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Gilles Deleuze je le voyais comme un gauchiste et un philosophe.
C'est à dire une personne finalement conservatrice, empêtrée
dans des schémas de pensée préhistoriques de
type stalinien, trotskyste etc. et une personne un peu ennuyeuse,
qui parle pour ne rien dire... Et puis l'engouement de cinéastes
indépendants, de musiciens électroniques divers, de
militants, d'architectes m'a mis la puce a l'oreille...
On parlera plutôt de Deleuze et Guattari. Félix Guattari
ayant coécrit les ouvrages principaux de Deleuze. Parce que
Deleuze et Guattari rêvaient de faire une pop philosophie,
un manuel de leur sagesse à destination de tous donc des
non philosophes. Parce estimons leur style d'écriture est
magnifique mais certainement encore trop rebutant. Espérons
que ce décodage permette à chacun de s'y mettre, de
trouver l'envie, l'énergie, le désir d'aller vers
cette pensées qui nous a tant servi. N'oublions pas Michel
Foucault qui considère les livres comme des boîtes
à outils. Prenez ce papier comme une sorte de manuel de la
très complexe boite à outil de Deleuze et Guattari.
Un manuel qui ne demande qu'à être enrichi par
l'échange.
Une fois que l'on a commencé, on ne peut plus s'en dépêtrer.
Effectivement Gilles Deleuze a su nous parler. Et son message, si
important ne doit surtout pas rester aux mains des universitaires,
des analystes et exégètes de tous poils : il doit
revenir à ceux à qui il est destiné : non pas
les gauchistes ou les politiques mais tous ceux qui veulent se sortir
du système : de tous les systèmes qui se reproduisent
: état, famille et capitalisme. Ces machines interviennent
dans tous les domaines de la vie. Gilles Deleuze et son copain Félix
ont collecté des centaines d'expériences de personnes
venant de tous les univers, de tous les domaines d'activités
qui ont réussi à produire des choses magnifiques,
parce que sorties du/des système : capable de parler un autre
langage, d'utiliser d'autres codes.
Puisque tout est avant tout affaire d'expérience et non pas
de discours, nous proposons à chaque lecteur de partager
avec nous ce qu'il a trouvé en Gilles Deleuze et Félix
Guattari, comment leur discours l'a aidé dans son action.
Il sera beaucoup question ici de contre culture puisque Deleuze
et Guattari ont pioché à droite et à gauche
chez beaucoup d'écrivains de la beat génération,
chez les Artaud, les Castaneda et autres qui furent les instigateurs
de ces différents mouvement contre culture. La contre culture
? Pas un assemblage de mouvements mais un assemblages de pratiques
d'indépendance que Deleuze et Guattari ont analysées,
triturées, malmenée pour rechercher ou était
la faille, comment il devenait possible de se sortir du système,
de s'émanciper.
Comment ca marche ?
Et moi je pourrais le faire aussi ?
Telles sont les deux questions qu'ont posé gilles Deleuze
et Félix Guattari. L'émancipation, c'est d'abord un
défi avec soi même, on doit s'émanciper d'abord
de ce qui castre, bloque le plus profond de notre individu. Ensuite,
c'est au niveau interindividuel, puis a celui du groupe que se situent
les pratiques de lutte avec le système.
Je ne peux parler que pour moi. C'est donc l'histoire de mon immixtion
dans l'univers de Gilles Deleuze qui servira d'introduction.
Je suis un passionné de musique underground. A ma rencontre
avec Joy division vers 18 ans, j'ai cru être passionné
par ce coté noir, romantique de la musique. Très vite
j'ai compris que ce n'était pas tant le taux de dépression
d'un morceau qui m'intéressait que ca capacité à
exprimer une indépendance totale vis à vis des styles
et des modes. Tous ces groupes " underground " visent
à sortir et des schémas classiques de composition,
du système de distribution/promotion de la musique. A parvenir
à être eux même en utilisant un média
commun, devenu souvent un produit : dégénérer
le rock, amputer la dance, mélanger les extrêmes et
les inconciliables...
A la mort du philosophe Gilles Deleuze, dont j'avais vaguement entendu
parler au cours de mes études, sub rosa et milles plateaux
ont sortis leurs extraordinaires compilations. Expérimentation
musicale extrême sans flon flon ni subvention du ministère
de la culture. J'apprenais enfin a cette occasion que "Milles
Plateaux" était un livre du même GD. Alors je
me suis mis à ouvrir ces fameux milles plateaux, et "l'Anti
Oedipe", le livre qui le précède chronologiquement.
