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projet de recherche autour de la famille
jeudi 29 mai 2008

origine http://malgretout.collectifs.net/spip.php?article119

ce texte correspond au début de nos recherches . les conclusion du travail sont très différentes des hypothèses de départ. ( cliquez ici pour écouter discussion récente a propos de cette question).

Dans la perspective d’un travail de recherche autour de la famille que nous nous proposons d’entamer au sein du service de pédopsychiatrie du C.H.U. de Reims dirigé par le Pr Schmit, et ce en association avec des universitaires et chercheurs extérieurs au service, nous soumettons ce texte de présentation au plus large public possible, texte qui constitue d’une certaine manière notre déclaration d’intention.

Cette recherche, nous allons la mener sur un terrain commun à "tout le monde", car en effet au sein de cette "année de la famille", les multiples réflexions autour de ce sujet ne sauraient être le monopole de quiconque. C’est pourquoi nous soumettons le texte suivant à un grand nombre de personnes auxquelles nous demandons dans une série de questions exposées à la fin d’émettre réactions et commentaires par rapport aux quelques hypothèses proposées ainsi que plus largement par rapport au sujet abordé. Cette recherche, nous la concevons sous un double angle, théorique et clinique. En effet, au-delà de la tentation répandue visant à nous faire croire qu’il pourrait exister une véritable pratique "non dilettante" ne s’embarrassant pas des détours nécessaires à tout questionnement, il n’existe pas stricto sensu, à notre avis, de pratique non théorique. Ainsi, plus une pratique se prétend "l’évidence même" ("celle qui vient des tripes"), plus celui qui en est l’exécutant se trouve en fait déjà totalement noyé dans un champ théorique dont il ignore tout. Toute pratique n’existe donc qu’en tant qu’elle est rendue possible par un schéma référentiel conceptuel opératoire, bien que plus ou moins conscient, plus ou moins maîtrisé par les opérateurs du champ en question.

C’est pourquoi, si dans l’organisation de notre travail, nous allons différencier une partie "théorique" de déconstruction et d’analyse des concepts dominants, d’une autre partie "clinique" plus axée sur l’observation concrète, ce ne sera que dans le but d’étudier les effets de l’une au sein de l’autre, car bien évidemment ces deux parties n’existent que dans une articulation intime. D’autre part, les hypothèses autour desquelles notre recherche va s’élaborer relèvent, plutôt que d’une pensée organisée et "déjà là", de paris de pensée, d’essais de conceptualisation, que nous désirons offrir à la réflexion de nos collègues espérant que leurs réactions pourront faire avancer ce travail. Notre point de départ s’appuie sur ce qui, plus qu’un concept, est devenu une véritable image "passe-partout ", dont tout le monde parle et se préoccupe la crise de la famille. Celle-ci se voit comparée à un véritable organisme qui non seulement serait attaqué de tous côtés, mais en outre se verrait rongé par une crise interne. Ces attaques proviennent tantôt de la dislocation du modèle des grandes familles pour aboutir dans une entropie au modèle monoparental, ou bien, d’une certaine plasticité dans le mode de construction et reconstruction des noyaux familiaux qui établissent désormais que les liens affectifs familiaux ne peuvent plus être compris ou légitimés comme ce qui serait fondé sur des liens de sang (conception qui a marqué l’imaginaire social et individuel pendant des siècles). Par ailleurs, le développement des sciences et techniques, qu’on pourrait seulement avec naïveté qualifier de progrès, rend possible dans la pratique une série de manipulations tendant à dépasser ce que l’on pouvait nommer "les formes traditionnelles de se reproduire ". Et toute la bio-technique, appliquée à la reproduction, ne représente qu’une partie infime du fantasme de toute-puissance que de telles pratiques inscrivent dans l’imaginaire humain.

