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Origine : http://multitudes.samizdat.net/article.php3?id_article=990
De l'histoire politique et des pouvoirs par Michèle Riot-Sarcey
S'il nous fallait rendre compte des discours d'exclusion des femmes
de la cité, cet article n'y suffirait pas ; bien d'autres
avant moi ont analysé ces discours, sans cependant infléchir
l'écriture de l'histoire politique vers la critique des relations
de pouvoir où s'inscrit le devenir historique des femmes.
Du point de vue du mode de penser le politique, nous sommes toujours
ou presque assignées à « la loi » énoncée
par Auguste Comte :
« C'est ainsi que dans toutes sociétés humaines,
la vie publique appartient aux hommes et l'existence des femmes
est essentiellement domestique. Loin d'effacer cette diversité
naturelle, la civilisation la développe sans cesse, en la
perfectionnant [1]. »
II suffit de lire les ouvrages consacrés à l'histoire
politique [2], y compris dans son renouvellement, pour constater
la vigueur de « cette loi ». « Accueillie »
par l'histoire des men talités, « devenue refuge des
objets historiques exclus par l'histoire normale », l'histoire
des femmes aurait trouvé sa place « dans l'écume
du bouillon de la marmite de l'histoire quand vous retirez la viande
et les légumes ». Selon Alain Boureau, « l'histoire
des femmes ("gender studies" s définit, depuis
quelques années, comme une discipline indépendante
(quelque chose comme l'histoire sociale de la distinction entre
hommes et femmes) » [3]. Comme si l'absence des femmes dans
les instances du pouvoir commandait la lecture du passé ;
comme si l'interprétation de l'histoire événementielle,
institutionnelle, diplomatique, celle des partis, des organisations
ne pouvait évoluer au-delà d'un cadre de données
politiques, dominé par l'unicité ; comme si l'histoire
de la liberté, pensée en mode majeur, devait perdurer
dans sa masculinité. L'interprétation des événements
politiques du passé garde l'essentiel des traits de la philosophie
de l'histoire et du positivisme. Et, malgré le grand renouvellement
de ses objets, l'histoire politique, en son écriture, est
marquée par un monisme fondateur.
Les historiens du politique n'ont pas cessé d'envisager
le devenir d'un peuple comme celui d'un individu collectif ; l'humanité
une et indivisible reste le référent par excellence.
L'histoire inventée au XIXè siècle, et dont
la prépondérance fut sacrée par Auguste Comte
[4], peut difficilement, en politique, se défaire de sa vision
linéaire, progressiste ; c'est ainsi que, longtemps, elle
fut identifiée au progrès de la liberté des
hommes. Impossible alors d'y insérer celle des femmes qui,
du point de vue du Code - ce monument du droit - allait à
contresens. Placées en marge des événements,
les femmes n'ont pu intervenir « dans ces changements visibles
qui affectent la société » [5]. Souvent représentées,
beaucoup plus objets de discours qu'actrices de l'histoire, les
femmes sont restées tributaires de la façon dont elles
ont été pensées dans l'ordre politique. L'image
[6], construite par les hommes, s'est imposée dans la lecture
-de leur passé.
Pourquoi cet effacement continu, ces images récurrentes
? Comment interpréter cette perpétuation d'une exclusion,
malgré le grand renouvellement de l'histoire ? Comment comprendre
cette tendance des historiens - en particulier pour la période
dite contemporaine - à privilégier les données
politiques du passé au détriment de leur production
? L'histoire politique serait-elle une histoire des effets de pouvoirs
sans l'analyse des enjeux dont ils sont issus ?
Pour tenter d'apporter quelques éléments de réponse
à ces questions, il m'est apparu nécessaire de faire
un détour historiographique, afin d'expliquer cette prégnance
de l'histoire linéaire, cumulative, factuelle, héritée
du XIXe siècle ; histoire continue des idées triomphantes,
des faits vainqueurs ; histoire des institutions, des hommes, des
groupes tournés vers le pouvoir politique. Tentative pour
circonscrire l'espace à l'intérieur duquel se pense
et se limite l'histoire politique, étroitement liée,
semble-t-il, au pouvoir dont elle est contemporaine. Regard critique
sur une écriture du passé qui n'a cessé de
réitérer l'interdit opposé aux femmes d'entrer
en politique, hier comme aujourd'hui.
Il est vrai que l'inscription politique des femmes dans l'histoire
ne peut se retrouver dans le continu d'un récit univoque
; elle n'est possible que dans une lecture plurielle, où
les désirs des uns sont confrontés aux besoins des
autres ; ce qui suppose d'analyser la dynamique des rapports de
domination, toujours à l'œuvre, entre les autorités
politiques et ces autres, individus plus ou moins soumis, parmi
lesquels... les femmes. A la fois catégorie sociale et multiplicité
d'individus aux intérêts divers, souvent divergents,
les femmes, longtemps représentées, ont vu leur place
contestée, réglementée, définie - et
toujours enjeu de l'ordre social. Comment redécouvrir cet
enjeu dans un passé politique oublié ? Quelle dimension
lui donner ? Comment ne pas reproduire le mode de penser des contemporains,
et, pour ce faire, quelles questions soumettre aux textes, aux traces
qu'ils ont laissées ? Cette visible différence, sans
cesse redéfinie par la production discursive, toujours magnifiée
pour légitimer une exclusion renouvelée, serait-elle
encore le signe, la marque d'une mise à l'écart ?
Penser l'égalité dans la diversité et la multiplicité
des individus, hors des sentiers défrichés par François
Guizot - ce maître du libéralisme capacitaire - serait-ce
une utopie en histoire ? Cet article voudrait à la fois esquisser
quelques analyses, et poser des questions aux historiens du politique.
Le positivisme et le passé recomposé par les historiens
de la IIIè République, initiateurs de l'école
dite « méthodique »,sera l'objet d'une première
réflexion. Détour nécessaire si l'on considère
l'hommage rendu à Seignebos par les historiens contemporains.
Le renouveau d'influence de cette figure emblématique de
« l'histoire historisante » - selon l'expression d'Henri
Berr -, est à prendre en compte, malgré l'étonnement
qu'elle suscite. L'hommage que lui adressent René Rémond
et Jean-Jacques Becker signifie-t-il un retournement de tendance,
un désaveu des critiques, longtemps pensées irréversibles,
qu'ont formulées les pères fondateurs des Annales
? Cette filiation revendiquée permet-elle, au contraire,
de comprendre comment cette histoire échappe à la
réflexion sur le pouvoir, malgré l'apport essentiel
des travaux de Michel Foucault. Il est vrai que les approches sont
différentes ; plus encore, tout un mode de penser sépare
ce philosophe des historiens du politique. Surprenante ignorance,
cependant quand on sait l'influence de Michel Foucault sur l'écriture
de l'histoire des idées, des mentalités. Or lui-même
se définissait comme un « positiviste heureux »,
Paul Veyne a d'ailleurs pu écrire, à juste titre,
à mon sens : « qu'il était le premier historien
positiviste » [7]. C'est pourquoi j'ai éprouvé
le besoin de suivre ce « positivisme » conducteur dans
le dédale des écarts qui sépare l'histoire
politique de l'histoire des pouvoirs.
On sait qu'en France comme dans les pays anglo-saxons, la méthode
d'analyse, les concepts, la critique de l'histoire des idées,
la mise au jour des contraintes, des pratiques discursives, leurs
effets sur le comportement des individus - bref tout un dispositif
- ont imprégné le mode de penser l'histoire des femmes.
Or, malgré les avancées considérables permises
par cette réflexion novatrice, l'inscription du devenir historique
des femmes reste en marge de l'histoire considérée
comme noble. A l'issue de cette ébauche d'analyse, j'esquisserai
quelques pistes de réflexion susceptibles d'aider à
rendre solides ces « morceaux d'histoire » encore proches
de « l'écume ». J'ose imaginer que l'idée
de faire entrer dans la marmite ces morceaux consolidés est
encore possible.
Du positivisme scientifique
Longtemps, l'histoire politique fut privilégiée par
les historiens ; « type achevé de l'histoire événementielle
» [8], elle sélectionna les actes et les changements
visibles qui pouvaient être observés du dehors.
« Actes de violences ou de contraintes (combats, pillage,
réquisition, arrestation, détention, exécution),
actes symboliques (jugement, ordonnances, votes) [9]. »
L'évidence du choix s'est imposée. Comme le souligne
Krzysztof Pomian. « Rien d'étonnant que, pour les historiens,
le domaine privilégié entre tous, soit celui de la
politique. C'est là que se succèdent les événements.
C'est là qu'agissent les individus et surtout ces individus
collectifs que sont les nations et les classes. C'est là
que se produisent des transformations irréversibles dont
le paradigme est la Révolution française. Cette histoire
des historiens professionnels prétend être objective
[10]. » Depuis le XIXè siècle, d'énormes
changements ont été opérés dans la saisie
des données, dans leur interprétation, mais la vision
globale des événements marquants n'a guère
été modifiée ; les outils d'analyse ont été
renouvelés, mais le cadre où s'exerce la raison interprétative
est le même. Rendre compte d'une évolution reste la
clé de voûte de l'écriture de l'histoire politique
: dans la mesure où les changements « affectent la
société », l'observateur qu'est l'historien
« a pour mission d'en proposer des explications » [11].
