|
Origine : http://www.feministes.net/wittig_pensee_straight_resume.htm
Site feministe.net : http://www.feministes.net/
- Monique Wittig : "La pensée straight" -
Soulignons d’emblée que ce livre n’est pas d’un abord évident. Le
vocabulaire employé et les concepts développés nécessitent sans aucun
doute une culture et des connaissances que je ne possède pas. Je serais
donc très reconnaissante à celles et ceux qui auraient pu lire ce
livre ou connaître les théories de Monique Wittig, de me signaler
les erreurs d’interprétation ou omissions que j’ai pu faire.
L’édition résumée est celle publiée par Balland en 2001.
Chaque commentaire personnel sera en italique pour ne pas nuire à
la clarté du texte.
Introduction par Monique Wittig en 2001
L’hétérosexualité est un régime d’esclavagisation des femmes. Pour
elle, les femmes ont comme seules solutions d’être esclaves et de
renégocier pied à pied l’hétérosexualité ou d’être des fugitives comme
les lesbiennes. Elle compare ainsi les lesbiennes aux esclaves marrons
aux USA. Il n’y a pas d’évasion possible puisque il n’existe pas de
lieu où l’hétérocentrisme ne règne pas.
Wittig cite ensuite celles qui l’ont influence dans sa réflexion.
- Nicole-Claude Mathieu qui a été la première à considérer les femmes
comme une entité anthropologique à part.
- Christine Delphy qui a établi les termes de féminisme matérialisme
et montré l’obsolescence du marxisme qui ne tenait pas compte du travail
invisible effectué par les femmes.
- Colette Guillaumin a défini les formes d’oppression des femmes ;
l’appropriation privée par un individu (mari ou père) et l’appropriation
collective de tout le groupe des femmes, par la classe hommes. On
appelle ceci le "sexage", en référence au servage. Les femmes, même
les célibataires, sont ainsi au service de la communauté des hommes,
en soignant ainsi les plus malades ou les plus faibles.
- Paola Tabet montre que certaines femmes se font l’objet d’une appropriation
collective, comme les lesbiennes et les prostituées, mais pas d’un
appropriation privée.
- Sande Zeig souligne que les effets de l’oppression sur le corps
sont nées des mots qui les formalisent.
La révolution d’un point de vue : Louise Turcotte
Turcotte souligne combien la pensée de Monique Wittig est transversale
et s’occupe tant de littérature, que de politique et de théorie.
Elle rappelle combien, en 1978, la phrase de Monique Wittig "les lesbiennes
ne sont pas des femmes" a scandalisé les féministes, même les plus
radicales. Turcotte souligne en effet que toutes les luttes féministes
s’étaient établies du "point de vue des femmes". Les féministes ont
en effet lutté contre le patriarcat en tant que système fondé
sur la domination des femmes par les hommes mais jamais elles n’avaient
interrogé les classes "hommes" et "femmes". C’est ainsi que les lesbiennes
prennent tout leur sens puisque si les catégories hommes et femmes
ne peuvent exister l’une sans l’autre, les lesbiennes n’existent que
par et pour les femmes. C’est ainsi que Wittig remet en cause l’hétérosexualité
que n’avait jamais contesté les féministes.
Les lesbiennes séparatistes avaient déjà interrogé l’hétérosexualité
en la critiquant en tant qu’institution politique. Mais elles s’étaient
plutôt tournés vers une vision essentialiste en développant des valeurs
spécifiquement lesbiennes. Pour Wittig et Turcotte, il ne s’agit pas
de créer une classe "lesbiennes"» qui serait du repli sur soi. Il
s’agit plus d’utiliser leur position stratégique pour détruire le
système hétérosexuel.
Rappelons que la pensée majeure de Wittig est de situer les
lesbiennes dans un continuum de résistance propre aux diverses formes
d’oppression. Les lesbiennes ont en effet une place spécifique à l’intérieur
de la classe "femmes" et sont donc une faille dans le régime politique
qu’est l’hétérosexualité. Wittig vise l’abolition du genre, du sexe
mais pas leur transgression.
