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Eloge de la raison sensible, Lecture de Maffesoli
Romdhami Messï Mariem

Origine : http://www.cnam.fr/lipsor/dso/articles/fiche/mmaffesoli_elogeraison.doc

Eloge de la raison sensible
Lecture de Maffesoli
Romdhami Messï Mariem

Plan de l’étude :
Biographie de l’auteur
Revue sommaire de l’œuvre de MAFFESOLI
Positionnement de l’ouvrage et postulats
Hypothèses .
Mode de démonstration
Résumé de l’ouvrage
Commentaires, critiques .
Quelques mots de l’auteur .
Bibliographie de l’étude


Biographie de l’auteur :

Michel MAFFESOLI :

Né le 14 novembre 1944 à Graissessac (Hérault).
Professeur de sociologie à la Sorbonne.
Professeur titulaire de la chaire « Emile Durkheim » à la Sorbonne.
Formation :
Doctorat ès Lettres et sciences humaines : « La dynamique sociale », sous la direction de Gilbert Durand. (1978).
Doctorat en sociologie, à l’université de Grenoble « L’histoire comme fait social total ». Sous la direction de Gilbert Durand (1973).
Etudes supérieures à l’université de Strasbourg.
Cursus professionnel :
1972-1977 : Attaché puis chargé de recherches à l’université de Grenoble, co-directeur de l’équipe de sociologie urbaine.
1978-1981 : Maître assistant à l’université de Strasbourg.
Depuis Août 1981, professeur des universités, à l’université Paris V-Sorbonne sciences humaines.
Directeur de Sociétés, revue internationale des sciences humaines et sociales et des Cahiers de l’Imaginaire.
Directeur du Centre d’études sur l’Actuel et le Quotidien (CEAQ), Laboratoire de recherches sociologiques en Sorbonne.
Vice-président de l’Institut International de Sociologie (I.I.S).
Distinctions de l’auteur :
Prix de l’Essai André Gautier, 1990 pour « Au creux des apparences »
Grand Prix des Sciences Humaines de l’Académie Française, 1992 pour « La transfiguration du Politique ».

Revue sommaire de l’œuvre de MAFFESOLI :

En se référant à l’analyse faite par Yves Le Pogam sur l’ensemble de l’œuvre de Michel Maffesoli ; il en ressort que la notion de socialité progresse dans le temps et ce dès la premières publications de l’auteur. Cependant, ce qui caractérise la sociologie de Maffesoli, c’est la constance de ses hypothèses et les liens très étroits qui existent entre ses ouvrages.

Sa sociologie repère des pratiques sociales, des cultures naissantes, qui sont autant de preuves rassemblée dans la modernité pour venir étayer son projet de saisir la dimension plurielle du social, son polythéisme, la socialité en acte. Néanmoins, même si l’auteur reste fidèle à quelques principes directeurs qui guident ses analyses, il n’en demeure pas moins que les objets sur lesquels porte son travail se sont modifiés au cours du temps.

Dans un premier temps Maffesoli installe sa vision dynamique du social dans le cadre d’une anthropologie politique. (« logique de la domination »(1976), « la violence fondatrice » (1978), la violence totalitaire (1979)).

La seconde période est plutôt marquée par l’affirmation de la socialité comme thématique dominante, située dans ses ouvrage comme : « La conquête du présent » (1979), « L’ombre du Dionysos » (1982) et « Le temps des tribus » (1988).

La dernière période marque une orientation nouvelle initiée par l’esthétique comprise comme lien émotionnel et qui s’exprime dans ses ouvrages comme « au creux des apparences » (1990), « éloge de la raison sensible » (1996), « Du nomadisme » (1997).

Une anthropologie politique :

Les principes d’une anthropologie politique se fixent dans « Logique de la domination » , un ouvrage situé dans la critique de l’époque. Maffesoli montre la désagrégation de la logique rationaliste , dans la socialité, dans sa mouvance, dans une créativité que l’idéologie économique ne peut retenir. Dans cet ouvrage, les concepts majeurs comme, idéologies, utopies, imaginaire sont déjà présents.

Cette élaboration théorique liée au politique va se concrétiser dans la thématique de la violence, élaborée et approfondie dans « La violence banale et fondatrice » (1984) . Dans cet essai, Maffesoli propose une approche qui ne renvoie pas à la violence sous une forme négative mais qui la considère dans l’ambivalence de sa pluralité, simultanément destructrice et constructrice du lien social. La violence n’est pas une survivance barbare mais une force de structuration du social.

Cette réflexion sur la violence développée dans la pensée maffesolienne, liée à la socialité et ancrée à un au-delà du politique , se poursuit dans « La violence totalitaire ». Dans cet ouvrage, l’auteur dénonce une emprise diffuse et autoritaire des institutions étatiques sur les activités de la vie sociale. Les oppositions se manifestent entre le pouvoir fait pour gouverner, domaine du politique, et la puissance qui est la violence sociale née de l’agrégation et du collectif qui lutte contre la gestion rationnelle et bureaucratique. Les traits majeurs de la société capitaliste : la nécessité de travailler et l’idée selon laquelle la société se développe sous l’œil protecteur de l’Etat conduisent à une idéologie du progrès qui produit un effet pervers : sous prétexte de servir l’homme, le progrès lui ôte toute sa substance.

Ces premières publications de Maffesoli contiennent les soubassements sur lesquels vient se greffer l’anthropologie de la vie quotidienne dont il va progressivement parfaire les formes.

L’affirmation de la socialité :« un nouvel esprit anthropologique »

Gilbert Durand défend dans la préface de l’ouvrage « A la conquête du présent » la nouvelle sociologie de Maffesoli qui marque un renversement épistémologique où la culture est privilégiée par rapport à l’économie et où l’importance du mythique, du symbolique et de l’imaginaire est valorisée.

Maffesoli n’impose pas ce que doit être une politique de la vie quotidienne, il montre seulement les formes de son expression, notamment la socialité multiforme souterraine, que ne peut expliquer l’analyse économique ou politique. La socialité de base conduit à une harmonie différentielle par opposition au totalitarisme qui repose sur une harmonie unifiée. Il s’agit de capter l’immoralisme envers l’officiel ou l’idéologie dominante (progrès, raison), c’est à dire marquer l’antagonisme entre la puissance et le pouvoir.

Maffesoli s’attache au fondement de la dynamique sociale en montrant que la duplicité structure le social. Ainsi s’affirment des idées force qui, initiées par l’anthropologie politique, vont irriguées tout son travail ultérieur : l’importance donnée à l’insignifiant, au banal, rappelé par la permanence des rituels qui se rapportent au ludisme, la reconnaissance du qualitatif comme source de valorisation devant la saturation des valeurs comme le productivisme et le progrès qui ont fait le succès de la pensée bourgeoise.

C’est là une voie qui va se parfaire dans « L’ombre de Dionysos », où le rôle de la passion, des affects est valorisé.

