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Origine : http://www.cam.org/~rsmq/filigrane/archives/richard.htm
Revue Filigranes Malaise dans la clinique : cadre, éthique,
déontologie II
Hélène Richard
La psychanalyse québécoise est actuellement prise
dans la tourmente : les bureaux privés se dégarnissent,
les services hospitaliers et sociaux se délestent de leurs
ressources psychanalytiques, les universités également.
La psychanalyse ne se porte, d’ailleurs, guère mieux
dans les autres pays : nulle part, semble-t-il, elle n’arrive
à prendre le virage postmoderne. Mais d’où vient
le malaise qui traverse actuellement la psychanalyse ?
Certains cherchent réponse dans les caractéristiques
de la société postmoderne. Il est vrai que la destitution
des grands discours religieux, sociaux et politiques, ces mythes
rassembleurs, a fait place à un pluralisme des valeurs, à
une valorisation du pragmatisme scientifique et de la surconsommation.
Les experts n’ont plus beaucoup d’autorité aux
yeux des citoyens, devenus des consommateurs avertis qui réclament
des services efficaces comme autant de biens à acheter. La
société occidentale est, en effet, devenue un immense
supermarché où l’on peut choisir une raison
de vivre, un sens à sa vie, dans de multiples relations,
activités, loisirs, croyances, et en changer dès que
leur efficacité s’avère décevante. Par
son éclatement, la société postmoderne offre
cependant moins de support systémique à l’identité
individuelle et on y voit augmenter le nombre des problèmes
individuels de nature narcissique. Elle offre comme solution à
ces souffrances personnelles des produits médicamenteux très
performants, fruits de l’essor des neurosciences. La psychanalyse,
inefficace car lente à guérir, valorisant à
contre-courant l’intimité, le sujet et son désir,
n’aurait donc plus sa place dans une société
postmoderne qui substitue la demande au désir et dont le
discours scientifique, par souci d’efficacité, ignore
la subjectivité.
D’autres cherchent la cause du malaise à l’intérieur
de l’institution psychanalytique. Et il est vrai que les psychanalystes
et les psychothérapeutes psychanalytiques se sont repliés
frileusement sur eux-mêmes, refusant de participer aux débats
sociaux, politiques et scientifiques de cette fin de millénaire.
Par omission, ils ont permis que soient méconnus les travaux
cliniques de la psychanalyse contemporaine sur des questions d’actualité,
telles les problématiques narcissiques-identitaires, par
exemple, et que soient ignorés les innovations techniques
auxquelles ont donné lieu ces travaux. Par omission, ils
ont ainsi contribué à la réputation non plus
scandaleuse mais passéiste qui est aujourd’hui faite
à la psychanalyse, et selon laquelle l’utilité
actuelle de cette dernière ne serait que muséologique
: un chapitre clos dans l’histoire des sciences humaines.
Bref, la société postmoderne rejetterait une psychanalyse
qui s’est elle-même exclue en omettant de se faire interlocuteur
dans l’actuelle mutation sociétale.
Quelques-uns, enfin, se font plus mordants : est-ce la théorie
psychanalytique qui est menacée d’extinction ou une
certaine pratique clinique, la cure-type ? sommes-nous inquiets
pour l’avenir de notre identité professionnelle, ou
bien pour celui de notre gagne-pain, mis en péril par la
désaffectation des bureaux privés ?
Filigrane a soumis ces interrogations à ses collaborateurs
et elle a déjà publié les réflexions
d’un premier groupe d’auteurs dans sa parution du printemps
1999. Voici comment un deuxième groupe d’auteurs a
pris position.
Christophe Dejours et Carole Levert s’inquiètent
du manque de participation de la psychanalyse aux grands débats
politiques actuels. Le premier, dans un très beau texte,
pose la question des conditions nécessaires pour que la psychanalyse
puisse se faire reconnaître comme interlocuteur dans un débat
sociétal qui s’est déplacé de la place
publique au monde clos du discours scientifique, discours qui fait
malheureusement peu de cas de la clinique et de la subjectivité.
