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Essai : La précarité étendue à l’existence Miguel Benasayag
Le " tout est possible " des utopistes s’est fragilisé.
Miguel Benasayag en tire une réflexion philosophique sur la fragilité comme condition de l’existence contemporaine.
La Fragilité, Miguel Benasayag, Éditions La Découverte, 2004, 216 pages, 17 euros.
Parcours, engagement et résistance, une vie
Michel Benasayag

Origine : http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-04-12/2004-04-12-391801

Sigmund Freud écrit, en 1930, dans Malaise dans la civilisation : " Faute de bonheur, les hommes se contentent d’éviter le malheur. " Miguel Benasayag, philosophe et psychanalyste, affirme, en 2004, dans la Fragilité, que, de ce fait, les hommes sont " condamnés à une vie centrée sur l’inquiétude, l’insécurité et la peur, autrement dit, au malheur même que nous souhaitons éviter ". C’est l’ère de la précarité étendue à l’existence. Il s’agit là, pour l’auteur, d’une sorte de messianisme inversé. Un pessimisme symétrique a remplacé l’optimisme des époques passées. L’horizon s’est assombri dès lors que la pensée de Heidegger a mis l’accent sur le fait que l’homme est un " être-pour-la-mort ", étant " le seul animal à savoir qu’il va mourir ", et que cette pensée s’est intégrée au climat intellectuel planétaire des lendemains d’Auschwitz et de Hiroshima. Certes, l’héritage spinoziste selon lequel l’être de l’humain est un " être pour la vie " est demeuré. Mais l’humanité est désormais à distance de sa puissance d’agir. Le sentiment d’impuissance va de pair avec les pires rêves de pouvoir et les renoncements morbides qu’ils engendrent. Miguel Benasayag développe l’analyse de Gilles Deleuze dans son séminaire,

Sur Spinoza, qui affirmait que " : Le tyran a besoin de la tristesse des âmes pour réussir, tout comme les âmes tristes ont besoin du tyran pour subvenir et propager. Ce qui les unit de toute manière, c’est la haine de la vie, le ressentiment contre la vie. " Perte de confiance en nos propres désirs, désenchantement vis-à-vis de la liberté, de l’amour, de la fraternité ne sont pas les fruits gâtés d’une illusion idéologique, mais une réalité qui va de pair avec la fascination quasi générale qu’exerce le monde virtuel avec ses " guerres prétendues chirurgicales ". Le " tout est possible " est devenu l’accompagnement obligé de la virtualisation de la vie. Par voie de conséquence, on peut craindre que le rapport entre le sujet et l’événement - par essence imprévisible - ne s’obscurcisse au moment même où il devient manifeste que les déterminismes - scientifiques ou non - doivent être modulés et réfléchis sous la catégorie philosophique d’aléatoire : " Tout se passe comme si désormais les mots ne servaient qu’à témoigner de l’inévitabilité des choses ", écrit Miguel Benasayag. Le monde tel qu’il est, est devenu un horizon indépassable pour la quasi-totalité des pays occidentaux.

L’accélération des modifications du savoir scientifique (notamment les apports récents de la neurophysiologie de la perception) entraîne pourtant les femmes et les hommes de ce début de XXIe siècle à inventer de nouvelles formes d’action collective et d’être-ensemble. Les forces de virtualisation sont ainsi mises parfois en échec. Est-il possible de construire à partir de là une pensée de la décision ? L’efficacité passée des " vieux schémas de lutte et d’organisation " tire en arrière ceux qui rêvent d’être les révolutionnaires de demain. L’époque n’est plus à conquérir le pouvoir pour ensuite transformer la société. C’est sans attendre qu’il faut s’atteler à changer le monde : se mettre dans " une position où le destin n’est plus l’ennemi de la liberté ", c’est - pour le philosophe psychanalyste - assumer la fragilité qui est devenue la condition même de l’existence humaine. Le lien avec autrui et l’environnement ne va pas de soi. Ce qui est donné est un lien ontologique, et l’assumer dans sa durée jusqu’à le faire exister est, pour l’auteur, le véritable défi de la modernité lancé à chacune et à chacun. Une nouvelle enquête sur les fondements de l’ontologie moderne de l’agir.

Arnaud Spire

Article paru dans l'édition du 12 avril 2004 du journal l'Humanité


Parcours, engagement et résistance, une vie
Michel Benasayag

Résistant en Argentine, emprisonné et torturé, Miguel Benasayag s’est réfugié à Paris en 1978. A travers Parcours - une série d’entretiens avec Anne Dufourmantelle -, le philosophe et psychanalyste argentin tient à merveille le rôle d’un Socrate. Il s’agit ici d’approcher ce qu’il nomme, en référence à Phèdre, la « démangeaison des ailes ». « Ce qui importe, affirme-t-il, ce sont les hypothèses. » A plusieurs reprises, il reprend une citation de Spinoza, toujours la même : « on ne sait jamais ce qu’un corps peut ». Parcours se lit comme une leçon de sagesse sur l’être en devenir (« un idéal de construction quotidienne de travail et de fidélité »). Un dialogue platonicien menant une réflexion sur cette « douce certitude du pire » qui caractérise les épisodes obscurs d’une époque qui ne fait qu’une chose : « formater des individus qui évoquent ce qui a été ». S’élevant contre les leurres - « comprendre ne sert à rien » -, Miguel Benasayag conclut toutefois : « J’ai désiré montrer la joyeuse possibilité de construire et imaginer des pratiques concrètes. »

Donald James.

* Calmann-Lévy, Petite bibliothèque des idées, Paris, 2001, 245 pages, 95 F.

LE MONDE DIPLOMATIQUE juin 2001 |

http://www.monde-diplomatique.fr/2001/06/JAMES/15286