étudier les effets de l’une au sein de l’autre,
car bien évidemment ces deux parties n’existent que
dans une articulation intime. D’autre part, les hypothèses
autour desquelles notre recherche va s’élaborer relèvent,
plutôt que d’une pensée organisée et "déjà
là", de paris de pensée, d’essais de conceptualisation,
que nous désirons offrir à la réflexion de
nos collègues espérant que leurs réactions
pourront faire avancer ce travail. Notre point de départ
s’appuie sur ce qui, plus qu’un concept, est devenu
une véritable image "passe-partout ", dont tout
le monde parle et se préoccupe la crise de la famille. Celle-ci
se voit comparée à un véritable organisme qui
non seulement serait attaqué de tous côtés,
mais en outre se verrait rongé par une crise interne. Ces
attaques proviennent tantôt de la dislocation du modèle
des grandes familles pour aboutir dans une entropie au modèle
monoparental, ou bien, d’une certaine plasticité dans
le mode de construction et reconstruction des noyaux familiaux qui
établissent désormais que les liens affectifs familiaux
ne peuvent plus être compris ou légitimés comme
ce qui serait fondé sur des liens de sang (conception qui
a marqué l’imaginaire social et individuel pendant
des siècles). Par ailleurs, le développement des sciences
et techniques, qu’on pourrait seulement avec naïveté
qualifier de progrès, rend possible dans la pratique une
série de manipulations tendant à dépasser ce
que l’on pouvait nommer "les formes traditionnelles de
se reproduire ". Et toute la bio-technique, appliquée
à la reproduction, ne représente qu’une partie
infime du fantasme de toute-puissance que de telles pratiques inscrivent
dans l’imaginaire humain.
Parallèlement à cette crise, nous assistons à
l’éclosion d’une multiplicité de techniques
psy visant à pallier au désordre et à la complexité
de la situation. Toutes, bien sûr, revendiquent une certaine
"efficacité ". Or dans le champ psy, qu’une
pratique "marche" n’est guère suffisant pour
nous indiquer sur le pourquoi elle marche ni surtout vers où
elle marche. Le premier élément sur lequel nous voudrions
nous arrêter est lié à une certaine conception
qui a cours à propos de l’individu selon laquelle celui-ci
préexisterait, voire existerait au-delà du réseau
des déterminants qui le constitue. Cette idée est
couramment véhiculée par les énoncés
comme : "pourquoi suis-je né(e) dans cette famille ?",
"pourquoi avec ce sexe ? Pourquoi dans ce pays ?", etc.
Les pourquoi, qui peuvent s’enchaîner ainsi à
l’infini, sont tous le reflet de la certitude narcissique
qu’il existe une instance individuelle moique dans un au-delà
de surdéterminations qui pourtant constituent la personne.
Nous partons donc de la base que cette conception relève
d’un fantasme narcissique sachant certes, que tout fantasme
conditionne la réalité, mais qu’il existe tout
de même dans sa propre toute-puissance c’est-à-dire
non limité (barré) par le réel.
Ainsi, il s’agit d’être conscient que toute personne
qui nous consulte, loin d’exister en tant qu’entité
isolée, représente en fait un segment d’une
combinatoire, un nœud dans un filet de relations dont il est
tissé. Ces relations que l’on appelle couramment intersubjectives
(bien que nous soyons critiques par rapport à ce concept)
constituent cette situation dans laquelle l’individu pense
et agit et que nous nommons situation subjective-affective. Nous
partons en effet de l’hypothèse que les individus existent
toujours dans des situations de ce type, c’est-à-dire
dans lesquelles leur comportement et leur compréhension du
monde sont avant tout régis par un mécanisme imaginaire
(identification, projection, etc.). Or une situation subjective-affective
ne possède en aucun cas une "bonne" forme en soi
; différentes formes qu’elle revêtira pour exister
dans le monde -figures, images identificatoires -apparaissent, disparaissent
et se transforment à travers l’histoire et la diversité
culturelle, et ce dans une même période historique.
Leur fonction est, en imposant un cadre de représentation,
de formaliser, modéliser, donc normaliser.
Ainsi, la famille, dans sa structure monogamique et nucléaire
avec exigence de fidélité des conjoints et d’amour
des enfants (c’est-à-dire, l’apparition en tant
qu’exigence normative de la fidélité et de l’amour
filial dans le discours dominant ) sur laquelle par la suite on
projettera le schéma oedipien , n’est selon cette hypothèse,
rien d’autre que la forme dominante que cette situation subjective-affective
a pris depuis quelques siècles en Occident. (L’exigence
d’amour des enfants par exemple ne va pas du tout de soi puisqu’il
ne s’impose, selon les travaux des historiens des mentalités
et des affections, que dans la deuxième moitié du
dix-huitième siècle).
