Origine : http://bellaciao.org/fr/spip.php?article52190
6 septembre 2007
L’une des seules satisfactions, ces dernières années,
dans ce qu’on appelle le camp de la gauche israélienne
contre l’occupation est l’apparition des « Anarchistes
contre le mur ».
A part la Coalition des Femmes qui déploie de grands efforts
pour garder la tête hors de l’eau, tous les autres mouvements
ont pratiquement cessé d’exister (comme Gush Shalom
et Ta’ayush) ou, dans le meilleur des cas, ont perdu au moins
la force dynamique qui les caractérisait il y a quatre ans.
Je parle naturellement des mouvements et non pas des partis politiques
ou des ONG pour lesquels il faudrait une discussion séparée.
Les « Anarchistes contre le mur » sont un mouvement
jeune – premier avantage – et un mouvement actif –
second avantage – qui réussit à entraîner,
par ses initiatives et ses actions hebdomadaires contre le mur de
ségrégation, le reste des autres groupes et leurs
« réfugiés ». Qu’ont donc ces «
Anarchistes contre le mur » qui les transforme en cet acteur
combatif et énergique que nous connaissons ? Premièrement,
un perception très saine de ce qui est bien et de ce qui
est mal ; un sens que leur a permis, bien avant les autres, d’identifier
le mur comme un symbole du mal de l’occupation, et en général,
du mal de cette période mondiale qui se construit sur des
murs et l’apartheid.
Deuxièmement, une volonté de sacrifice et la capacité
de surmonter leurs craintes (y compris la peur de nos calomniateurs
et détracteurs), ce qui nous paralyse par moment. Troisièmement,
un contact franc avec les jeunes Palestiniens de leur âge
qui permet une coopération beaucoup plus « cool »
que celle que nous avons connue à la génération
précédente, quand la coopération palestino-israélienne
nécessitait de longues journées de discussion et des
accords politiques.
On prétend parmi les militants de la vieille gauche qu’
« ils n’ont pas d’idéologie » et
en plus qu’ « ils ne savent même pas ce qu’est
l’anarchisme ! ». C’est bien possible. Cependant,
au lieu d’adopter cette attitude condescendante, ces mêmes
militants devraient plutôt s’interroger eux-mêmes
(en réalité : nous-mêmes – car j’appartiens
certainement à cette catégorie politico-générationnelle)
: pourquoi la vieille gauche n’a-t-elle pas eu la capacité
d’apporter une réponse et un cadre idéologique
à la génération qui suivait ? Pourquoi la génération
des « Anarchistes contre le mur » ne se voit-elle pas
elle-même - pour la plupart d’entre eux - comme le prolongement
de ce qui existait avant ?
Cet espace entre les générations n’est pas
spécifique à Israël, et on peut trouver dans
tous les coins du monde ce qui caractérise la nouvelle génération
de militants politiques israéliens. Pourtant, il y a une
différence importante : dans les autres parties du monde,
ou au moins dans la plupart, la génération des vétérans
a su donner une place centrale à la nouvelle génération
de jeunes filles et de jeunes hommes militants.
Ce n’est pas le cas avec nous. A la suite de la manifestation
centrale contre la guerre au Liban, l’été dernier,
il y a un an exactement, je faisais observer à la coordination
des organisations contre la guerre et dans des articles publics
ce fait ridicule et triste : à la tribune, se tenaient des
vétérans et ils faisaient des discours sur la première
guerre du Liban, et non des représentants des militants d’aujourd’hui,
au premier rang des luttes actuelles contre la guerre et l’occupation.
A la place des « refuzniks » de la seconde guerre du
Liban, par exemple, on voyait l’un des dirigeants de Yesh
Gvul de 1982 sur la scène ! Ces gens refusent de quitter
le devant de la scène – j’écris le devant
de la scène et non pas toute la scène, car ils ont/nous
avons encore beaucoup à faire pour participer, comme simples
soldats ou, quelquefois, comme ayant une riche et même une
magnifique expérience.
