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Entretien avec M. Rajsfus (Observatoire des libertés publiques)
2005-09-09
Maurice RAJSFUS / écrivain, animateur de l’Observatoire des libertés publiques
« Attendre tout de la police, cela veut dire que la convivialité disparaît »

Origine : http://codes.fc.univ-nantes.fr/codes/modules/articles/article.php?idElem=378528838


Maurice Rajsfus, fils d’émigrés juifs polonais, a été arrêté avec sa famille lors de la rafle du Vel d’Hiv le 16 juillet 1942. Ses parents, déportés à Auschwitz ne reviendront pas. Il n’a pas pu oublier que c’étaient des policiers français qui exécutaient avec zèle les ordres nazis.

Ouvrier typographe, puis journaliste, Maurice Rajsfus a publié une quarantaine de livres, toujours très documentés, à partir d’archives, de rencontres, d’interviews. Beaucoup concernent les pages sombres de l’occupation, la collaboration, les rafles de Juifs, les camps dont Drancy, un camp de concentration très ordinaire, 1941-1944 La Police de Vichy, Les Forces de l’Ordre françaises au service de la Gestapo 1940-1944. Mais il a également enquêté dans les camps de réfugiés palestiniens, dénoncé la résurgence de l’extrême droite, les exactions des forces de l’ordre. A partir d’articles de presse, collationnés depuis plus de tente ans, il a entre autres, rédigé : La Police hors la loi. Des milliers de bavures sans ordonnances. Bavures et autres dérives sécuritaires qui alimentent chaque fois Que fait la Police ?, bulletin édité par l’Observatoire des libertés publiques que Maurice Rajsfus anime depuis 1994.

En ces périodes de durcissement des législations et de pouvoirs accrus octroyés aux forces de polices, il aura certainement beaucoup à dire et à commenter lors d’une rencontre débat organisée à Bayonne, à l’invitation du Comité de défense des droits de l’Homme en Pays Basque à 16h à la librairie Mattin Megadenda.

Vous tracez, livre après livre, une continuité des pratiques policières...

Depuis la seconde guerre mondiale, dans les pays qui se définissent démocratiques, la répression n’a jamais cessé contre des groupes de population ou d’opinion, sans jamais de volonté réelle de dialogue avec les gens qui s’opposent, les gens qui contestent sans amalgame, car rien n’a égalé l’horreur nazie.

Avec les pouvoirs exorbitants donnés à la police, auxquels s’ajoute le sentiment de policiers ou de syndicats de police qu’ils ont désormais tous les droits. Ainsi aujourd’hui, ce sont les populations fragilisées, des sans-papiers qui travaillent, qui ne sont ni expulsables ni régularisables, que l’on réprime. Sarkozy déclare vouloir vider les squatts mais sans préciser où seront relogés les squatteurs. Cela renvoie à la fermeture du centre de Sangatte en 2002 par le même Sarkozy, sauf que les gens sont toujours là-bas, disséminés. En expulsant ainsi les squatts il y a le risque de créer des bidonvilles en périphérie.


De quoi parle votre dernier ouvrage?

J’ai écrit Collapsus, survivre avec Auschwitz en mémoire [qui doit paraître en novembre] suite à la surmédiatisation de la libération du camp d’Auschwitz le 27 janvier 1945. En décembre c’est le tsunami en Asie du sud-est, en janvier Auschwitz et en février le Pape. Les centres d’intérêts médiatiques se déplacent très rapidement. On commémore à grands moyens et le lendemain on oublie.

Dans un autre livre La Libération inconnue, je me suis penché sur le pieux mensonge de la France résistante que l’on nous racontait dans les années suivant la Libération. Dans notre police nationale, 100% des effectifs étaient à l’écoute des ordres de la Gestapo. C’est le 19 août 1944 qu’elle s’est mise en révolte...


La police est omniprésente dans vos livres...

Le thème de la police n’est pas une obsession. Certes on n’est pas dans un état policier sinon nous ne serions pas là à discuter tranquillement, mais dans une société policière, à l’évidence! La France compte 600000 hommes en armes sur 60 millions d’habitants: 145000 dans la police nationale (dont 16 à 17000 CRS), 100000 gendarmes, 120000 salariés des sociétés de sécurité privées, la police ferroviaire, et les 250000 hommes de l’armée professionnelle.

Ces dernières années, le discours ambiant semble dire que "la sécurité n’est ni de gauche ni de droite"...