La visibilité est, en quelque sorte, le garant d'une vérité
que tout historien a charge de rechercher. A ce réel, il
importe de donner un sens, tout en conservant l'objectivité
requise. Sens et objectivité ont longtemps été
les maîtres mots de l'histoire. L'un serait dépassé,
l'autre conserverait toute sa pertinence.
Auguste Comte avait découvert les lois fondamentales de
la société ; annonçant l'ère du positivisme,
il énonça les règles de la scientificité,
en élaborant ce qu'il appelait la « théorie
systématique de l'ordre humain » [12].
« La foi positive expose directement les lois effectives
des divers phénomènes observables, tant intérieurs
qu'extérieurs. (...) Elle écarte, comme radicalement
inaccessible et profondément odieuse, toute recherche sur
les causes proprement dites, premières ou finales, des événements
quelconques. Dans ses conceptions théoriques, elle explique
toujours comment et jamais pourquoi [13]. »
Les faits, seulement les faits vont parler d'eux-mêmes et
devenir preuve d'effectivité. Charles Seignobos répugnait
à répondre aux questions posées au passé
; le mot « pourquoi » fut banni de la méthode
historique, il suffisait de dégager le « comment »
des documents, rigoureusement interrogés, pour reconstituer
une histoire vraie, restituée sous forme dé récit
par l'historien soucieux de rendre lisible des faits, par essence,
invisibles. C'est ainsi qu'Ernest Lavisse présenta le modèle
de la dissertation sur le thème abstrait de « la patrie
» : « établir par les faits et les récits
la définition de la patrie » ; en excluant toute démarche
théorique, l'historien permettait ainsi à l'élève
de découvrir les vrais combats de ses pères [14].
Même si le doute l'emportait, en particulier dans le traitement
des documents [15], la volonté d'affirmer une certitude caractérisait
la démarche des historiens de cette fin de siècle
; le modèle scientifique devint plus qu'une référence,
il se transforma en obsession comme l'a souligné Marc Bloch
: « Les générations qui sont venues juste avant
la nôtre, dans les dernières décades du XIXè
siècle et jusqu'aux premières années du XXè
siècle, ont vécu comme hallucinées par une
image très rigide, une image vraiment comtienne des sciences
du monde physique. Étendant à l'ensemble des acquisitions
de l'esprit ce schéma prestigieux, il leur semblait donc
ne pouvoir exister de connaissance authentique qui ne dût
aboutir, par des démonstrations d'emblée irréfutables
à des certitudes formulées sous l'aspect des lois
impérieusement universelles [16]. »
Dès la fondation de la Revue historique, en 1876, le projet
est clairement établi. Gabriel Monod s'engage à rester
« fermé aux théories politiques ou philosophiques
» ; afin de se garder de toute subjectivité, la revue
devait être « un recueil de science positive ».
Ce souci - besoin des hommes, produits du temps -, se comprend par
la volonté de renouveler une histoire jusqu'alors «
trop attachée aux manifestations brillantes ou éphémères
de l'activité humaine » ; « ce qui intéressait
désormais - "les lents et grands mouvements des conditions
économiques et sociales" - (pouvait)-être analysé,
avec quelque certitude et, dans une certaine mesure, ramené
à des lois [17]. La réussite des fondateurs de la
Revue, fut éclatante. L'autorité dont ils disposaient,
la position officielle qu'ils détenaient [18], l'influence
pédagogique que leur conférait la rédaction
dés manuels scolaires [19], leur permettaient d'imposer leur
point dé vue. La rigueur scientifique enseignée aux
futurs historiens était censée garantir la valeur
dé leur méthode ; tout concourait à transformer
une construction discursive en vérité historique.
« Vérité » si prégnante qu'elle
a laissé des traces dans toutes les mémoires des écoliers
français.
Ces travaux datés relatent l'histoire d'un autre temps.
Auguste Comte voulait régénérer le monde sur
la base d'une compréhension systématique de toutes
les pensées humaines ; ses velléités utopiques
ont été bien vite recouvertes du voile de la «
science ». La volonté de rechercher les règles
puis les lois sociales l'ont emporté sur les rêveries
religieuses. Dans le traitement des événements historiques
tirés des documents, la méthodologie fut la garantie
invoquée pour fonder la positivité des faits. Les
méthodes ont changé, l'approche est devenue différente,
mais l'aspiration première a subsisté ; la quête
de scientificité caractérise toujours la recherche
historique. On se souvient des critiques formulées par Simiand,
reprises par Marc Bloch et Lucien Febvre, à l'encontre d'une
histoire par trop factuelle et insuffisamment problématique
[20]. Longtemps ignorée des Annales, l'histoire politique
renaît, aujourd'hui, des cendres de l'histoire sociale en
perte de pratiques et d'audience. La méthode critique chère
à Langlois et Seignobos a fait place à l'analyse sérielle.
« L'histoire sérielle présente l'avantage décisif
du point de vue spécifique, de substituer à l'insaisissable
événement de l'histoire positiviste la répétition
régulière de données sélectionnées
et construites en fonction de leurs caractères comparable
[21]. » La supériorité « présumée
de l'histoire économique », acquise « par l'exploitation
d'imposantes séries de données numérique »,
se voit reléguée à la seconde place par une
histoire politique en pleine régénération.
Il est vrai que depuis André Siegfried [22], cette dernière
a considérablement affiné la méthode d'analyse
; de nouveaux objets ont été mis à l'étude.
Désormais, « au regard du quantitatif, l'histoire politique
arrive bonne première » [23]. Science et histoire politiques
sont devenues des disciplines voisines, si proches l'une de l'autre
qu'il est souvent difficile de les distinguer. Les références
sont les mêmes. « Les prolégomènes »
de la scientificité sont, d'ailleurs, l'objet de l'ouvrage
de Pierre Favre, dont l'auteur est une autorité en matière
de science politique. Qu'importe si sa conception de la science
est extensible [24], il suffit d'énoncer le modèle
comme l'écrivait Taine à Boutmy, pour que les preuves
soient effectives. « Nous faisons des sciences politiques
comme nous faisons des sciences zoologiques [25]. » La «
systématicité dans la clarification des événements
» [26], la taxinomie sont des cautions suffisantes pour constituer
les premières assises de cette science, sésame de
la vérité politico-historique [27]. Le label scientifique
accompagne si logiquement la nécessaire rigueur de toute
recherche, que les nuances, la complexité, la falsification
possible de l'objet construit par le chercheur n'empêchent
aucunement d'accéder à une réalité vraie,
objectivement démontrée. Parce que les successeurs
des positivistes de l'école méthodique n'ont pas mis
en question mais, au contraire, affiné la méthode,
imperceptiblement, la reconstruction du passé, sollicitée
par les enjeux politiques du moment, s'est transformée en
faits vérifiables, en réalité attestée.
Du positivisme politique
Les positivistes méthodiques ont privilégié
les changements politiques et sociaux « révélés
» par les textes. L'humanité une restait indivisible
et les événements sélectionnés devaient,
pour être crédibles, devenir visibles. Tout phénomène,
toute intervention qui n'entrait pas dans une compréhension
dirigée du présent étaient écartés.
La pédagogie laïque, le combat républicain contre
la vivante Église commandaient la lecture du passé.
La patrie mise à l'honneur, après l'humiliante défaite
de 1870, imposait une rigoureuse éducation civique dont l'histoire
était l'instrument [28]. En d'autres termes, le présent
politique forgeait les liens qui unissaient les historiens à
la république naissante et déterminait l'interprétation
historique. L'écriture de l'histoire se transformait en mise
en valeur des faits vainqueurs.
Prenons quelques exemples : la révolution de 1848, «
brusque, inattendue, même pour ceux qui la firent »,
annonce le triomphe de la démocratie. « Les concessions,
faites sous la menace des ouvriers de Paris » soutenus par
les socialistes, ne tiennent pas. Seuls les bouleversements introduits
par l'extension des droits politiques, légalement obtenus,
acquièrent une solide pertinence.
« Tous les procédés d'action et d'instruction
politique réservés jusque-là à la bourgeoisie
étaient brusquement mis à la disposition du peuple
tout entier ; les ouvriers et les paysans entraient en masse dans
la vie politique. (...).
La grande majorité des députés (environ 500)
approuvait la république démocratique sans révolution
sociale. Une forte minorité formée d'une centaine
de légitimistes et de près de 200 anciens opposants
dynastiques orléanistes, sans oser demander la monarchie,
désirait une politique de conservation sociale, que ses adversaires
appelaient la réaction. Le parti républicain démocratique
prit la direction du pouvoir et lutta contre les deux partis extrêmes,
les socialistes et les réactionnaires. L'assemblée
confia le gouvernement à une "commission exécutive"
de 5 membres qui devait nommer les ministres. Les socialistes, mécontents
de l'Assemblée, essayèrent de refaire une révolution
pour établir un gouvernement de réformes sociales
; la lutte se termina par une guerre civile [29]. »
Cette narration, qui a toute les apparences du récit objectif
(les jugements de valeur ne sont pas émis par l'auteur, mais
émanent de la majorité des citoyens de l'époque)
permet à Seignobos, dans son Histoire sincère de la
nation française, d'orienter ses lecteurs vers l'évidente
approbation du régime politique en place comme conséquence
logique de ce qui fut.