Parallèlement à cette crise, nous assistons à l’éclosion d’une multiplicité de techniques psy visant à pallier au désordre et à la complexité de la situation. Toutes, bien sûr, revendiquent une certaine "efficacité ". Or dans le champ psy, qu’une pratique "marche" n’est guère suffisant pour nous indiquer sur le pourquoi elle marche ni surtout vers où elle marche. Le premier élément sur lequel nous voudrions nous arrêter est lié à une certaine conception qui a cours à propos de l’individu selon laquelle celui-ci préexisterait, voire existerait au-delà du réseau des déterminants qui le constitue. Cette idée est couramment véhiculée par les énoncés comme : "pourquoi suis-je né(e) dans cette famille ?", "pourquoi avec ce sexe ? Pourquoi dans ce pays ?", etc. Les pourquoi, qui peuvent s’enchaîner ainsi à l’infini, sont tous le reflet de la certitude narcissique qu’il existe une instance individuelle moique dans un au-delà de surdéterminations qui pourtant constituent la personne. Nous partons donc de la base que cette conception relève d’un fantasme narcissique sachant certes, que tout fantasme conditionne la réalité, mais qu’il existe tout de même dans sa propre toute-puissance c’est-à-dire non limité (barré) par le réel.

Ainsi, il s’agit d’être conscient que toute personne qui nous consulte, loin d’exister en tant qu’entité isolée, représente en fait un segment d’une combinatoire, un nœud dans un filet de relations dont il est tissé. Ces relations que l’on appelle couramment intersubjectives (bien que nous soyons critiques par rapport à ce concept) constituent cette situation dans laquelle l’individu pense et agit et que nous nommons situation subjective-affective. Nous partons en effet de l’hypothèse que les individus existent toujours dans des situations de ce type, c’est-à-dire dans lesquelles leur comportement et leur compréhension du monde sont avant tout régis par un mécanisme imaginaire (identification, projection, etc.). Or une situation subjective-affective ne possède en aucun cas une "bonne" forme en soi ; différentes formes qu’elle revêtira pour exister dans le monde -figures, images identificatoires -apparaissent, disparaissent et se transforment à travers l’histoire et la diversité culturelle, et ce dans une même période historique. Leur fonction est, en imposant un cadre de représentation, de formaliser, modéliser, donc normaliser.

Ainsi, la famille, dans sa structure monogamique et nucléaire avec exigence de fidélité des conjoints et d’amour des enfants (c’est-à-dire, l’apparition en tant qu’exigence normative de la fidélité et de l’amour filial dans le discours dominant ) sur laquelle par la suite on projettera le schéma oedipien , n’est selon cette hypothèse, rien d’autre que la forme dominante que cette situation subjective-affective a pris depuis quelques siècles en Occident. (L’exigence d’amour des enfants par exemple ne va pas du tout de soi puisqu’il ne s’impose, selon les travaux des historiens des mentalités et des affections, que dans la deuxième moitié du dix-huitième siècle).

Cependant, cette conception se heurte à trois autres approches qui ont cours à propos de la famille . La première, la plus répandue, s’inspire des thèses darwiniennes et considère la famille telle que nous l’avons définie plus haut, comme le fruit d’une évolution historique nécessaire. La deuxième considère la famille monogamique et nucléaire comme cohabitant avec une multiplicité d’autres formes (famille élargie, tribu,etc.) mais toutes tenues en moins bonne considération. La troisième conception est celle d’un universalisme radical pour lequel cette structure familiale a de tout temps et en tous lieux existé comme structure de rapports entre les individus, bien que sous des apparences différentes.

L’écueil commun à ces trois approches réside dans le fait que toutes, d’une manière plus ou moins évidente, ont pour corollaire une hiérarchisation synchronique et diachronique de l’humanité qui rend possible l’établissement de la "bonne" forme de cette situation subjective-affective à partir de laquelle on pourrait juger l’ensemble de l’humanité . De plus, elles restent toutes plus ou moins prisonnières d’une conception déterministe de l’histoire.

