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Europe flicarde, mon amour...
Par Maurice Rajsfus

Origine : http://nopasaran.samizdat.net/article.php3?id_article=400

Quel que soit le futur locataire du Château, nous savons déjà à quelle sauce nous serons assaisonnés. Jospin -cette chronique a été évidemment écrite avant le résultat du 1er tour, mais garde toute sa pertinence-, comme Chirac, nous promettent un grand ministère de la Sécurité, rassemblant sous la même main de fer la police et la gendarmerie. Les choses sont claires : l’armée veille aux frontières, face à un possible ennemi extérieur, tandis que les forces de l’ordre sont en charge de tenir à l’œil un très visible ennemi intérieur. Si l’on ajoute les différentes polices et la gendarmerie, plus l’armée devenue professionnelle, ce sont plus de 600 000 hommes en arme qui veillent sur cette société satisfaite qui n’a nul désir de partager les bénéfices de la production.


Comment pourrait-il en aller différemment alors qu’une surenchère sécuritaire sans limite visible traverse une Europe qui ressemble de plus en plus à un monstre économique ayant pour objectif prioritaire la remise en cause des principaux acquis sociaux. L’autre volonté est d’en finir avec la contestation et de mettre à la raison les empêcheurs de mondialisation bien tempérée. A cette fin, rien de tel que l’uniforme du policier présent partout et, surtout, dans tous les lieux définis comme “sensibles”.

Nos gouvernants, de gauche ou de droite, nous proposent depuis quelques décennies une Europe où chacun pourrait vivre douilletement, dans la discrétion et l’anonymat, sauf à être inquiété pour incivisme ou manque d’enthousiasme envers les institutions, laissant peu de place à une authentique liberté. Certes, la volonté affirmée de nous “sécuriser” n’est pas nouvelle et, prallèlement, les membres de la Commission européenne se sont appliqués à rédiger de nombreux textes et décisions qui, au fil des années, s’empilent, se surajoutant, bien plus qu’ils ne se complètent. Cette volonté de toujours vouloir faire plus et mieux dans le domaine sécuritaire paraît être l’objectif de l’Europe de demain.

Nos européens convaincus ne connaissent pas de limite en matière répressive, et ne font que formaliser cette volonté de mater la masse des salariés qui ne peuvent accepter l’avenir qui leur est promis. Il en va de même sur le plan national car si certaines décisions des technocrates de la Commission européenne sont souvent discutées, il n’en va pas de même pour tout ce qui concerne le domaine sécuritaire. L’accord de fait réalisé entre les pays de l’Europe des Quinze va de soi car il s’agit surtout de protéger la mondialisation qui progresse à marche forcée et dont l’une des préoccupations est de protéger les capitaux fluctuants. En quelques années, les accords n’ont pas manqué pour affinner cette Europe des polices qui devrait rassurer les tenants de la nouvelle économie. Bien sûr, il y a effectivement quelques actions contre le blanchiment de l’argent sale, mais cela ne représente que la partie alibi de l’édifice répressif. Il faut être convaincu que l’essentiel de l’investissement sécuritaire consiste surtout à restreindre ce qu’il peut subsister de libertés démocratiques.

Sous certains aspects, cette politique ultra-sécuritaire n’est en rien innovante et, déjà, de 1968 1974, le ministre de l’Intérieur Raymond Marcellin, mettait l’ensemble des forces de l’ordre sur le pied de guerre sous le prétexte fallacieux de combattre un complot international menaçant la France.

Ce qui apparaît de plus en plus, c’est cette volonté de développer un espace judiciaire et policier - la justice étant à la remorque de la police - considéré comme l’aboutissement naturel de la construction européenne. Peu à peu, dans ce cadre, la Commission européenne s’est appliquée à disposer de droits répressifs, tout en prenant de nouvelles initiatives en matière de coopération policière et judiciaire - chacun des pays membres s’engageant à respecter à la lettre les textes élaborés à Bruxelles.
De son côté, le Parlement européen, même s’il n’a qu’un rôle consultatif, ne fait que durcir les propositions de la Commission. C’était particulièrement le cas du rapport de Robert Watson daté du 5 septembre 2001, c’est-à-dire avant le véritable délire sécuritaire qui a saisi le “Monde libre” suite à l’attentat contre les tours du World Trade Center de Manhattan, le 11 septembre 2001.

