Origine : http://www.humanite.fr/2008-11-13_Societe_Maurice-Rajsfus-Les-memes-mauvaises-intentions
Maurice Rajsfus, quatre-vingts ans, est historien, écrivain
et président de l’Observatoire des libertés
publiques.
Hortefeux : la tentation de Vichy ?
Que pensez-vous de la tendance actuelle à comparer
la politique de Brice Hortefeux à celle de Pétain
?
Maurice Rajsfus. Vous connaissez l’adage : comparaison n’est
pas raison. Mais il y a toujours les mêmes mauvaises manières
vis-à-vis des étrangers. J’aimerais d’abord
rafraîchir la mémoire de Brice Hortefeux : dès
l’arrivée au pouvoir de Pétain, le 10 juillet
1940, le régime de Vichy vote une batterie de lois xénophobes.
Dans les semaines qui suivent, 40 000 étrangers sont enfermés
dans des camps de travail forcé. Et le 3 octobre 1940, les
premières lois portant sur le statut des juifs de France
sont promulguées. Ça va vite : en trois mois tout
un système répressif est mis en place. On ne peut
pas comparer, parce que tout cela se passe sous l’oeil attentif
des nazis. Aujourd’hui, les lois et les actions qui sont faites
contre les immigrés se passent dans un régime démocratique.
Dans la mesure où on retrouve des comportements identiques
à ceux d’un régime totalitaire, c’est
une circonstance aggravante.
Quels sont ces comportements identiques ?
Maurice Rajsfus. Depuis 1986 et les lois Pasqua, des gens qui étaient
en situation régulière sont devenus illégaux.
Les sans-papiers sont considérés comme des criminels.
Je ne veux pas faire d’amalgames, les périodes et les
périls ne sont pas les mêmes : il n’y a pas Auschwitz
au bout du voyage pour les Maghrébins et les Africains. Mais
quand on expédie un Kurde en Turquie, ça ne se passe
pas très bien pour lui… Ce qui est comparable, ce sont
les mêmes mauvaises intentions de mettre sur le dos des étrangers
la charge de nos difficultés. En période de crise
économique et sociale, que ce soit en France ou ailleurs,
on criminalise l’étranger. Que ce soit en 1938-1939
sous Daladier, pendant le régime de Vichy ou actuellement
: l’étranger est l’ennemi.
Vous avez porté l’étoile jaune et n’hésitez
pas à parler de rafles aujourd’hui…
Maurice Rajsfus. Ça n’est pas un gros mot. À
Belleville, quand les policiers ramassent tout ce qu’ils peuvent
et font le tri ensuite au dépôt, le mot rafle a beau
indigner Simone Veil, il n’y en a pas d’autre pour parler
de ça. On ne peut pas dire que la chasse aux juifs a été
remplacée par la chasse aux Maghrébins, mais ça
y ressemble beaucoup. Quand il y a des contrôles dans le métro,
personne n’a dit aux policiers de regarder plus spécialement
ceux qui ont la peau plus colorée ou noire. Mais ils savent
exactement quelle est la cible recherchée. J’avais
quatorze ans quand mes parents ont été déportés.
J’étais bien blanc, on me reconnaissait parce que je
portais une étoile jaune sur la poitrine. Il y a toujours
une façon de reconnaître la cible pointée. Dans
toutes ces occasions, aussi bien dans les années précédant
la Seconde Guerre mondiale que sous Vichy, que maintenant, les policiers
apportent un zèle extraordinaire. Ils en font un peu plus
que ce qu’on leur demande, c’est une constante sur les
trois périodes.
Brice Hortefeux a justifié son choix de Vichy pour
organiser un sommet sur l’immigration par son « ras-le-bol
de cette histoire du passé ». Simple provocation ou
amnésie volontaire ?
Maurice Rajsfus. Malheureusement Brice Hortefeux est resté
silencieux sur la chasse aux communistes et aux gaullistes (sa famille
d’origine) et sur les 76 000 juifs arrêtés de
mars 1942 à août 1944, dont 11 000 enfants, dont j’étais.
Ce discours est à rapprocher de celui de Nicolas Sarkozy,
pendant la campagne présidentielle, qui disait qu’il
irait chercher une par une les voix du Front national. C’est
extrêmement dangereux. Nul ne doit oublier l’histoire,
au risque de la revivre. En 1972, Georges Pompidou déclarait
en graciant Paul Touvier : « Il faut oublier cette période
où les Français ne s’aimaient pas. » C’était
il y a trente-cinq ans…
François Rajsfus a récemment publié Candide
n’est pas mort (Le Cherche Midi).
Propos recueillis par Marie Barbier
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