Dans l’ombre de Dionysos, Maffesoli part du même postulat : scruter dans le présent des formes rassemblantes qui servent de contrepoint aux valeurs dominantes de la modernité. C’est l’émergence d’une structure comme l’orgiasme que pointe Michel Maffesoli et qui montre, à l’encontre du principe de l’individualisme, que l’homme est un « être-ensemble ».

L’orgiasme met en jeu la socialité, définie comme l’expréssion quotidienne et tangible de la solidarité de base, renvoyant à une solidarité organique, permettant l’épanouissement de chacun dans un ensemble plus vaste , dans le collectif. Car ce qui prévaut pour Maffesoli, c’est le renversement de la morale tyrannique du devoir être, dictée par la société, pérennisant l’ordre établi et qu’il oppose à une éthique faite d’effervescence et de désir de réaliser l’impossible.

L’ombre du Dionysos est un fervent plaidoyer pou un hédonisme populaire qui sera amplifié dans « Le temps des tribus », en montrant que les résistances populaires sont de signes de la vitalité et de la générativité du social, visibles dans l’émergence de micro groupes qui se constituent en réseaux, dont la vigueur exprime la créativité des masses. Apparaît ici une nouvelle notion qui va servir de pivot aux interrogations futures de Maffesoli, la postmodernité.

En se concentrant sur la tribu, une métaphore pour rendre compte de l’aspect « cohésif » du partage sentimental de valeurs, de lieux ou d’idéaux, l’auteur veut rendre compte d’un processus de « désindividualisation ». Ce qui implique que la socialité fondée sur l’empathie remplace le social rationalisé. Il oppose ainsi la modernité définie par une structure mécanique composée d’individus répondant à une fonction et à des formes d’interactions contractuelles, à la postmodernité : une notion qu’il introduit dans ses analyses et qui se caractérise par une structure complexe et organique, avec ses masses, ses personnes et des tribus qui jouent un rôle à l’intérieur des différentes activités de la vie quotidienne.

La puissance des affects doit être prise en compte pour comprendre la socialité élective et même si le pouvoir économique n’est pas absent , le resserrement des liens collectifs se réalise cependant.

Dans une période marquée toujours par l’empreinte de l’anthropologie politique, Michel Maffesoli s’attache à montrer les formes d’une socialité naissante, turbulente, signe de la dynamique sociale dans laquelle la puissance des affects est dominante. Sans renoncer à ses conceptions sur la socialité, il l’examine en se positionnant par rapport aux notions majeures qui traversent l’espace de la connaissance, l’individualisme, la postmodernité. La puissance de la socialité va retrouver de nouveaux élans avec la théorisation du paradigme esthétique.

Le lien émotionnel et la puissance de l’esthétique :

C’est l’interrogation de la socialité par le paradigme esthétique qui caractérise cette dernière période, esthétique comprise au sens où l’accent est mis sur l’émotion.

Dans « Au creux des apparences », Maffesoli se concentre sur la postmodernité et essaye de la théoriser et ce en approfondissant la trame constitutive des recherches antérieures : la nature émotionnelle du lien social, l’hédonisme du quotidien, l’être-ensemble, le plaisir des sens, une connaissance ouverte à la raison sensible et à l’organicité qui caractérise la postmodernité, tout ce qui a trait à l’esthétique. Il définit l’esthétique comme le sentir commun, un consensus sur le sentir commun. C’est là un principe qui ne concerne pas quelques individus, mais qui est devenu une injonction de masse. Maffesoli fait l’hypothèse que le paradigme esthétique se présente comme un angle d’attaque permettant de rendre compte d’une constellation d’actions, de sentiments, d’ambiances spécifiques de l’esprit du temps de la postmodernité, ce qui caractérise une culture en train de naître.

La socialité est irréductible à des relations mécaniques. Elle implique un lien social dynamisé par l’imaginaire, le ludique et le sensible dont il s’agit de montrer la structure organique . Une entreprise que poursuit Maffesoli dans « La transfiguration du politique », en revenant sur ses premiers questionnements, mais où le politique est réinterrogé par des notions développées entre temps.

Dans son ouvrage « Du nomadisme », le projet de Maffesoli est de poursuivre par la socialité, l’investigation de ce qui existe à côté de la raison. Errance ou nomadisme expriment une socialité en gestation, un projet d’être, une synthèse culturelle déterminant les formes de l’être ensemble. En ce sens, le nomadisme est contraire à la domestication recherchée par les Etats-nations qui se méfient de ce qui ne peut être contrôlé. Pour Maffesoli, exister, sortir de soi, s’ouvrir aux autres, même de manière transgressive ; c’est comme une constante anthropologique qui taraude chaque individu et le corps social dans son ensemble. Le nomadisme contribue à la construction de la réalité sociale contemporaine intégrant une grande partie de symbolique, comme le montre l’accentuation de l’écologique par rapport à l’économique ou les implications de formes communautaires et de solidarité concrètes.

Les plus récentes publications de Maffesoli s’inscrivent dans la même lignée que les ouvrages catégorisés de la dernière période de l’œuvre avec la nuance que l’actualité de ces dernières années est au centre de ces études.

Dans « l’instant éternel, le retour du tragique dans les sociétés postmodernes » (2000), Maffesoli se base sur les travaux des réseaux des centres de recherche sur l’imaginaire, il soutient que la vie quotidienne cèle un polythéisme des valeurs face à une vie de contraintes politiques, sociales et professionnelles. Sa réflexion se penche une nouvelle fois sur le tragique comme symbole de notre identité culturelle collective et il montre que ce qui émerge de nos jour, c’est l’identité de la vie en tant que bien collectif ; « la vie pour elle même ».

« La part du diable, précis de subversion postmoderne » (2002), est un ouvrage paru 12 mois après la tragédie du 11 septembre. Inspiré par deux années se séminaires en Sorbonne et surtout par les travaux de terrains des 70 centres de recherche sur l’imaginaire, l’ouvrage interroge le Mal comme notion et comme réalité, comme la part de l’ombre dans ce monde. Passivité par rapport au travail, abstention politique, retrait de la vie sociale, rassemblements festifs et musicaux et autres formes d’effervescence en sont autant de symptômes.

Les travaux de Michel Maffesoli s’inscrivent dans une travée épistémologique qu’il qualifie métaphoriquement de procédure métanoïque (qui pense à côté), en opposition à celle de la construction paranoïaque (qui pense d’une manière surplombante).

Cette dernière renvoie à la rigidité de la construction conceptuelle et analytique , qui œuvre par séparation et dont les représentations intellectuelles reposent sur l’abstraction, le mécanisme et la raison.

Quant à la première , elle renvoie à une procédure holiste, où métanoïa signifie connaissance « avec », par empathie. Cette procédure privilégie les notions reposant sur l’intuition, l’analogie, la métaphore, et met l’accent sur le sentiment, l’organique et l’imagination.