Wittig La politique
Il s’agît d’un chapitre écrit par Marie–Hélène Bourcier qui a traduit
nombre de chapitres du présent livre. Elle raconte sa rencontre avec
un des personnages d’une pièce de Wittig. On peut supposer qu’elle
interroge donc Wittig, elle même.
L’explication de "straight" est donnée ; on pourrait le traduire
par hétéronormatif. Wittig souligne combien l’hétérocentrisme est
présent dans tous les domaines de la société.
Une notre infrapaginale rappelle la rupture qu’il y a eu en 1980 dans
Questions féministes. En 1981, l’association loi 1901 Questions
féministes se dissoudra à cause des dissensions entre hétérosexualité,
féminisme et lesbianisme. Nouvelles questions féministes sera
créé en 1981 et les lesbiennes radicales publieront aux USA dans Feminist
Issues.
Wittig montre que, comme le marxisme qui a montré ses limites en ne
s’interrogeant que sur la lutte des classes, le féminisme ne peut
pas s’interroger uniquement sur l’oppression de genre ou de sexe.
Les lesbiennes noires des années 80 ou les féministes chicana actuelles
ont ainsi lutté contre la sororité indifférenciée du féminisme.
Il est ainsi souligné que dans les années 70, on pouvait être lesbienne
féministes - l’ordre des termes en montre l’importance -mais
pas s’affirmer comme lesbienne politique.
La conversation se termine en signalant que Wittig a toujours pris
comme un compliment le fait d’être traitée de "sale gouine" ou de
n’être pas considéré comme une femme. Les lesbiennes ne sont pas des
femmes et n’ont pas à le devenir.
Wittig cite ainsi Karl Marx et Friedrich Engels "Les pensées de la
classe dominante sont aussi, à toutes les époques les pensées dominantes,
autrement dit la classe qui est la puissance matérielle dominante
de la société est aussi la puissance dominante spirituelle." (1) Elle
veut ainsi montrer que la domination sur les femmes est constituée
d'un réseau serré de faits, de pensées, de données qui affectent notre
vie toute entière.
Cela nous apprend ainsi :
- avant toute société, toute pensée, il y a deux "sexes" qui ne sont
en faits que des catégories d'individus nés avec une différence constitutive,
différence aux conséquences métaphysique.
- avant toute société, tout ordre social, il y a des sexes qui sont
"naturellement" ou biologiquement différents. Cette différence a des
conséquences sociologiques.
- avant toute pense et tout ordre social, il y a une division "naturelle
du travail dans la famille", qui n'est rien d'autre que la division
du travail dans l'acte sexuel (approche marxiste).
On voit ainsi qu'on se sert d'une différence physique naturelle pour
fonder une domination qui ne peut être que sociale ; la domination
ne pouvant être naturelle.
La catégorie de sexe est une catégorie politique et fonde la société
hétérosexuelle. Wittig ne parle pas ainsi d'individus mais de "relations".
Les catégories "hommes" et femmes" n'existent que parce qu'ils ont
établi des relations entre eux. Cette catégorie de sexe établit comme
naturelle l'hétérosexualité par laquelle les femmes sont soumises
à une économie hétérosexuelle : elles doivent ainsi faire perdurer
cette société par l'obligation absolue de reproduction et les travaux
associé par "nature" à la reproduction : l'éducation des enfants et
les travaux ménagers. Notons comme il est caractéristique qu'une
femme qui élève ces enfants dit souvent qu'"elle ne travaille pas".
Cette appropriation du travail des femmes par les hommes procède du
même mécanisme que l'appropriation du travail des ouvriers par la
classe dominante. On ne peut faire croire que cette appropriation
est naturelle puisque nous n'avons pas d'exemple de reproduction de
la société en dehors de son contexte d'exploitation.
La catégorie de sexe permet donc aux hommes de s'approprier pour eux-mêmes
la reproduction et la production des femmes mais aussi leur personne
physique via le contrat de mariage. La femme a ainsi certaines obligations
comme le travail non rémunéré, la cession de sa reproduction mise
au nom du mari (les enfants qui portent le nom du père), le coït forcé,
la cohabitation jour et nuit et l'assignation à résidence comme le
suggère la notion juridique d'abandon du domicile conjugal. Dans la
règle qu'observe souvent la police de ne pas intervenir quand une
femme est battue par son, mari, cela montre combien la femme dépendant
directement de son mari. s'il s'agissait d'un citoyen frappé par un
autre, la police interviendrait pour "coups et blessures". La femme
a donc cessé d'être une citoyenne ordinaire. On signale ainsi implicitement
que l'État n'a pas à intervenir dans des affaires privées ou l'autorité
du mari s'est substituée à celle de l'État.
