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Origine: http://philippepoisson-hotmail.com.over-blog.com/article-26599941.html
Lorsque la Première Guerre mondiale éclata, l'Etat
français suspendit l'exercice des libertés dites démocratiques.
En particulier, il ne fut plus question ni de liberté d'expression
ni de liberté d'information.
Si l'on peut difficilement empêcher les soldats et la population
de penser et de parler, en revanche on put confisquer l'écrit
pour tenter d'orienter encore davantage les pensées. En tout
cas, l'exposé de la vérité et le libre exercice
de la critique furent désormais hors la loi. C'est ce règne
absolu de la censure durant la Première Guerre mondiale que
décrit Maurice Rajsfus dans son livre.
De manière préventive, la censure fut instaurée
pour mettre sous le boisseau tout ce qui pouvait diminuer la combativité
des soldats sur le front et l'effort de la population à l'arrière.
La vérité était l'ennemie et devait rester
cachée aux yeux de tous. On tenta de forger une opinion publique
unanime. Et si l'auto-censure des journalistes, des auteurs et des
individus ne suffisait pas, la censure officielle était là
pour indiquer ce qui pouvait être écrit et pour supprimer
ce qui ne convenait pas de l'être.
Maurice Rajsfus détaille l'organisation minutieuse de cette
censure policière et militaire. Il indique combien elle visait
la presse, créant les blancs à coups de ciseaux de
censeur. Bien sûr, les pièces de théâtre,
les films, les chansons n'échappèrent pas, les petites
annonces non plus, dont les abréviations ne pouvaient être
aux yeux des censeurs qu'autant d'informations codées transmises
à l'ennemi ! La bêtise se mêla allègrement
à la hargne répressive, comme à propos de la
pièce de Courteline Le commissaire est bon enfant, censurée
parce qu'« il ne paraît pas possible de laisser représenter
en ce moment une pièce où un commissaire joue, d'un
bout à l'autre, un rôle ridicule » fut-il déclaré.
La censure visait aussi la correspondance des soldats avec leurs
proches, l'expression des difficultés de l'arrière
faisant écho à l'horreur du front. Pourtant, elle
ne réussit pas à tout étouffer et Maurice Rajsfus
rapporte comment au fil des années de guerre, les initiatives
de groupes ou d'individus se multiplièrent pour dénoncer
« illégalement » ce qui se passait. Des tracts
et des brochures furent distribués dans les boîtes
à lettres ou sur un quai de métro, dans la cohue,
avant que les portes des rames ne se referment. Des papillons minuscules
furent collés. Des textes écrits au crayon et recopiés,
des cahiers de papier à cigarette couverts de propos subversifs
circulèrent.
La censure ne visait pas seulement l'expression de points de vue
critiques sur la guerre ou la propagande pacifiste ou révolutionnaire.
Elle se voulait aussi, en ces temps de boucherie mondiale, la garante
de prétendues « bonnes mœurs ». L'Union
sacrée ne fut pas seulement l'alliance de la majeure partie
du mouvement socialiste avec la bourgeoisie et son Etat. Ce fut
également l'Union entre le pouvoir, le sabre et le goupillon,
l'Union des anticléricaux de naguère avec les curés,
faisant la chasse aux chansons, à la danse, au tango, à
tout ce qui évoquait la vie face à la guerre et à
la mort.
Cette étude détaille les pratiques d'un Etat qui
se lança dans une immense entreprise de falsification pour
museler l'opinion, les contestations éventuelles, pour maquiller
le visage barbare de la guerre de 1914-1918. Un livre riche d'enseignements.
Michel ROCCO
La censure, militaire et policière, 1914-1918, de Maurice
Rajsfus, Le Cherche Midi Editeur, 260 pages, 118 F.
http://www.lutte-ouvriere-journal.org/?act=artl&num=1637&id=38
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