Cette travée épistémologique, Maffesoli la reconnaît chez les grands initiateurs de la sociologie que sont Weber, Simmel, Pareto et Durkheim.

De l’ensemble des travaux de Maffesoli, on peut dégager un fil conducteur s’articulant autour des expressions que sont le « devoir être » et le « vouloir-vivre ». Celles-ci s’inscrivent dans son discours sociologique comme des catégories idéal-typiques, comme des condensations de modes d’être pouvant être reconnues selon l’une ou l’autre de ces catégories.

Positionnement de l’ouvrage et postulats :

Tout au long de son cheminement intellectuel, Michel Maffesoli s’est attaché à montrer le caractère tragique de notre état anthropologique lié à l’inéluctable inachèvement des contradictions de notre vécu. Son œuvre, alimentée par l’examen clinique des corpus sociaux, politiques, esthétiques, culturels connaît avec cet essai une mise au point, une réflexion épistémologique sur les fondements de sa démarche cognitive. Ce regard épistémologique était d’autant plus nécessaire que cette démarche éclaire la lecture de la pensée de notre temps. Dans cet ouvrage, Maffesoli développe les principes épistémologiques en harmonie avec son objet : la socialité émergente .

La question qu’il pose est : Peut-on comprendre la vie sociale, et si oui comment le peut-on ?

La pensée rationaliste qui a fait l’âge d’or de la période moderne est elle encore apte à analyser les méandres de la socialité d’aujourd’hui ?

L’auteur va essayer de montrer comment une raison, plus large qui tient compte de l’affect, du sensible, du non-rationnel : « une raison sensible, une raison ouverte » peut s’ériger en une alternative au rationalisme pur et dur.

Hypothèses :

Afin de construire sa réflexion sur la « révolution » dans la manière de penser qu’il propose , Maffesoli pose certaines hypothèses qui ont trait essentiellement aux caractéristiques de notre société contemporaine.

Sa démarche part du présupposé que le contenu latent est déjà là, il ne s’agit pas de le créer mais de le découvrir, de le constater et de le décrire. Chose qui peut paraître triviale au premier abord mais qui n’en demeure pas moins une étape primordiale vers une meilleure appréhension de la complexité grandissante des phénomènes sociaux.

Maffesoli suggère aussi qu’à la morale politique qui avait été la marque de la modernité est en train de succéder une « éthique de l’esthétique » qui pourrait être celle de la postmodernité. Alors que la première faisait fond sur le lien contractuel, la seconde quant à elle, verrait plutôt le développement d’un lien émotionnel. C’est l’hypothèse du devenir esthétique du monde.

L’auteur propose de mettre en œuvre une pensée d’accompagnement en remplacement de la pensée surplombante de la modernité : au lieu de vouloir « saisir » dans le concept la réalité, il y a lieu d’accompagner l’énergie interne qui est à l’œuvre dans la propension des choses inscrites dans la réalité.

L’auteur propose de remplacer la « représentation », maître mot de la modernité, par la présentation des choses. La représentation, étant la démarche qui repose sur l’épuration et conduit à la réduction dans une recherche acharnée de perfection. Par contre, la « présentation » se contente de laisser ce qui est, et s’emploie à faire ressortir la richesse, le dynamisme et la vitalité de ce monde aussi imparfait soit-il.

Mode de démonstration :

Pour mener à bien son entreprise, Maffesoli commence par poser les limites d’une appréhension positiviste de l’objet, fondée sur sa coupure avec le sujet.

Il montre combien le rationalisme qui supporte cette posture intellectuelle n’aboutit qu’à favoriser l’abstraction mutilante et combien cela impose une rupture épistémologique. Face aux insuffisances et à l’utopie rationaliste, il convient de savoir élargir l’univers de la raison à ce qui procède en propre du sujet envisagé cognitivement.

L’analyse essaiera de saisir plus vivement la raison interne à l’œuvre dans les phénomènes sociaux, ainsi que « l’illumination ou l’élargissement de la conscience » en tant que facteurs générateurs d’une « pensée organique ».

Cette pensée repose sur un hédonisme qui s’organise en référence au « formisme », expression philosophique de la forme, qui se contente de poser des problèmes et donne des conditions de possibilités pour y répondre au cas par cas.

L’approche de Maffesoli valorise l’expérience vécue ainsi que les différentes méthodologies phénoménologiques, dans lesquelles, l’idée d’horizon, la démarche intuitive et le support de la métaphore constituent un outillage primordial pour gérer des « comment ? » plutôt que des « pourquoi ? ».

Maffesoli adopte souvent la procédure des contraires pour amplifier ses thèses. Ainsi, des couples d’oppositions se multiplient tout au long de sa réflexion : modernité / postmodernité, société / socialité , qui laissent parfois la place à des dialectiques plus complexes : l’institué / l’instituant.

L’approche de Michel Maffesoli est une approche compréhensive, elle ne vise pas à trouver des explications causales mais elle s’attache à saisir le sens d’une activité, d’un phénomène social.

C’est également une démarche qui fait appel à la sociologie, à la philosophie, à l’histoire des religions, aux mythes et aux recherches sur les pratiques de la vie quotidienne. Elle s’appuie sur bon nombre de recherches antérieures et ses références sont multiples.

Résumé de l’ouvrage :

CHAPITRE I : Déontologie

La société contemporaine est confrontée à la fin des grandes certitudes idéologiques et à la fatigue gagnant les grandes valeurs culturelles qui ont façonné la modernité, dès lors il devient nécessaire de prendre du recul pour cerner avec plus de lucidité la socialité émergente.

Le déclin des assurances religieuses, institutionnelles, politiques , etc., remet à l’ordre du jour la sagesse relativiste : quand il n y a pas de finalité assurée, quand le but lointain s’est estompé, l’on peut accorder aux situations présentes, aux opportunités ponctuelles une valeur spécifique. Ce qui en appelle à une déontologie, à savoir la prise en compte des situations , en ce qu’elles ont d’éphémère, de sombre, d’équivoque, de grandiose aussi. C’est ainsi qu’à la morale du « devoir être » pourrait succéder une éthique des situations. Celles-ci sont attentives aux affects dont sont pétris les phénomènes humains.

C’est aussi en dépassant la notion de concept qui épure, perfectionne et purge les phénomènes de leur essence, qu’on pourra associer l’art et la connaissance car on ne peut pas assimiler l’humanité mue par la passion et la non-raison, à l’objet mort des sciences dures.

Par conséquent plutôt que de vouloir « saisir » dans le concept, vaut-il mieux accompagner l’énergie interne qui est à l’œuvre dans les phénomènes sociaux.

Aussi, plutôt que de continuer à penser selon un rationalisme pur et dur, Maffesoli propose de mettre en place une déontologie sachant reconnaître en chaque situation l’ambivalence qui la compose : l’ombre et la lumière mêlées, tout comme l’esprit et le corps s’interpénètrent en une organicité féconde.

CHAPITRE II : La raison abstraite

La raison séparée :

Dans sa prétention scientifique, le rationalisme est inapte à appréhender l’expérience vécue.