Wittig souligne combien la catégorie de sexe colle aux femmes puisqu'elle
ne peuvent être conçues hors de cette catégorie. Les personnes exceptionnelles
dont on narre les exploits dans les journaux sont toujours rappelées
comme "femmes" avant tout.
Wittig conclue que la catégorie de sexe est une catégorie totalitaire
avec ses lois et formatrice de l'esprit. Elle considère donc qu'il
faut la détruire et penser au delà d'elle pour penser vraiment. Cela
régit l'esclavage des femmes par une opération prenant une partie
(le sexe, la couleur) pour le tout (la personne entière) , comme avec
les esclaves noirs.
On ne naît pas femme
Les femmes ne sont pas un groupe naturel c'est à dire "un groupe social
d'un type spécial : un groupe perçu comme naturel, un groupe d'hommes
considéré comme matériellement spécifique dans son corps". (2) L'existence
des lesbiennes montrent que les femmes ont été catégorisées de façon
politique par les hommes en un "groupe naturel". Wittig rejoint ainsi
Simone de Beauvoir "On ne naît pas femme, one le devient. Aucun destin
biologique, psychique, économique ne définit la figure que revêt au
sein de la société la femelle humaine ; c'est l'ensemble de la civilisation
qui élabore ce produit intermédiaire entre le male et le castrait
qu'on qualifie de féminin".(3)
Wittig récuse l'idée que la base de l'oppression des femmes est biologique
ou historique. Certaines féministes, en s'appuyant même sur Beauvoir,
soulignent que la civilisation a d'abord été matriarcale ; les femmes
fondaient la civilisation (par la procréation) pendant que les hommes
frustres et brutaux allaient à la chasse. Cette vision déplait à Wittig
car elle ne remet pas en cause l'hétérosexualité et remplace une oppression
par une autre (le patriarcat par le matriarcat). Cette vision reste
prise dans les catégories de sexe et dans l'idée que la femme est
intimement liée à la procréation. Je suppose que cette critique
peut s'appliquer à Françoise Héritier.
Le danger pour Wittig est de naturaliser l'histoire ce qui tendrait
à faire croire que les catégories hommes et femmes ont toujours existé
et existeront toujours. Certaines lesbiennes tendent d'ailleurs à
adhérer à cette théorie comme Andrea Dworkin "Les femmes et les hommes
appartiennent à des espèces ou des races (les deux mots sont utilisés
de façon interchangeable) différentes ; que les hommes sont inférieurs
aux femmes sur le plan biologique ; que la violence masculine est
un phénomène biologique inévitable".(4)
En naturalisant l'histoire, on naturalise donc les faits sociaux marquant
l'oppression des femmes ce qui les rend impossibles à changer. Wittig
prend pour exemple la procréation qu'on considère comme naturelle
sans penser qu'elle est forcée, organisée (démographie) et que c'est
la seule activité sociale, hormis la guerre, qui présente un tel danger
de mort.
Wittig montre que ce que nous prenons pour l'origine et la cause de
l'oppression n'est en fait que la "marque" que l'oppresseur a apposée
sur nous. Colette Guillaumin montre ainsi que le concept de race,
dans son acception moderne, n'existait pas avant l'esclavage. C'est
ainsi qu'aujourd'hui race et sexe nous apparaissent comme une donnée
immédiate et appartenaient à un ordre naturel. Ce n'est pas une perception
directe mais une construction directe alors que ces traits sont aussi
indifférents que les autres pour désigner un individu. ex elle est
vue comme femme donc elle est femme. Je dirais qu'on s'est un peu
séparé des catégories de race mais pas du tout de celles de sexe.
Wittig souligne ainsi que l'insulte courante envers les lesbiennes
"tu n'es pas une vraie femme" montre bien qu'il faut se construire
pour en être une "vraie". elle déplore aussi que tout un courant féministe
et également lesbien tende à vouloir être de plus en plus féministes.