Il s’agit pour nous, d’affirmer, à nouveau que la famille, loin d’être un élément transhistorique comme le voudrait l’idée reçue, n’a pas de tout temps existé, que non seulement elle est née à un moment donne de l’histoire, mais que sa construction et sa mise en place correspondent à une stratégie et une volonté politique bien précises s’inscrivant elle-même dans une période historique bien particulière. Les travaux sur lesquels nous pouvons fonder cette affirmation se sont multipliés dans de nombreux secteurs des sciences sociales, histoire, démographie et anthropologie. Le but que nous poursuivons est donc de puiser dans ce gisement de savoir les moyens de déconstruire la famille anhistorique en tant que modèle, norme. Dans une certaine mesure il s’agit d’articuler les éléments de cette déconstruction et les pratiques sociales qui concernent la famille. D’ores et déjà il convient d’évoquer les fondements du mariage religieux. L’institution du mariage religieux en Europe est en effet le produit de la réaction de l’Église de Rome face aux profonds bouleversements politiques et sociaux qui agitent la société aux alentours de 1100. Ces bouleversements scellent ce que par la suite on pourra nommer une véritable rupture historique qui voit les anciens cadres et repères de la société s’effondrer et ceux de l’époque moderne se mettre en place. Le passage à cette nouvelle cosmogonie se trouve résumée dans la formule de Koyré d’après lequel l’on passe "du monde clos à l’univers infini". En effet, la désacralisation du monde, le déplacement des préoccupations du divin vers l’humain, la naissance de la figure de l’homme, en tant que figure centrale, capable de raisonner et d’agir sur le monde, toutes ces mutations inaugurent la naissance d’un nouveau monde, celui de la modernité, structuré désormais par le mythe du progrès infini et la confiance en un avenir qui ne peut qu’être meilleur.

Ce sont ces transformations ainsi que la libération de puissance qu’elles génèrent qui poussent l’Église, préoccupée du maintien de l’ordre social et de l’affirmation de son autorité, à instaurer et à imposer ce cadre de représentation et de normalisation que constituera le mariage. Précisons dès à présent que le rôle de l’Église a surtout été d’ordonner, d’orienter et de mettre en forme un phénomène déjà existant (bien que non codifié) dans la société de l’époque. Cette mise en forme, cette codification des affects lui permet de canaliser et de contrôler ce qu’elle considère comme un danger pour l’ordre social et son propre pouvoir. Pouvoir à entendre au sens de Foucault, c’est-à-dire selon sa double figure de micro-pouvoir, existant au sein d’une capillarité de micro-réseaux (physiologie du pouvoir), et de macro-pouvoir, celui des institutions et appareils d’état (anatomie du pouvoir). Et si un pouvoir central existe et s’impose par la répression et la toi, les micro-pouvoirs. eux, véhiculent et imposent les normes, ils règlent, en les contrôlant, les rapports entre les hommes.

Cette forme bien précise et codifiée du mariage religieux, donc de la famille monogamique et nucléaire se présente donc comme la nouvelle norme à laquelle devra se soumettre le peuple des laïcs (Séculier). Elle est un instrument de contrôle, un rempart contre le désordre ; sa mise en place est l’enjeu le plus important du combat que mène l’Église pour maintenir la paix publique en cette période de turbulences, et elle n’y parviendra qu’au prix de nombreux heurts et de résistances multiples. La famille naît donc, produit d’un long et complexe processus, contradictoire aussi, mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, elle n’a pas sauf exception passagère, à travers l’histoire, connu de véritable stabilité.

Ainsi, si la norme du couple monogamique s’est imposée comme règle sociale dans l’Europe chrétienne, la forme nucléaire de la famille n’a été que l’une d’entre elles. Les historiens ont pris l’habitude de différencier ces noyaux familiaux et les maisonnées qui peuvent comporter plusieurs noyaux de collatéraux, ou descendants. Ils ont tenté d’analyser les structures familiales comme relevant certes de la structuration du couple mais encore de la structuration du foyer, espace de vie et espace de production économique. Le couple comme structure affective n’est pas le seul élément qui détermine cette structure, ni même le plus déterminant.

