"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
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Raison et Révolte
Collectif Malgré Tout

Origine http://malgretout.collectifs.net/article.php3?id_article=68

"On a toujours raison de se révolter" : tel est le mot d’ordre d’une époque qui aujourd’hui apparaît comme révolu, appartenant à une sorte de "préhistoire". Il y aurait ainsi eu une époque où les hommes et les femmes ont cru que l’on pouvait changer certaines réalités, et même que nous devions le faire ; changement dans le sens de la justice, de la liberté, et pourquoi pas de la vie et de l’amour.

Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et même sur le pont... Ceux qui se trouvaient dessus sont tombés, ils se turent et ne crurent plus. Par ailleurs, certaines "avant-gardes", c’est-à-dire certains groupes d’amoureux du pouvoir, ont systématiquement volé les révoltes des peuples. Des milliers de petits ou grands "pères des peuples" se sont hissés sur les mouvement de masses, et ainsi, les révoltes trahies ne paraissent rien de plus aujourd’hui qu’une énorme farce, une simple illusion : la puissance des peuples serait de toutes façons inévitablement trahie par le pouvoir des élites. L’époque de la déception est arrivée. Le capitalisme, et sa version sauvage, le néo-libéralisme, paraissaient être jusqu’à aujourd’hui un véritable horizon indépassable. Ainsi, pour nos contemporains, être un "lucide-cynique-déçu" est devenu une véritable mode, une idéologie. Les illusions ou les passions étant considérées comme dangeureuses, ou à tout le moins condamnées au pire échec.

Mais pourtant, lorsque, par exemple, nous roulons sur la route qui va de La Paz à Cochabamba en Bolivie, nous nous trouvons face à une étrange et terrible "garde d’honneur", ou plutôt de dés-honneur : une interminable file d’enfants de l’Altiplano qui demandent aux voyageurs, non de l’argent, non des vêtements, mais simplement du pain ; lorsque, plus tard, en rentrant dans nos confortables maisons dans les pays "développés", nous devons passer presque sur le corps du SDF qui dort juste à la porte de notre immeuble ; lorsqu’en Angleterre les mines ferment leurs portes en laissant à la rue les esclaves modernes qui, après avoir laissé leur santé et leurs sourires au fond de la mine, seront spoliés comme ça, au nom du seul principe acceptable de nos jours : le principe du bénéfice économique ; lorsqu’au nom de ce même principe, la survie même de l’humanité est mise en danger par des tas d’atteintes contre l’écosystème, etc. etc., à ce moment, nous devons dire que non seulement nous avons raison de nous révolter, mais aussi que, la seule raison, au sens de la seule chose qui puisse apparaître comme rationnel dans ce monde fou, est la voie de la révolte.

Il ne s’agit pas pour autant de réinstaller au centre de nos préoccupations et comme objectif l’ancienne figure du militant, membre ou représentant des élites, amoureux du pouvoir, qui appelait les masses à la révolte au nom d’un système qu’il avait inventé au cours de ses nuits blanches. Il ne s’agit pas de ce type de militance basé sur une culpabilisation bien occidentale, qui préparait si bien les gens à l’obéissance au nom de cette faute originelle.

Il s’agit au contraire d’assumer ce défi qui est le propre de notre époque, de notre situation, et qui consiste en la recherche d’une myriade d’expériences nouvelles de solidarité. La résistance doit être création, création et défense de la vie, de nouvelles formes de vie et de solidarité. Le néo-libéralisme est centralisation et représentation qui nie la réalité, qui nie la vie. Nous ne pouvons opposer à cette machine de destruction une autre machine centralisée et abstraite, tel un modèle de monde différent. A cette machine de centralisation et d’abstraction, nous devons opposer le réel de la vie, avec sa force, sa création, voire sa violence.

Face à la complexité de notre situation, nombreux sont ceux qui sombrent dans la tentation de s’enfermer dans leurs vies, dans leurs plus ou moins confortables maisons, en essayant au moins "de pas être complice", "ne pas être un salaud"... On peut comprendre que, les bonnes intentions sacrifiées et trahies ayant été si nombreuses, cet objectif "minimaliste" puisse apparaître comme une position prudente, voire raisonnable.

Néanmoins, cette idéologie de "chacun chez soi", chacun faisant le mieux possible son travail..., cette idéologie-là est justement l’idéologie dominante qui va comme un gant au néo-libéralisme. Une population bien sérialisée, bien ordonnée, devant l’écran "magique" de la télévision, qui, paradoxalement, plus il nous isole, plus il nous fait croire qu’il nous met en relation avec le monde entier. Ayez accès au monde entier par la télévision ou Internet, mais s’il vous plaît, ne faites pas de désordre, ne bougez pas trop, ne vous déplacez pas... Tout le monde sait que, finalement, le meilleur des mondes est le monde spectaculaire du virtuel. Vive le progrès et au diable le monde réel bien trop compliqué.

Nous agissons ainsi tel un chercheur qui, face à la difficulté dans la recherche d’un vaccin, déclarerait le triomphe éternel de la maladie. Ou nous dirait dans le meilleur des cas : "pourquoi tant d’efforts, s’il y a toujours de nouvelles maladies ?" Un tel argument est aussi ridicule que de cesser de manger sachant que, on a beau manger, quelques heures plus tard on se met de nouveau à avoir faim...

Ainsi, cette idéologie du "nous faisons ce que nous pouvons" en essayant de ne pas être un salaud, est le triomphe du néolibéralisme qui a besoin de ces passions tristes, de ces "impuissances pleines de bonnes intentions" pour accomplir son règne. C’est ni plus ni moins que le règne non seulement du spectacle et de la division, mais aussi du monde dont l’unique modèle de vie existant est celui de la survie.

Ainsi, l’humanitarisme nous enseigne que nous pouvons survivre tranquillement dans nos sociétés d’isolement et d’égoïsme en laissant une partie de nos préoccupations entre les mains des spécialistes qui s’occupent d’essayer d’arranger un peu les choses, sans déranger les puissants, afin que le monde soit tout de même "présentable" devant les caméras de télé... Si Don Quichotte est aujourd’hui considéré comme un simple cas pour la psychopathologie, il nous faut, au nom de la vie, revendiquer qu’il n’y a de vie qu’en tant qu’il y a recherche de l’"inaccessible étoile"...

Enfin, nous vivons dans un monde où les gens commencent à se rendre compte que personne ne sait plus comment sortir des problèmes qui nous assaillent. Ceci n’est pas une tragédie, car, outre le fait que cela ouvre effectivement une voie certaine pour tous les intégrismes et autres fascismes ou sectes diverses, cela signifie aussi que nous pouvons cesser de déléguer notre puissance créatrice aux "maîtres libérateurs" qui nous promettaient le bonheur pour demain en échange de notre obéissance aujourd’hui. Aujourd’hui, nous revendiquons le geste de l’"Hidalgo de la Manche", qui non seulement n’a pas disparu, mais qui, depuis ses multiples Rossinantes, nous invite à vivre, au-delà de la survie.

Oser, risquer, signifie, comme le disait W. Allen, qu’ "il ne s’agit pas tant de savoir s’il y a une vie après la mort, mais de savoir s’il existe une vie... avant la mort."