Refuser d'être femme ne veut pas dire pour autant être un homme !
Elle souligne de toute façon qu'il est impossible pour une femme d'être
un homme, du moins psychiquement, puisqu'elle ne saura pas d'emblée
ce que c'est que d'avoir un droit sur les femmes. L'oppression vécue
par les lesbiennes consiste donc à mettre hors de leur atteinte les
femmes qui sont réservées aux hommes. Une lesbiennes est donc condamnée
à être une non-homme, une non-femme.
Wittig souligne combien les féministes se sont réappropriées l'idée
"c'est merveilleux d'être une femme" alors que dés 1949, Beauvoir
avait souligné le danger a se réapproprier les mythes positifs entourant
les femmes. Reprendre à son compte les meilleurs traits dont l'oppression
nous a gratifié c'est ne rien remettre en cause et ne pas interroger
les catégories de sexe. Cela nous fait lutter dans la classe femmes
non pas pour la faire disparaître mais pour la renforcer. Wittig souligne
l'ambiguïté du mot féministe qui montre qu'on lutte pour les femmes
(et donc pour le renforcement du mythe entourant les femmes). Wittig
souligne que ce mot a été choisi pour établir une continuité dans
l'histoire avec les pionnières du mouvement.
Pour Wittig, il faut tendre à supprimer la classe homme, par une lutte
de classe politique. Si celle ci disparaît, celle des femmes disparaître
car il n'y a pas d'esclaves sans maître.
Wittig parle ensuite du marxisme et montre que les femmes ont été
noyées dans les classes bourgeoises ou prolétaires sans pour voir
constituer leur propre classe.
En s'appuyant sur Christine Delphy, elle montre qu'il faut d'abord
se rendre compte que chaque problèmes individuel dépend des problèmes
liés à la classe et non à l'individu. L'avènement des sujets individuels
ne pourra être trouvé qu'après avoir détruit les catégories de classe.
Elle montre que détruire LA femme n'est pas détruire le lesbianisme
car c'est le seul concept qui soit au delà des catégories de sexe.
La lesbienne n'est pas une femme, ni idéologiquement, ni politiquement,
ni socialement puisque la femme n'existe que par ses relations à un
homme. Les lesbiennes sont donc des transfuges à leur sexe.
La pensée straight
Wittig souligne l'importance qu'a pris l'étude du langage. Elle parle
ensuite du langage symbolique qui fonctionne à partir de très peu
d'éléments. Elle ironise sur le fait que l'inconscient est censé se
structurer quasi automatiquement à partir des symboles du langage
symbolique : castration, œdipe, mort du père, échange des femmes.
Elle constate que seuls des spécialiste sont en droit de déchiffrer
l'inconscient et que les langages interprétant ses symboles sont extrêmement
riches. Pour Wittig Lacan a trouvé dans l'inconscient les structures
qu'il dit avoir trouvées puisqu'il les a lui même mises. elle déplore
qu'on entende que la parole des psychanalystes et pas des psychanalysés.
Pour elle, le psychanalyste est un oppresseur face au psychanalysé
qui est un oppressé. Wittig se demande alors si ce besoin des communiquer
des psychanalysés ne peut se trouver que dans la psychanalyse. Elle
constate aussi que les homosexuels, les lesbiennes et les femmes qui
sont venues à la psychanalyse ont opéré une rupture du contrat psychanalytique
dés qu'ils se sont aperçus que ce n'étaient pas eux qui étaient "malades"
mais que leur état venait plus d'un état de choses général.
Wittig souligne la violence du discours hétérosexuel pour les lesbiennes
et les hommes homosexuels. Elle explique ensuite ce qu'est la "pensée
straight" en référence à la "pensée sauvage" de Levi-Strauss. Il s'agit
des concepts de femme, d'homme, de différence qui marquent l'histoire,
la culture. Elle souligne qu'il reste au sein de la culture un noyau
soit disant naturel qu'on se refuse à examiner, c'est à dire la relation
hétérosexuelle ou relation obligatoire entre l'"homme" et la "femme".
la pensée straight va ainsi interpréter de façon totalisante l'histoire,
le langage, la culture et les sociétés. Elle a une tendance universalisante
dans sa production de concepts. On va ainsi former des lois générales
valant pour toutes les époques, tous les individus, toutes les sociétés
: l'échange des femmes, la différence des sexes, l'inconscient,
le désir, la culture. Ces catégories n'ont de sens pour
Wittig que dans l'hétérosexualité ou pensée de la différence des sexes
en tant qu dogme philosophique et politique.
