Origine : http://www.article11.info/spip/spip.php?article256
lundi 12 janvier 2009
Dans un pays plongé dans la bêtise guerrière
et tout entier tendu vers la politique des bombes, Michael Warschawski
fait figure de salutaire exception. Militant anti-sioniste de toujours,
l’homme n’a de cesse de dénoncer l’horreur
des bombardements sur Gaza et d’exiger qu’Israël
laisse une chance à la paix. Une voix précieuse, qui
a gentiment accepté de répondre à quelques
questions. Entretien.
Depuis le début des bombardements, il se démène.
Multiplie les articles, les interviews et les témoignages
pour alerter, dire l’horreur et appeler à un sursaut.
Pour montrer - aussi - qu’il existe encore des voix israéliennes
pour dénoncer la politique des bombes et du massacre des
civils. Il sauve l’honneur autant qu’il sauvegarde l’espoir,
celui d’un avenir pas forcément cantonné au
bruit du canon et au son des armes automatiques.
Cela fait quarante ans qu’il en est ainsi, que Michael Warschawski
a choisi le camp des Justes. En 1967, alors qu’il suivait
des études talmudiques à Jérusalem, ce jeune
homme né à Strasbourg a rejoint le mouvement trotskiste
antisioniste Matzpen, alors le seul groupuscule israélien
à s’opposer à l’occupation de la Cisjordanie.
Après avoir participé en 1982 à la fondation
de Yesh Gvul, un mouvement d’officiers de réserve et
de soldats contre la guerre au Liban, il a créé deux
ans plus tard le Centre d’information alternative (AIC), qui
rassemble plusieurs mouvements pacifistes israéliens et organisations
palestiniennes. Son ambition ? "’Informer les Palestiniens
sur ce qui se passe en Israël et les Israéliens sur
ce qui se passe dans les Territoires palestiniens", explique
t-il. Un engagement qu’il payera au prix fort :
"En 1988, après avoir co-organisé les premières
manifestations israélo-palestiniennes en commémoration
des massacres des camps palestiniens de Sabra et Chatila au Liban,
Michael Warschawski est arrêté par le Shin Beth (services
secrets israéliens). On accuse ce père de trois enfants
d’avoir collaboré avec l’ennemi pour avoir publié
une brochure qui expliquait aux Palestiniens comment résister
à la torture et leur indiquait dans quels pièges ne
pas tomber pendant leurs interrogatoires", résume François
Xavier en un beau portrait.
"Durant les quatre ans du retentissant procès qui
suivra, l’accusation ira jusqu’à le considérer
comme un ’cerveau’ de l’Intifada. Sa condamnation
- 30 mois de prison dont 10 avec sursis, réduits à
un semestre ferme en appel - marquera son triomphe. Car entretemps
le tabou de la question de l’auto-détermination palestinienne
et de la reconnaissance de l’OLP aura été brisé
avec la montée en puissance du mouvement Shalom Akshav (La
paix maintenant)."
Si le mouvement pacifiste israélien n’est plus aujourd’hui
que l’ombre de lui-même, effondré après
l’échec de Camp David, Michael Warschawski n’a
par contre rien perdu de sa combativité. Et l’auteur
de Programmer le désastre, la politique israélienne
à l’œuvre, livre paru aux éditions La Fabrique
et dans lequel il se livre à un "démontage en
règle des mystifications sur le Proche-Orient, fabriquées
et / ou entretenues par les médias internationaux",
clame depuis le début des bombardements sur Gaza son indignation
et son horreur. Avec gentillesse, cette voix précieuse et
juste a accepté de répondre à quelques questions
pour Article11.
Vous êtes l’une des rares voix israéliennes
à s’élever pour dénoncer la folie de
cette guerre. Ces courageuses et salutaires prises de position vous
exposent-elles à des rétorsions ?
Non. Les citoyens juifs d’Israël jouissent d’une
liberté d’expression et de manifestation réelle,
et ne subissent pas de répression policière pour leurs
opinions, aussi radicales soient-elles. Cela n’a pas toujours
été le cas, comme l’a montre l’affaire
du Centre d’information alternative en 1987 et mon incarcération
en 1990.
Par contre, en temps de crise, ces libertés publiques n’existent
plus pour les citoyens arabes d’Israël : la répression
policière contre les manifestations arabes, ces deux dernières
semaines, a été particulièrement sévère,
alors que les Juifs ont, en règle générale
pu manifester librement.
Israël a la puissance militaire, mais semble par contre
avoir perdu la guerre de l’image. C’est votre sentiment
?
Tout à fait. Avec les nouveaux moyens de communication,
la censure ne peut plus empêcher de montrer les horreurs provoquées
par Israël, et dès lors qu’on peut les voir, la
propagande israélienne n’a plus d’effet, sauf
auprès de ceux qui sont de toute façon biaisés
en faveur d’Israël.
La désapprobation quasi mondiale qui ne cesse de monter
autour des bombardements israéliens peut-elle avoir une quelconque
influence sur la poursuite de ces derniers ?
Israël reste extrêmement dépendante de l’opinion
publique internationale et de l’impact qu’elle a sur
la communauté internationale. Les grandes manifestations
de solidarité avec le peuple palestinien dans le monde entier
ont fait bouger les politiques et, même si les amis d’Israël,
en particulier Sarkozy-Kouchner, lui ont permis de gagner du temps,
les Etats, l’Europe et les Nations-Unis font maintenant peser
des pressions qui vont obliger Israël a signer un cessez-le-feu.
Justement : êtes-vous déçu par l’impuissance
européenne et par celle de l’ONU ?
Il ne s’agit pas d’impuissance, mais de manque de volonté
politique, voire, dans une large mesure pour certains Etats, de
collusion avec Israël, comme pour l’Egypte et la France.
