|
Origine : http://malgretout.collectifs.net/article.php3?id_article=82
À l’instar de l’Allemagne, où plus de
7 millions d’étrangers vivent dans l’insécurité
permanente, sous la menace d’une éventuelle expulsion
ainsi que sous un contrôle quasi incessant de leurs activités
et déplacements, l’Europe se construit sur ce que d’aucuns
acceptent d’appeler le « problème de l’immigration
». Que les mots ne soient pas neutres est une évidence,
mais qualifier de « problème » un élément
de la réalité relève d’un jugement de
valeur qui contient en lui-même la solution : s’il existe
un problème, il faut le résoudre, autrement dit, s’en
débarrasser.
En France, après deux années de lutte autour des
sans-papiers, au moins 75000 personnes dont, comme le chante Manu
Chao dans Clandestino : « [La] vida va prohibida/Dice la autoridad
», devraient quitter le territoire. Ainsi, expulsion, seuil
de tolérance, préférence nationale, contrôle
des personnes, apparaissent comme autant de problèmes sérieux
et réels que des gens sérieux et réels se doivent
d’aborder sans trop d’états d’âme.
Pourtant, la question de l’immigration telle qu’elle
est traitée par les différents gouvernements (ainsi
que par ceux qui en font leur fond de commerce fasciste et sécuritaire)
présente comme caractéristique essentielle de n’exister
et de ne se développer que dans l’imaginaire. Elle
ne s’adresse et ne repose, en effet, que sur des fantasmes,
des peurs, des délires n’ayant aucun lien avec les
données objectives de la réalité. Dès
lors, nous pouvons affirmer haut et fort que le « problème
de l’immigration » n’existe pas. Il n’est
que le monstre enfanté dans les cauchemars paranoïaques
de ceux qui ont peur, qui refusent de voir dans l’étranger,
le nouveau, autre chose que des sujets d’inquiétude,
de rejet, de stigmatisation.
C’est ainsi que, par exemple, les mêmes qui prônent
le contrôle et l’expulsion des immigrés (illégaux
ou pas, cela n’a pour nous aucune importance : l’illégalité
n’ayant d’existence qu’eu égard à
des lois, qui, en la matière, sont plus que critiquables)
déplorent le problème que pose le paiement des retraites
des actifs d’aujourd’hui. Or, il est bien évident
qu’en l’occurrence, la solution provient, en partie,
des immigrés : concrètement, les immigrés (avec
ou sans papiers) travaillent et paient les retraites des Français,
y compris de ceux qui demandent toujours plus de contrôle
et d’expulsions... Paradoxe ou symptôme de l’hypocrisie
qui règne dans ce domaine, toujours est-il que cet exemple
illustre bien l’absence totale de lien existant entre ces
discours et la réalité.
Par ailleurs, si ces discours imaginaires ont une efficacité,
celle-ci n’est certainement pas à chercher dans la
réalisation effective de ce qu’ils prônent, à
savoir l’expulsion. Personne, en effet, même à
l’extrême droite, ne peut songer sérieusement
à expulser l’ensemble des immigrés « illégaux
». En effet, l’acte ignoble d’expulser (ou de
menacer de le faire) des gens qui tentent de profiter, ne serait-ce
qu’un peu, des richesses des pays centraux, vise plutôt
à maintenir de façon disciplinée et contrôlée
des centaines de milliers de travailleurs immigrés ainsi
qu’à justifier le contrôle et la menace exercés
sur les populations d’une manière générale.
L’efficacité concrète de ce discours et de cette
politique est, encore une fois, imaginaire : elle réside
dans le fait de permettre de définir des nationalismes, des
identités par exclusion, au moment où, de plus en
plus, on assiste à la capitulation de tout ce qui pourrait
constituer des identités positives face à l’emprise
des capitaux supranationaux.
Cela ne signifie pas, néanmoins, qu’il faille répondre
rationnellement au discours irrationnel qui se développe
autour de la question de l’immigration, mais plutôt
qu’il nous faut déplacer cette question de la fonction
repoussoir et fourre-tout qu’elle occupe pour pouvoir être
en mesure de la penser réellement. Alors, non seulement l’immigration
n’est pas un problème, mais, loin de toute démagogie,
nous pouvons affirmer que c’est une chance et une nécessité
vitale. Pour autant, il ne s’agit pas de tomber dans le discours
plaintif de la « belle âme » qui souffre face
au spectacle repoussant des expulsions violentes. Il ne suffit pas
de dire non à l’injustice de la double peine, ni d’être
tolérant avec les étrangers, avec les clandestins
; il s’agit plutôt de dire que la question n’est
pas de savoir si nous pouvons recevoir ou pas toute la misère
du monde, mais plutôt de refuser que la France devienne un
bien triste pays, parce qu’il manquerait l’occasion
de recevoir toute la richesse du monde.
|
|