"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google
Drancy. Un camp de concentration très ordinaire, Maurice Rajsfus.

Origine : http://www.cairn.info/revue-empan-2007-2-page-168.htm

J’ai lu ce livre très vite, en deux ou trois fois je crois tant il était déjà écrit en moi. C’était un écho à ma mémoire inconsciente que j’ai déjà tellement travaillée, explorée. Je l’ai ouvert et j’ai pensé que je me rendais dans l’avant-dernière demeure de ma grand-mère. Je voulais connaître les escaliers, les blocs, l’encadrement, les autorités allemandes, les gendarmes, la police, je voulais lire les souvenirs, les témoignages, les entretiens, l’organisation des déportations, des convois, le travail de la Préfecture. Je voulais lire la première année et la dernière, les enfants…

Ce livre est écrit en petits caractères et mes lunettes suffisaient à peine à prendre la mesure de ce que fut Drancy, camp de concentration très ordinaire. J’ai lu ce livre comme si je payais une dette, celle de ma mère survivante et maintenant morte. Ils ont tant souffert, ces détenus de Drancy, je me devais de les connaître pour continuer humaine et debout, comme ça, sans déni. C’est le prix de la vraie sérénité, de la vraie dignité que d’exister, c’est le prix du vrai possible des luttes, toujours, encore, maintenant, contre la xénophobie, le racisme, la bêtise : « c’est leur culture », « il est juif il doit avoir de l’argent ». Bagneux, 2006, manifestation silencieuse contre l’horreur de tout ça… Continuer avec ces manifestants dans le bruit des jours contre le néant de la barbarie. Hier, maintenant, demain.

Lutter debout.

Connaître, reconnaître Drancy.

À tous leur dignité a été retirée, je veux lire, savoir et par ma mémoire les restaurer. Notre mémoire est le seul espoir de faire perdre Vichy. Faire retrouver le temps à tous ceux-là qui ont été déportés. J’ai lu ce livre dans le flot de mes affects bien au-delà des larmes ; mes larmes étaient captives du camp, mon regard qui parcourait les lignes était un long et silencieux sanglot. C’était serré, prégnant, poignant. Une lecture comme une longue étreinte que seule l’écriture de ces lignes peut desserrer…

Le souvenir n’en finit pas de s’enfermer pour ne pas se dire, la mémoire de se taire malgré les archives. Maurice Rajsfus écrit p. 352 : « l’espace d’un livre ne suffirait pas pour retracer l’histoire de Drancy par le menu détail ». Je ne sais si son livre y parvient, mais c’est un prodige d’archives qui dit ses sources et qui de ce fait confère à ce récit une portée historique. Il est toujours possible, à qui le veut, de contester certains faits, certains dialogues. C’est la noblesse de l’Histoire quand elle se fait récit humain, récit faillible à toujours réinventer mais moi, la non-historienne, la lectrice quotidienne, j’ai la certitude que l’essentiel est écrit. Maurice Rajsfus, dans son excellente préface « ça commence à y ressembler », écrit :

« Les célébrations du cinquantenaire de la Libération de Paris, en août 1994, puis de la victoire en mai 1995, se sont déroulées dans une France satisfaite et totalement oublieuse de ce passé, pourtant célébré en fanfare. »

Il y a deux passés, deux Histoires, deux France : celle des fanfares et celle du silence. C’est vrai, il y a eu la France de la Résistance, mais c’est vrai aussi, il y a celle des « missions ignobles de la police française ».

Dans mon histoire de femme, dans ma mémoire inconsciente devenue enfin consciente grâce à ma psychanalyse et à mes lectures, existent les deux Frances et parfois en moi, ça fait désordre : celle de mon oncle Roger fusillé à 20 ans par les Allemands, et celle de ma grand-mère Fortunée arrêtée dans une rafle. On connaît la suite : Drancy. On connaît la fin : Auschwitz. Et puis les survivants de tout cela, les générations suivantes. Je ne raconte pas, mais l’Histoire n’en finit pas de pulvériser les vies et l’espoir. Heureusement, il y a les livres, les archives. Alors les fanfares et les grandes déclarations, ça le met en colère, Maurice Rajsfus, et les dents serrées dans une implacable méthodologie, il écrit, il raconte, alors moi, aussi en colère que lui, dans une implacable méthodologie, je lis ligne après ligne sans en sauter aucune.

Je vous laisse découvrir seul(e) ce livre. C’est un long cheminement intérieur que celui d’accepter l’Histoire quand elle se fait Horreur. Et pour chacun d’entre nous il y a un temps pour cela, et je respecte votre temps en me taisant. Mais avant de vous quitter, je veux juste vous lire quelques vers cités par Maurice Rajsfus, p. 402. Ils sont rédigés par deux jeunes filles du lycée Eugène-Delacroix de Drancy, Jocelyne Saadoun et Géraldine Troly :

« … Nous peuple de demain
Ne faisons plus le même lendemain
Ne jetons pas dans l’oubli
Même si cela dérange, n’oublions pas ces cri
Qui résonnent encore dans l’infini.
N’oublions pas ! »

Merci Monsieur Maurice Rajsfus pour votre travail d’écriture d’une mémoire qui fait écho à la mienne, merci pour vos archives qui font écho aux miennes, merci pour votre combat qui fait écho au mien. D’échos en échos, de résonances en résonances, nous avançons dans la dure réalité humaine.

Merci…

Marie-José Colet