Origine http://www.alternativelibertaire.org/spip.php?article344
C’est bien parce que Chirac avait besoin d’un accord
avec Bush pour pouvoir se partager le gâteau irakien que les
autorités françaises en ont fait des tonnes dans la
commémoration du débarquement allié du 6 juin
1944.
En 1994, à l’occasion du cinquantenaire, les médias
de marché et le gouvernement avaient été plus
discrets. Il est vrai que les seuls enjeux de mémoire ne
constituaient pas un enjeu aussi fort que les appétits impérialistes.
Dans La Libération inconnue, à chacun sa résistance,
Maurice Rajsfus revisite avec un œil critique cette France
de l’Occupation, puis de la Libération, bien différente
de l’image que Chirac a vendu les 5 et 6 juin derniers au
simplet de Washington. Celle d’une France qui aurait salué
quasi unanimement le débarquement du « brave soldat
ricain » sur les plages de Normandie.
Il s’en prend d’abord au mythe de la France résistante
et rappelle que le phénomène fut minoritaire et tardif.
Même après la loi sur le service du travail obligatoire
(16 février 1943), peu nombreux sont ceux qui basculent dans
la clandestinité, il faut attendre la mi-août 1944
pour que la France se découvre résistante. À
l’image de la police et de la gendarmerie de Vichy dont le
ralliement à la Résistance est très partiel
et très tardif.
La résistance du Parti communiste commence après
l’invasion de l’URSS par les nazis en juin 1941.
Celle des partisans de de Gaulle se limite à une activité
de renseignement jusqu’au début de l’année
1943.
Une libération confisquée
L’histoire de la Résistance est aussi celle d’une
guerre d’influence entre gaullistes et staliniens.
Le PCF s’efforce de développer l’action des
Francs-tireurs et partisans (FTP) et de se lier aux masses.
Les gaullistes défendent une conception totalement militariste
de la Résistance et préfèrent concentrer des
combattants dans les maquis afin de les tenir à l’écart
des villes, de mieux les contrôler et de les utiliser comme
les embryons d’une armée régulière le
moment venu, c’est-à-dire quand il sera question de
prendre le pouvoir.
Car dans l’esprit de de Gaulle, la Libération doit
se limiter à mettre fin à l’Occupation et à
faire régner l’ordre partout. Pour la plupart des résistant(e)s
en revanche, elle doit déboucher sur un monde meilleur.
On comprendra mieux ainsi pourquoi de Gaulle tenait dans un souverain
mépris la résistance intérieure et les partisans
de la guérilla urbaine. C’est ce qui explique également
que la résistance intérieure ait reçu peu d’armes
de Londres. Il fallait éviter qu’elle se transforme
en armée insurrectionnelle.
Cette stratégie aboutit à la liquidation des principaux
maquis (Glières, Mont-Mouchet, Vercors), lorsque durant le
premier semestre de 1944, les nazis et la milice leur donnent l’assaut.
Cette lutte entre les gaullistes et une résistance intérieure
favorable à une libération synonyme de transformation
sociale atteint son point culminant à la Libération.
Maurice Rajsfus rappelle ce que fut alors le double langage des
dirigeants communistes. Le PCF a incarné pour beaucoup de
résistant(e)s l’espoir d’une libération
sociale. La France n’étant pas dans la zone d’influence
de Staline, la stratégie de l’appareil du PCF était
d’intégrer l’appareil d’État et
de se rallier à de Gaulle même de mauvaise grâce.
Tout en protestant en paroles contre la mainmise des gaullistes
sur le pouvoir, le PCF accepte l’intégration de la
Résistance dans l’armée régulière,
la renonciation à une insurrection qui passe par la dissolution
des Milices patriotiques (une page trop méconnue de l’histoire
de cette période).
Maurice Rajsfus nous propose un ouvrage salutaire (un de ses meilleurs
à notre avis) parce qu’en rupture avec l’imagerie
d’Épinal véhiculée par nombre de témoignages
et d’ouvrages historiques consacrés à la Résistance.
C’est à partir d’un point de vue de classe mais
aussi sur la base d’une étude critique des documents
(presse, mémoires, archives…) disponibles sur cette
période qu’il nous propose une lecture de la Résistance
qui fera date et référence.
CJ
• Maurice Rajsfus, La Libération inconnue, à
chacun sa résistance, 280 pages, 2004, 19 euros
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