Le rationalisme est toujours couplé avec l’irrationalisme. C’est un rapport de force qui s’établit entre les deux faces de la nature humaine et cette connivence conflictuelle est mise en exergue dans la modernité. Dans son hégémonie et son totalitarisme, le rationalisme s’oppose à son double obscur : l’irrationalisme synonyme d’obscurantisme.

Néanmoins, l’irrationnel a fait ponctuellement des sursauts sous plusieurs formes : les guerres, las carnages, les fascinations astrologiques ; autant de phénomènes qui sont l’expression de la violence de la nature humaine qui est tout aussi barbare que rationnelle.

Ce qu’on peut reprocher au rationalisme, c’est qu’il oublie les interactions entre les phénomènes contradictoires. Son attitude intellectuelle consiste à épurer, réduire, analyser pour passer du concret à l’abstrait et pour faire rentrer de force si nécessaire la réalité représentée dans un modèle établi à priori.

Cette procédure rationaliste ne tient pas compte de la complexité de la vie et de la participation mystique entre visible et invisible, intérieur et extérieur, matériel et immatériel.

La question que pose Michel Maffesoli n’est pas de faire une critique orientée du rationalisme ; il s’agit plutôt de s’interroger sur les caractéristiques du rationalisme , qui à une époque ont fait son apogée et qui en font aujourd’hui un obstacle à la compréhension de la vie et son développement.

Maffesoli pose la problématique dans les termes suivants : Peut on comprendre la vie sociale, et si oui comment le peut on ?

L’auteur traite le rationalisme de manie maladive, de pulsion qui entend contraindre la réel.

Il traite de pathologique l’attitude d’esprit qui consiste à séparer les phénomènes sans référence à ce qu’ils contiennent de réel, de palpable. Cette attitude fournit un schéma présentant les caractéristiques importantes mais auquel manque l’essentiel : la vie.

Ce qui est en cause dans le rationalisme, c’est son extraordinaire fermeture sur soi ; c’est un système qui fonctionne pour lui même. Cette pensée qui s’est complue sur elle même dans une méfiance vis à vis de ce qui est de peur de son aspect incontrôlable a abouti à une autosuffisance narcissique. Cette autosuffisance a débouché sur une rigidité extrême qui a fait perdre au rationalisme le contact avec ce qui lui a servi de support : le monde qu’il est censé comprendre et même expliquer.

C’est en restant enclos dans la conscience pure que la raison se distancie du monde environnant. Après avoir été un instrument efficace contre les fidéismes religieux, le rationalisme est devenu à son tour l’objet d’un acte de foi.

Cependant la « ruse de la raison » est qu’elle peut également servir à combiner les actions et les présentations contradictoires de la vie sociale. La raison est essentiellement dynamique, elle est capable d’intégrer ce qui semble être son contraire ; de cette manière elle pourra dépasser ce qui a pu être rationnel tout au long de la modernité et qui devient un frein quand débute une autre époque.

Dans cette perspective, il convient donc de dépasser sans nostalgie, les idéologies se réclamant des prémisses rationalistes. L’époque est au pluriculturalisme et à l’ouverture d’esprit , seule condition pour répondre aux défis de la postmodernité.

Il faut développer une pensée audacieuse à même de passer outre les limites du rationalisme moderne pour comprendre les processus d’interaction et d’interdépendance qui sont à l’œuvre dans les sociétés complexes. C’est une nécessité que de développer une pensée dont le maître mot est la compréhension de « l’organicité » sociale.

Critique de l’abstraction :

L’enjeu est de faire le tri entre les pensées statiques et les pensées plus humaines, plus incarnées.

La société contemporaine du fait même qu’elle est attachée au quotidien ne peut plus s’accommoder d’un partage strict entre ce qui serait de l’ordre de la raison et ce qui appartiendrait à celui de la passion.

Alors que la critique adressée au rationalisme consiste en son incapacité de comprendre le « clair-obscur » de tous les phénomènes sociaux ; l’exemple baroque est à ce titre pertinent dans la mesure où il permet de comprendre la situation postmoderne en mettant l’accent sur l’ambiance, l’impression de transformation et la dynamique continuelle. C’est à dire les éléments qui se retrouvent dans la vie sociale : rien n’est en lignes dures, tout fonctionne sur l’ambiguïté .

La société postmoderne ne se retrouve pas dans la structure linéaire et continue caractérisant les institutions rationnelles de la modernité ; ni dans la distinction sous toutes ses formes entre philosophique, sociologique, politique ou bien la classification typée des entités selon : l’identité, les catégories socioprofessionnelles, appartenance partisane.. Tout cela tend progressivement à céder la place à un vaste syncrétisme aux contours peu délimités. C’est un tel état du monde qui doit nous inciter à la remise en cause de nos schémas de pensée et notamment la coupure entre différents domaines.

C’est aussi contre cette structure tranchée de l’ordre du mécanisme que Lou Andreas-Salomé, dans le type d’approche « écologique » propose une démarche intellectuelle moins agressive et plus respectueuse de la globalité humaine et naturelle. Ce qui revient à mettre en œuvre une connaissance intuitive.

Il y a lieu alors de distinguer entre les deux pôles de l’intelligence humaine ; le premier abstrait dérivant vers le dogmatisme et l’intolérance et le second plus incarné attentif au sensible s’emploie le plus possible à éviter la séparation. En préférant le second pôle, il n’est pas question de préconiser une quelconque abdication de l’esprit mais de se préserver contre un rétrécissement de la faculté de comprendre.

C’est ce revirement qui ponctue la naissance de la postmodernité et l’union des contraires est un phénomène en cours de se réaliser. Cela tient à ce que dans la réalité elle même l’image, l’intuition et le concept sont fortement unis.

L’objectivation a joué un rôle important durant toute la modernité . L’art et la science ont été des objets bien séparés. C’est la dichotomie typique de la modernité d’où provient la répugnance du savant aux formes, aux apparences et pour toutes les choses sensibles.

L’ordre est au centre du monde et le glissement va se faire du savoir au pouvoir. Des théories sociales du XIX ème siècle aux rationalisations de la technostructure, en passant par celle de la lutte des classes, tout ce qui concerne le conservatisme, le révolutionnarisme ; toutes ces théories se veulent fondées en raison, agir pour le plus grand bien de la raison : «savoir c’est pouvoir ».

Le rationalisme abstrait est essentiellement critiqué dans son incapacité à prendre acte du puissant vitalisme qui meut la vie sociale. C’est bien cela qui creuse un fossé entre les institutions de la modernité et la base sociale qui ne se reconnaît plus en eux. Cette dernière a besoin de décideurs, de représentants qui soient à même de dire ce qu’elle est et non ce qu’elle devrait être. La société a besoin d’« intellectuels organiques » et pas uniquement d’intellectuels critiques. C’est ce pôle organique qui en montrant ce qu’elle est va lui permettre de s’ajuster et de réaliser en connaissance de cause sa créativité propre.

