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Origine : http://bellaciao.org/fr/spip.php?article42741
12 février 2007
"Pour paraphraser la socialiste révolutionnaire allemande,
Rosa Luxembourg, nous pouvons dire aujourd’hui que le 21è
siècle sera "ou l’instauration du droit, ou la
loi de la jungle". Il semble que pour la première décennie,
ce sera la loi de la jungle."
Sur le plan moral, l’histoire ne reste jamais immobile :
si elle ne bouge pas vers moins d’oppression et plus de justice,
elle bouge vers moins de droits et plus de barbaries. Pour paraphraser
la socialiste révolutionnaire allemande, Rosa Luxembourg,
qui avait prédit vingt ans avantl’arrivée du
nazisme, ce sera "ou le socialisme, ou la barbarie", nous
pouvons dire aujourd’hui que le 21ème siècle
sera "ou l’instauration du droit, ou la loi de la jungle".
Il semble, cependant, que pour la première décennie
de ce troisième millénaire, c’est la loi de
la jungle qui va dominer.
Dans un article publié il y a un mois dans Haaretz, le journaliste
et analyste israélien, Tom Segev, contestait l’idée
répandue que le contexte politique global de notre époque
est le pire que nous avons connu, disons, depuis 20 ans. Selon Segev,
la guerre, l’oppression et la destruction ont caractérisé
la réalité politique de notre planète pendant
les cinq dernières décennies, rien n’aurait
changé, ni qualitativement ni même quantitativement
dans un passé récent. Segev va même plus loin
prétendant que le « clash des civilisations »
n’est pas un phénomène nouveau, mais qu’il
aurait marqué les décennies précédentes
sous différentes formes.
Il n’y a aucun doute possible, les quatre décennies
qui ont suivi la Deuxième guerre mondiale n’ont pas
été pacifiques, pendant cette période, plus
de 76 millions d’êtres humains ont péri dans
des guerres, des révolutions et des répressions massives
par des dictatures [1]. Il est vrai aussi que durant les années
50, 60 et 70, le « Nord » a mené une guerre coloniale
contre le « Sud », et l’ « Ouest »,
une « guerre de civilisation » contre le bloc communiste
de l’Est.
Néanmoins, il y a une différence qualitative entre
la situation présente et les 40 années qui ont suivi
la victoire sur le fascisme. Trois facteurs principaux ont limité
les aspirations hégémoniques des USA après
la Deuxième guerre mondiale :
l’existence d’une superpuissance soviétique
;
la force d’un classe ouvrière organisée au sein
des pays impérialistes ;
les incidences du souvenir des horreurs du fascisme sur l’opinion
publique internationale et l’illégitimité perçue
de l’unilatéralisme, de l’agression armée,
etc.
En raison de ces facteurs, les grandes puissances ont été
forcées de manœuvrer sous la pression d’une opposition
politique énorme (mouvements anti-colonialistes, oppositions
démocratiques de masse) et ont constamment dû inventer
des prétextes pour donner une légitimité à
leurs guerres et à leurs actes de répression dans
le monde.
Cependant, 50 années après la victoire sur le fascisme,
ces contraintes ne s’imposent plus aux grandes puissances
impérialistes - aux USA en particulier. L’unilatéralisme,
les guerres « préventives », les aventures coloniales,
etc. sont de nouveau légitimés ou, plus précisément,
ne sont plus remis en cause d’une façon qui pourrait
sérieusement gêner leurs auteurs. En l’absence
d’une opposition puissante, la direction des néo-conservateurs
de l’Empire a pu se doter d’un nouveau « discours
global » qui, au moins en partie, a gagné l’opinion
d’un nombre important des victimes mêmes de l’Empire.
Les quatre principaux éléments de ce discours sont
:
est la preuve absolue que le capitalisme est le seul système
viable ;
la civilisation (occidentale) est menacée par un nouvel ennemi
mondial : le terrorisme ;
une guerre préventive permanente globale est nécessaire
pour protéger la civilisation des nouveaux barbares (terrorisme/Islam)
et de leurs alliés ;
dans cette guerre pour la survie de la civilisation, il n’y
a pas, et il ne doit pas y avoir, de limites : toutes les normes
et conventions des 50 dernières années passées
sont caduques.
Et en effet, dans sa croisade pour ce qu’elle appelle «
le nouveau Siècle américain », c’est-à-dire,
l’imposition par la force d’une hégémonie
totale de son Empire sous le prétexte superficiel d’une
« guerre contre le terrorisme », l’administration
US a déclaré sans intérêt toute contrainte
morale et règlementation internationales.
Déjà en 2003, George W. Bush avait annoncé
que les conventions de Genève étaient obsolètes
dans une guerre contre le terrorisme. Guantanamo a été
ouvert en violation non seulement de la loi internationale mais
aussi de la loi des Etats-Unis d’Amérique. Afin de
priver les terroristes présumés de toutes protections
et de tous droits, la même administration a décidé
d’inventer une nouvelle catégorie de détenus
: ni criminels, ni prisonniers de guerre, mais « terroristes
présumés ». La similitude entre les pratiques
américaines et israéliennes est étonnante :
déjà dans les années 70, les autorités
militaires israéliennes avaient annoncé, par la Cour
suprême israélienne aussi bien que dans les conférences
internationales, que dans le cas des Territoires palestiniens occupés
(OPT), les conventions de Genève n’étaient pas
applicables. De plus, depuis la fin des années 60, les prisonniers
politiques palestiniens étaient classés ni comme prisonniers
de droit commun ni comme détenus politiques ; et la «
prison secrète » découverte par l’avocate
Lea Tsemel, près du kibboutz Ma’anit, en 2003, est
l’identique de Guantanamo.
