|
Origine : http://bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=20096
Agé de 14 ans lors de la rafle du "Vel d’hiv"
des 16 et 17 juillet 1942 où 13000 Juifs "étrangers"
sont arrêtés à Paris, Maurice Rajsfus en réchappe.
Militant à Ras l’front, il est président de
l’Observatoire des libertés publiques. Il a publié
notamment "Jeudi noir" (Manya) en 1992, "la Police
de Vichy" (Cherche-Midi) en 1995 et récemment "De
la victoire à la débâcle, 1914-1940".
Les plus anciens militants de la LCR ne peuvent avoir oublié
l’une des affiches les plus célèbres de Mai
68 : "Chassez le flic de votre tête !" A cette époque,
et durant les années qui allaient suivre, l’idéologie
sécuritaire connaissait déjà quelques succès.
C’était le temps où le ministre de l’Intérieur,
un certain Raymond Marcellin, dénonçait le complot
fomenté contre la France par les étudiants, et tous
ces contestataires qui mettaient l’ordre républicain
en péril. Rappelez-vous, camarades, la dureté des
matraques des hommes en noir, à une époque où
les staliniens approuvaient bruyamment cette répression.
Notre société satisfaite a toujours eu besoin d’un
bouc émissaire pour contenir ses angoisses existentielles.
La xénophobie, sans faiblir, s’est associée
à une variété de racisme antijeunes tout à
fait terrifiante. Au début des années soixante, les
blousons noirs étaient censés mettre la France à
feu et à sang. Dans le même temps, la police de ce
pays, au travers de la répression contre les travailleurs
algériens, retrouvait son instinct de mort des années
noires de l’occupation nazie. Comment oublier cela?
En ce début du XXIe siècle, la revendication sécuritaire
s’est élargie - à gauche comme à droite.
Il y a bientôt deux ans, un intéressant sondage, publié
par "Le Monde", permettait d’apprendre que plus
on s’éloignait des lieux dits "sensibles",
plus l’angoisse sécuritaire était forte. Et
pourtant, nous savons très bien que nombre de Français
ont basculé dans une délinquance quasi officielle.
Que ces concitoyens ont développé une société
qui se goinfre ignominieusement au détriment des plus démunis.
Que cette économie parallèle du fric facile secrète
la précarité et la violence des jeunes des banlieues
qui ne peuvent rester résignés comme l’ont été
leurs parents. Si nous voulons que ces jeunes nés en France
ne se comportent pas en "mutants" mal dans leur peau,
gardons-nous bien de hurler avec les tenants de l’idéologie
sécuritaire.
Bien entendu, les effectifs de la police et de la gendarmerie n’ont
cessé d’être renforcés, et les moyens
techniques mis à la disposition des forces de l’ordre
sont tout à fait étonnants. Certes, ce n’est
pas l’Etat policier - pas encore - mais nous vivons dans une
société policière. Les mentalités sont
peu à peu corrodées par les tentations délatrices
- au nom d’une certaine morale, évidemment. C’est
une spirale sans fin qui peut nous entraîner très loin,
jusqu’à faire de chaque citoyen le vigilant cerbère
de son voisin. Je me souviens, dans les mois ayant suivi Mai 68,
qu’un excellent confrère journaliste m’expliquait,
le regard chargé de haine, qu’il veillait tard le soir
à sa fenêtre, une carabine long rifle à la main,
pour tirer sur l’éventuel "petit salaud"
qui oserait toucher à sa voiture.
Les jeunes des banlieues ont bon dos. Ils sont parfois violents
c’est vrai. Ils développent une économie parallèle,
ce n’est pas niable. Ils vivent surtout dans des ghettos,
sous haute surveillance de la police, et cela nul ne peut le nier.
Cette situation créée de toutes pièces par
les gaullistes bâtisseurs de barres de béton, durant
l’ère Pompidou, ne trouvera pas sa solution dans la
diabolisation des jeunes de banlieue, quelles que soient les déprédations
dont ils sont les auteurs et qui ne peuvent que nous chagriner.
Le bon citoyen s’offusque de voir les voitures brûler,
il devrait plutôt s’étonner qu’il n’en
brûle pas davantage ! Rappelez-vous, camarades, les voitures
qui brûlaient rue Gay-Lussac. Parfois allumées par
la police.
Cela fait plus de 20 ans qu’il est question de combattre
les causes de cette désespérance qui contribue à
pourrir la vie des cités. Durant ces deux décennies
écoulées, de bonnes âmes n’ont cessé
de nous expliquer que la priorité - dans l’urgence
- était de combattre les effets. C’est un dialogue
de sourds dont nous ne sortirons jamais. Et moins encore si des
militants révolutionnaires succombent à leur tour
à cette idéologie sécuritaire qui constitue
le pire poison d’une société démocratique
digne de ce nom. Il faut constamment revenir à la réalité,
et l’actualité nous "mord la nuque", selon
une formule bien connue. Très récemment, alors que
venaient de se tenir les Assises de la police proximité,
un gardien de l’ordre public agressait violemment, et insultait
bassement une jeune femme marocaine - enceinte de surcroît
à Ris-Orangis.
Ce qui doit nous intéresser, au premier chef, bien plus
que les dérapages des jeunes des banlieues, c’est le
comportement d’une police raciste, brutale et sexiste. Plutôt
que de montrer constamment du doigt, ces jeunes marginalisées
il serait certainement plus judicieux de s’intéresser
à cette police trop nombreuse, qui voudrait mettre le pays
en coupe réglée.
Faut-il s’interroger longuement pour comprendre que l’idéologie
sécuritaire - avec pour cible les jeunes nés de l’immigration
maghrébine - n’est qu’une vitrine masquant le
modèle achevé de la société répressive
que nous prépare la droite - éventuellement secondée
par l’extrême droite? Face à ce scénario
toujours possible lorsque la gauche au pouvoir prépare le
terrain pour le retour de la droite au pouvoir, notre vigilance
ne doit pas être dévoyée.
Demain, ce ne seraient plus seulement les jeunes des banlieues,
les sans-papiers, et les sans-logis qui se trouveraient dans le
collimateur des défenseurs de la morale. Déjà,
nous avons vu comment un pouvoir de gauche traitait les chômeurs
qui occupaient les Assedic et les agences de l’Anpe. Avec
la droite, l’ordre public serait menacé par les grévistes,
les manifestants, les militants politiques et syndicaux. Transformés
globalement en travailleur précaires grâce aux bons
soins du Medef, les citoyens de ce pays n’auraient plus qu’à
raser les murs, regrettant peut-être le temps où des
jeunes un peu énervés leur lançaient, pour
se défouler : "Nique ta mère !"
http://www.lcr-rouge.org/archives/041300/champli.html
|
|