La rupture épistémologique consiste alors à rompre avec une posture intellectuelle qui cherche toujours une Raison surplombante à tout ce qui se donne à vue. Il faut revenir avec humilité à la matière humaine, à la vie de tous les jours sans chercher la cause qui l’engendre. A la place d’une raison à priori, il convient de mettre une compréhension à posteriori.

A la place d’une définition qui dénature la chose vitale décrite, il y a lieu tout au plus de dresser les contours, décrire la forme, esquisser les caractéristiques générales de cette réalité. Paradoxalement, un tel respect de la vie mouvante est cela même qui permet d’aboutir à une connaissance plus complète, à la mise en œuvre d’une « raison ouverte » qui aboutit à une démarche de connaissance incarnée dans la réalité empirique.

CHAPITRE III : La raison interne :

Le ratio-vitalisme :

L’auteur incite à une attitude intellectuelle faite de modestie, de respect de ce qui est abordé, c’est à dire une voie indirecte , telle une sensibilité qui peut permettre de comprendre ce que peut être une rationalité ouverte.

Au rationalisme étroit, on oppose une rationalité qui exprime la synergie de la raison et du sensible. L’affect, l’émotionnel, toutes choses qui sont de l’ordre de la passion , ne sont plus séparés dans un domaine à part mais vont devenir des leviers méthodologiques pouvant servir la réflexion épistémologique et qui sont opératoires pour expliquer les multiples phénomènes sociaux.

Ce projet nécessite un dépassement des catégories d’analyse qui ont été élaboré durant la modernité. Non qu’il faille les nier mais plutôt les élargir pour accéder à des domaines jusqu’alors interdits comme le non-rationnel et ce afin que ce soit la vie en entier que l’on prend en compte.

Il s’agit de mettre en œuvre une rationalité plus large, simple, inventive demandant une audace de pensée et surtout le sentiment d’être précaire, aléatoire, soumise à l’instant dans une interaction permanente entre la vérité et les valeurs socialement vécues.

Pour saisir cette organicité, on a besoin d’une multiplicité de « raisons » subtiles, capables de saisir tout à la fois la force interne de chaque phénomène. Mais parmi toutes ces raisons, il y en a une qui reste ou plutôt qui préexiste au cœur de tout homme avant quelque construction intellectuelle que ce soit. C’est la « raison interne » de toute chose ; raison à la fois constante, structure anthropologique qui ne se réalise qu’à un moment particulier.

La saisie de la raison interne d’un phénomène permet essentiellement de comprendre l’existence en son développement et pas seulement son squelette.

Le « ratio-vitalisme » s’oppose à la raison pure dans la mesure où il fait œuvre de connaissance tout en saisissant les pulsions vitales pour comprendre l’existence. L’enjeu du « ratio-vitalisme » est de ne rien négliger dans ce qui nous entoure , dans ce monde dont nous sommes et qui est à la fois sentiments et raison.

Donc mettre en œuvre une analyse à partir de la raison interne des phénomènes sociaux, c’est saisir la destination fondamentale de la vie. Dans une perspective épistémologique, on peut en tirer qu’il existe une liaison étroite entre un concept caractérisant un peuple, une civilisation ou une communauté et la vie qui l’exprime. C’est cela que l’on peut appeler le « ratio-vitalisme » ; ce qui veut dire qu’une entité quelle qu’elle soit trouve sa raison d’être en elle même et c’est la recherche de la rationalité organique, qui anime toute structure donnée, qui fait la spécificité de la situation postmoderne.

La pensée organique :

Le corps organique trouve en lui même sa propre forme, c’est du dedans qu’il puise son dynamisme, qu’il est appelé à croître et se développer. Il a des forces innées qui sont cause et effet de sa propre vie. L’organicité renvoie donc au vivant et aux forces qui l’animent.

Les caractères essentiels de l’ordre organique consistent d’une part dans le fait qu’il trouve son impulsion à partir de lui même, d’autre part dans le fait qu’il rassemble, exprime à sa manière et établit une conjonction nouvelle avec des éléments du passé. Alors que la modernité s’est efforcée à l’oubli, au refus du passé ; la postmodernité, quant à elle, procède plutôt par accumulation des connaissances et ce d’autant plus que l’actualité montre bien les limites de l’unidimensionalité, emblème de la période moderne.

En fait, il existe un lien entre le monde intérieur de l’individu et le monde extérieur de la nature qui s’exprime dans une loi organisatrice du monde qui veut que le cours universel, le flux des changements et les mouvements naturels fassent interagir tous les éléments les uns sur les autres.

On observe notamment un processus d’interdépendance entre l’économique, le politique et le social qui peut échapper à une simple conception rationaliste du monde. Dans cette perspective, on peut considérer la postmodernité comme une sorte d’agglutination, à la fois disparate et tout à fait unie, d’éléments les plus divers et le style organique tout en étant adéquat à l’époque que nous vivons est aussi une bonne manière d’appréhender la raison interne d’une structure donnée. C’est en ce sens qu’il peut être un bon levier épistémologique dans le cadre d’une théorie de la connaissance.

Le rationalisme classique a fait son temps lorsqu’il s’est écroulé dans les faits devant les dissonances, la fragmentation de la vie sociale, l’hétérogénéité galopante des institutions de tous ordres. L’alternatif à ce rationalisme pur est un aspect organique de la démarche cognitive dont la spécificité consiste en un lien interne qui assure la cohérence entre les éléments qui se présentent et qui sont éminemment disparates. Par là on évite les deux écueils propres à la pensée conceptuelle : celui qui consiste à réduire à l’unité, à priori, la diversité des choses, ou celui qui se complaît dans un éclatement indéfini et sans horizon, que l’on est incapable de penser rationnellement. Il est donc possible d’intégrer dans la démarche de connaissance une dimension sensible, il s’agit du lien spirituel qui est capable de saisir ce qui est de l’ordre de la sensibilité et de lui donner un statut rationnel. C’est un véritable travail intellectuel qui consiste à saisir l’effet de composition qui est au principe même d’un pays, d’un groupe, d’un style artistique, d’une sensibilité politique ou religieuse.

Une des marques de la postmodernité est qu’il n’est aucun domaine qui échappe au retour en force de l’affect : les relations sociales, la politique, les relations culturelles, religieuses, de travail.., le tout baigne dans une ambiance émotionnelle impliquant un vaste processus de correspondances et d’implications les plus diverses. C’est cela même qui rend nécessaire une vision organique du monde. Il s’agit dès lors d’adopter un principe mystique de non activité et de participation au tout, un principe qui suggère, plus qu’il ne délimite avec précision. Ce qui oblige à penser moins le contenu que le contenant, moins le fond que la forme ; la forme qui met en relation, qui favorise la correspondance, l’analogie et la participation au donné social et naturel.