En plus, selon la direction néo-conservatrice américaine
et le gouvernement israélien, le but des guerres n’est
plus de gagner une bataille, de conquérir un territoire ou
de changer un régime, mais de détruire des Etats et
de démanteler des sociétés entières.
L’Etat d’Israël - mais aussi la grande majorité
de la société israélienne - a entièrement
intériorisé cette analyse néo-conservatrice
et la stratégie qui en découle. En fait, dans la dernière
décennie, Israël et Palestine ont été
le laboratoire d’une telle stratégie, les Palestiniens
en étant les cobayes. C’est le cas même au niveau
de l’armement comme le journal de gauche italien El Manifesto
l’a récemment confirmé en démasquant
l’utilisation de l’un des nouveaux et des plus barbares
types de bombes fabriquées aux Etats-Unis et employés
dans la dernière agression contre la population civile de
Gaza. La guerre israélienne contre les Palestiniens vise
nettement à détruire la société palestinienne
et à faire des Palestiniens une nation de tribus dispersées,
comme les Américains essaient de le faire en Afghanistan
et en Iraq.
En fait, toutes les guerres sont barbares mais la guerre israélienne
dans les Territoires palestiniens occupés (et son contexte
plus large, la guerre préventive sans fin contre le terrorisme)
représente une nouvelle étape de la barbarie moderne.
Bien que le terme de « génocide » ne soit pas
approprié, on peut adopter celui de « sociocide »
du professeur Salah Abdel Jawad, de l’université Bir
Zeid, ou le concept de « politicide » d’un sociologue
israélien. La terre originelle de la nation palestinienne
estactuellement volée par les « colonies légales
» et les « avant-postes illégaux » qui
provoquent de plus en plus de transferts : le mur atomise la société
palestinienne en cantons isolés ; la nouvelle législation
vise à limiter l’entrée de Palestiniens dans
les territoires palestiniens, ainsi que leurs possibilités
de se déplacer à l’intérieur de leur
propre territoire ; les représentants démocratiquement
élus de la population de Jérusalem ont été
expulsés de leur cité, et des dizaines de ministres
et membres du Conseil législatif ont été enlevés,
emprisonnés, pris comme otages pour un échange final
de prisonniers.
Le comble de tous ces maux, ce sont les horreurs à Hébron
où la population locale est soumise à un harcèlement
quotidien par les colons et l’armée israélienne
et se voit dénier l’accès à une part
très importante de sa ville ; c’est le martyre de Gaza,
cible d’un blocus économique et de bombardements systématiques
d’Israël qui détruisent les infrastructures de
base et en abattent des centaines.
Inutile de dire que tous ces crimes, dont certains sont qualifiés
de crimes contre l’humanité par Human Rights Watch,
ne provoquent aucune sanction, ni même protestation par la
prétendue communauté internationale. L’impunité
pour les barbares est la nouvelle norme, de l’Iraq jusqu’à
Gaza. Quant au « camp de la paix » israélien,
il est rentré dans un coma profond le jour où Ehud
Barak est revenu de Camp David, où ils ont avalé le
gros mensonge du « danger existentiel » qui menacerait
Israël avec, quelque part, un soulagement émotionnel.
La similitude entre la stratégie et les méthodes
d’Israël et celles des USA soulève la question
de savoir qui est la tête et qui est la queue, ou autrement
dit, qui fait bouger l’autre : est-ce le lobby israélien
qui pousse les USA dans le sens des besoins de l’Etat sioniste,
ou l’administration US qui pousse Israël pour réaliser
sa politique de guerre globale au Moyen-Orient ? En réalité,
c’est une mauvaise question : il n’y a ni tête
ni queue, mais une guerre globale de recolonisation et un monstre
agressif à deux têtes hideuses. Les stratégies
néo-conservatrices ont été élaborées
conjointement par les politiciens et penseurs US et israéliens
et mises en application simultanément, bien qu’on ne
puisse nier qu’Israël a eu l’occasion de tester
ces stratégies et ces méthodes avant les Etats-Unis,
les néo-cons israéliens ayant gagné les élections
quatre ans avant leurs homologues américains.
Les USA et Israël - mais aussi la Grande-Bretagne de Blair,
l’Italie de Berlusconi et même de Romano Prodi et de
plus en plus d’autres pays occidentaux - conduisent une guerre
mondiale contre les peuples de la planète, avec un agenda
affiché : imposer par la violence et/ou la menace la loi
de l’Empire néo-libéral. Cette guerre globale
est une croisade des néo-barbares contre la civilisation
humaine.
Le rôle d’Israël dans cette association est d’éradiquer
toutes formes de résistance à l’Empire au Moyen-Orient,
et d’abord cette résistance emblématique palestinienne
laquelle, à ce moment de l’histoire, est une ligne
de défense non seulement pour le peuple palestinien, mais
pour tous les peuples et nations du Moyen-Orient, du Liban à
l’Iran. C’est pourquoi le soutien à la résistance
palestinienne nécessite d’être intégré
comme une priorité stratégique pour tous les ennemis
de la barbarie, au Moyen-Orient comme dans le reste du monde.
[1] “Democide Since World War II” de R.J. Rummel (chiffres
pour 1945 - 1987).
Michel Warchavski, 24 octobre 2006
publié par l’AFPS, le 9/2/2007
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