Cependant, cette conception se heurte à trois autres approches
qui ont cours à propos de la famille . La première,
la plus répandue, s’inspire des thèses darwiniennes
et considère la famille telle que nous l’avons définie
plus haut, comme le fruit d’une évolution historique
nécessaire. La deuxième considère la famille
monogamique et nucléaire comme cohabitant avec une multiplicité
d’autres formes (famille élargie, tribu,etc.) mais
toutes tenues en moins bonne considération. La troisième
conception est celle d’un universalisme radical pour lequel
cette structure familiale a de tout temps et en tous lieux existé
comme structure de rapports entre les individus, bien que sous des
apparences différentes.
L’écueil commun à ces trois approches réside
dans le fait que toutes, d’une manière plus ou moins
évidente, ont pour corollaire une hiérarchisation
synchronique et diachronique de l’humanité qui rend
possible l’établissement de la "bonne" forme
de cette situation subjective-affective à partir de laquelle
on pourrait juger l’ensemble de l’humanité .
De plus, elles restent toutes plus ou moins prisonnières
d’une conception déterministe de l’histoire.
Il s’agit pour nous, d’affirmer, à nouveau que
la famille, loin d’être un élément transhistorique
comme le voudrait l’idée reçue, n’a pas
de tout temps existé, que non seulement elle est née
à un moment donne de l’histoire, mais que sa construction
et sa mise en place correspondent à une stratégie
et une volonté politique bien précises s’inscrivant
elle-même dans une période historique bien particulière.
Les travaux sur lesquels nous pouvons fonder cette affirmation se
sont multipliés dans de nombreux secteurs des sciences sociales,
histoire, démographie et anthropologie. Le but que nous poursuivons
est donc de puiser dans ce gisement de savoir les moyens de déconstruire
la famille anhistorique en tant que modèle, norme. Dans une
certaine mesure il s’agit d’articuler les éléments
de cette déconstruction et les pratiques sociales qui concernent
la famille. D’ores et déjà il convient d’évoquer
les fondements du mariage religieux. L’institution du mariage
religieux en Europe est en effet le produit de la réaction
de l’Église de Rome face aux profonds bouleversements
politiques et sociaux qui agitent la société aux alentours
de 1100. Ces bouleversements scellent ce que par la suite on pourra
nommer une véritable rupture historique qui voit les anciens
cadres et repères de la société s’effondrer
et ceux de l’époque moderne se mettre en place. Le
passage à cette nouvelle cosmogonie se trouve résumée
dans la formule de Koyré d’après lequel l’on
passe "du monde clos à l’univers infini".
En effet, la désacralisation du monde, le déplacement
des préoccupations du divin vers l’humain, la naissance
de la figure de l’homme, en tant que figure centrale, capable
de raisonner et d’agir sur le monde, toutes ces mutations
inaugurent la naissance d’un nouveau monde, celui de la modernité,
structuré désormais par le mythe du progrès
infini et la confiance en un avenir qui ne peut qu’être
meilleur.
Ce sont ces transformations ainsi que la libération de puissance
qu’elles génèrent qui poussent l’Église,
préoccupée du maintien de l’ordre social et
de l’affirmation de son autorité, à instaurer
et à imposer ce cadre de représentation et de normalisation
que constituera le mariage. Précisons dès à
présent que le rôle de l’Église a surtout
été d’ordonner, d’orienter et de mettre
en forme un phénomène déjà existant
(bien que non codifié) dans la société de l’époque.
Cette mise en forme, cette codification des affects lui permet de
canaliser et de contrôler ce qu’elle considère
comme un danger pour l’ordre social et son propre pouvoir.
Pouvoir à entendre au sens de Foucault, c’est-à-dire
selon sa double figure de micro-pouvoir, existant au sein d’une
capillarité de micro-réseaux (physiologie du pouvoir),
et de macro-pouvoir, celui des institutions et appareils d’état
(anatomie du pouvoir). Et si un pouvoir central existe et s’impose
par la répression et la toi, les micro-pouvoirs. eux, véhiculent
et imposent les normes, ils règlent, en les contrôlant,
les rapports entre les hommes.
