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origine http://malgretout.collectifs.net/article.php3?id_article=50
Ce texte énonce les hypothèses de travail de l’université
populaire crée dans la cité des 4000 (la Courneuve)
par le collectif malgré tout et l’association "africa".
1. Le terme même " d’Université Populaire
" ne doit pas laisser entendre qu’il s’agit d’ouvrir
une université à laquelle le peuple pourrait accéder
alors qu’il est exclu de l’autre, encore moins qu’il
s’agit " d’adapter " le savoir universitaire
officiel à des personnes qui n’y ont pas ou pas eu
accès.
2. Le savoir véhiculé par une " Université
Populaire " est précisément produit par les personnes
qui y participent. Notre société fonctionne sur le
mode de la séparation et produit des savoirs n’ayant
aucun lien entre eux et n’ayant aucune prise sur la vie des
gens. Elle élit un certain type de savoir, " savoir
officiel)) ou noble " (celui qui est sanctionné par
un diplôme), en écrasant et méprisant tous les
autres types de savoir décrétés " non
noble ". Or chacun de nous est porteur de savoirs et savoir-faire
multiples qu’il s’agit justement de mettre à
jour dans cette "Université Populaire".
Autrement dit, il ne s’agit pas d’ouvrir un cycle de
formation organisé par certaines personnes détentrices
d’un savoir au bénéfice d’autres personnes
supposées ignorantes. Il s’agit d’accoucher les
savoirs dont toutes les personnes sont détentrices, la plupart
du temps sans le savoir, sans les nommer comme tels.
3. Une " Université Populaire " n’a donc
rien à voir avec une « Université " construite
sur le modèle des institutions officielles mais située
dans les quartiers populaires. Une " Université Populaire"
signifie la création d’un lieu de développement
et de construction de ces savoirs du peuple qui ne circulent pas
au sein des lieux classiques du savoir et qui de plus sont en général
dépréciés par la Société.
Ce qui ne signifie pas qu’il faille opposer ces savoirs,
il n’existe pas à notre avis un savoir populaire "
positif " et un savoir bourgeois " oppresseur ".
L’une des tâches d’une « Université
Populaire » consiste donc aussi en la socialisation, l’appropriation
des savoirs officiels pour et par les gens du peuple, qui non seulement
sont privés de biens matériels et vivent dans la précarité,
mais en plus se trouvent privés de ce que la Société
considère comme un luxe, comme un extra qui ne pourrait
intéresser que ceux qui sont déjà " de
l’autre côté " socialement parlant, c’est
à dire qui n’ont pas de problèmes pour subvenir
à leurs besoins. Pour nous, le savoir, la pensée,
la culture, l’art ne sont pas un " luxe " qui n’aurait
sa place qu’une fois que la survie serait assurée ;
nous affirmons au contraire qu’il s’agit d’emblée
de refuser que dans notre Société, il y ait des gens
dans la " survie " et d’autres qui " vivent
pleinement ". La " culture ", l’art, la pensée
sont aussi vitaux et essentiels pour n’importe quel être
humain que l’alimentation, le logement ou les soins médicaux.
4. S’il ne s’agit pas d’opposer, au niveau de
leur contenu, un savoir populaire " positif " et un savoir
officiel " répressif ", le rôle de "
l’Université populaire ", son premier geste politique
consiste à descendre de son piédestal le savoir dit
officiel en mettant à jour son rôle répressif
et excluant et à, d’une part, se le réapproprier
et, d’autre part développer et libérer toutes
les autres formes de savoirs. En effet, si nos Sociétés
fonctionnent sur le mode de l’exclusion, il existe deux positions
radicalement différentes pour lutter contre celle-ci.
Il est effectivement très différent de dire : nos
Sociétés sécrètent de l’exclusion,
faisons donc tout pour intégrer les exclus (ce qui sous-entend
qu’on adhère au préalable à un modèle
d’intégration bien précis dans lequel il faut
faire rentrer les " exclus ", on ne fait par conséquent
que reproduire le modèle qui est la source même de
l’exclusion), ou de dire que nos Sociétés sécrètent
de l’exclusion parce qu’elles posent un modèle
excluant et ne permettent pas à d’autres modèles
de se développer. Et c’est parce qu’on pose un
et un seul modèle intégrateur auquel quasiment personne
ne correspond, qu’on génère des exclus de ce
modèle.
C’est donc ce modèle qu’il faut, non pas détruire
pour en mettre un autre à la place, mais questionner et "
remettre à sa place ", celle d’un modèle
possible parmi de multiples autres. Autrement dit, le savoir produit
par une " Université Populaire " n’est pas
un savoir qui cherche à rivaliser avec le savoir dit officiel,
niais un savoir qui, grâce à une réflexion sur
le mode de fonctionnement de nos Sociétés permet,
en replaçant le savoir officiel à sa juste valeur,
de faire émerger tous les autres savoirs jusque là
opprimés et non reconnus comme tels.
5. En résumé, le rôle de cette " Université
Populaire " consiste, tout en socialisant les savoirs existants,
à mettre en valeur tous ces savoirs que les gens possèdent,
en les collectant et en les ordonnant. Il s’agit de construire
et de se réapproprier des savoirs concrets, savoirs liés
immédiatement à des pratiques, pratiques de libération
et de construction, ici et maintenant, de nouvelles et multiples
dimensions de nos vies. Il nous semble important de lutter contre
l’ignorance qui nous laisse en position de spectateurs passifs
de nos vies ; or cette " ignorance " est beaucoup plus
importante que ce que l’on croit, l’ensemble de la Société
à tous ses niveaux étant, pour la première
fois dans l’histoire, constituée d’hommes et
de femmes qui croient maîtriser les techniques qui rythment
leur vie quotidienne alors qu’ils sont proprement possédés
par elles. Lutter contre l’ignorance est créateur de
liens et rompt avec la tristesse qui caractérise notre époque
et qui est la forme sous laquelle le capitalisme existe dans la
vie concrète de chacun de nous.
Pratiquement, il s’agirait d’organiser des journées
(nombre et régularité à définir) sur
des thèmes choisis, et de discuter en procédant au
préalable à des " enquêtes de récupération
de savoirs ", autrement dit rassembler, sur les différents
thèmes abordés les savoirs que les uns et les autres
possèdent et qu’ils pourront venir partager avec nous.
Il est important de ne plus laisser se perdre ces savoirs populaires
et il sera nécessaire qu’entre les journées,
soient produites, avec l’aide des uns et des autres, des brochures
qui peu à peu constitueront une bibliothèque populaire
en mesure de circuler largement.
Entre les journées proprement dites, il pourrait y avoir
des journées plus " classiques ", c’est-à-dire
avec des intervenants extérieurs (ou non) où l’on
aborderait des thèmes intéressants les uns et les
autres, en tenant toujours compte du principe fondamental selon
lequel les intervenants doivent partager, socialiser leur savoir.
Ces journées devront donc être, dans la mesure du possible,
préparées à l’avance pour que la discussion
et l’élaboration collective aient leur place dans le
travail des invités, en d’autres termes, afin que tout
le monde qui le souhaite puisse y participer.
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