Il est également important de souligner que, depuis la fin des années 70, nous avons pu assister, à l’échelle de l’Europe, à une prolifération de groupes de travail plus ou moins officiels dans ce domaine du sécuritaire. Chacune de ces équipes développant sa propre idéologie. Ce qui ne fait que banaliser une tendance de plus en plus évidente : le flicage des peuples à l’aide de nombres systèmes de renseignement, de plus en plus performants. Avec, bien entendu, la connexion de ces différents services - parfois concurrents - et, éventuellement croisement des fichiers.

Dans le même temps qu’apparaissait le “Groupe de Trevi”, au cours des années 1970 - lequel s’intéressait initialement à “l’Europe terroriste” - se sont constitués des groupes confidentiels précédant l’apparition, au cours des années 1980, de structures institutionnelles qui valent d’être détaillées :

- Création d’une académie européenne de police,

- Création du Système d’Information Schengen (SIS), avec capacités renforcés, et fichier intéressant vingt-sept Etats, donc bien au-delà de l’Union européenne,

- Création d’Europol, en 1995. Cet office europén de police dispose de 42 policiers détachés par les Etas membres, avec comme outil de travail son propre système informatique d’information et d’analyse. Le tout étant accompagné d’un index, disponible depuis 2001.

- Depuis octobre 1997, avec le Traité d’Amsterdam, signé par le gouvernement Jospin, c’est la mise en place d’instruments concrêts de coopération policière et judiciaire. D’où l’existence pratique d’un groupe d’action de police européenne avec des équipes communes et même des échanges de magistrats. La bouche est ainsi bouclée. (*)

Cette vision policière de l’Europe est partagée par tous les Etats membres. Particulièrement pour créer un espace sécuritaire face aux immigrations venues du Sud ou de l’Est - selon les cas - qui est presentée comme une invasion contre laquelle il est nécessaire de protéger l’Europe. Cette évolution rapide de l’image de la menace supposée permet tous les amalgames, toutes les dérives, toutes les approches illégales. En effet, depuis les accords de Schengen, en 1985, et la suppression du contrôle aux frontières des Etats membres, les différentes structures policières désormais existantes estiment que cette ouverture ne peut que favoriser le crime sous toutes ses formes - et elles sont nombreuses aux yeux de ceux qui affirment veiller sur notre sécurité.

Nous ne pouvons que constater qu’il y a volonté, de plus en plus visible, de renforcer la coopération policière. Ce qui s’est traduit par la création d’un grand fichier européen, dit fichier Schengen, signalé plus haut. Cette approche a conduit très logiquement à l’accélération de la prise de décisions au sein de l’Union européenne, remettant en cause la libre circulation des personnes - on a pu voir ce qu’il en était lors du blocage aux frontières de militants désirant manifester librement, à Gênes, en juillet 2001, à Barcelone, en mars 2002. En contrepoint apparaît une plus grande coopération policière et judiciaire, ainsi que des accords tacites pour la poursuite transfrontière, et même l’échange de policiers... Il y a des services que l’on ne se refuse pas, entre partenaires ! Comme à la chase à courre, le “droit de suite”, pratique admise par les bons esprits - de gauche comme de droite - contribue plus encore à mettre l’Europe sous haute surveillance. Les récentes répressions de manifestations ne constituant que la partie visible d’une répression de masse plus discrète, au coup par coup, mais sans doute infiniment plus perfide, et bien plus redoutable.

A la veille d’une élection présidentielle qui voit les deux protagonistes d’accord sur l’essentiel pour la mise en condition des citoyens de cette Europe des flics et des patrons, chacun choisira selon ses sensibilités mais il ne faut pas avoir l’odorat trop fragile.

Maurice Rajsfus

*Ces précisions nous ont été apportées par Didier Rouger, avocat et maître de conférence de droit public, lors d’une rencontre à Bayonne, les 15 et 16 décembre, sur le thème, “Que fait la police ?”