Il n'est pas bon de résumer la pensée d'un auteur.
C'est encore plus difficile d'y parvenir quand ils sont deux à
écrire. Ce qu'on trouvera ici est donc très réducteur
et certainement un peu massacreur de la finesse des pensées
croisées des deux auteurs. Les professionnels de la philo
peuvent donc passer leur chemin, ils risquent d'être déçus.
Deleuze et Guattari ont lancé, ou plutôt recueilli,
a force de presser et de croiser les expériences de dizaines
d'auteurs d'artistes, politiques, psy, scientifiques et révolutionnaires
de tous poils.
Sortir du système ce n'est pas seulement dire non à
DAVOS et oui aux idées estampillées de gauche. C'est
avant tout être capable de produire des choses, des textes,
des idées, qui soient en clash avec les référents
généraux. Faire sa contre culture ou son bout de contre
culture. Je me souviens d'avoir discuté avec un traveller
anglais, un DJ des Spiral tribe, nomade forcené qui sillonne
l'Europe et essaime son parcours de party sauvages et de disques
auto produits. SP23. Une personne capable de faire ce qui lui plaît,
et surtout de donner envie aux autres de le faire. De diriger sa
vie hors du système, marche du travail, famille. Une personne
libérée en partie grâce aux drogues psychédéliques.
" if you wanna change the world, change yourself " m'avait
il dit.
L'anti oedipe c'est un peu ca.
Un manuel pour se libérer des contraintes sociales, partant,
un manuel pour éviter de les reproduire dans sa vie de tous
les jours. Et le passage par le LSD n'est pas une obligation...
L'anti-oedipe, est le livre culte des deux auteurs, qui leur assura
une jolie réputation au cours des seventies. Un bouquin compliqué.
Pas évident du tout au premier abord, et dont on peut se
demander la fonction. Pourquoi attaquer Freud, la psychanalyse,
l'Oedipe ? Ce qui ressemble fort au à une thèse d'universitaires,
sans autre intérêt laisse peu à peu transparaître
entre les lignes, puis très directement une sorte de guide
pratique de l'émancipation. Justement parce que s'émanciper,
lutter faire face c'est d'abord se libérer de soi même.
Ou plutôt de notre forte capacité a reproduire au quotidien
les schémas sociaux qui nous répriment. Deleuze et
Guattari veulent libérer la folie qui est en nous, ne plus
avoir à faire à une génération de névrosés
sous prozac mais à des personnes capables d'admettre, mieux,
de valoriser leur folie, de laisser aller, agir le schizo qui est
en nous. Substituer la schizo-analyse à la psychanalyse.
Un autre désir
La psychanalyse a eu le mérite de montrer l'existence, de
découvrir l'inconscient, mais pour le brider, le réduire
à une image dégradée : sexualité, papa-maman,
manque/besoin du phallus etc. L'inconscient de Freud se résume
à une production de symboles que l'interprétation
psychanalytique ramène toujours à la famille et à
la sexualité comme " un sale petit secret familial ".
Or, réduire l'inconscient c'est nous castrer, car l'inconscient
c'est un peu notre boîte à idée ou plutôt
notre coffre à désir.
Et si l'inconscient ne disait pas mais agissait ? Produisait ?
Voir l'inconscient comme machine, comme machine désirante.
Pourquoi machine ? parce que une machine produit. Pour Dleuze et
Guattari loin d'être le lieu de ressassement des mesquineries
familiales, l'inconscient est une machine à produire du désir.
L'anti-oedipe est donc un livre militant. Où l'on voit comme
la politique, le régime qui nous dirige descend et se reproduit
jusqu'au plus profond de notre être. L'émancipation
passera donc par la prise de conscience de cette présence,
de cette reproduction, du schéma général de
pouvoir en nous, et de notre aptitude à le détruire.
Grâce aux force de l'inconscient, notre usine à désirs.
Deux thématiques comme trame générale d'un
livre aux très multiples entrées :
1. ne pas laisser les psychanalystes remplacer les prêtres
et asseoir la soumission à l'Etat, à ses valeurs,
à son marché comme les hommes d'églises l'avaient
fait jusqu'au dix neuvième. Ne pas laisser la psychanalyse
devenir la machine abstraite, le big brother conceptuel de l'Etat.
