"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google
 
 
Maurice Rajsfus « Les mêmes mauvaises intentions »
Hortefeux : la tentation de Vichy ?

Origine : http://www.humanite.fr/2008-11-13_Societe_Maurice-Rajsfus-Les-memes-mauvaises-intentions

Maurice Rajsfus, quatre-vingts ans, est historien, écrivain et président de l’Observatoire des libertés publiques.

Hortefeux : la tentation de Vichy ?

Que pensez-vous de la tendance actuelle à comparer la politique de Brice Hortefeux à celle de Pétain ?

Maurice Rajsfus. Vous connaissez l’adage : comparaison n’est pas raison. Mais il y a toujours les mêmes mauvaises manières vis-à-vis des étrangers. J’aimerais d’abord rafraîchir la mémoire de Brice Hortefeux : dès l’arrivée au pouvoir de Pétain, le 10 juillet 1940, le régime de Vichy vote une batterie de lois xénophobes. Dans les semaines qui suivent, 40 000 étrangers sont enfermés dans des camps de travail forcé. Et le 3 octobre 1940, les premières lois portant sur le statut des juifs de France sont promulguées. Ça va vite : en trois mois tout un système répressif est mis en place. On ne peut pas comparer, parce que tout cela se passe sous l’oeil attentif des nazis. Aujourd’hui, les lois et les actions qui sont faites contre les immigrés se passent dans un régime démocratique. Dans la mesure où on retrouve des comportements identiques à ceux d’un régime totalitaire, c’est une circonstance aggravante.

Quels sont ces comportements identiques ?

Maurice Rajsfus. Depuis 1986 et les lois Pasqua, des gens qui étaient en situation régulière sont devenus illégaux. Les sans-papiers sont considérés comme des criminels. Je ne veux pas faire d’amalgames, les périodes et les périls ne sont pas les mêmes : il n’y a pas Auschwitz au bout du voyage pour les Maghrébins et les Africains. Mais quand on expédie un Kurde en Turquie, ça ne se passe pas très bien pour lui… Ce qui est comparable, ce sont les mêmes mauvaises intentions de mettre sur le dos des étrangers la charge de nos difficultés. En période de crise économique et sociale, que ce soit en France ou ailleurs, on criminalise l’étranger. Que ce soit en 1938-1939 sous Daladier, pendant le régime de Vichy ou actuellement : l’étranger est l’ennemi.

Vous avez porté l’étoile jaune et n’hésitez pas à parler de rafles aujourd’hui…

Maurice Rajsfus. Ça n’est pas un gros mot. À Belleville, quand les policiers ramassent tout ce qu’ils peuvent et font le tri ensuite au dépôt, le mot rafle a beau indigner Simone Veil, il n’y en a pas d’autre pour parler de ça. On ne peut pas dire que la chasse aux juifs a été remplacée par la chasse aux Maghrébins, mais ça y ressemble beaucoup. Quand il y a des contrôles dans le métro, personne n’a dit aux policiers de regarder plus spécialement ceux qui ont la peau plus colorée ou noire. Mais ils savent exactement quelle est la cible recherchée. J’avais quatorze ans quand mes parents ont été déportés. J’étais bien blanc, on me reconnaissait parce que je portais une étoile jaune sur la poitrine. Il y a toujours une façon de reconnaître la cible pointée. Dans toutes ces occasions, aussi bien dans les années précédant la Seconde Guerre mondiale que sous Vichy, que maintenant, les policiers apportent un zèle extraordinaire. Ils en font un peu plus que ce qu’on leur demande, c’est une constante sur les trois périodes.

Brice Hortefeux a justifié son choix de Vichy pour organiser un sommet sur l’immigration par son « ras-le-bol de cette histoire du passé ». Simple provocation ou amnésie volontaire ?

Maurice Rajsfus. Malheureusement Brice Hortefeux est resté silencieux sur la chasse aux communistes et aux gaullistes (sa famille d’origine) et sur les 76 000 juifs arrêtés de mars 1942 à août 1944, dont 11 000 enfants, dont j’étais. Ce discours est à rapprocher de celui de Nicolas Sarkozy, pendant la campagne présidentielle, qui disait qu’il irait chercher une par une les voix du Front national. C’est extrêmement dangereux. Nul ne doit oublier l’histoire, au risque de la revivre. En 1972, Georges Pompidou déclarait en graciant Paul Touvier : « Il faut oublier cette période où les Français ne s’aimaient pas. » C’était il y a trente-cinq ans…

François Rajsfus a récemment publié Candide n’est pas mort (Le Cherche Midi).

Propos recueillis par Marie Barbier