Il convient pour s’en convaincre de rappeler que la mortalité des jeunes adultes était telle pendant la période moderne, que 30% au moins des mariages étaient des secondes noces, la famille était donc souvent recomposée, évolutive. Structure d’association, de solidarité, la famille permettait de maintenir une exploitation et d’élever des enfants, elle était donc une forme qui permettait la régulation et la reproduction sociale. A une époque où toute relation amoureuse était suspecte, car potentiellement productrice de désordre, la famille ne visait pas à l’épanouissement affectif de ses membres. La famille n’était d’ailleurs pas fondée au moment de la déclaration d’un amour partagé, mais au moment où la libération d’une exploitation rendait l’installation d’un nouveau couple possible. On a ainsi observé un recul de l’âge au mariage, (mariage tardif) dans des périodes de saturation économique. Lorsque ce recul est devenu très important, il a participé à la rupture des contraintes édictées par l’Église dans les milieux atteints par la crise sociale et économique. On a ainsi assisté au XVlllème siècle à la multiplication des abandons d’enfants, au développement de la contraception, au développement du concubinage.

C’est en fait la famille bourgeoise du XVlllème qui invente la norme de la famille nucléaire, la norme des joies de la vie familiale . Cette norme subvertit alors celle de la noblesse, la fidélité bourgeoise s’oppose au libertinage aristocratique, l’intimité à la vie de représentation à la cour, l’élevage des enfants à la mise en nourrice systématique voire à la contraception. Elle s’oppose également aux normes paysannes qui acceptent une plus grande liberté sexuelle, une plus grande promiscuité entre les membres du groupe familial, parents enfants, journaliers, oncles, tantes et grands-parents

Aujourd’hui, on ne peut que constater, comme nous le disions plus haut, que ce modèle est en crise, que ce schéma référentiel ne fonctionne plus de la même manière et que plus généralement la société contemporaine dans sa globalité est le lieu d’une nouvelle rupture historique, celle des assises rationnelles de la modernité dont nous avons évoqué la naissance autour de l’an mil. L’idée d’un progrès, téléologique et nécessaire, l’optimisme et la confiance en l’homme et en l’avenir qui ne pouvait qu’âtre meilleur, donc la croyance en un sens de l’histoire ordonnant le monde, qui toutes caractérisaient la modernité, sont aujourd’hui brisées et avec elles toute la matrice logique qui les soutenait.

Et c’est bien en inscrivant cette crise de la famille au sein de la crise globale qui touche aujourd’hui tous les secteurs de la société (science, politique, philosophie, économie,etc.) et rend ainsi les anciens schémas conceptuels référentiels inopérants, autrement dit en étant bien conscient que la matrice qui fondait le modèle familial est celle-là même qui n’a plus de consistance à présent, que nous serons capables d’appréhender au mieux la situation. Cependant, il ne s’agit nullement pour nous d’établir un quelconque rapport de cause à effet linéaire qui viserait à expliquer la crise de la famille à travers celle de la société en général pour aboutir à la conclusion caricaturale du genre :"Et voilà pourquoi votre fille est muette". Ce rapport, s’il existe -et telle est notre hypothèse étayée par les travaux des historiens- relève certainement d’une plus grande complexité. C’est justement ce qui constituera le noyau de notre recherche. Il faudra alors saisir d’autres moments de crise de la famille, car les périodes où la famille a été vécue comme structure qui ne fonctionne plus correctement sont des périodes historiques de rupture, telles que l’an mil ou le XVlllème siècle en France. Le désordre des familles au XVlllème, a ainsi d’une manière générale remis en question l’autorité du père sur sa femme et ses enfants, au moment même où l’autorité du roi, bon père du peuple, sur ses sujets, était remise en question par la naissance de l’opinion publique.