CHAPITRE IV : DU FORMISME

Approche du formisme :

Nos sociétés sont animées par le jeu des images et on peut les caractériser par un style accentuant à la fois l’esthétique, le quotidien et le communicationnel ou le symbolique.

Ce sont là les éléments les plus marquants d’une culture en train de naître, complètement différente de celle qui a prévalu durant la modernité. La tendance générale d’une telle révolution est qu’elle réinvestit des éléments archaïques et qu’on avait cru dépassés pour les réutiliser à sa façon , parmi ces éléments l’image et le style sont du nombre.

Pour apprécier ces revirements, la notion de forme ou son expression philosophique le formisme permet de faire ressortir ce changement qualitatif et auquel, empiriquement l’on est confronté dans la vie de tous les jours. En effet, il faut reconnaître les multiples rôles qu’une personne peut jouer ou encore les divers bricolages idéologiques effectués par les petites tribus contemporaines ; et en chacun de ces cas on observe une multiplicité d’être qui n’est nullement vécue d’une manière schizophrène, mais aboutit à une sorte d’équilibre kinesthésique. La forme joue un rôle primordial dans l’unité qui maintient la cohésion de tous les éléments fragmentés du donné mondain, elle permet la conjonction, elle favorise le court-circuit , elle est le centre de l’union et de toutes les notions qui délimitent la nouvelle socialité .

La logique de la forme est la suivante: tout en valorisant le corps, les images, l’apparence, elle est « formante », c’est à dire qu’elle forme le corps social et donc elle fait la société. D’une manière empirique les formes formantes vont s’exprimer sous la figure de star musicale ou sportive ou de grand moraliste par son action caritative. Ces figures sont autant de caricatures en lesquelles tout un chacun, en fonction de son goût et de ses intérêts peut se reconnaître ou exprimer son sentiment d’appartenance. Et cette illusion n’est pas sans être efficace car elle contribue à la constitution de l’être propre de chaque individu et la construction de sa personnalité. En ce sens l’adhésion à une de ces formes est une sorte de participation magique qui unit plusieurs personnes faisant les mêmes projections et vivant les mêmes rêves. L’illustration d’un tel processus est à l’image d’un monde pluriel , d’une culture de sentiments constituée de la succession des rôles, de la diversité des identifications caractérisant la personne postmoderne et le style social dont elle est issue.

Mais la forme n’assène pas des certitudes, elle se contente de poser des problèmes et donne des conditions de possibilité pour y répondre au cas par cas et non d’une manière abstraite. A l’opposé d’une pensée purement conceptuelle qui pense cerner, en sa totalité, l’existence, le formisme, quant à lui laisse ouvertes des potentialités qui peuvent ou non se réaliser .

La forme, force d’attraction :

Selon une perspective de Weber, l’irréel de l’idéal type est particulièrement pertinent pour comprendre tous les faits réels de la vie quotidienne qui, sans cela, passeraient totalement inaperçus. C’est en ce sens que la forme est une force d’attraction. Elle accentue les faits et fait ressortir l’invisible, le souterrain que la science officielle a beaucoup de mal à repérer et à intégrer dans ses analyses. A force d’analyser, de disséquer, de distinguer, la pensée moderne a oublié que le tout possède une force spécifique qui est qualitativement différente de la somme des parties.

En fait, la notion de forme et le formisme qui en est l’expression incitent à considérer que les divers éléments, de par leur synergie propre , permettent d’accéder à une structure spécifique qui amène à envisager la réalité comme une globalité . Cependant l’agrégation est la plupart du temps peu visible et c’est ce qui rend son appréhension délicate. Néanmoins, il y a lieu d’indiquer le rôle que joue le style pour comprendre les grands changements de valeurs s’opérant de nos jours ; car le propre même du style est de rendre visible une force invisible.

Le style peut être vestimentaire, de langage ou de pensée ; c’est toujours quelque chose d’unificateur et dans ce cadre le formisme souligne et caricature l’aspect dominant , et par là même permet de prendre conscience du substrat psychique donnant tout son sens à la figure spécifique d’un moment donné.

La poésie et la philosophie sont les supports de principes éducatifs qui traversent les actions et les représentations à l’œuvre dans la vie quotidienne. Ce sont donc des formes, qui tout en laissant l’autonomie nécessaire à l’éclosion de la personnalité de tout un chacun assurent un cadre général permettant la cohérence de l’ensemble social. L’exemple des figures de la mythologie est pertinent à cet égard ; ces caractères et personnalités traduisent de diverses manière une caricature qui prend de plus en plus d’importance dans la vie de tous les jours et qui fait référence à la mémoire collective , moyen de choix pour bien saisir les phénomènes de la société postmoderne.

La forme sociale :

Les mythes sont la source d’une sagesse qui traverse le temps et qu’on ne cesse de redécouvrir. Ils aident à comprendre la forme archétypale ; l’existence de résidus archaïques, d’images primordiales qui font que la vie sociale est ce qu’elle est et qui la façonnent en tant que telle. Au travers de ces mythes et archétypes, c’est toute la préhistoire de l’humanité qui continue à s’exprimer. Il s’agit là de quelque chose de transpersonnel, dépassant chaque individu et l’intégrant dans un ensemble plus vaste dont il est partie prenante . C’est bien là la force de la forme : en imposant une émotion collective, elle oriente les volontés individuelles et par là fait la société.

La société contemporaine est caractérisée par une religiosité indéniable, quelque peu païenne et qui repose essentiellement sur le partage d’images, de symboles, de rituels et trouve donc dans le jeu des formes une excellente expression. Elle traduit aussi l’accentuation de la puissance du « divin social » et cette déperdition du sujet individuel dans le génie collectif est cela même qui permet l’épanouissement personnel dans le cadre d’une harmonie globale. Cette harmonie qui apprécie la vie, le présent et les relations qu’il engendre s’oppose à la morale du futur propre au projet politique.

Ce désintéressement du politique et des représentations sociales, ce goût de l’esthétique et de l’éthique de l’instant ainsi que les créations langagières, de style du tout-venant nous renseigne sur la configuration d’une socialité nouvelle qui reste particulièrement opaque à la sociologie orthodoxe.

CHAPITRE V : Phénoménologie

La description :

Afin de saisir le dynamisme à l’œuvre dans la vie courante et rendre compte de la raison interne, il y a lieu de laisser se dissoudre l’esprit critique pour mettre en œuvre un esprit contemplatif sachant saisir l’indéniable création sociétale caractérisant la postmodernité. Maffesoli propose d’introduire une pensée caressante se préoccupant peu de l’illusion de la vérité et ne proposant pas un sens définitif des choses et des gens car l’observation du monde montre que sa rhétorique et sa raison sont essentiellement plurielles et ne se prêtent pas à une conclusion définitive mais à une ouverture.