Cette forme bien précise et codifiée du mariage religieux,
donc de la famille monogamique et nucléaire se présente
donc comme la nouvelle norme à laquelle devra se soumettre
le peuple des laïcs (Séculier). Elle est un instrument
de contrôle, un rempart contre le désordre ; sa mise
en place est l’enjeu le plus important du combat que mène
l’Église pour maintenir la paix publique en cette période
de turbulences, et elle n’y parviendra qu’au prix de
nombreux heurts et de résistances multiples. La famille naît
donc, produit d’un long et complexe processus, contradictoire
aussi, mais contrairement à ce que l’on pourrait croire,
elle n’a pas sauf exception passagère, à travers
l’histoire, connu de véritable stabilité.
Ainsi, si la norme du couple monogamique s’est imposée
comme règle sociale dans l’Europe chrétienne,
la forme nucléaire de la famille n’a été
que l’une d’entre elles. Les historiens ont pris l’habitude
de différencier ces noyaux familiaux et les maisonnées
qui peuvent comporter plusieurs noyaux de collatéraux, ou
descendants. Ils ont tenté d’analyser les structures
familiales comme relevant certes de la structuration du couple mais
encore de la structuration du foyer, espace de vie et espace de
production économique. Le couple comme structure affective
n’est pas le seul élément qui détermine
cette structure, ni même le plus déterminant.
Il convient pour s’en convaincre de rappeler que la mortalité
des jeunes adultes était telle pendant la période
moderne, que 30% au moins des mariages étaient des secondes
noces, la famille était donc souvent recomposée, évolutive.
Structure d’association, de solidarité, la famille
permettait de maintenir une exploitation et d’élever
des enfants, elle était donc une forme qui permettait la
régulation et la reproduction sociale. A une époque
où toute relation amoureuse était suspecte, car potentiellement
productrice de désordre, la famille ne visait pas à
l’épanouissement affectif de ses membres. La famille
n’était d’ailleurs pas fondée au moment
de la déclaration d’un amour partagé, mais au
moment où la libération d’une exploitation rendait
l’installation d’un nouveau couple possible. On a ainsi
observé un recul de l’âge au mariage, (mariage
tardif) dans des périodes de saturation économique.
Lorsque ce recul est devenu très important, il a participé
à la rupture des contraintes édictées par l’Église
dans les milieux atteints par la crise sociale et économique.
On a ainsi assisté au XVlllème siècle à
la multiplication des abandons d’enfants, au développement
de la contraception, au développement du concubinage.
C’est en fait la famille bourgeoise du XVlllème qui
invente la norme de la famille nucléaire, la norme des joies
de la vie familiale . Cette norme subvertit alors celle de la noblesse,
la fidélité bourgeoise s’oppose au libertinage
aristocratique, l’intimité à la vie de représentation
à la cour, l’élevage des enfants à la
mise en nourrice systématique voire à la contraception.
Elle s’oppose également aux normes paysannes qui acceptent
une plus grande liberté sexuelle, une plus grande promiscuité
entre les membres du groupe familial, parents enfants, journaliers,
oncles, tantes et grands-parents
Aujourd’hui, on ne peut que constater, comme nous le disions
plus haut, que ce modèle est en crise, que ce schéma
référentiel ne fonctionne plus de la même manière
et que plus généralement la société
contemporaine dans sa globalité est le lieu d’une nouvelle
rupture historique, celle des assises rationnelles de la modernité
dont nous avons évoqué la naissance autour de l’an
mil. L’idée d’un progrès, téléologique
et nécessaire, l’optimisme et la confiance en l’homme
et en l’avenir qui ne pouvait qu’âtre meilleur,
donc la croyance en un sens de l’histoire ordonnant le monde,
qui toutes caractérisaient la modernité, sont aujourd’hui
brisées et avec elles toute la matrice logique qui les soutenait.
Et c’est bien en inscrivant cette crise de la famille au
sein de la crise globale qui touche aujourd’hui tous les secteurs
de la société (science, politique, philosophie, économie,etc.)
et rend ainsi les anciens schémas conceptuels référentiels
inopérants, autrement dit en étant bien conscient
que la matrice qui fondait le modèle familial est celle-là
même qui n’a plus de consistance à présent,
que nous serons capables d’appréhender au mieux la
situation. Cependant, il ne s’agit nullement pour nous d’établir
un quelconque rapport de cause à effet linéaire qui
viserait à expliquer la crise de la famille à travers
celle de la société en général pour
aboutir à la conclusion caricaturale du genre :"Et voilà
pourquoi votre fille est muette". Ce rapport, s’il existe
-et telle est notre hypothèse étayée par les
travaux des historiens- relève certainement d’une plus
grande complexité. C’est justement ce qui constituera
le noyau de notre recherche. Il faudra alors saisir d’autres
moments de crise de la famille, car les périodes où
la famille a été vécue comme structure qui
ne fonctionne plus correctement sont des périodes historiques
de rupture, telles que l’an mil ou le XVlllème siècle
en France. Le désordre des familles au XVlllème, a
ainsi d’une manière générale remis en
question l’autorité du père sur sa femme et
ses enfants, au moment même où l’autorité
du roi, bon père du peuple, sur ses sujets, était
remise en question par la naissance de l’opinion publique.