(chaque Etat a sa machine abstraite, sorte de socle de pensée
qui lui permet d'asseoir son pouvoir, en se reproduisant au niveau
de l'individu)
2. rappeler a chacun l'importance du désir, sa force, son
caractère producteur : dégager le désir de
la prison dans laquelle on l'a porté : une société
qui emploie le même mot pour l'appétit sexuel et la
volonté de combler un manque hypothétique d'une casserole
ou d'un collier est tombée bien bas. Le désir n'est
pas la volonté de la chose qui manque. Le désir est
action. Et surtout production. Il faut apprendre a désirer,
a faire en sorte que notre désir nous permette d'agir sur
le monde (le dehors). A produire du désir, et donc a produire
par le désir.
Le premier problème s'est réglé de lui même.
Deleuze et Guattari n'intituleraient peut être plus leur livre
l'anti-oedipe aujourd'hui. Parce que la psychanalyse a échoué
dans sa tentative de devenir la machine abstraite, le discours qui
soutiendrait la domination d'Etat et du marché. Selon Deleuze
et Guattari c'est plutôt l'informatique, l'information et
la communication qui servent de discours dominant, qui mettent en
place la "société de contrôle" tant
redoutée. Le deuxième lui reste d'actualité.
Parce qu'il est universel, proprement philosophique.
Suivre son désir. Ca veut dire quoi ?
La société de consommation fonctionne effectivement
sur le principe du désir. Mais un désir non productif,
un désir assimilé au manque. C'est en créant
du manque que l'on crée des nouveaux marché. Or le
désir n'est pas affaire de manque comme nous le fait croire
la psychanalyse. Car l'analyse sous les augures oedipienne ramène
tout a un manque : du phallus, du père etc. Le désir
est affaire de production. En rêvant nous créons plein
de machines (à voir dans un sens très large : le corps
est une machine, chaque organe est une machine, un paysage peut
en être une : machines à souvenir, émotions,
prédictions etc. : la machine définie par son effet
: elle produit quelque chose. On ne s'émancipera qu'en laissant
ces machines individuelles se connecter au dehors et produire du
réel. Ne plus ramener les manifestations inconscientes à
la sexualité et surtout à la castration, la peur du
père, le dégoût de la mère, bref à
la famille, c'est admettre qu'elles portent sur l'extérieur.
On délire sur le social, pas sur sa famille ; le schizo est
un bon exemple. Il ne délire pas sur sa mère, mais
plutôt sur les grands hommes (il se prend pour napoléon),
le monde etc. Pour Deleuze et Guattari l'inconscient est donc branché
sur le monde, sur le social. Branché, le terme est juste
car surtout, l'inconscient est pour eux le moteur de l'action.
Car ce qui caractérise l'Oeuvre/action/objet/idée
artistique, scientifique, philosophique, politique, picturale révolutionnaire
de, mettons, une boîte de ravioli : c'est le désir
qui a conduit a sa production.
Pour s'émanciper du système, pour mener à bien
sa production, son travail, il faut avant tout être capable
de désirer. D'apprendre à désirer (apprendre
à désirer, c'est à dire à produire :comme
il est pathétique d'attendre d'être aimé quand
il faudrait apprendre à aimer), puis d'être capable
de se donner les moyens de le faire. De travailler à sortir
ce désir.
Ce désir la n'est plus la volonté de pouvoir telle
qu'a pu la décrire Nietzsche, mais plutôt la grâce
: on désir et on trouve non pas qui l'on est mais quoi devenir,
on atteint la grâce.
Pas un avenir mais des Devenirs.
Deleuze et Guattari n'appellent pas à une sorte d'introspection
générale qui nous permettrai de retrouver notre être
dans sa plénitude. C'est justement l'inverse. " Nous
avons écrit l'antioedipe à deux, comme chacun de nous
était plusieurs, cela fait beaucoup de monde". Pourquoi
plusieurs ? ce n'est pas qu'une boutade, nous sommes effectivement
constamment en changement et par là porteurs de multiples
identités. Segmenté dans notre vie sociale, adolescent,
étudiant, militaire, toujours à tendre vers un autre
nous même : devenir ce dont nous rêvons. Pas seulement
sur un plan professionnel. Sur un plan affectif, sexuel etc. On
tend toujours vers plusieurs devenir simultanés.
