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Origine http://malgretout.collectifs.net/article.php3?id_article=43
Une des préoccupations principales des gens qui aujourd’hui
s’inquiètent du devenir de nos sociétés,
réside dans le constat de l’évidente caducité
des formes classiques d’organisation, celles des partis et
grandes organisations politiques confondus avec les différentes
"avant-gardes". C’est comme si, face à un
monde de plus en plus inquiétant, la société
ne sécrétait plus ce qui fut sa défense naturelle
: les avant-gardes politiques et culturelles.
Ainsi, les gens de bonne volonté pleurent sur ce qui n’est
plus, et rêvent, non sans une certaine aigreur, au retour
du militantisme traditionnel, à l’apparition quasi-miraculeuse
d’une ou de plusieurs organisations politiques, avec ses militants,
ses cadres, son journal, ses cotisations... capable d’anéantir
tous les "méchants" de la terre. Les autres canalisent
leur aigreur et leur impuissance dans le "faux sérieux"
qui consiste à adhérer aux partis traditionnels parlementaristes,
mais il faut bien constater que ces formes-là de représentation
sont d’une part en perte de vitesse, d’autre part, dans
une impuissance plus grande que jamais pour aborder les problèmes
de nos sociétés (sans préjuger de leur bon
vouloir ou pas).
Or, tous sont dans la situation du quidam qui, à force de
scruter le ciel pour guetter le miracle ignore le printemps qui
l’entoure. L’image du printemps, parce que trop kitsch,
serait-elle pour autant trompeuse ? Pas à notre avis. A vrai
dire, pour qui veut bien le voir, il apparaît clairement que
notre société n’est pas uniquement la proie
de phénomènes inquiétants ou carrément
barbares. On peut voir un peu partout, pour peu qu’on y prête
attention, une nouvelle radicalité qui commence à
se dessiner. Cette nouvelle radicalité n’a pas besoin
d’une "conscience" organisée, d’un
parti ou d’une organisation qui la guide ou l’oriente.
Il existe en France et dans d’autres pays, des tendances solidaires
et fraternelles qui ne s’opposent pas au libéralisme,
au racisme, au sexisme, au nom d’un programme et d’un
modèle alternatif clair et défini. Au contraire de
cela, une myriade d’expériences de solidarité
se développent dans les quartiers, dans les lieux de travail,
etc., (maisons de quartiers, réseaux d’échange
et de troc, etc.) qui correspondent, non pas à une nouvelle
théorie révolutionnaire, non pas à un programme
politique, mais bien plutôt à ce que l’on pourrait
nommer une nouvelle subjectivité radicale.
En effet, cette subjectivité nouvelle ne ressemble en rien
à l’engagement militant classique. Pour le militant
classique, chaque pas, chaque réalité était
considérée comme un jalon vers la réalisation
d’un programme totalisant. Or, dans cette nouvelle subjectivité
radicale, la solidarité, la partage et la fraternité
s’inscrivent dans des actions restreintes qui ne sont pas
appelées à montrer leur efficacité dans un
futur incertain, le jour du grand soir ou du petit matin.
De plus en plus de gens vivent ce que l’on pourrait appeler
un "engagement existentiel" pour l’opposer à
l’engagement d’adhésion, l’engagement conscient
qui caractérisait l’époque des grandes organisations
politiques traditionnelles. De plus en plus de gens refusent les
barrières criminelles qui séparent les gens de par
leur couleur, leur sexe ou leur nationalité, ceci, non pas
d’après un principe auquel ils adhéreraient
consciemment, mais d’une manière concrète, dans
leur vie quotidienne, de par leur mélange, de par leur construction
d’un patchwork social. Les véritables forces libertaires
sont dans ce mouvement du réel et non dans un hypothétique
retour des formes politiques classiques. Les objectifs libertaires
de nos actes doivent être pensés d’une façon
non transitive, nos actes trouvant leur raison d’être
et leur finalité ici et maintenant en rompant ainsi avec
la vieille tradition de délégation de notre puissance
à des avant-gardes qui prétendaient connaître
le pourquoi du comment.
Ainsi, dans les quartiers et les banlieues, ce sont souvent les
travailleurs sociaux qui articulent ces efforts avec les "usagers",
qui inventent de nouvelles formes de solidarité. Paradoxalement,
celles et ceux qui étaient censés maintenir le statu
quo, participent, pour certains, concrètement et avec les
gens, à une véritable invention de la vie sous de
nouvelles formes. C’est là qu’apparaît
le véritable dépassement ici et maintenant du néolibéralisme
ainsi que la construction d’une vraie résistance contre
le fascisme. Car toute pensée et toute tentative d’une
praxis globale contre le néolibéralisme et le fascisme
est condamnée à l’avance, la globalisation étant
déjà le terrain de l’ennemi.
Il faut ainsi s’adonner à des pratiques de solidarité
sociale, de création artistique, de pensée, etc.,
en abandonnant d’emblée la question du quantitatif
et de la totalité. Le fascisme et le néolibéralisme
ne sont pas dépassables par un programme dont on attendrait
passivement l’arrivée. Ils sont démolissables
ici et maintenant par la multiplication d’une infinité
de pratiques créatrices alternatives qui, un peu partout,
sont porteuses d’un savoir-faire différent s’opposant
à la morosité ambiante et construisant concrètement
des dimensions nouvelles.
Le problème réside dans le fait que nous sommes pour
le moment dans l’impossibilité de penser ces expériences
à leur juste valeur, pris que nous sommes dans les schémas
militants classiques et dans notre attente messianique. Le premier
geste théorique et pratique vers la liberté est, dans
ce sens, de ne plus attendre Godot.
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