Il est nécessaire de développer une démarche intellectuelle à l’image de l’errance sociale contemporaine qui mérite que soit bousculé le sens établi, « l’establishment » du savoir sous toutes ses formes. Dans une telle perspective, le vitalisme est , avant tout, attentif aux phénomènes empiriques, à ce qui se donne à vivre, autrement dit au jugement de fait , plutôt qu’au jugement de valeur. Il s’agit là d’une véritable révolution dans la manière de penser.

Pour cela un détachement par rapport à la grande idéologie de la maîtrise sur le monde social et naturel qui fut la marque de la modernité est nécessaire. Un tel détachement en appelle à une nouvelle posture intellectuelle, faisant de la description le fondement même de la démarche. Le propre de la description est justement d’être respectueux du donné mondain et pour théoriser cette attitude, la phénoménologie introduit la notion de mise en perspective.

Il faut préciser que le fait de décrire en tant que tel ce qui est, n’est nullement une abdication de l’esprit mais un simple changement de perspective :il s’agit de rechercher la signification d’un phénomène plutôt que d’être focalisé sur la découverte des explications causales. Il ne s’agit pas non plus d’une limitation mais au contraire d’un élargissement de la pensée aux mesures mêmes du monde en son entier : à la spécialisation du concept moderne répond le holisme de la démarche organique .

Méthodologiquement, la description est reconnue comme étant une bonne manière de saisir, en profondeur, ce qui fait la spécificité d’un groupe social. Et à cet égard les diverses procédures ethnologiques ont essaimé dans toutes les sciences sociales.

En effet, la théâtralité quotidienne, les diverses manifestations émotionnelles dans les foules en délire, les regroupements affectuels au sein de petites tribus, les cultes du corps et le retour de la religiosité sont autant de phénomènes qui échappent aux institutions rationnelles élaborées lors de la modernité et en appellent à la description qui est à même d’intégrer ces nouvelles formes de sensibilité. Une telle description , mettant en jeu des métaphores, des analogies pourra être un vecteur de connaissance et ce en dressant de grandes formes permettant de faire ressortir les phénomènes, les relations et manifestations figuratives de la société contemporaine.

L’intuition :

L’intuition largement marginalisée durant la modernité redevient un important vecteur de connaissance du vitalisme en œuvre dans nos sociétés. Elle participe d’un inconscient collectif, elle est issue d’une sorte de sédimentation de l’expérience ancestrale et elle exprime un « savoir incorporé » en chaque groupe social et en chaque individu. A cette intuition sociétale doit correspondre une intuition intellectuelle, accompagnant plus que surplombant la réalité existentielle, une intuition comme forme d’anticipation qui joue le rôle de sensibilité intellectuelle.

Avec l’intuition, se crée une « vision centrale » qui n’est pas indirecte mais s’enracine profond dans la chose même, s’en nourrit et donc en jouit. Ainsi, alors que le rationalisme abstrait se contente d’une vision mécanique, la sensibilité intuitive prend fond sur la logique du vivant et sa dynamique organique ; le propre de cette logique est de reposer sur l’attraction, les affinités, les processus émotionnels et affectuels. Elle n’a pas la rigueur de la loi causale, mais ne manque pas d’indiquer avec précision les grandes tendances sociales.

De cette manière, la synergie de la rationalité et de l’intuition est un bon antidote à la sclérose du dogmatisme et peut permettre de comprendre, dans sa globalité, les multiples aspects du vitalisme social. Ce faisant, le moi, l’objet de la connaissance , et la connaissance elle même s’enchevêtrent dans une perspective holistique qui semble la plus adéquate pour saisir l’étroite imbrication des divers éléments de la société complexe.

La métaphore :

Tout comme l’intuition est un bon moyen d’appréhender le retour de l’expérience quotidienne, il est possible que la métaphore soit la mieux à même de saisir l’aspect bigarré d’un monde imaginal aux développements encore imprévisibles. En effet, elle permet de passer de la conquête de la nature ou de la culture à leurs simples contemplations car tout en restant enracinée profond dans le concret de la vie courante, elle peut favoriser et impulser l’élan libre de la pensée spéculative. A la différence du concept , elle ne prétend pas à la scientificité , elle est donc plus neutre et en se contentant de décrire, elle aide à la compréhension sans prétendre pour autant à l’explication. La métaphore n’indique pas d’une manière univoque, quel est le sens des choses mais elle peut aider à saisir leurs significations.

La complexité de notre environnement social nécessite de mettre en œuvre une « écologie » de l’esprit, c’est à dire une attitude de penser considérant la nature, comme partenaire avec laquelle existe une interaction, plutôt que comme objet que l’on peut exploiter à merci, et travailler à son gré. Et cette synergie de la matière et de l’esprit qui permet d’élaborer une véritable « raison sensible ».

L’œuvre de Freud est imprégnée de procédés allégoriques, en effet , ce qu’elle doit à l’art et aux « figures mythiques » empruntées aux Grecs est, essentiellement, de l’ordre de la métaphore. C’est ce qui lui a permis de valoriser ses découvertes et de les faire perdurer dans le temps. Et aujourd’hui à l’heure où « une éthique de l’esthétique » succède à la morale politique, la métaphore devient un instrument d’analyse privilégié et les comparaisons qu’elle induit rendent bien compte de la correspondance observable dans la globalité du donné social et naturel .

CHAPITRE VI : L’expérience :

Le sens commun :

Le discours savant a toujours pris des distances vis à vis du sens commun, dans diverses attitudes de suspicion. Maffesoli propose de remettre en question ces préjugés ; d’une manière phénoménologique ou compréhensive peut être faut il considérer le sens commun, non pas comme un moment à dépasser mais comme une manière d’être et de penser se suffisant à elle même.

L’intuition et la métaphore sont justement des expressions de ce sens commun. L’enjeu d’une raison sensible est de ne pas oublier qu’elle doit rester enracinée dans ce qui lui sert de substrat et lui donne sa légitimité (le sens commun) et ce tout en étant fidèle aux exigences de rigueur propres à l’esprit.

C’est Nietzsche qui va proposer une « représentation compréhensive » permettant une liaison entre le passé et le futur et ce par opposition à la conception de l’Histoire « en extension » de Hegel qui a inspiré le rationalisme de la modernité. A partir de cette représentation prospective de Nietzsche, s’est élaborée une conception de la mémoire sociale et de l’enracinement de la réflexion qui n’est pas autre chose qu’un savoir incorporé et qui de génération en génération va constituer un substrat assurant la perdurance sociétale.

A l’appui de l’hypothèse du « tribalisme » postmoderne, il est nécessaire de considérer que tout un chacun participe à une pensée globale dont il est plus le récitant que le créateur. C’est ainsi que l’on peut comprendre la diffusion des modes de pensée , en effet les lois de l’imitation, la diffusion virale semblent, actuellement, prendre le pas sur les décisions individuelles, rationnellement élaborées. C’est le sentiment d’appartenance généralisé qui en découle qui va redonner au sens commun « ses lettres de noblesse », et ce que Durkheim a développé sur le « conscience collective » participe du même ordre d’idée.