Nous sommes toujours en mouvement, et les chemins que nous suivons
sont ceux de nos devenirs. Devenir femme, devenir animal, notre
inconscient nous proposent des schémas de possibles, des
voies à suivre qui nous définissent à l'instant
t. Chacun de nous produit des devenirs différents, des devenirs
qui ne correspondent pas à une activité proposée
par le système, à un statut social, mais bien à
une production de désir. Ce sont les devenirs émancipateurs
ou devenirs révolutionnaires.
La révolution c'est l'action plus ou moins violente d'une
minorité qui s'estime opprimée. N'entendons pas minorité
sur un plan quantitatif, la minorité peut être une
majorité au sens quantitatif. La minorité est un ensemble
de personnes qui se retrouvent positivement sur une communion d'intérêt,
de statut, de mode de vie (les gays, les minorités "
raciales "). La minorité se définit aussi négativement.
C'est ce groupe de personnes qui ne correspondent pas aux canons
de la société, à l'étalon. Blanc, occidental,
cadre, vivant en milieu urbain. Ceux qui n'y correspondent pas ou
refusent d'y correspondre. Le devenir révolutionnaire passe
par la prise de conscience de son caractère minoritaire.
D'où un très fort attachement de Deleuze et Guattari
à la linguistique . D'abord parce que le langage est aussi
le premier lieu de transmission des fascismes, des oppressions tant
au niveau de l'Etat qu'au niveau individuel.
Mais Deleuze et Guattari insistent surtout sur l'importance des
langues mineures. Prenant l'exemple de l'anglais argotiques des
noirs américains. Pas de langue majeure, pas de langue étalon.
Mais une évolution constante de la langue qui échange
et reçois des flux de ses multiples déviations.
La minorité dévie. En ce sens elle fait dévier
le reste.
La musique underground est un très bon exemple de conscience
de cette minorité. La créer et lui donner les moyens
de lutter. Créer une meute . Toujours en mouvement. A la
chasse. Deleuze et Guattari se basent énormément sur
des travaux d'artistes déviants ou 'pop' (Patti Smith, Burroughs,
Castaneda, Artaud), en ce sens qu'ils expriment un devenir révolutionnaire.
A nous de trouver le notre a nous de fuir et de faire fuir le système
qui nous entoure.
Le premier pas vers notre devenir artiste, devenir-schizo, devenir-cheval,
devenir-désir c'est bien sur le travail. Le travail qui permet
de faire d'une production de désir une production de réel.
Parce que la philosophie de Deleuze et Guattari n'est pas, contrairement
à ce qu'on à laissé croire un appel à
un hédonisme total, à la fête constante. c'est
un appel gai et spirituel, mais assez grave, au militantisme à
l'échelon individuel, à l'opposition et à la
liberté des consciences.
Expérimenter : la vie comme une oeuvre d'art.
Machine désirante. Toute machine produit. Notre inconscient
produit du désir. L'expérimentation s'oppose à
l'interprétation psy. Le titre anti-oedipe montre bien cette
volonté de sortir de la vision réductrice de l'inconscient,
de libérer les forces qui s'y trouvent. Votre inconscient
produit du désir. C'est une machine à désir,
qui connectée à d'autres machines, réelles
celles la, produira du réel. Alors expérimentez, laisser
agir vos idées les plus folles, suivez votre folie, tâtonnez
avec elles, trouvez vous, votre devenir en expérimentant
autour de votre production de désir. Pensez à la musique,
à la peinture, à l'art en général. Il
ne s'agit que de connecter des machines " réelles "
(on emploiera plutôt le terme "machine technique "
comme le pinceau, l'ordinateur, l'instrument de musique, la caméra,
le stylo) à votre machine inconsciente.
Changer de route, " trouver sa voie ", c'est permettre
à la production de désir de devenir production de
réel, c'est connecter la machine désirante à
une machine technique. L'art en est la manifestation la plus évidente
; l'oeuvre d'art c'est l'image la plus fidèle, la meilleure
représentation qu'on se fasse d'une production venue tout
droit de l'inconscient. L'Oeuvre d'art s'obtient par la médiation
faite par la machine technique qui permet de retranscrire la vue
de l'esprit. Il en est de même dans tous les domaines d'activités
que votre désir voudra bien vous proposer.