« Après quatre essais avortés (trois révolution
parisiennes et un coup d'État militaire), il s'établit
enfin, en 1875, un régime politique durable, sous la forme
nouvelle d'une république à la fois parlementaire
et démocratique à laquelle, en un demi siècle,
toute la nation finit par se rallier [30]. »
Les échecs révolutionnaires ou politiques sont dus
pour l'essentiel à (influence étrangère, ou
à l'incapacité des leaders à s'identifier à
l'esprit du peuple, tel Napoléon Bonaparte, « élevé
en Corse » dont « la manière de gouverner ne
fut pas conforme à la tradition française »
[31]. La Commune de Paris, soutenue par la tendance socialiste,
marquée par l'influence allemande, « resta une assemblée
insurrectionnelle regardée en France comme un ramassis d'aventuriers,
sans caractère politique, ses partisans qui s'appelaient
eux-mêmes Fédérés, restèrent connus
sous le nom de communards. Ils ne furent même pas reconnus
comme belligérants » [32]. Impossible d'échapper
à cette vision téléologique de l'histoire.
Si le mouvement ouvrier a droit de cité, quelles que soient
ses erreurs ou ses références - au « juif Marx
» par exemple -, c'est grâce à ses organisations
soucieuses de reconstituer un passé fondateur ; grâce
aussi à ses représentants profondément liés
au système politique en place : constitués en parti,
ils aspirent au pouvoir dans le cadre d'un dispositif politique
à l'intérieur duquel le passé est recomposé.
Que viendrait faire l'aspiration des femmes au droit de cité
dans cette vision du monde politique dont le sens est donné
par les instances visiblement présentes ; les féministes
sous la IIIè République sont minoritaires - selon
Seignebos, leur mouvement fut d'ailleurs initié par des hommes
-, et les femmes dans leur majorité sont satisfaites de leur
sort. De surcroît, aucun parti féminin n'aspire à
s'emparer des rênes du pouvoir. Quant à celles de 1848,
qui réclamèrent bruyamment l'accès au suffrage
universel, les contemporains les ignorèrent, et du même
coup le silence des documents atteste leur non-existence.
Cette relation des faits est connue, mais il m'a semblé
nécessaire de montrer concrètement comment et pourquoi
la sélection s'opère dans la mesure où la prédilection
pour les idées triomphantes perdure, et où les antagonismes
politiques sont toujours pensés dans un langage hérité
du passé [33]. En effet, l'approche actuelle n'est guère
différente. Le sens de l'histoire reste pensé en fonction
des acquis de la liberté des hommes ; il demeure le fruit
d'une vision traditionnellement linéaire des événements
passés. Par exemple, Claude Nicolet rend compte admirablement
bien du triomphe de l'idée républicaine - où
démocratie représentative et République se
fondent -, et François Furet, en renouvelant la philosophie
de l'histoire, pense la révolution dans sa longue durée,
jusqu'au triomphe de la démocratie représentative
imaginée par les pères fondateurs de 1789-1791. La
mise en question de cette démocratie, somme toute singulière,
sa production, comme moyen d'exercice du pouvoir, n'est guère
évoquée dans les travaux actuels.
Si l'on en juge par les thèmes abordés dans l'ouvrage
dirigé par René Rémond, la nouvelle école,
stimulée par la méthode quantitative, tend à
privilégier les lieux de pouvoir : « Une histoire présente,
les élections, les partis, l'association en politique, les
protagonistes : de la biographie, l'opinion, les médias,
les intellectuels, les idées politiques, les mots, religion
et politique, politique extérieure et politique étrangère,
la guerre, du politique » [34] sont les objets d'étude
en réformation. Une seule femme parmi les auteurs. Le mode
de penser l'histoire est toujours univoque, le neutre l'emporte,
un neutre dont le genre est parfaitement défini : «
Un parti est avant tout un rassemblement d'hommes regroupés
en vue d'un but commun et c'est d'abord sur ceux qu'il réunit
qu'il est susceptible de nous éclairer. » La justesse
et l'intérêt du propos ne sont pas en cause ; un parti
est effectivement un rassemblement d'hommes, mais le modèle
reproduit demeure non interrogé, la dynamique interne de
l'organisation n'est pas analysée. L'auteur rend compte d'une
formation évidemment présente, il pratique une description
critique de ce que donne à voir l'organisation, mais il manque
l'analyse de la production/reproduction de ces partis, et du même
coup, le modèle fondateur, référence implicite
d'une démocratie représentative exclusive, n'entre
pas dans la réflexion de ce qu'il est convenu d'appeler l'histoire
politique. L'exclusion puis la minorisation des femmes restent impensées.
Ainsi, pour la grande majorité des historiens, le suffrage
universel, dont la France s'enorgueillit d'être le premier
pays à l'avoir adopté en 1848, n'est pas réévalué
en fonction des acquis d'octobre 1944 ; les droits des femmes, tardivement
obtenus, ne changent rien à l'écriture de l'histoire
; l'universalité atteinte en 1848 garde le sens donné
par les hommes de cette époque. Le suffrage reste un universel
masculin. Tout au plus est-il pensé comme une anomalie [35],
mais il n'intervient pas dans le renouvellement de l'histoire politique
qui devrait être repensée en fonction des questions
dictées par les évolutions récentes et les
problèmes présents - faible représentation
des femmes, crise de la démocratie représentative,
etc.
Tous ces historiens, dans leur grande majorité, sont les
héritiers de Michelet ; à la recherche du «
mouvement vital » qui donnait sens aux faits humains, ce dernier
tendait, lui aussi, à privilégier l'histoire événementielle
:
« D'abord nous avons insisté sur l'histoire des événements,
plus que sur l'histoire de la religion, des institutions, du commerce,
des lettres et des arts. Nous n'ignorons pas que la seconde est
plus importante que la première, mais c'est par l'étude
de la première que l'on doit commencer, parce que c'est l'étude
de la première qui nous rend compte de la réalité
[36]. »
Michelet cherchait à redonner sens à l'histoire en
rendant compte « du triomphe progressif de la liberté
» [37], il disait sa foi en la nation française, parce
qu'il croyait au rôle « historique » du peuple
français :
« La France agit et raisonne, décrète et combat
; elle remue le monde ; elle fait l'histoire et la raconte. L'histoire
est le compte rendu de l'action [38]. »
Lourd héritage, qu'aucun historien n'a soumis à l'analyse
critique. La plupart se réfère, plus encore aujourd'hui
qu'hier, à celui qu'on a appelé « l'inventeur
de l'histoire ». Cette quête de l'esprit d'un peuple,
si difficile à circonscrire, inspire toujours la réflexion
des historiens d'aujourd'hui. « Ce qu'on appelle parfois la
culture politique et qui résume la singularité du
comportement d'un peuple n'est pas un élément entre
autres du paysage politique ; c'est un puissant révélateur
de l'ethos d'une nation et du génie d'un peuple [39]. Telle
est la conclusion de l'ouvrage de René Rémond, sorte
de manifeste pour une histoire politique.
Or, Michelet attribuait aux femmes un pouvoir politique maléfique
; il mesurait l'ordre social à l'aune des rapports entre
les sexes. Immanquablement le chaos régnait lorsque les femmes
occupaient le pouvoir politique « apanage des hommes »
[40]. Certes, cette lecture dichotomique de l'histoire n'a plus
cours ; l'exceptionnalité a remplacé l'anathème,
mais rien n'a véritablement changé dans l'analyse
historique. La place des femmes, énoncée en termes
d'évidence en référence à une nature
mythique, reste impensée du point de vue de la critique historique
; la construction sociale, présentée comme une donnée
de l'histoire, n'est pas interrogée, et du même coup,
les fonctions « naturellement » réparties entre
les genres dans l'ordre discursif perdurent dans l'écriture
de l'histoire, quels que soient les dires et faire des femmes du
temps. Ainsi, l'enjeu politique de la place de l'autre sexe n'est
pas analysé. C'est pourquoi, le constat de François
Furet est doublement infondé lorsqu'il affirme que : «
L'histoire aujourd'hui, a (...) pour caractéristique de n'être
plus investie d'un sens préalable et implicite donné
au temps, et d'avoir rompu avec cette vision linéaire qui
la constituait en discipline royale chargée de peser les
mérites des différentes périodes du passé
[41]. » Le sens historique, toujours inspiré d'une
victoire, est encore largement commandé par la réalité
des rapports de forces du présent politique, et la mise en
marge des rapports sociaux de sexes n'est qu'un des aspects d'une
mise à l'écart plus globale des rapports de domination.
