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Origine :
http://www.humanite.fr/2009-01-09_Tribune-libre_Gaza-Michel-Warschawski
9 01 2009
Après une petite manifestation aux portes de la prison Gaza,
j’ai décidé d’aller à Sdérot
qui, nous dit-on, est la ville martyre, victime depuis plusieurs
années de centaines de roquettes palestiniennes. J’ai
donc téléphoné à mon ami Marcello qui,
depuis une quinzaine d’années, anime des programmes
de rattrapage scolaire dans ce qu’on appelle les villes périphériques,
l’équivalent des banlieues en France. Entre autres
à Sdérot, où, c’est ma chance, il se
trouve aujourd’hui. Nous fixons rendez-vous dans l’un
des deux cafés situés sur l’unique place de
cette bourgade qui, à l’instar de toutes ces petites
villes où l’on a parqué les immigrants juifs
venus des pays arabes dans les années cinquante et soixante,
est un véritable désastre social, économique
et culturel. Si le mot exclusion a un sens, c’est à
Sderot qu’on le trouve : jusqu’à ce qu’elle
devienne la cible privilégiée des Qassam, rares étaient
les Israéliens qui avaient entendu parler de Sdérot.
Pour une fois, la place est en pleine effervescence : des dizaines
de journalistes et d’équipes de télévision
occupent les deux cafés-restaurants, a l’affût
d’un nouveau tir de roquettes. À côté
de Marcello, Anat, une enseignante qui a vécu presque toute
sa vie à Sdérot et Yael, du comité des parents
d’élèves. De temps à autre le patron
se mêle à notre conversation. « Nous sommes les
otages de la politique du gouvernement, qui, jusque récemment,
s’est toujours moqué de notre sort mais a aujourd’hui
besoin de Sdérot pour justifier la guerre à Gaza »,
me dit d’emblée Yael. Sdérot est à moins
de 10 kilomètres de Gaza, et quand il y a des tensions, c’est
nous qui en payons le prix. » Les gens soutiennent-ils l’attaque
contre Gaza ? Anat : « La grande majorité certainement,
mais la question est : que se passera-t-il après la guerre
? Les soldats rentreront chez eux, les journalistes et les politiciens
aussi, mais nous on est là, aux portes de Gaza. C’est
nos voisins, qu’on le veuille ou non. » Puis, avec un
grand sourire : « Tu sais que nous avions crée un groupe
qui s’appelle Une autre voix à Sdérot, en relation
avec les gens de Gaza ? Tout ce que nous voulons c’est un
bon voisinage avec Gaza. Eux aussi ont le droit de vivre, non ?
» Itsik, le patron du café, n’est pas d’accord
: « De vivre oui, mais pas de nous lancer des roquettes sur
la figure. J’espère que maintenant ils vont comprendre…
» Et après ? « Après on redeviendra le
troudu- c… du monde dont personne ne se préoccupe.
La banlieue juive de Gaza ! Mais en attendant, la guerre c’est
pas mauvais pour le bisness, n’est-ce pas ? » Paradoxalement,
depuis la crise, le petit commerce de Sdérot prospère,
avec les centaines de journalistes qui attendent les roquettes,
et les différents ministères qui font de la surenchère
qui va augmenter encore plus les budgets pour le développement
de la ville. « Jusqu’au cessez-le feu ! », explique
Itsik, àprès, même ton pote Marcello, tu vas
l’oublier. » Ce soir, en sortant d’une réunion
de la coalition anti guerre, je vais boire une bière dans
un café branché de la rue Sheinkin, haut lieu des
bobos de Tel-Aviv. Sdérot est bien loin. Aussi loin que Gaza.
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