Deleuze et Guattari proposent simplement de suivre le précepte
de Foucault, " la vie comme une oeuvre d'art ". Comme
produit de votre inconscient, comme suite de vos désir. Laisser
aller le schizo qui est en nous.
Fort bien. Mais qu'y a t il de politique la dedans ? Et bien le
politique, c'est tout ce qui nous sort du théâtre familial,
c'est l'action sur le réel dés lors qu'elle tend à
s'émanciper du système dans lequel elle évolue.
Mais cela ne suffit certainement pas. La famille c'est pas si mal
me direz vous. Suivre ses désirs c'est aussi suivre ses pulsions
ataviques, fascistes nazi etc. Et surtout combien suivent leur désirs,
agissent sur le réel pour finalement simplement reproduire
le système capitalisme/marche a leur échelle le conformisme
ambiant (la plupart des écrivains français, les groupes
de rock qui reprennent les stray cats, les scientifiques sans imagination
etc.) ?
Parce que agir sur soi, produire du désir et produire à
partir de son désir ne suffit pas. Encore faut il s'écarter
du système dans lequel on baigne. Tenter de ne pas le recréer
par nos différents agissements.
Deleuze et Guattari proposent plusieurs concepts qui s'appliqueront
autant au parcours individuel, à la vie de chacun qu'à
une oeuvre d'art. L'oeuvre et la vie peuvent être confondues
parce que l'une et l'autre sont des expérimentations basées
sur les vues de l'esprit, sur le désir. Nous nous façonnons
nous même comme est construit l'oeuvre par remise en cause
constante avec comme but ultime de retranscrire le mieux possible
la vue de l'esprit, la production inconsciente. Et quoi de plus
indépendant, personnel, émancipé qu'une oeuvre
d'art ? La déterritorialisation et la ligne de fuite, ce
sont les gages de l'indépendance d'une oeuvre. Des préceptes
à suivre pour soi.
Ligne de fuite et déterritorialisation.
Déterritorialisation. Changer de territoire. Aussi bien au
niveau métaphorique (territoire des idées) qu'au niveau
réel (déménager). Celui qui se déterritorialise
doit se reterritorialiser quelque part. On abandonne le territoire
(avec ses règles, ses contraintes, ses microfascismes : le
territoire c'est la terre déjà appropriée)
sur lequel on évolue. Pour aller trouver une terre (encore
vierge) sur laquelle on placera sa petite machine a soi (reterritorialisation).
C'est créer un nouveau territoire, qui donc soi hors de portée,
hors des façons de faire du capitalisme. De même, on
quitte la famille pour rejoindre une meute. La meute de ses amis
(les amis c'est ceux avec qui on a pas besoin de parler, pas besoin
de s'expliquer sur les choses importantes, ceux avec qui cela va
de soi), la meute militante sur un point de vue politique, ou la
meute des artistes (la scène musicale etc.).
On quitte le territoire familial, le territoire capitaliste pour
sa meute, le groupe de ces gens avec qui l'on se retrouve, avec
qui on peut créer une alternative au système.
Deleuze et Guattari admettent bien sur l 'échec de mai 68
qui n'a finalement pas vraiment changé la société.
Des accords de Grenelles et l'argent avait muselé tout ca.
Mais pourtant c'est sur le plan des devenirs individuels que les
choses ont changé. Ce mouvement de masse, a crée/exprimé
chez beaucoup un devenir-révolutionnaire individuel.
C'est là le message. La plus important est de se changer
soi, d'agir en fonction de notre production de désir pour
suivre nos devenirs révolutionnaires ; pas de devenir révolutionnaire
sans une détéritorialisation justement. En 68 , on
a assisté à nombre de ces Déterritorialisations.
Déteritorialisation par des prises de consciences, des ouvertures
vers d'autres façon de voir les choses. Déteritorialistaion
par les manifestation, débats, AG qui ont permis là
encore de se trouver un autre type de groupe que les traditionnels
Etat, famille travail (désolé pour le cliché).
Pensée soixante huitarde ? Peut être, ca n'empêche
pas sa grande actualité. La tribu revient au goût du
jour. L'internet la révèle en lui permettant de s'exprimer.
Plus les genre de musiques (les familles et sous familles musicales
croissent de manière exponentielle), d'activismes se diversifient,
refusent les schémas ancien (les révoltes de sans
papiers, le bouillonnement intellectuel actuel refuse les schémas
d'actions des partis traditionnels), plus on donne raison à
Gilles Deleuze et Félix Guattari.