Les colloques et manifestations organisées à l'occasion
du bicentenaire de la Révolution et de la République
en témoignent. La célébration l'a emporté
le plus souvent sur le questionnement critique.
Ce n'est pas un hasard si nous assistons à une certaine
forme de renaissance du positivisme historique. Comme nous rivons
vu, ses nouveaux outils autorisent l'histoire politique à
s'inscrire dans les disciplines nobles, forte désormais de
cette scientificité si laborieusement recherchée.
Or, pendant quelques années, la problématique sociologique
crut l'emporter en rigueur scientifique sur l'histoire, discipline
si peu conforme aux canons énoncés par Durkheim. L'histoire
politique tout particulièrement échappait à
la recherche d'un passé réellement existant. L'événement,
privilégié jusqu'alors, singulier par définition,
à la fois brusque et éphémère, ne ressemblait
à aucun autre ; il pouvait peut-être bouleverser les
rapports sociaux, mais n'aidait pas à les penser. Sa répétition
et donc sa mise en série était impossible. «
C'est la capacité de l'histoire à se constituer en
mode de connaissance positive que (Simiand) met en question [42].
» Évincée par la sociologie - d'ailleurs très
vite, les deux disciplines s'ignorent - mise à l'écart
de l'histoire dans la revue des Annales - elle-même marquée
par une pensée structurale -, l'histoire politique peu à
peu fut reléguée au second plan. Bientôt, en
histoire comme dans d'autres disciplines, le soubassement des idées
véhiculées par les hommes, les contraintes invisibles
qui dictent leurs actes font l'objet des nouveaux travaux. Vouloir
cerner le cadre social dans lequel vivent les hommes imposait d'en
décrypter les fondements. Déjà Lucien Febvre
remarquait que Michelet avait eu l'idée d'un « climat
commun » entre les hommes d'un même temps [43]. L'important,
de son point de vue, était de savoir que « l'homme
est prisonnier non pas de la nature, mais de l'humanité (...),
ses vraies murailles s'appellent les lois du nombre, les passions
collectives et les contraintes sociales de l'humanité [44]
». Les historiens cherchèrent à rendre compte
de ces contraintes, voire à découvrir les lois de
structure [45] qui règlent le devenir des hommes. La longue
durée l'emporta aux dépens de l'histoire dite événementielle
[46] ; l'économique présidait aux bouleversements
politiques et l'unité fictive, reconstituée par le
récit d'événements liés par l'idéologie,
fit place à la découverte des discontinuités,
des ruptures. Les déterminations de type structurel vont
l'emporter sur les hasards historiques, et les profondeurs invisibles
vont être sondées. L'histoire quantitative règnera
en maître. Mais l'histoire politique affectée, à
peine entendue, théoriquement déconsidérée,
ne cessa d'exister, ne serait-ce que sous la forme du récit
dont il est difficile, comme le souligne Krzysztof Pomian, de faire
l'économie en histoire, quelque forme qu'il prenne (biographies
ou autres). C'est dans ce contexte que Foucault va « révolutionner
l'histoire ».
Des pratiques de pouvoirs comme positivité
Révolution, certes, mais dans une commune « épistémè
qui définit les conditions de possibilité de tout
savoir » - actes et paroles de chacun. Dans cette recherche
d'une positivité d'une période, nombreux sont ceux
qui en ont sondé le socle [47]. En d'autres termes, Michel
Foucault, philosophe, pose un regard critique sur l'histoire et
ses méthodes ; le surplomb des choses l'intéresse
davantage que les mots qui les forment :
« Histoire n'est pas à entendre comme le recueil des
successions de faits, telles qu'elles ont pu être constituées
; c'est le mode d'être fondamental des empiricités,
ce à partir de quoi, elles sont affirmées, posées,
disposées et réparties dans l'espace du savoir pour
d'éventuelles connaissances, et pour des sciences possibles
[48]. »
L'individu, tout particulièrement l'homme moderne, dans
ses formes d'assujettissement, fera l'objet d'une analyse poussée
bien au-delà de ce qu'il est convenu d'appeler la conjoncture
historique. Ainsi que le notent Hubert Dreyfus et Paul Rabinow,
« l'émergence de l'individu moderne en tant qu'objet
préoccupation politique et scientifique et les ramifications
de ce phénomène de la vie sociale constitue la problématique
majeure de Foucault » [49].
« On voit que les sciences humaines ne sont pas analyse de
ce que l'homme est par nature ; mais plutôt analyse qui s'étend
entre ce qu'est l'homme en sa positivité (être vivant,
travaillant, parlant) et ce qui permet à ce même être
de savoir (ou de chercher à savoir) ce que c'est que la vie,
en quoi consiste l'essence du travail et ses lois, et de quelle
manière il peut parler [50]. »
Impossible de rendre compte de la totalité de la démarche
de Michel Foucault. Ce qui nous intéresse ici, c'est le rapport
de Foucault à l'histoire ; tout particulièrement l'analyse
des stratégies déployées par un système,
ou plus exactement la manière dont ON a voulu rationaliser
le pouvoir. Intérêt d'autant plus grand que Michel
Foucault a considérablement élargi le champ du politique.
Comme le remarque Jacques Léonard, « impossible de
se dérober ; l'hygiénisme social, la médicalisation
des campagnes, l'organisation de l'assistance épidémiologique
au XVIIIè siècle, puis au XlXè siècle
sont des tâches politiques, elles font partie du bien public
» [51]. L'exercice du pouvoir et ses effets, les pratiques,
l'objectivation, analysés par Foucault, ont permis de mettre
au jour des règles, des codes, en bref, tout un dispositif
qui affecte les gens, dirait Paul Veyne. C'est dans son mode de
penser que Foucault révolutionne l'histoire. « Ce que
Foucault attend de l'histoire, c'est cette détermination
des visibles et des énonçables à chaque époque
qui dépasse les comportements et les mentalités, les
idées puisqu'elle les rend possibles [52]. » Ce regard
critique, Foucault, l'a exercé tout particulièrement
sur cette période charnière du XVIllè-XIXè
siècle. « Des segments de discours, formant système
de proche en proche » [53], ont été disséqués.
Ainsi est apparu tout un dispositif dans le cadre duquel tous parlent
et agissent. Le discours que l'on croyait apanage des dominants
est devenu un discours d'ensemble à partir duquel les opposants
s'expriment.
J'ai été personnellement sensible à cette
approche, en travaillant sur la première moitié du
XIXè siècle, sur 1848 en particulier (exemple pris
à propos de Seignobos). J'ai pu constater que les mêmes
arguments étaient employés par les libéraux
que par les socialistes, tous candidats au pouvoir ; chacun revendiquait
la propriété et la famille, ces gages de l'ordre social,
mots clés d'intégration au régime politique
de la démocratie représentative, mais aussi mots nécessaires
à la reconnaissance comme force politique. L'effet de ce
rapport commun à la propriété et à la
famille, de cette commune pensée, c'est l'exclusion des femmes.
Ainsi Michel Foucault a autorisé une réflexion sur
le pouvoir par-delà l'analyse traditionnelle des groupes
sociaux qui le détiennent et des institutions qu'il engendre.
Les féministes se sont inspirées de cette démarche
pour rendre compte de la reproduction d'un pouvoir masculin qui
transcende les idéologies et surplombe les classes ; c'est
pourquoi, Michel Foucault peut justement affirmer que là
où il y a pouvoir, « tout un champ de rapport de forces
» se déploie, à l'intérieur duquel enfermement,
déviation, déplacement opposition sont possibles.
« Le pouvoir, ce n'est pas une institution, et ce n'est pas
une structure, ce n'est pas une certaine puissance dont certains
seraient dotés : c'est le nom qu'on prête à
une situation stratégique complexe dans une société
donnée [54]. »
Examinant « le sous-sol des libertés formelles et
juridiques » [55], principal objet d'étude des historiens
soucieux de rendre compte des progrès de la liberté,
Foucault, se penche sur les pratiques réelles du pouvoir,
la prison, l'hôpital, l'atelier, autant de « matières
formées » [56] pour discipliner les corps, autant d'objets
créés par le pouvoir, parallèles aux discours
sur la liberté, pour rendre malléables et dépendants
des individus rebelles. Sur ces objets, nombreuses sont les déclarations
d'intention. L'école tout particulièrement a focalisé
les intérêts, en cette première moitié
du XIXe siècle. Là encore, libéraux au pouvoir,
républicains dans l'opposition, tous se sont préoccupés
la formation du futur citoyen. Analysant les discours, y ai pu constater
qu'en ce qui concerne la discipline, pièce tresse de la formation,
les objectifs des deux partis étaient les mêmes. De
François Guizot, ministre de la Monarchie de Juillet à
la Société des droits de l'homme, organisation radicale
s'il en était, un semblable projet : soumettre les enfants
à une loi commune ; au service de la patrie ou du roi, le
programme prévu est le mêmes [57].
Foucault interroge l'histoire dans sa longue durée afin
de faire émerger les contraintes, résultat non pas
de l'exercice d'un pouvoir central, mais de tout un réseau
qui enserre les individus, quelle que soit leur place au sein de
la société ; c'est l'ensemble de ce dispositif qui
est l'objet principal de ses recherches.