C’est pourquoi en écho, la partie dite "clinique’
de notre travail s’organisera sous forme d’enquêtes
auprès des différents intervenants sociaux et cliniques
(psy, éducateurs, assistants sociaux, juges, etc.) au travers
desquelles nous tenterons de repérer et d’analyser
les symptômes et les incidences de cette crise au sein de
la famille, en nous demandant, sachant qu’il est courant que
des formes historiques perdurent bien au-delà de la matrice
qui leur a donné naissance, ce qui reste précisément
de ce modèle, sur quelles assises, s’il survit, il
repose aujourd’hui et quelle signification il recouvre désormais.
Car il importe de se rendre compte que quand bien même une
forme perdure, la signification qu’elle revêt, compte
tenu du changement radical de la situation dans laquelle elle s’inscrit,
ne peut demeurer identique. Nous nous intéresserons aussi
aux arguments avancés par les tenants de la conservation
à tout prix de ce modèle qui le plus souvent nous
empêchent, par leur cantonnement à un formalisme de
surface, certes rassurant, de parvenir à la compréhension
du phénomène et de son devenir. Enfin, et plus largement,
nous tenterons, et ce en faisant référence à
d’autres formes de situation subjective-affective, d’établir
ce que l’on pourrait nommer une symptômatologie de la
rupture.
Notons que si la famille représente un tel enjeu (pour ceux
qui la défendent comme pour ses détracteurs), si sa
mise en place (par l’institution du mariage) au : tour de
1100 a été l’élément central de
la lutte de l’Église pour assoir son autorité
et imposer son ordre, et si aujourd’hui encore elle reste
considérée par ceux qui veulent envers et contre tout
la conserver, comme le "ciment de la cohésion sociale",
qu’en outre elle est sans conteste une grille privilégiée
de compréhension et d’interprétation des problèmes
individuels et sociaux, c’est quelle est le lieu de croisement
de tous les domaines de la vie, l’affectif, le juridique,
l’économique, le social, etc., et qu’en son sein,
se mêlent intérêts et préoccupations de
tous niveaux et de toutes natures.
Mais plus largement, notre volonté de déconstruire
le concept de famille s’inscrit aussi dans un intérêt
d’étude plus général de ce qui fonde
aujourd’hui l’intervention des acteurs cliniques et
sociaux, véritable droit d’ingérence dans la
vie des gens, sachant que leurs discours et leurs pratiques ainsi
que le savoir qu’ils véhiculent sont nés précisément
des rapports de pouvoir qui ont institué la famille et plus
généralement du remaniement des voies de représentation
qui marque le début de l’époque moderne. Si
aujourd’hui cette époque moderne s’achève,
si les cadres conceptuels référentiels qu’elle
avait mis en place et d’après lesquels elle avait jusqu’à
présent fonctionné s’écroulent, les principales
grilles de lecture et d’analyse fondant la nosographie actuelle
ne sont-elles pas par conséquent devenues inadéquates,
inadaptées à la situation ? Bien qu’animés
la plupart du temps de "bonne volonté", et sans
en être bien souvent conscients, les travailleurs cliniques
et sociaux, sont, par l’intermédiaire de leur pratique,
les vecteurs d’une idéologie, les agents d’une
normalisation ; ils fonctionnent en effet selon un ensemble de schémas,
de normes, dont la famille est l’une des plus importantes.
En tant que telle eue a une fonction de territorialisation, de sédentarisation
dans l’espace et dans le temps.
Et qui dit norme dit construction idéale, produit idéologique,
instrument du pouvoir qu’elle véhicule et qui lui-même
produit des discours, un savoir pour légitimer son existence
et sa mise en oeuvre. Si donc aujourd’hui les discours rendant
acceptable la norme familiale ont perdu leur cadre référentiel
général, quelle légitimité, mais en
outre quelle signification, quels enjeux son invocation recouvre-t-elle
dans les pratiques cliniques et sociales aujourd’hui, et plus
largement, dans la société tout entière ? Quel
devenir pour ce modèle quand la matrice qui le fondait s’est
effondrée ?