C'est sur un plan individuel (atomique) que les choses doivent
d'abord se passer ( Deleuze et Guattari disent d'ailleurs s'être
deterritorialisé et reterritorialisé l'un dans l'autre
pour écrire leurs ouvrages. Pas deux pensées superposées
mais deux pensées imbriquées). Un devenir révolutionnaire
s'exprime. La machine désirante se connecte à des
machines techniques, et l'on agit sur le réel. Sortir un
disque, un journal, peindre, faire du théâtre, militer
; philosopher, écrire...tout cela est une production de la
machine désirante. Il y a devenir révolutionnaire
lorsque le chemin tracé prétend sortir ou aller contre
le système général, la société
en place. Trouver une alternative. L'underground musical est un
rassemblement de devenirs révolutionnaires, un enchevêtrement
de meutes qui chassent simultanément et séparément.
Sortir du système c'est ouvrir des lignes de fuites.
On crée des lignes de fuite. Prenez ce terme comme le terme
photographique. Ligne de fuite comme la ligne qui nous transporte
hors du cadre, nous déterritorialise. Mais pas seulement.
Ligne de fuite surtout comme la fuite d'eau ou d'air. Faire fuir
le système, le faire suer par tous les pores. Parce qu 'helas,
on voit souvent des lignes de fuites mener a d'autres petits systèmes
qui recréent en miniature le système général
(combien de scène musicales pourries par l'argent etc. ?).
Or la fuite doit juste permettre aux autres de fuir. Lignes de fuite
qui vident le système, mais surtout qui ne lui permettent
pas de prendre place sur les nouveaux territoires créés
(prenons l'exemple du punk : une fuite au début pour finalement
y revoir les même schémas rock-majors traditionnels,
prenons l'exemple d'une bonne partie de la scène techno qui
devient une " industrie ").
Il y a quelque chose de profondément guerrier dans cette
idée de fuite, la fuite comme une agression au système,
une violence qu'on lui ferai, seul moyen de le percer, de s'en échapper.
Revenons à cet exemple du punk. Une possibilité de
fuite pendant quelque mois, un nouveau territoire, un appel a l'expérimentation.
Puis une récupération.
Le punk offre alors au système capitaliste une nouvelle ouverture,
ajoute son territoire au sien. Mais certains des punk ont fui et
crées de nouveaux territoires, font fuir le système
: new wave, hard core, straight edge, collectifs musicaux comme
the Ex ou dog faced hermans...Et ainsi de suite, chaque individu,
chaque groupe faisant de son territoire une nouvelle place du système
général, ou réussissant à lui imposer
sa personnalité, sa production désirante.
La psychanalyse et la politique dans le même sac. Ou l'influence
de chaque individu sur le champ social en général,
et l'influence du champ social sur chaque individu. Des échanges
constant. Où le premier moyen d'action est donc l'expression
de ce devenir révolutionnaire, la production de désir.
Le second niveau est au niveau moléculaire (connexion de
plusieurs personnes comme des " atomes sociaux ") avec
la meute ou chaque personne s'intègre. C'est la multiplication
de ces lignes de fuites qui permettra une action molaire (assemblage
de nombreuses molécules) , plus globale.
Dés lors les choses progressent. L'art rejoint la politique.
Non pas que les chansons doivent être engagées. Il
ne s'agit pas de faire des oeuvres de " gauche ". Ce serait
ridicule. Mais qu'elles doivent créer des lignes de fuite.
Permettre une déterritorialisation est un acte politique.
L'oeuvre personnelle, qui fait fuir le système (on notera
que très vite on ne cherche pas a faire fuir le système
capitaliste général, ou même à révolutionner
la musique, non, on fait fuir le système dans lequel on évolue
: créer une nouvelle façon de faire de l'indus, une
nouvelle manière de voir l'ambient etc. Redonner un peu de
vigueur au territoire artistique que l'on s'est choisi) permet a
celui qui la découvre de trouver sa ligne de fuite. Son devenir
révolutionnaire. L'exemple de la musique est vraiment le
plus frappant parce qu'on y trouve toutes les tentatives de fuites,
les récupérations, les réussites, on y trouve
le système capitaliste dans toute sa splendeur et les nombreux
sous systèmes, d'abord crées par des lignes de fuites
puis devenus eux même une nouvelle excroissance du système
capitaliste, comme, mettons, la musique grunge. Rater sa fuite c'est
agrandir le champ d'action du système global. C'est ce que
Deleuze et Guattari reprochent à une bonne partie de la littérature
française nombriliste et persuadée d'une mission supérieure
: souvent retournée vers sa petite affaire privée.