Des facteurs creusent le fossé avec cette jeune génération
que « les Anarchistes contre le mur » symbolisent si
bien : contrairement à leurs prédécesseurs,
ils ne prennent pas ombrage et n’essaient pas de se battre
pour prendre leur place légitime à ces mêmes
tribunes ou dans les réunions interminables de la coordination,
ils préfèrent prendre leur distance d’eux-mêmes,
en tant que mouvement, à l’égard de «
la politique des vieux » et mener leurs campagnes eux-mêmes,
sans lien organique ou idéologique avec l’ensemble
du mouvement.
Une honte, une véritable honte, mais nous ne pouvons pas
nous en prendre à eux, simplement à nous-mêmes.
Il y a deux choses que nous devrions essayer d’apprendre :
d’abord, ce qu’est la nouvelle politique de la génération
Seattle et Bil’in.
Elle n’est pas la même que notre politique, ni dans
sa forme, ni dans ses motivations : la leur ne repose pas sur la
tradition et ils accumulent une expérience verticale mais
sur une expérience internationale horizontale ; elle ne provient
pas d’un codex constitué sur plus de 150 ans définissant
les frontières entre le bien et le mal, le juste et l’injuste
dans les luttes de la Révolution française, de la
Commune de Paris, des révolutions du 20è siècle
et dans le combat contre le fascisme, elle découle de sentiments
personnels profonds qui généralement ne manquent pas
leur cible. Ils manifestent parce que leur conscience exige de manifester
et cette boussole de leur conscience est presque la seule qui les
dirige dans l’action.
Elle ne prend pas non plus en considération les avis d’une
« opinion publique flottante ». Non seulement la politique
de nos anarchistes n’a aucun tabou dans les choix de ses mots
d’ordre (avec quelle aisance ils clament « Nous ne tuerons
pas et nous ne mourrons pas sur l’autel du sionisme ! »),
mais ils ne prennent pas davantage en considération les tabous
de leurs partenaires dans la lutte, lesquels, contrairement à
eux, ont peur de ce qui va être écrit dans la presse
(qui dans tous les cas en écrit de moins en moins) ou de
ce que les députés de la Knesset du Meretz ou les
réfugiés de la Paix maintenant vont penser…
lesquels, de toute façon, se voient contraints de défiler
avec ces mêmes anarchistes.
Je ne sais pas si toutes ces particularités de la politique
de la nouvelle génération sont bonnes pour notre combat,
et si cette expérience historique à laquelle ils ne
prêtent aucune attention peut servir à améliorer
notre combat. D’un autre côté, je sais parfaitement
qu’elle ne les intéresse pas et qu’ils mènent
leurs combats sans en tenir compte.
De là, il y a une seconde leçon que nous devrions
apprendre : plus de modestie et moins d’attitude condescendante
nous aideraient à comprendre non seulement pourquoi nous
ne réussissons pas à « passer le flambeau »
à la génération qui vient après nous
- et qui est obligée de rallumer la flamme elle-même
- mais aussi ce qu’est un militant dans ce monde du 21è
siècle, et auparavant, quels défis sont posés
au mouvement social que tous, nous voulons renforcer et voir réussir.
N’était-ce pas l’objectif des différents
forums sociaux – du Forum social mondial aux forums à
thèmes, forums régionaux et locaux – qui sont
parvenus à monter des plateformes pour des débats
horizontaux et des stratégies, des plateformes multidisciplinaires,
mais aussi pluri-générationnelles ? La réussite
des forums sociaux a été rendue possible seulement
grâce à une révolution culturelle d’une
sorte la plus profonde, d’une génération plus
ancienne, et à cette volonté des génération
d’apprendre une nouvelle praxis de démocratie, à
la fois d’actions et de débats.
Sans cette révolution, il est plus que certain que la jeunesse
de Seattle et Gênes ne serait pas parvenue à la création,
par nous tous, d’un anti-Davos et un anti-Porto Allegre.
Ici, en Israël, la révolution culturelle est toujours
devant nous. Et jusqu’à ce qu’elle soit là,
nous devons apprendre la modestie et la capacité à
écouter, aller manifester à Bil’in et à
Kfar Shalem, au check-point d’A-Ram et à Abu Dis, derrière
les Anarchistes qui s’écrient « Derrière
nous » et qui ouvrent la voie vers un nouveau combat contre
l’occupation et vers une véritable coopération
entre les peuples de la terre.
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