La société hétérosexuelle est fondée sur la nécessité de considérer
certains autres comme différents : les hommes homosexuels, les lesbiennes,
les femmes mais aussi de nombreuses catégories d'hommes. celui qu'on
présente comme différent sera contrôlé et dominé.
Le concept de différence des sexes montrent les femmes en autres
différents. Les hommes ne sont pas différents. Les noirs le sont
en revanche.
Pour Wittig, il ne peut plus y avoir de femmes ou d'hommes en tant
que classes et en tant que catégories de pensées et de langages. Les
lesbiennes et les homosexuels ne doivent plus se percevoir en tant
qu'hommes et femmes ce qui contribuent au renforcement de l'hétérosexualité.
Wittig s'intéresse à l'inconscient structural et montre qu'il fait
appel à des nécessités échappant au contrôle de la conscience comme
part exemple les processus exigeants ordonnant et exigeant l'échange
des femmes comme condition nécessaire à toute société. Elle ne s'étonne
donc pas qu'il y ait un inconscient et qu'il soit hétérosexuel, veillant
aux intérêts des maîtres. Wittig pense qu'il vaut traquer le "cela-va-de-soi"
hétérosexuel et montrer combien le structuralisme, la psychanalyse
et plus particulièrement Lacan ont rigidifié les concepts pour mieux
hétérosexualiser. Or que signifie l'échange des femmes sinon la domination
? Pour Wittig, l'inconscient est donc hétérosexuel et au service des
dominants.
A propos du contrat social
Wittig rappelle que Marx et Engels se sont élevés contre le contrat
social parce qu'il est en opposition avec la nécessité de la lutte
des classes. Pour eux, le "contrat social" s'applique aux serfs dans
la mesure où il implique une idée de choix individuel et d'association
volontaire. Les serfs ont en effet fui un par un et se sont ensuite
associés pour former des bourgs (et sont ainsi devenus les bourgeois).
Pour Wittig les femmes sont semblables aux serfs : elles sont corvéables
à merci, attachés à une terre (la famille) et ne peuvent s'arracher
à l'ordre hétérosexuel qu'en le fuyant une par une. Pour elle la structure
de notre société est en effet féodale.
Wittig réfléchit ensuite au contrat social. La promesse du contrat
social de s'accomplir pour le bien de tous ne s'est pas accomplie
historiquement et garde donc sa dimension d'utopie. De Rousseau :
"Trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la
force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle
chacun s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui même et reste
aussi libre qu'auparavant".
Pour Wittig, ce qui doit être rompu, c'est le contrat d'hétérosexualité
en tant que tel qui faisait sans doute partie du contrat idéal de
Rousseau.
Wittig revient sur la pensée aristotélicienne, de Hobbes et Locke
pour souligner qu'ils pensaient que "le droit, c'est la force". Pour
Aristote, en particulier, l'accord des membres n'était pas nécessaire.
Elle signale que Rousseau est le premier à considérer qu'une société
pour bien fonctionner, ne doit pas s'appuyer sur la raison du plus
fort.
Wittig souligne qu'il y a une certains nombres de choses qu'on doit
faire : être une femme, être un home, se marier, faire des enfants,
les élever. Pour elle, les deux termes de contrat social et d'hétérosexualité
sont superposables. Vivre en société c'est vivre en hétérosexualité.
Wittig souligne la difficulté à saisir l'hétérosexualité dans sa réalité,
sinon dans ses effets et dont l'existence réside l'esprit des gens
d'une façon qui affecte leur vie tout entière, la façon dont ils agissent,
leur mode de pensée. En tant que mot, il n'a existé qu'au début du
20eme siècle quand on a parlé d'homosexualité et en Allemagne à la
fin du 19eme siècle.