Il avance que la participation sociale de la psychanalyse au débat
social dépend de sa capacité à intervenir sur
trois questions clefs : celles du sexe, du travail et de la science.
Carole Levert, quant à elle, examine le milieu social sous
l’angle du domaine des soins publics en santé mentale
au Québec. L’essor des neurosciences pose, selon elle,
la question de l’identité subjective des patients atteints
de maladies mentales, identité subjective mise en péril
par une politique de soins dont est exclue toute théorie
sur le sujet en rapport à son désir. Elle dénonce
l’absentéisme autodestructeur de la psychanalyse dans
ce débat qui, par défaut, laisse toute la place au
discours scientifique, pour qui le sujet ne constitue pas un objet
de recherche.
Gail Reed et Hélène Tessier questionnent certaines
contradictions inquiétantes au sein de l’institution
psychanalytique. La première examine l’état
de la psychanalyse aux États-Unis. Elle reconnaît que
la psychanalyse est l’objet d’un traitement injuste
de la part de la société américaine. Elle affirme
toutefois que le déclin et le passage à l’oubli
de la psychanalyse américaine, s’il advient, sera causé
par le schisme qui fait rage actuellement en son sein entre, d’une
part, les tenants de la relationnellement frustrante " one
person psychology ", la position traditionnelle, et, d’autre
part, les tenants de la relationnellement gratifiante " two
persons psychology ", qui favorisent la dimension relationnelle,
réelle, de la situation thérapeutique. Elle prône
une souplesse de point de vue permettant d’utiliser les deux
positions selon une éthique clinique qui évite la
rigidité idéologique des deux camps. Hélène
Tessier, pour sa part, confronte les contradictions de la psychanalyse
canadienne à partir de sa réflexion sur un texte d’Althusser.
À la suite de cet auteur, elle se demande si le refoulement
dont sont l’objet, chez les psychanalystes, les contradictions
entre les origines de la psychanalyse et les conditions économico-sociales
actuelles de son exercice n’affecte pas la théorie
et la technique psychanalytiques dans leur contenu même.
Enfin, Réal Laperrière et Roger Dufresne questionnent
le travail quotidien du clinicien psychanalytique dans le cadre
de la psychiatrie québécoise. Le premier, seul auteur
traitant de la clinique infantile, souligne avec éloquence
le malaise qui étreint le psy d’orientation psychanalytique
devant les malentendus entre son approche théorique et la
politique de soins en pédopsychiatrie. On le présente
au patient et à ses parents comme un expert qui éradiquera
les symptômes, lui qui ne se reconnaît expert qu’en
matière d’ignorance - ce qui lui permet d’être
à l’écoute de son patient et de son inconscient
-, lui qui considère les symptômes comme un mode de
communication primitive protégeant l’équilibre
précaire de son patient. L’auteur illustre son propos
par une vignette où il incarne le rôle d’un anti-expert
d’une grande finesse clinique. Enfin, Roger Dufresne fait
figure de philosophe. Dans un beau texte aux allures classiques,
il rappelle que la psychanalyse a toujours été l’objet
d’attaques à cause des mortifications narcissiques
qu’occasionne la découverte freudienne de l’inconscient,
de la sexualité infantile et de la violence primitive. En
milieu psychiatrique, c’est l’antinomie fondamentale
entre l’approche objectivante de la médecine et l’écoute
subjectivante de la psychanalyse qui sert de prétexte à
frictions. Il faut savoir respecter le patient et offrir à
tous une thérapie de soutien ou une écoute de l’inconscient,
selon leur désir. Mais " tuer les psychanalystes "
serait priver un grand nombre de patients de l’accès
au pulsionnel sexuel et violent en eux qui sous-tend leurs angoisses
les plus profondes.
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