« Si j'ai étudié des pratiques comme celle
de la séquestration des fous, ou de la médecine clinique,
ou de l'organisation des sciences empiriques, ou de la punition
légale, c'était pour étudier ce jeu entre un
"code qui règle des manières de faire (qui prescrit
comment trier les gens, comment les examiner, comment classer les
choses et les signes, comment dresser les individus, etc.) et une
production de discours vrais qui servent de fondement, de justification,
de raisons d'être et de principes de transformation à
ces mêmes manières de faire. Pour dire les choses clairement
mon problème est de savoir comment les hommes se gouvernent
[58]... »
A travers ce « comment », question clé dans
l'œuvre de Michel Foucault, ce sont les « lois de possibilité
», les « règles d'existence », les techniques
d'assujettissement, en bref, les rapports de pouvoir à l'œuvre
dans un faisceau complexe de déterminations qui sont ainsi
mis au jour [59]. Faire apparaître ces déterminations
en desserrant l'étreinte des mots et des choses, telle est
la méthode de Michel Foucault, si radicalement exposée
dans l'Archéologie du savoir.
« (L'archéologie) définit des types et des
règles de pratiques discursives qui traversent les oeuvres
individuelles, qui parfois les commandent entièrement et
les dominent sans que rien ne leur échappe [60]. »
C'est précisément cette analyse des pratiques, formatrices
d'objets, comme la prison, la délinquance, la population
(il aurait pu dire aussi « la femme », mais il ne l'a
pas dit), qui a intéressé l'historien Paul Veyne.
Sa lecture de Foucault le conduit à mettre en valeur les
seules déterminations qui rendent possible l'existence des
individus ; dans les actes et les dires des dominants comme des
dominés, il « n'existe, dit-il, que du déterminé
». Démontrant, à propos du gouvernement des
empereurs romains, que les objets - choses étendues aux gens
dans leur relations avec le pouvoir - ne sont que les « corrélats
des pratiques correspondantes », plus clairement, il n'y aurait
ni État, ni idéologie, ni actes véritablement
conscients, tout est objet construit par des pratiques discursives
ou non. Logiquement, il en conclut que « les choses sont ce
qu'elles sont » [61]. Comme le souligne Gilles Deleuze, «
il n'y a que des pratiques ou des positivités constitutives
du savoir : pratiques discursives d'énoncés, pratiques
non discursives de visibilités. Mais ces pratiques existent
toujours sous des seuils archéologiques dont les répartitions
mouvantes constituent les différences historiques entre strates.
Tel est le positivisme, où le pragmatisme de Foucault »
[62].
Incontestablement, par la mise au jour des seuils archéologiques,
des soubassements qui commandent les pratiques, fondent les mots
et les choses, en deçà mais aussi au-delà de
la visibilité des événements, par la mise en
valeur de la rareté, mais aussi de la répétition
des énoncés, Michel Foucault peut se dire positiviste
[63]. Comment ne pas mettre en relation ce positivisme-là
avec celui d'Auguste Comte qui, à propos de la « loi
générale de l'ordre réel », affirmait
:
« En effet, cette règle universelle établit
d'abord la subordination totale de l'homme envers le monde, comme
celle de chaque être vivant envers le milieu correspondant
[64]. »
Michel Foucault, préoccupé des effets de pouvoir
sur les individus « transis par le langage », objectivés
par des pratiques, enserrés dans un réseau de relations
de pouvoir, privilégie « le comment » aux dépens
« du pourquoi ». Comment punit-on ? Comment gouverne-t-on
? Comment invente-t-on la folie ? « Comment des formes de
rationalisations s'inscrivent dans des pratiques ou des systèmes
de pratique [65]. » Même s'il se distingue de l'historien
« normal », en faisant « l'analyse d'un problème
et non l'étude d'une période » [66], la méthode
de Michel Foucault n'autorise pas la prise en compte du temps court,
souvent objet propre de l'histoire politique. En mettant l'accent
sur les contraintes, il éclaire le dispositif d'ensemble,
mais ne permet pas l'analyse des ruptures dans leur avènement,
ces moments-clés
« Là où il y a pouvoir, il y a résistance
et que pourtant ou plutôt par la même, celle-ci n'est
jamais en position d'extériorité par rapport au pouvoir
[67]. »
Pris dans son propre dispositif, Foucault a longtemps pensé
l'histoire des individus dans « un anonymat uniforme »
[68]. « C'est un ON PARLE, murmure anonyme dans lequel des
emplacements sont aménagés pour des sujets possibles
» [69], c'est à l'intérieur DU discours qu'il
est possible de « miner, de barrer, de renforcer, de reproduire
», que les individus s'expriment. La dynamique interne n'apparaît
pas, dans la mesure où les enjeux disparaissent au profit
des règles qui les commandent, puisque « la répression
n'explique rien mais suppose l'agencement » [70]. Ainsi, dans
La volonté de savoir, la dynamique interne d'un groupe échappe
à l'analyse de Michel Foucault. A propos de la bourgeoisie,
prise comme un tout, sans distinguer les hommes des femmes - il
est vrai, formule couramment employée, objet d'étude
privilégié des années 1960-1970 :
« C'est un agencement politique de la vie qui s'est constitué,
non dans un asservissement d'autrui, mais dans une affirmation de
soi [71]. »
Le soi des hommes dont il est question va de soi, la bourgeoisie
se dit par ses hommes. Or cette affirmation d'eux-mêmes, dont
les effets se répercutent sur les épouses, au regard
de cette classe ouvrière assujettie, passe par une forme
d'asservissement des femmes. Combien sont-ils ces bourgeois du XIXè
siècle à vilipender les mœurs légères
des femmes de l'aristocratie ; la liberté sexuelle dont faisait
preuve les Mme de Staël, Marie d'Agoult les effrayait, aussi
ils inventèrent cette « famille bourgeoise »,
à l'intérieur de laquelle la sexualité féminine
était contrôlée et du même coup la descendance
bourgeoise légitimement assurée. Ces relations de
pouvoir des êtres sexués au sein d'un groupe social,
qui échappe à Foucault, - appartiennent également
à l'histoire. Comme le remarque Nancy Hartsock, « en
premier lieu, en dépit de son évidente sympathie pour
ceux qui, sous des formes diverses, sont assujettis, il (Foucault)
écrit du point de vue des dominants, "la majorité
auto-proclamée". Il en découle, en second lieu
(peut-être parce que les rapports de pouvoir sont moins visibles
pour ceux qui sont en position de domination) que l'analyse du pouvoir
à laquelle se livre Foucault fait disparaître, en dernière
instance, les rapports de pouvoir systématiquement inégaux
- accusation étrange et ironique à l'encontre de quelqu'un
qui tente de mettre en lumière ces mêmes rapports »
[72].
En effet, à suivre la méthode de Michel Foucault,
c'est-à-dire à privilégier l'analyse des formations
discursives afin de dépister le discours, « femme »
par exemple - construction discursive par excellence [73] - on risque,
de privilégier les segments de ce qu'il faut bien appeler
à défaut du discours dominant, le discours de contrainte.
L'énoncé critique, n'apparaît alors que sous
forme de discours en retour, l'avers du même, puisqu'il n'est
que répétition à partir des mêmes règles.
L'inversion, le dépassement, le retournement, l'opposition,
toutes ses formes détectables dans des pratiques et des luttes,
sont ainsi ramenées à une dispositif de pouvoir à
l'intérieur duquel les individus s'expriment et agissent
[74]. Par exemple, on découvrira le discours des femmes sur
la différence, énonçant des arguments identiques
à ceux des hommes avec l'inversion des objectifs ; au lieu
d'être facteur d'infériorité, la nature féminine,
la maternité seront magnifiées au détriment
d'une virilité fauteuse de troubles. De ce point de vue Foucault
peut affirmer qu'il faut chercher comment les relations d'assujettissement
peuvent fabriquer des sujets. Recherche nécessaire en effet
si l'historien est attentif aux effets de la domination, ou plus
exactement à l'interdépendance des relations de pouvoir
dans le cadre d'un système donné. Comme l'écrit
Michelle Perrot « l'action des femmes, au XIXè siècle,
a consisté surtout à aménager le pouvoir privé,
familial et maternel auquel on les vouait » [75] ou plus encore
« dans la soumission comme dans l'émancipation, la
femme saura jouer de cette maternité comme d'un pouvoir où
se réfugier, ou comme d'un moyen. pour obtenir d'autres pouvoirs
dans l'espace social » [76]. Mais analyse insuffisante pour
rendre compte de l'émergence d'une subjectivité critique
à l'égard des pouvoirs qui, dans l'histoire des individus,
n'a cessé de s'exprimer, le plus souvent hors des sentiers
balisés par les groupes sociaux - catégories privilégiées
par les historiens.