Avant cette période, l'hétérosexualité allait tellement de soi qu'elle
n'avait pas de nom. C'est le contrat social, un régime politique,
une institution dont on ne parle pas. Pour Wittig il y a un présupposé
du social avant le social : les hommes entrent dans l'ordre social
comme des êtres déjà socialisés, les femmes restent des êtres naturels.
Lévi-Strauss raisonne ainsi sur des systèmes invariants comme sa théorie
sur l'échange des femmes. La littérature anthropologique foisonne
ainsi de mères, sœurs, pères etc. ce qui semble souligner qu'on n'est
rien si on n'appartient pas à un de ces groupes. Wittig montre que
le cynisme de Aristote est plus acceptable puisqu'il dit que les choses
doivent être ainsi :"Le premier principe est que ceux qui sont
inefficaces l'un sans l'autre doivent être réunies dans une paire.
Par exemple, l'union mâle femelle." Elle souligne que cette paire
a assis la relation gouvernant/gouverné.
Lévi-Strauss a dessiné l'idée d'un contrat social entre les hommes
dont les femmes sont exclues. Chaque fois qu'il y a échange, il y
a entre les hommes confirmation d'un contrat d'appropriation de toutes
les femmes.
Wittig souligne enfin que Rousseau a montré que le contrat social
est à réfléchir tant qu'il ne satisfait pas chacun. Il faut donc rompre
le contrat social hétérosexuel si on n'y consent pas.
Homo sum
Historiquement et philosophiquement, "humain" a toujours désigné les
hommes blancs propriétaires des moyens de productions. Pour Wittig,
une lesbienne, qui se tient à l'avant pose de l'humain représente
peut être paradoxalement le point de vue le lus humain. Cette idée
(critiquer une société à partir d'un point de vue extrême) n'est pas
nouvelle :Marx et Engels l'ont déjà évoquée.
Évocation de la lutte des classes : Marx et Engels ont réduit les
conflits à deux termes : les capitalistes qui détiennent les moyens
de productions et les prolétaires qui fournissent le travail, la forme
de travail et qui sont les producteur de la plus-value. Antisémitisme,
racisme et sexisme ne sont pour eux que des "anachronisme du capital"
c'est à dire qu'ils se résoudraient après la prise du pouvoir par
le patriarcat. Pour Wittig ces anachronismes peuvent être décrits
comme un paradigme d'oppression transversal à toutes les "classes"
marxistes. Le marxisme n'ayant pas montré son efficacité au niveau
historique ; ces classes se sont figées et les anachronismes n'ont
pas disparu.
Il convient donc selon Wittig de remontre plus avant et d'étudier
comment les oppositions se sont formés soit en étudiant Aristote et
Platon. Les premiers philosophes grecs étaient monistes c'est à dire
qu'il n'y avait pas de divisions dans l'Être. L'Être en tant qu'être
était un. selon Aristote c'est à l'école pythagoricienne qu'on doit
la division dans le processus de la pensée et donc dans la pensée
de l'Être. Ils ont donc introduit la dualité dans la pensée. Voir
la table des contraires présentée par Aristote dans La métaphysique,
Livre I, 5,6.
Limité |
Illimité |
Impair |
Pair |
Un |
Plusieurs |
Droite |
Gauche |
Mâle |
Femelle |
Immobilité |
Mouvement |
Droit |
Courbe |
Lumineux |
Lumineux |
Bon |
Mauvais |
Carré |
Rectangulaire |
Les expressions en italique relèvent du jugement et de l'évaluation
et non plus, comme les autres, des outils nécessaires à la division.
Mathilde
Notes
1. Karl Marx et Friedrich Engels, L'Idéologie allemande, Paris, Éditions
Sociales, 1974, p 86.
2. Colette Guillaumin "race et nature : Système des marques, idée
de groupe naturel et rapport sociaux", Pluriel, n°11, 1977.
3. Simone de Beauvoir, le deuxième sexe, Paris, Gallimard, 1949, T.
II, p. 15.
4. Andrea Dworkin, "Biological superiority, The world's most dangerous
and deadly idea", Heresies n°6, 46, 1979.
|
|