En 1997, lors du colloque de Villepinte, Jospin a déclaré que "la sécurité est une valeur de gauche". Il y a un vieux fonds réactionnaire dans ce pays où la vue d’un uniforme rassure... au moindre incident on appelle le gendarme. Attendre tout de la police cela veut dire que la convivialité disparaît.

La police a été collaborationniste sous l’Occupation, elle est devenue plus ou moins républicaine dans l’immédiat après-guerre encore que les forces de l’ordre ont violemment réprimé les dockers et les mineurs en 1947 et 1948. Mais c’est devenu lourd durant et après la guerre d’Algérie. Tout arabe était supposé membre du FLN. Aujourd’hui, pour la police, la guerre d’Algérie n’est toujours pas terminée. La haine du policier contre ce qui n’est pas bien blanc est remarquable. Il y a une tradition xénophobe. La plupart des policiers sont racistes.Je ne m’avance pas dans les chiffres. Mais dans les écoles de police, on y entre avec le niveau bac et bac+2, il y a un concours d’entrée, un concours de sortie, il ne devrait pas y en avoir un seul.

N’y a-t-il pas eu des évolutions?

Peut-être que j’ai des mauvais souvenirs mais j’ai l’impression qu’en trois générations ça n’a pas tellement changé. Aujourd’hui les circonstances sont aggravantes pour leurs pratiques brutales et ordurières. J’ai écrit un livre Le vocabulaire policier sur la base d’articles de presse depuis 10 ans, on y retrouve des propos racistes, sexistes, la haine du journaliste ils font un sale boulot, il ne faut pas que ça se sache (ce n’est pas par hasard si caméras et objectifs sont cassés par les policiers).

Ce que je raconte c’est gris. Ce qui est noir, c’est la réalité.

On ne peut rien y faire?

Ce que j’ai remarqué avec La Police hors la loi (1968-1996) c’est une courbe des violences policière en fonction des ministres de l’Intérieur. Après 68 il y a Raymond Marcellin et ses policiers qui interviennent tout le temps et partout. Il est écarté en 74 de peur qu’il ne remplace Pompidou alors malade. Chirac sera ministre de L’Intérieur quelques mois. Le changement sera complet. Puis un retour des violences avec Poniatowski. Un ministre peut changer le climat répressif. Ce fut aussi le cas durant un an un an et demi avec Gaston Deferre, il n’y a pratiquement plus eu de bavures. En 1997, la gauche a montré qu’elle pouvait faire aussi bien que la droite, que Chevènement pouvait être comme un Pasqua et un Sarkozy. "La police d’ordre a une tradition latine" disait Chevènement.

Je le dis souvent, en période troublée, un Français sur deux pourrait devenir policier (sous Vichy il y a eu 5 millions de lettres de dénonciations anonymes), l’autre moitié l’est déjà... Mais c’est de l’outrance de ma part.

Vous parlez de stakhanovisme policier...

Depuis le 11 septembre, ils ont les coudées franches. Il y a une évolution du code pénal et des consignes aux policiers. Sarkozy a instauré une prime pour les policiers les plus actifs. Les commissariats et les départements sont mis en concurrence. Il y a un stakhanovisme policier, un productivisme qui n’a plus rien à voir avec le maintien de l’ordre. Ils ont des comportements agressifs, qui provoquent des "outrages" et des "rébellions" qui encombrent les tribunaux (comme celui de Bobigny) et qui accessoirement paient les traites de la voiture.

Et le sentiment d’insécurité?

On a créé ce sentiment d’insécurité. Je n’ai jamais assisté à une agression dans le métro (même si ça existe). La dernière semaine d’avril 2002 un même fait divers a tourné en boucle sur toutes les télévisions. Gauche et droite y ont participé de la même manière. Pourtant la première préoccupation des Français ce n’est pas l’insécurité, c’est le chômage.

On est dans une société violente (il faudrait définir cette notion): 2,5 millions de chômeurs, des précaires, des SDF,... Il ne faut pas s’étonner qu’il y ait un retour de flamme, hélas pas forcément politique. Cela fait 20 ans qu’on nous dit de ne pas s’inquiéter des causes et de ne s’occuper que des effets.

Depuis les années 60 il y a toujours eu un ennemi public: le blouson noir puis l’Algérien, les étudiants, les lycéens, le travailleur immigré qui a eu l’audace des faire des enfants ici.


http://lejournal.euskalherria.com/idatzia/20050909/art129129.php