Sans doute conscients des apories de certains traits de sa méthode,
toujours en quête de vérité dans cette tension
qui lie et oppose le sujet au pouvoir, Michel Foucault, dans les
années 1980, a pratiqué un déplacement théorique
« pour analyser ce qui est désigné comme "le
sujet" » [77]. Ce qui l'a intéressé alors,
c'est de rendre compte « d'un mode d'être qui peut être
défini par la pleine jouissance de soi-même ou la parfaite
souveraineté de soi sur soi » [78]. Démarche
éthique, plus philosophique qu'historique, qu'il expose très
clairement dans un article consacré aux Lumières.
« Je définirai donc l'éthique philosophique
propre à l'ontologie critique de nous-mêmes comme un
test historico-pratique des limites qu'il nous est permis de dépasser,
et donc comme un travail que les êtres libres que nous sommes
effectuons par nous-mêmes, sur nous-mêmes [79]. »
C'est précisément ce travail sur soi de sujets libres
de l'antiquité grecque - recherche sur la maîtrise
de soi - qui fait l'objet de ses deux derniers ouvrages.
L'émergence du sujet autonome, soit les tentatives de désassujettissement
des individus sous contraintes, est plus chez Foucault inscrit dans
un futur que dans une démarche historique.
Des femmes dans l'histoire
Pour l'heure, ne serait-il pas possible d'aller au-delà
du constat descriptif. Dépasser ce qui est, questionner la
force des choses. Rendre compte d'une dynamique, du processus de
domination à l'œuvre, des réactions qu'il suscite.
Soumettre à la question le pouvoir en jeu et par là
même en révéler les enjeux. Mais, saisir l'enjeu
d'un conflit tel qu'il se révèle suppose la confrontation
de positions plurielles, différentes, et cela implique de
sortir de l'anonymat. Une histoire sans acteurs est difficile à
restituer. Le pouvoir s'incarne dans des personnes vivantes, parlantes
et agissantes et, s'il ne peut être réduit à
sa possession, c'est ainsi qu'il est perçu par les protagonistes.
Comme le souligne E. Cassirer, « la vérité ne
peut être érigée sur des purs concepts ; elle
doit être fondée sur des perceptions car c'est par
la perception seule que nous pouvons entrer en contact avec la réalité
» [80]. Les uns s'identifient aux individus qui possèdent
du pouvoir, d'autres au contraire le combattent par impossibilité
d'être ce à quoi la règle les assigne, par refus
ou par utopie, c'est-à-dire par désir conscient ou
inconscient d'un autre monde, d'autres relations sociales.
S'il est vrai que « Le sujet n'est pas donné comme
tel à l'origine, déjà tout constitué,
(qu')il est le résultat d'une procédure de transformation
qui le constitue... » [81], il me semble qu'une subjectivité
tout entière pensée dans cette dérive ne permet
pas de rendre compte du processus de subjectivation d'individus
qui se posent contre les règles d'un système donné.
Et, ce n'est pas seulement « aujourd'hui que la lutte contre
les formes d'assujettissement - contre la soumission de la subjectivité
» [82] se déroule ; peut-être, prévaut-elle,
mais ses traces sont nombreuses dans le passé, invisibles,
souvent effacées par la relation des faits vainqueurs. C'est
au prix de leurs redécouvertes que les rapports de sexes,
rapports de pouvoir s'il en est, pourront s'inscrire de plain-pied
dans l'écriture de l'histoire politique et sortir du statisme
des mentalités, si longtemps assimilées à la
force des choses. Pour ce faire, l'analyse sérielle, la répétition,
qui ont la faveur des historiens - Foucault d'ailleurs a rendu hommage
à cette méthode d'analyse -, est inadéquate,
car précisément, cette recherche ne peut s'effectuer
qu'en marge d'une norme, soit dans les interstices de l'histoire
de l'ordre, soit du point de vue d'individus singuliers.
Enfin cela suppose de dépasser cette longue habitude positiviste
qui consiste à ne poser des questions au passé que
sous la forme de « comment ? ». « En vain, le
positivisme a prétendu éliminer de la science l'idée
de cause. Bon gré, mal gré, tout physicien, tout biologiste
pense par "pourquoi" et "parce que". A cette
commune loi de l'esprit, les historiens ne sauraient échapper.
Les uns comme Michelet enchaînent dans un grand "mouvement
vital", plutôt qu'ils n'expliquent en forme logique ;
d'autres étalent leur appareil d'inductions (...), si la
métaphysique de la causalité est ici hors de notre
horizon, l'emploi de la relation causale, comme outil de la connaissance
historique, exige incontestablement une prise de conscience critique
[83]. » Par exemple, pourquoi, au XIXè siècle,
les statues féminines de Marianne se sont-elles multipliées
[84]. Pourquoi, la femme n'existe-t-elle lamais sans son image ?
Pourquoi, l'exclusion des femmes dans la recension des événements
politiques apparaît-elle comme un corrélat de la démocratie
représentative ?
Ne serait-il pas possible de penser une histoire politique, en
formulant des hypothèses sur cette chaîne de pouvoir
à laquelle aucune organisation n'échappe, je dirais
du parti libéral, de la première moitié du
XIXe siècle, au parti maoïste ou trotskyste de la fin
de ce siècle, tous majoritairement masculins, tous fonctionnant
dans un rapport d'identification. Cela impliquerait, bien sûr,
d'interroger les modèles dans leur formation mais aussi dans
leur reproduction, à condition de repenser l'histoire politique
dans une dimension sociale, dans un rapport dialectique. Je pense
en particulier à cette démocratie représentative
élaborée en 1789, qui perdure et s'étend aujourd'hui
en même temps qu'une désaffection du politique est
constatée. Mêler l'histoire de la longue durée
des relations de pouvoirs au temps court des critiques formulées
au présent, dans l'événement, est-ce réalisable
?
En d'autres termes, poser un autre regard sur l'histoire politique
afin de rendre compte des processus où se confrontent des
pratiques, des idées, où s'élaborent des utopies,
où des individus se posent en sujets rebelles... Cela conduit
à se détourner de l'inévitable récit
linéaire et cumulatif, et de s'intéresser à
l'actualité des phénomènes, répétitifs
ou non. En somme tenter, comme le préconise Walter Benjamin
de « réactualiser le passé » [85] dans
le temps court de son expression, ou encore mieux, « sauver
un passé occulté » à partir du questionnement
présent de l'historien et, cela va de soi, de sa subjectivité.
Dans cet optique, j'aurais tendance à privilégier
ces moments de désordres où se joue l'ordre social
à venir, ces moments où les hommes ne savent plus
où ils vont, ces temps d'après les révolutions,
1791, 1793, 1831, 1848, 1970 ou ces périodes d'intenses débats,
quand les règles s'élaborent, 1870-1880, parce que
la critique la plus radicale, en marge des groupes aspirant au pouvoir,
est souvent révélatrice des systèmes en reconstruction
: en quelque sorte, retrouver en partie ce passé pluriel,
conflictuel, jamais définitivement établi, toujours
en formation, cette humanité ni une ni indivisible. Non pas
déconstruire les textes, mais redonner vie aux écrits
du passé ; être attentive tout particulièrement
aux propos et actes de ces vaincus de l'histoire qui, dans un mouvement
d'individuation et de subjectivation, qui les pose hors des catégories,
hors du système dont ils sont victimes, disent que le roi
est nu comme le fait par exemple en 1831 Jeanne Deroin, première
candidate aux élections législatives de 1849 : «
Les révolutions ne sont que des marche-pieds pour tous ceux
qui veulent accéder au pouvoir. » Mais cette démarche
est possible en tout temps, à condition de ne pas privilégier
les positivités révélatrices d'un système
et d'en distinguer les singularités ; autant de pratiques
et de dénonciations d'un ordre qui permettent d'en écrire
l'histoire à travers ses failles, ses interstices qui, lui
échappant en révèlent la structure, ses conditions
de possibilité, les exclusions qu'il engendre. Comme le souligne
Stéphane Moses, « la mémoire des vaincus est
celle qui révèle la vérité même
de l'histoire, puisqu'elle est vouée à ne rien oublier,
ni le règne des puissants dont elle est la victime, ni la
tradition des victimes qu'elle a pour fonction de perpétuer
[86] ». Parce que ces dires et faire ne sont ni renouvelables,
ni massivement répétés, et donc peu représentatifs
des mentalités, des catégories sociales, du mouvement
de l'histoire dans sa vision téléologique, ils ne
peuvent être mis en séries. Bien au contraire, c'est
leur singularité qui aide à rendre compte des mécanismes
qui fondent un ordre social.
Cette singularité, me semble importante à considérer,
un peu à la manière du récit biographique tel
que Carlo Ginzburg l'a mené, en rendant représentatif
son meunier Menochio, « cas extrême » s'il en
est. Je valoriserais cependant davantage la dimension événementielle,
dans la confrontation de l'individu à l'ordre dont il est
issu et contre lequel il s'insurge.