On ne devrait pas écrire pour les pauvres, les SDF, les homos
: on devrait écrire à leur place. Non pas qu'ils ne
peuvent pas le faire. Mais parce qu'on exprime un devenir, on prend
leur place. On leur ouvre la brèche. Ouvrir la brèche
c'est créer un autre langage, ou plutôt d'autres codes
que le langage. Détourner le langage, chercher l'expression
d'intensités, c'est à dire produire du sens au delà
du langage, au delà (ou au dehors) des lignes du textes.
L'intensité c'est quand le désir se transmet. On transmet
son désir bien au delà du langage par l'expression
d'intensité. Car ce que nous retenons d'un livre ou d'un
disque va bien au delà des mots qui y sont imprimés
ou de l'organisation des notes. Nous en retenons l'émotion,
la capacités à transmettre ce désir, les intensités
qui y sont développées. L'écriture de Deleuze
et Guattari est d'ailleurs largement ouverte, joue avec le langage,
crée des mots pour laisser au lecteur la possibilité
d'expérimenter ce qu'il lit.
S'impliquer, s'appliquer à faire fuir le système
a ouvrir sa brèche, sa ligne de fuite qui permettra à
d'autre d'ouvrir la leur. D'où la nécessité
du mouvement pour fuir et faire fuir, être en mouvement, se
déterritorialiser, c'est déjà un peu faire
la guerre.
Car l'immobile se complaît de nouveau dans son système.
Et recrée déjà le système capitaliste,
qui ne se connaît pas d'autre limites que celles que chacun
lui assigne. Deleuze et Guattari pensent que l'état est une
machine politique, administrative soutenue par une machine "abstraite
", un socle conceptuel qui lui permet d'asseoir sa domination
(on retrouvera la dessus le écrits de Michel Foucault sur
les rapports très imbriqués entre pouvoir et savoir).
Par contre, la machine de guerre n'appartient pas à l'Etat.
L'Etat se l'est simplement appropriée. La machine de guerre
est à l'origine nomade, ce sont les tribus qui la détiennent.
Tout nomade n'est pas guerrier, mais tout guerrier est nomade. Et
surtout la guerre ne se définit plus par la boucherie sanglante
que l'on connaît sous ce nom. La guerre c'est avant tout la
confrontation du nomade avec les sédentaires, de ceux qui
se déterritorialisent avec ceux qui ceux qui s'arrogent les
terres. Il existe donc une guerre sans arme, que les nomades pratiquent
depuis toujours. Une guerre a laquelle nous sommes invités
à participer. S'opposer au système c'est être
nomade, créer le mouvement, être en mouvement. Sur
la route de ses devenirs, la route tracée par nos production
de désir.
OUF. Vous avez tout lu ? Passez vites aux originaux. Deleuze et
Guattari détestaient le commentaire, la réduction,
le massacre. On ne leur a pas rendu service ! Sauf si vous vous
y mettez. A leur langages, leur néologismes, leur mauvaise
foi, à la poésie, la gaité et la sérénité
qui transpirent de toutes leur pages. Libérateur, et jouissif
en un mot comme en cent.
Guillaume Ollendorff.
27 Juin 1997
Envoyez moi votre bile, vos commentaires ou juste un petit mot :
gyom @ club-internet.fr
Biblio :
Gilles Deleuze et Claire Parnet : Dialogues.
Gilles Deleuze: Pourparlers.
Gilles Deleuze et Felix Guattari : l'anti-oedipe
Gilles Deleuze et Felix Guattari: Mille plateaux
Giles Deleuze : présentation de Sacher Masoch.
Gilles Deleuze et Felix Guattari: Qu'est ce que la philosophie?
Ce texte est paru dans le dernier numéro du fanzine FEARDROP.
Il n'est présent dans le pli de la vague que de manière
provisoire.
Il doit déménager bientot sur: www.dotmov.com
Origine : http://www.lipsheim.org/deleuze.htm
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