Ce sont toutes ces questions qui définissent en quelque
sorte le champ de notre recherche dont nous voyons qu’elles
ouvrent maints horizons de réflexion et que nous tenterons,
au cours d’une étroite collaboration entre professionnels
cliniques et sociaux d’une part, et universitaires et chercheurs
d’autre part, de mener a bien. Précisons que la recherche
que nous mettons en place par l’intermédiaire de ce
texte n’a nullement pour ambition d’appeler à
la construction d’un nouveau modèle substitutif de
l’ancien modèle familial en crise. Tout à fait
à l’opposé de ce genre d’attitude, nous
voulons, face au constat de la crise que nous avons évoquée,
faire le simple geste de tenter de la penser.
Il s’agit selon nous de bien comprendre en quoi un phénomène
culturel, social et historique, est devenu une variante forte intervenant
dans notre pratique quotidienne. Nos collègues ont souvent
la certitude de ce que le drame qui se joue entre les quatre murs
de leur bureau est compréhensible à l’intérieur
de ces quatre murs, même s’ils tiennent toujours compte
du fait que les personnes qu’ils reçoivent sont des
êtres sociaux. Mais quand une variante "extérieure"
devient beaucoup trop importante, ne pas la tenir en compte nous
prive de la possibilité d’analyse et de compréhension
de notre problème. Ainsi, que penser par exemple d’un
dermatologue qui, constatant une recrudescence de cancers de la
peau, se voit dans l’incapacité de tenir en compte
dans son analyse le trou de la couche d’ozone comme une variable
importante bien qu’extérieure à sa consultation
?
Pour illustrer cela d’une manière encore plus caricaturale,
imaginons un conducteur convaincu que si sa voiture n’avance
pas et surchauffe, les causes de ce dysfonctionnement proviennent
de la voiture elle-même, alors que s’il se trouve a
six heures de l’après-midi en plein centre de Rome,
ses connaissances en mécanique ne risquent pas de lui servir
à grand chose...
Il y a en effet toujours un moment où s’attacher trop
fortement à l’étude parcellaire de la singularité
que nous avons devant nous (par exemple une personne qui souffre)
nous empêche de comprendre sa souffrance dans le cadre de
la situation dans laquelle elle existe. Les cliniciens et praticiens
savent, pour reprendre l’exemple de la voiture, que leurs
connaissances en mécanique ne suffisent pas, qu’il
y a par ailleurs des problèmes d’embouteillage, de
pollution, etc. Mais force est cependant de constater qu’à
tenir en compte cette multiplication incessante de variables, nous
nous trouvons souvent dans un certain flou. Or, les différents
praticiens du social et de la clinique continuent à exercer
leur activité.
Le premier objectif de cette recherche est donc de collecter le
plus grand nombre d’avis et d’opinions que ces différents
praticiens se font autour de la complexité de la crise. Nous
sommes en effet convaincus que de nombreuses pistes et concepts
existent déjà dans ce sens. C’est dans cette
perspective, que nous vous invitons à réagir et à
répondre aux quelques questions suivantes : Les quelques
hypothèses que nous avons émises vous paraissent-elles
intéressantes et méritent-elles selon vous la réflexion
? Quelles critiques souhaitez-vous leur apporter ? Avez-vous quant
à cette crise des hypothèses propres ? Si oui, pourriez-vous
les développer et les expliquer ?
Vous-mêmes, dans votre vie quotidienne comme dans vos pratiques,
percevez-vous cette crise de la famille ? Si oui, qu’en percevez-vous
concrètement et ce que vous observez recoupe-t-il nos idées
ou au contraire cela n’a-t-il à votre sens rien à
voir ? Autrement dit, vos pratiques (sociales, cliniques, éducatives
ou autres) se trouvent-elles bouleversées par cette crise
? Et de quelle manière ? Ou au contraire, ne percevez-vous
aucun changement et continuez-vous à agir et travailler "comme
avant" ? Dans le cas où selon vous les questions auxquelles
vous êtes confrontés touchent à la crise, quels
sont vos objectifs’ ? quel est le seuil à partir duquel
vous considérez qu’un objectif est atteint. Toutes
vos réactions et réflexions sur ce sujet nous intéressent
et nous vous invitons non seulement à nous répondre,
mais aussi à faire circuler ce texte dans votre entourage
afin de créer une véritable dynamique de réflexion
autour de la famille et de faire participer à ce travail
le plus grand nombre de personnes possibles.
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