Mais comment faire émerger, en histoire, cette subjectivité,
par définition dépassée. Thomson, fait de «
l'expérience » le creuset de la conscience ouvrière
ou plus exactement populaire, Joan Scott, attentive à cette
question, analyse dans un article récent, les travaux historiques
traitant de la constitution du sujet par « l'expérience
». Sceptique, elle s'interroge : « De nombreuses questions
sont laissées de côté : quelle est la part de
construction de l'expérience ? Comment les sujets sont-ils
constitués comme différents ? Comment se structure
la vision d'un individu - à propos du langage (ou du discours)
et de l'histoire ? Le témoignage de l'expérience devient
alors un témoignage factuel plutôt qu'un moyen d'analyser
comment naît l'expérience, comment elle produit un
effet, et de quelle façon elle constitue les sujets qui sont
les témoins et les acteurs de l'histoire [87] ? » Si
la critique est juste, elle me paraît, cependant, vouloir
privilégier ce qui détermine le sujet. Or, il n'est
pas possible, nous l'avons vu, de manquer l'analyse de cette forme
d'être soi, non pas dans l'expression d'une conscience d'un
sujet maître de lui-même, mais dans celle d'un rapport
critique, expression d'un refus, d'une impossibilité ou d'une
utopie. C'est pourquoi, à l'expérience, je substituerais
la perception critique, lisible dans les faits et dires des individus
rebelles ou vaincus, ces oubliés de l'histoire politique
parce que visiblement absents du ou des discours énoncés
à partir des règles qui les excluent... Objet d'un
autre article.
(Août 1992)
[1] Auguste Comte, Discours sur l'ensemble du positivisme, Paris,
juillet 1848, p. 205.
[2] Cet article, rédigé en août 1992, n'a pu
tenir compte de deux ouvrages, importants à des degrés
divers ; celui de Pierre Rosanvallon, Le sacre du citoyen. histoire
du suffrage universel en France, Paris, Gallimard, 1992, et celui
de Jacques Rancièce, Les mots de l'histoire. essai de poétique
du savoir. Paris, Seuil, 1992, tous deux parus. en septembre. Je
me propose d'en faire la critique dans un prochain numéro
de la revue.
[3] Alain Boureau, Discours, énonciations. Mentalités,
Annales E.S.C. 44e année, n° 6, Paris, nov.-déc.
1989.
[4] « Le siècle actuel sera principalement caractérisé
par l'irrévocable prépondérance de l'histoire,
en philosophie, en politique, et même en poésie. Cette
universelle suprématie du point de vue historique constitue
à la fois le principe essentiel du positivisme et son résultat
général » Auguste Comte, Système de politique
positive, ou traité de sociologie instituant la religion
de l'humanité, Tome 3, La dynamique sociale ou traité
général du progrès humain, Paris, août
1853, p. 1.
[5] René Rémond, Une histoire présente, in
Pour une histoire politique, sous la direction de René Rémond,
Paris, Seuil, 1988, p. 11.
[6] « Il semble que cela soit inhérent à l'histoire
des femmes que de toujours être sur ce plan de la figure,
car la femme n'existe jamais sans son image » Michelle Perrot,
Geneviève Fraisse, Introduction à l'Histoire des femmes
du XIXè siècle, vol. 4 de L'Histoire des femmes sous
la direction de Michelle Perrot et Georges Duby, Paris, Plon, 1991,
p. 17.
[7] Paul Veyne, Comment on écrit l'histoire suivi de Foucault
révolutionne l'histoire. Paris, Seuil, 1978, p. 204.
[8] René Rémond, op. cit., p. 14.
[9] Charles Seignobos, Études de politique et d'histoire,
Paris, P U.F, 1934. (Reprise d'un article paru dans Journal de psychologie,
n° 6-7, 15 juin, 15 juillet 1920.)
[10] Krzysztof Pomian, L'Ordre du temps. Paris, Gallimard, 1984,
p. 71.
[11] René Rémond, op. cit., p. 11.
[12] Auguste Comte, Catéchisme positiviste, Paris, octobre
1852, p. VI.
[13] Ibid., p. 11. Il est intéressant d'observer le curieux
déplacement du « pourquoi » au « comment
» de la réflexion anglo-saxonne dans le domaine de
l'histoire des femmes et du « gender » ; voir J.W. Scott,
Gender and the politics of history, Columbia University Press, New
York, 1988 ; et le débat dans Radical History n° 43,
1989.
[14] Ernest Lavisse, 1ère année d'histoire de France.
nouvelle édition augmentée par E. Lavisse, maître
de conférences à l'E.N.S., professeur suppléant
à la faculté de lettres de Paris, « Dissertation
et développement de la patrie contemporaine », Paris,
Armand Colin, 1882.
[15] Charles O. Carbonnell, dans son ouvrage (Histoire et historiens,
une mutation idéologique des historiens français,
1865-1885, Paris, Privat, 1976), démontre que ce courant
dominant de l'historiographie française a été
assimilé à tort au positivisme d'Auguste Comte. «
Au mot positivisme correspondent deux adjectifs positif et positiviste
; or, ces deux adjectifs recouvrent des significations différentes,
voire opposées. Si « positiviste » qualifie un
système philosophique, une théorie - et a pour synonyme
« comtien » ou « comtiste » -, positif qualifie
une attitude inversée. Un esprit positif s'en tient aux faits,
une intelligence positiviste a dégagé des faits une
théorie qui leur donne un sens et va aux faits avec cette
théorie. D'un côté la prudence, l'amour du concret,
la crainte de la non-objectivité ; de l'autre une vision
du monde, l'usage des concepts abstraits... (p. 407).
[16] Marc Bloch, Apologie pour l'histoire ou métier d'historien.
Cahiers des Annales, 3, 5° édition, Paris, Armand Colin,
1964, p. XV.
[17] Gabriel Monod, Revue historique, juillet-août 1896,
p. 325, cité par Madeleine Rebérioux, Le débat
de 1903 : Historiens et sociologues. pp. 219-230 in Au berceau des
Annales, Actes du colloque de Strasbourg (I1-13 octobre 1979), Presses
de l'I.E.P de Toulouse, 1983.
[18] Voir Alice Gérard, A l'origine du combat des Annales
in Au berceau des Annales, op. cit., « les historiens d'alors
détenaient, depuis les années 1880, tous les postes
clés qui fondent l'autorité d'un savoir ».
[19] Voir Gérard Noiriel, Naissance du métier d'historien,
Dossier, Genèses, Les Voies de l'histoire, n° 1, Paris,
septembre 1990 ; « Le contrôle exercé par la
génération de Lavisse et Seignobos sur tout l'univers
scolaire, en redéfinissant les programmes depuis l'école
primaire jusqu'à l'agrégation, en régnant sur
l'édition des manuels et des grandes collections de vulgarisation,
est un autre élément essentiel qui contribue à
l'inculcation des « programmes de pensées » dès
le plus jeune àge, p. 79.
[20] Voir à ce propos l'article de Madeleine Rebérioux
cité plus haut.
[21] François Furet, L'Atelier de l'histoire, Paris, Flammarion,
1982, p. 56.
[22] Le tableau politique de la France de l'ouest sous la troisième
république, Paris, 1913.
[23] René Rémond, op. cit., pp. 28-29.
[24] Pierre Favre, Naissances de la science politique en France
1870-1914, Paris, Fayard, 1989. Selon l'auteur la discipline historique
serait devenue « discipline scientifique dans la première
moitié du XIXè siècle avec Michelet, avec Guizot,
historien et ministre, avec Quinet... ».
[25] cité par Pierre Favre, p. 36.
[26] Naissances de la Science politique, op. cit., p. 229.
[27] Rappelons ce que disait Marc Bloch à ce propos : «
C'est d'abord l'idée même que le passé, en tant
que tel, puisse être l'objet de science qui est absurde »,
Apologie pour l'histoire. op. cit., p. 2.
[28] Charles Seignobos, cherchait à « utiliser les
exemples » historiques afin de « rendre représentables
les faits invisibles ». « L'intelligence de l'élève,
familiarisée avec les exemples politiques que l'histoire
lui a fournis, devient capable de se représenter les faits
politiques. » Charles Seignobos, L'enseignement de l'histoire
comme instrument d'éducation politique, conférences
du Musée Pédagogique, 1907, in Études de politique
et d'histoire, Paris, 1834, p. 117.
[29] Charles Seignobos, Histoire politique de l'Europe contemporaine,
1814-1914, Paris, 1897, Armand Colin, 1924, 7è édition,
vol. 1, pp. 187-190.
[30] Charles Seignobos, Histoire sincère de la nation française,
essai d'une histoire de l'évolution du peuple français,
Paris, Rieder, 38e édition, 1934, p. 502.
[31] Histoire sincère.... op. cit., p. 390.
[32] Histoire politique de l'Europe contemporaine. op. cit., p.
223.
[33] Par exemple, la défense de la République est
toujours à l'œuvre chez les historiens, comme si le
fait de mettre au jour les exclusions pratiquées par les
républicains d'hier menaçait la république
démocratique actuelle.
[34] Je cite intégralement le sommaire de l'ouvrage dirigé
par René Rémond, cité plus haut.
[35] « L'anomalie par laquelle la France, qui avait été
le premier grand pays d'Europe à adopter le suffrage universel
masculin, étant aussi le dernier à le refuser aux
femmes, est enfin effacée grâce à la guerre
» René Rémond, Histoire de France 1918-1987,
Notre siècle, t. VI, Favier, Paris, p. 375. Je remercie William
Guerraich de m'avoir signalé cette information.