C’est pourquoi en écho, la partie dite "clinique’ de notre travail s’organisera sous forme d’enquêtes auprès des différents intervenants sociaux et cliniques (psy, éducateurs, assistants sociaux, juges, etc.) au travers desquelles nous tenterons de repérer et d’analyser les symptômes et les incidences de cette crise au sein de la famille, en nous demandant, sachant qu’il est courant que des formes historiques perdurent bien au-delà de la matrice qui leur a donné naissance, ce qui reste précisément de ce modèle, sur quelles assises, s’il survit, il repose aujourd’hui et quelle signification il recouvre désormais. Car il importe de se rendre compte que quand bien même une forme perdure, la signification qu’elle revêt, compte tenu du changement radical de la situation dans laquelle elle s’inscrit, ne peut demeurer identique. Nous nous intéresserons aussi aux arguments avancés par les tenants de la conservation à tout prix de ce modèle qui le plus souvent nous empêchent, par leur cantonnement à un formalisme de surface, certes rassurant, de parvenir à la compréhension du phénomène et de son devenir. Enfin, et plus largement, nous tenterons, et ce en faisant référence à d’autres formes de situation subjective-affective, d’établir ce que l’on pourrait nommer une symptômatologie de la rupture.

Notons que si la famille représente un tel enjeu (pour ceux qui la défendent comme pour ses détracteurs), si sa mise en place (par l’institution du mariage) au : tour de 1100 a été l’élément central de la lutte de l’Église pour assoir son autorité et imposer son ordre, et si aujourd’hui encore elle reste considérée par ceux qui veulent envers et contre tout la conserver, comme le "ciment de la cohésion sociale", qu’en outre elle est sans conteste une grille privilégiée de compréhension et d’interprétation des problèmes individuels et sociaux, c’est quelle est le lieu de croisement de tous les domaines de la vie, l’affectif, le juridique, l’économique, le social, etc., et qu’en son sein, se mêlent intérêts et préoccupations de tous niveaux et de toutes natures.

Mais plus largement, notre volonté de déconstruire le concept de famille s’inscrit aussi dans un intérêt d’étude plus général de ce qui fonde aujourd’hui l’intervention des acteurs cliniques et sociaux, véritable droit d’ingérence dans la vie des gens, sachant que leurs discours et leurs pratiques ainsi que le savoir qu’ils véhiculent sont nés précisément des rapports de pouvoir qui ont institué la famille et plus généralement du remaniement des voies de représentation qui marque le début de l’époque moderne. Si aujourd’hui cette époque moderne s’achève, si les cadres conceptuels référentiels qu’elle avait mis en place et d’après lesquels elle avait jusqu’à présent fonctionné s’écroulent, les principales grilles de lecture et d’analyse fondant la nosographie actuelle ne sont-elles pas par conséquent devenues inadéquates, inadaptées à la situation ? Bien qu’animés la plupart du temps de "bonne volonté", et sans en être bien souvent conscients, les travailleurs cliniques et sociaux, sont, par l’intermédiaire de leur pratique, les vecteurs d’une idéologie, les agents d’une normalisation ; ils fonctionnent en effet selon un ensemble de schémas, de normes, dont la famille est l’une des plus importantes. En tant que telle eue a une fonction de territorialisation, de sédentarisation dans l’espace et dans le temps.

Et qui dit norme dit construction idéale, produit idéologique, instrument du pouvoir qu’elle véhicule et qui lui-même produit des discours, un savoir pour légitimer son existence et sa mise en oeuvre. Si donc aujourd’hui les discours rendant acceptable la norme familiale ont perdu leur cadre référentiel général, quelle légitimité, mais en outre quelle signification, quels enjeux son invocation recouvre-t-elle dans les pratiques cliniques et sociales aujourd’hui, et plus largement, dans la société tout entière ? Quel devenir pour ce modèle quand la matrice qui le fondait s’est effondrée ?