Que vous inspirent les positions des pseudo-intellectuels français,
ces Bernard-Henri Levy ou André Gluscksmann qui se poussent
du coude pour soutenir les frappes ?
Des personnages comme Glucksman et BHL ne m’ont jamais inspiré.
Il s’agit d’un phénomène très français,
celui des producteurs médiatisés. Je dis producteurs
et non « intellectuels », car s’ils produisent
abondamment des mots, ils n’ont pas créé une
seule idée nouvelle ou originale, copiant tout au plus et
avec dix ans de retards les idéologues néo-conservateurs
américains. De plus un intellectuel digne de ce nom - et
il fut un temps où il y en avait de grands en France - est
toujours un dissident et un combattant, pas un idéologue
de l’ordre en place. Médiatises, car ce n’est
pas dans le monde intellectuel ou universitaire qu’ils brillent
mais dans les paillettes des talk-shows. Qui a entendu parler de
BHL dans une université américaine ou asiatique ?
Ces chiens de garde de l’ordre n’ont jamais créé
une seule idée intéressante et originale. Et face
au carnage actuel, il ne font qu’aboyer avec les loups et
chanter les partitions des fanfares militaires, avec moins de talents
que les Oz et Yehoshua qui, chez nous, sont leurs modèles.
Comment réagit la société israélienne
? Y a t-il un mouvement pour dénoncer les frappes, une prise
de conscience de l’horreur de la situation ?
Il y a un soutien populaire large a la politique gouvernementale
(85% de la population juive d’Israël). Le mouvement d’opposition
a la politique de guerre du gouvernement est très minoritaire,
mais son action et sa voix sont visibles, en particulier a travers
les médias.
Comme Eric Hazan, vous défendiez l’idée
d’un Etat unique où coexisteraient pacifiquement Israéliens
et Palestiniens. Y croyez-vous encore, après ce déluge
de feu ?
L’Etat démocratique ou bi-national n’est pas
une solution politique a court terme, mais d’abord et avant
tout une vision de ce de quoi l’avenir devrait être
fait, basé sur une égalité complète
au niveau individuel (citoyenneté) et au niveau des collectifs
identitaires qui font la réalité sociale de la Palestine,
prise comme entité géographique. A priori, il ne s’opposait
pas a une solution politique dans le temps court qui serait fondée
sur une partition entre deux Etats.
Ceci dit, si le compromis fait de deux Etats coexistant l’un
à cote de l’autre ne se réalise pas dans ce
temps court, soit d’ici une demi-douzaine d’années,
cette option perdrait toute possibilité concrète d’advenir,
et la seule option réaliste serait un seul Etat. Mais cela
signifierait l’échec d’une solution dans le temps
court, et la perspective d’une solution dans deux générations
ou plus encore. La vraie question est donc celle du temps : solution
à relativement court terme ou poursuite du conflit pour encore
longtemps.
Comment ne pas baisser les bras quand on a lutté pendant
40 ans pour des idées sans cesse battues en brèche,
et aujourd’hui littéralement pulvérisées
? Qu’est-ce qui vous donne la force de vous battre encore
pour la paix et l’honneur ?
Mes petits enfants. Si nous laissons les brèches de la coexistence
se refermer, ils n’ont aucun avenir dans cette région
du monde. Ils seront a leur tour des réfugiés et je
me sens devoir impérativement tout faire pour que cela n’arrive
pas.
Comment croire qu’un Etat qui déshumanise ainsi
un peuple qu’il s’est décidé à
détruire puisse encore avoir un avenir ?
Comme je viens de le dire, il n’y aura pas d’avenir
pour la communauté juive-israélienne si elle ne rompt
pas avec le colonialisme, et comme mentalité et comme projet
politique
Dans Politis le 8 janvier, Bernard Langlois replaçait ces
bombardements israéliens dans la logique de l’après
11 septembre et de la doctrine néo-conservatrice, écrivant
notamment : "Les zélotes d’Israël, là-bas
ou ici, ne cessent de nous le rappeler : la vaillante armée
de l’État hébreu ne se bat pas seulement pour
sauver la patrie en danger, elle est aussi la première ligne
de défense de l’Occident et de ses valeurs contre le
terrorisme et la barbarie." Est-ce selon vous la meilleure
grille d’analyse pour expliquer la conduite d’Israël
?
Je suis entièrement d’accord avec analyse de Bernard
Langlois : le cadre de la guerre israélienne est celui de
la guerre globale contre les barbares (assimilés aujourd’hui
a la civilisation musulmane) et son idéologie celle du choc
des civilisations.
Puisque le Hamas n’est qu’un prétexte aux
bombardements, quel est l’objectif réel de l’intervention
? Quelles issues et échéances voyez-vous à
cette attaque ?
On a beau chercher dans les déclarations des dirigeants
israéliens, on n’entend pas de réponse à
la question : quel est l’objectif de la guerre ? En fait,
il s’agit d’un mélange, fait de guerre punitive
(vous avez choisi le Hamas, vous allez le payer), de volonté
d’affaiblir au maximum le Hamas (tout en sachant que le succès
sera limité), de tenter d’imposer le contrôle
d’Abbas sur la Bande de Gaza (ce qui serait la fin définitive
de ce qui lui reste de légitimité populaire) et du
plus profond de l’inconscient, de punir l’ensemble des
Palestiniens du seul fait qu’ils continuent à exister.
En 2005, vous avez expliqué "aimer Israël
comme on aime l’enfant d’un viol". En est-il toujours
de même ?
Comme on aime son fils ou son frère qui est a la fois l’enfant
d’un viol et un voyou brutal et extrêmement dangereux
pour l’environnement et pour lui-même. Vient un moment
ou il faut l’arrêter, le traduire devant les tribunaux
et le punir.
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