Il en ressort que le sens commun peut être envisagé comme une forme de résistance aux pouvoirs et qui assure sur la durée, la perdurance sociétale ; c’est aussi une manière de rappeler qu’au-delà de la rationalisation , il y a l’expérience vécue fondant la vie commune.

Le vécu :

Mettre l’accent sur le vécu est une manière de reconnaître les éléments subjectifs comme partie intégrante des histoires humaines. Dans cette perspective, s’attacher au vécu, à l’expérience sensible ne revient pas à se complaire dans la négation du savoir. Au contraire, il s’agit d’enrichir le savoir, de montrer qu’une connaissance digne de ce nom ne peut qu’être organiquement liée avec l’objet qui est le sien. C’est aussi refuser la séparation ou la « coupure épistémologique » qui était censée marquer la qualité scientifique d’une réflexion.

En prenant en compte le vécu quotidien et la sagesse populaire lui servant de fondement, la sociologie devient une discipline sachant intégrer et comprendre « la mystique de l’être ensemble » ; il devient alors nécessaire de repenser le lien social hors des deux fondamentaux qui ont marqué la modernité : l’Histoire et la critique. Par ailleurs, les éléments «archaïques », comme constantes anthropologiques, sont à intégrer et accepter en tant que tels et en même temps revisités.

Ainsi les phénomènes non rationnels, les agrégations tribales, les ambiances émotionnelles, le culte du corps ou les diverses manifestations de l’hédonisme contemporain ; tout cela dont on crédite la post-modernité, contient une bonne part de pré-modernité. C’est cette constante de choses anciennes qui fait la qualité essentielle du vécu .

Paradoxalement, la réflexion sur le vécu a quelque chose de prospectif, en ce qu’elle met l’accent sur le renouveau communautaire qui ne manque pas de frapper les observateurs de la vie sociale et tant il est vrai qu’à l’encontre de ce qui est ressassé sur le prétendu individualisme contemporain, on observe, empiriquement, le triomphe du tribalisme avec les divers mimétismes ou conformismes qui lui sont corollaires.

Par conséquent, pour saisir la spécificité et la nouveauté d’un phénomène social, il vaut mieux se référer au vécu de ceux qui sont les protagonistes de base, plutôt qu’aux théories codifiées indiquant, a priori, ce qu’est ou ce que doit être ce phénomène.

CHAPITRE VII : L’illumination par les sens :

Les discours et les mythologies ne sont que des manières complémentaires d’exprimer une même chose : le retour d’une conception globale de l’homme dans son environnement naturel et social. Il devient nécessaire d’adopter une perspective globale qui d’une part soit proche du sens commun et d’autre part rejoint les intuitions holistiques des diverses pratiques contemporaines : écologie, New Age, syncrétismes philosophiques et religieux, médecines parallèles, etc., dont on ne peut plus nier les effets dans la réalité sociale.

Chacun de ces cas repose, en fait, sur un empirisme vécu ; à savoir une acceptation de la vie dans sa finitude, mais également dans ses joies et plaisirs. C’est le relativisme hédoniste .

Tout comme le poète réveille dans notre subjectivité les voix immémoriales sommeillant dans la mémoire collective , le rôle du sociologue ou du philosophe social est de faire ressortir les vibrations communes et les émotions qui s’expriment au travers des formes de fanatismes religieux ou ethniques, des exacerbations communautaires, des revendications linguistiques, actions caritatives.

En sachant intégrer l’expérience sensible spontanée qui est la marque de la vie quotidienne, la démarche intellectuelle pourra ainsi, retrouver l’interaction de la sensibilité et de la spiritualité, et par là atteindre au travers de l’apparence, la profondeur des manières d’être et des modes de vie postmodernes qui mettent en jeu des états émotionnels et des « appétits » passionnels reposant sur l’illumination par les sens.

Commentaires, critiques :

L’épistémologie de Michel Maffesoli est à situer par rapport à l’essayisme dont il se réclame et aux polémiques qu’une telle position provoque dans le champ de la connaissance. En effet, l’essai n’a pas bonne presse dans un certain champ universitaire. Ainsi, Daniel Bertaux reconnaît qu’existent dans la réflexion de Maffesoli des intuitions intéressantes, ce qui est l’avantage de l’essayisme, mais que cela provoque un envers, car l’essayiste projette sur l’univers son propre point de vue, sans aucun souci de réalisme sociologique.

Mais Michel Maffesoli répond à plusieurs reprise à ces accusations d’essayisme. En effet, cette démarche lui permet d’être proche de son objet, la vie sociale, un objet jamais explicable dans sa totalité et aussi de ne pas mépriser le plus grand nombre en ne réservant la sociologie qu’à une élite.

La sociologie de Maffesoli ne respecte peut être pas l’orthodoxie des champs de connaissance, elle est à l’image d’une vraie liberté qui brise quelque part les règles du métier mais elle produit des intuitions qui séduisent et qui sont stimulantes pour la compréhension de la dynamique sociale.

Quelques mots de l’auteurs :

Dans un entretien de Michel Maffesoli à le revue les nouvelles clés, ce dernier parle de la complexité de notre société contemporaine et des impératifs de la postmodernité qui demeure une question d’actualité :

« Toute la question repose sur ceci : voulons-nous l’unité, qui est un rond fermé sur lui-même, ou l’unicité, qui est un rond en pointillé au sein duquel la cohérence existe tout en laissant des marges, des espaces de liberté, des “trous” par lesquels peuvent s’exprimer les différences et s’enrichir les rapports ? La postmodernité, c’est de l’unicité, alors que la modernité revendique l’unité, la fermeture, l’enclos. Notre époque se caractérise par cette multiplicité des approches. J’aime dire, pour provoquer un peu, que nos cités sont peuplées de tribus. On ne parviendra plus à réduire toutes leurs différences dans le moule républicain. Je le dis d’autant mieux que je viens d’une famille d’origine italienne et que mes parents sont passés au travers de ce moule, qui ne concerne pas seulement la langue mais aussi les manières de se nourrir, de se vêtir, de se comporter. Il n’est ni bon ni mauvais, il ne marche tout simplement plus. Cette diversité est dans l’air du temps et, selon moi, tout le travail de la pensée consiste à montrer que, et comment, tout cela arrive cependant à tenir ensemble. Il ne sert à rien de raboter pour tout ramener à l’unité. »


Bibliographie de l’étude :

« Michel Maffesoli, analyste de la socialité émergente », Yves Le Pogam, Corps et Culture, n° 3 , article 1.

« L’expérience éthique : du « devoir être » au « vouloir vivre » : une lecture sociologique », Jean-Marc Larouche, Religiologiques, n°3 printemps 91.

Durand Gilbert, (1979) Préface, la conquête du présent . Pour une sociologie de la vie quotidienne ; M.Maffesoli.

« Pour cesser de haïr le présent, miscellanées autour de l’œuvre de Michel Maffesoli », Decerf Anne, éditions Balzac, Montréal 1992.