Ce sont toutes ces questions qui définissent en quelque sorte le champ de notre recherche dont nous voyons qu’elles ouvrent maints horizons de réflexion et que nous tenterons, au cours d’une étroite collaboration entre professionnels cliniques et sociaux d’une part, et universitaires et chercheurs d’autre part, de mener a bien. Précisons que la recherche que nous mettons en place par l’intermédiaire de ce texte n’a nullement pour ambition d’appeler à la construction d’un nouveau modèle substitutif de l’ancien modèle familial en crise. Tout à fait à l’opposé de ce genre d’attitude, nous voulons, face au constat de la crise que nous avons évoquée, faire le simple geste de tenter de la penser.

Il s’agit selon nous de bien comprendre en quoi un phénomène culturel, social et historique, est devenu une variante forte intervenant dans notre pratique quotidienne. Nos collègues ont souvent la certitude de ce que le drame qui se joue entre les quatre murs de leur bureau est compréhensible à l’intérieur de ces quatre murs, même s’ils tiennent toujours compte du fait que les personnes qu’ils reçoivent sont des êtres sociaux. Mais quand une variante "extérieure" devient beaucoup trop importante, ne pas la tenir en compte nous prive de la possibilité d’analyse et de compréhension de notre problème. Ainsi, que penser par exemple d’un dermatologue qui, constatant une recrudescence de cancers de la peau, se voit dans l’incapacité de tenir en compte dans son analyse le trou de la couche d’ozone comme une variable importante bien qu’extérieure à sa consultation ?

Pour illustrer cela d’une manière encore plus caricaturale, imaginons un conducteur convaincu que si sa voiture n’avance pas et surchauffe, les causes de ce dysfonctionnement proviennent de la voiture elle-même, alors que s’il se trouve a six heures de l’après-midi en plein centre de Rome, ses connaissances en mécanique ne risquent pas de lui servir à grand chose...

Il y a en effet toujours un moment où s’attacher trop fortement à l’étude parcellaire de la singularité que nous avons devant nous (par exemple une personne qui souffre) nous empêche de comprendre sa souffrance dans le cadre de la situation dans laquelle elle existe. Les cliniciens et praticiens savent, pour reprendre l’exemple de la voiture, que leurs connaissances en mécanique ne suffisent pas, qu’il y a par ailleurs des problèmes d’embouteillage, de pollution, etc. Mais force est cependant de constater qu’à tenir en compte cette multiplication incessante de variables, nous nous trouvons souvent dans un certain flou. Or, les différents praticiens du social et de la clinique continuent à exercer leur activité.

Le premier objectif de cette recherche est donc de collecter le plus grand nombre d’avis et d’opinions que ces différents praticiens se font autour de la complexité de la crise. Nous sommes en effet convaincus que de nombreuses pistes et concepts existent déjà dans ce sens. C’est dans cette perspective, que nous vous invitons à réagir et à répondre aux quelques questions suivantes : Les quelques hypothèses que nous avons émises vous paraissent-elles intéressantes et méritent-elles selon vous la réflexion ? Quelles critiques souhaitez-vous leur apporter ? Avez-vous quant à cette crise des hypothèses propres ? Si oui, pourriez-vous les développer et les expliquer ?

Vous-mêmes, dans votre vie quotidienne comme dans vos pratiques, percevez-vous cette crise de la famille ? Si oui, qu’en percevez-vous concrètement et ce que vous observez recoupe-t-il nos idées ou au contraire cela n’a-t-il à votre sens rien à voir ? Autrement dit, vos pratiques (sociales, cliniques, éducatives ou autres) se trouvent-elles bouleversées par cette crise ? Et de quelle manière ? Ou au contraire, ne percevez-vous aucun changement et continuez-vous à agir et travailler "comme avant" ? Dans le cas où selon vous les questions auxquelles vous êtes confrontés touchent à la crise, quels sont vos objectifs’ ? quel est le seuil à partir duquel vous considérez qu’un objectif est atteint. Toutes vos réactions et réflexions sur ce sujet nous intéressent et nous vous invitons non seulement à nous répondre, mais aussi à faire circuler ce texte dans votre entourage afin de créer une véritable dynamique de réflexion autour de la famille et de faire participer à ce travail le plus grand nombre de personnes possibles.