[36] Jules Michelet, Précis d'histoire moderne, Paris, 1827.
[37] Jules Michelet, Introduction à l'histoire universelle,
Paris, 1831, p. 26.
[38] Ibid., p. 54.
[39] Pour une histoire politique, op. cit., p. 387.
[40] Voir à ce propos, Thérèse Moreau, Le
sang de l'histoire, et Michelle Perrot, Les femmes, le pouvoir,
l'histoire, in Une histoire des femmes est-elle possible ? sous
la direction de M. Perrot, Paris, Rivages, 1984. La critique de
Michelet est d'autant plus malaisée pour les historiens de
tradition républicaine qu'il fut un des rares historiens
de son époque à se préoccuper du sort des femmes,
tout en respectant la partition des rôles dans la société.
« Élever une fille, c'est élever la société
elle-même. La société procède de la famille,
dont l'harmonie est la femme. Élever une fille, c'est une
oeuvre sublime et désintéressée. » La
Femme, Paris, Flammarion, 1981, p. 120.
[41] Voir à ce propos, Denis Berger, Michèle Riot-Sarcey,
François Furet, Francois Furet : l'histoire comme idéologie.,
Aout 1991 : Le gai renoncement , Paris, L'Harmattan, 1991, n°
spécial de Futur Antérieur.
[42] Madeleine Rebérioux, op. cit., p. 224.
[43] Lucien Febvre, Combats pour l'histoire, Vivre l'histoire,
Cours E.N.S. 19,41, Paris, réédition Armand Colin,
1992, p. 26.
[44] Lucien Febvre, Annales, E.S.C., 1951, pp. 381-382, cité
par Hans Dieter-Mann, Lucien Febvre la pensée vivante d'un
historien, Cahiers des Annales, n° 31, Paris 1971, pp. 35-36.
[45] « Les événements sont engendrés
par les structures et les conjonctures. Ils sont les manifestations
visibles des ruptures de l'équilibre où des rétablissements
de celui-ci. » Fernand Braudel, cité par Pomian, p.
87.
[46] « Au lieu de replacer l'événement dans
la dynamique des structures qui l'ont fait naître, Fernand
Braudel préfère renvoyer l'événementiel
à l'ordre de la superficialité. » François
Dosse, L'Histoire en miettes, des annales à la nouvelle histoire,
Paris, La Découverte, 1987, p. 113.
[47] « Dans une culture et à un moment donné,
il n'y a jamais qu'une épistémé qui définit
les conditions de possibilité de tout savoir. » Michel
Foucault, Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, p. 179.
Cf. également Michel de Certeau, Histoire et psychanalyse,
entre science et fiction, Paris, Gallimard, 1987.
[48] Les mots et les choses, op. cit., p. 231.
[49] Hubert Dreyfus et Paul Rabinow, Michel Foucault, un parcours
philosophique, Paris, Gallimard, 1984, p. 207.
[50] Les mots et les choses, op. cit., pp. 364-365.
[51] L'impossible prison. Recherches sur le système pénitentiaire
au XIXè siècle réunies par Michelle Perrot,
Paris, Seuil, 1980, p. 21.
[52] Gilles Deleuze, Foucault, Paris, Minuit, 1986, p. 56.
[53] Michel Foucault, Naissance de la clinique, Paris, PU.F, 1963,
collection Quadrige, 1988, préface, p. XIII.
[54] Michel Foucault, La volonté de savoir, Paris, Gallimard,
1976, p. 123.
[55] H. Dreyfus, P Rabinow, op. cit., p. 299.
[56] Gilles Deleuze, op. cit., p. 41.
[57] . Cf. Michèle Riot-Sarcey, Parcours de femmes dans
l'apprentissage de la démocratie. Désirée Gay,
Jeanne Deroin et Eugénie Niboyet, thèse de doctorat,
Paris 1, octobre 1990, à paraître chez Albin Michel.
[58] Michel Foucault, L'impossible prison. op. cit., p. 47.
[59] Cf. L'archéologie du savoir, Gallimard, Paris, 1969
: « le jeu de règles qui rendent possible l'apparition
d'objets », p. 46.
[60] Michel Foucault, L'archéologie du savoir, op. cit.,
p. 183.
[61] Paul Veyne, op. cit., pp. 212, 215, 223.
[62] Gilles Deleuze, op. cit., p. 59.
[63] « Si en substituant, l'analyse de la rareté à
la recherche des totalités, la description des rapports d'extériorité
au thème du fondement transcendantal, l'analyse des cumuls
à la quête des origines, on est un positiviste, eh
bien je suis un positiviste heureux. » L'archéologie
du savoir, op. cit., p. 164
[64] Auguste Comte, Système de politique positive. op. cit.,
p. 18.
[65] Michel Foucault, L'impossible prison, op. cit., p. 47.
[66] Ibid., p. 30.
[67] La volonté de savoir, op. cit., p. 127.
[68] L'Archéologie du savoir, op. cit., p. 83.
[69] Gilles Deleuze, op. cit., p. 62. Si l'analyse critique des
énoncés permet de découvrir le sujet singulier,
la subjectivité n'apparaît qu'au sein d'un réseau
de contraintes qui l'autorise et la détermine.
[70] Ibid., p. 30.
[71] La volonté de savoir, op. cit., p. 163.
[72] Nancy Hartsock, Foucault on power : A theory for Women ?,
in The gender of power, ed. Monique Ledinaar, Kathy Davis, Claudine
Hellemann, Jantine Oldersma, Dini Vos Leiden : University of Leiden,
1987, voir également Jana Sawicki, Foucault and feminism
: Toward a politics of difference, in Feminisi interpretations and
political theory, ed. Mary Lyodon Shanley & Carole Patemen,
Polity press, Cambridge, G.B.
[73] Je rappelle le sens du mot discours donné par Foucault
: « On appellera discours, un ensemble d'énoncés
en tant qu'ils relèvent de la même formation discursive
», L'archéologie du savoir. op. cit., p .154.
[74] Il ne s'agit pas de critiquer une méthode, mais d'en
retenir les limites pour rendre compte des rapports de pouvoirs
à l'œuvre entre hommes et femmes. Cela ne retire rien
au bien fondé de l'analyse de Foucault, remarquablement exposée
par exemple, dans Surveiller et punir, à propos de la délinquance,
manière de gérer les illégalismes : «
La pénalité ne "réprimerait" pas
purement et simplement les illégalismes ; elle les "différencierait",
elle en assurerait "l'économie" générale
(...), toute la gestion différentielle des illégalismes
par l'intermédiaire de la pénalité fait partie
de ces mécanismes de domination. » Surveiller et punir,
naissance de la prison, Gallimard, Paris, 1975, p.277. Il serait
possible de faire la même analyse de la « mère
», modèle de référence magnifié
afin de rendre impossible socialement d'autres formes d'existence
féminine.
[75] Michelle Perrot, Les femmes, le pouvoir, l'histoire, L'Histoire
des femmes est-elle possible ?, op. cit., p. 217. Voir également
: Bonnie Smith, The ladies of the leisure class. The bourgeoises
of Northern France in the XIXth century, Princeton, 1981.
[76] Geneviève Fraisse et Michelle Perrot, L'Histoire des
femmes, vol. 4, Le XIXè siècle, op. cit., p. 17.
[77] Histoire de la sexualité. L'Usage des plaisirs, Paris,
Gallimard, 1984, p. 12.
[78] Ibid., p. 38.
[79] Qu'est-ce que les Lumières ?, Berkeley, avril 1983,
traduit de l'anglais par Fabienne Durand-Bogaert. Je remercie Denise
Modigliani de m'avoir communiqué la traduction de cet article.
[80] Ernest Cassirer, L'Idée de l'histoire, Paris, Cerf,
1988, p. 3.
[81] Pierre Macherey, Foucault, éthique et subjectivité,
Autrement, no 102, nov. 1988, p. 93.
[82] Cf. Michel Foucault, deux essais sur le sujet et le pouvoir
in Michel Foucault, un parcours philosophique, op. cit., pp. 297-321.
[83] Marc Bloch, Apologie pour l'histoire, op. cit., p. 8.
[84] Maurice Agulhon esquisse quelques réponses encore bien
timides, Marianne au pouvoir, Paris, Flammarion, 1989 ; et avec
Pierre Bonte Marianne, les visages de la République, Paris,
Découvertes Gallimard, 1992.
[85] Cf. Walter Benjamin, Thèses sur la philosophie de l'histoire,
Essais 2, 1935-1940, Paris, Denoél Gonthier, 1966.
[86] Stéphane Moses à propos de Benjamin, L'Ange
de l'histoire, Rozenzweig, Benjamin, Scholem, Paris, Seuil, 1992,
p. 157.
[87] Joan W. Scott, « Expérience », Feminists
theorize the political, ed. by Judith Butler and Joan W. Scott,
New York, Routledge, 1992, p. 25.
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