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Pourquoi avez-vous décidé de publier ce livre
"Les silences de la police" avec Jean-Luc Einaudi ?
Au début de l’année, la Préfecture de
police de Paris a eu le bon goût de publier un livre intitulé
"La Préfecture de police au service des parisiens 1800-2000".
Il se trouve que dans cet ouvrage confidentiel, distribué
comme cadeau aux entreprises, on a fait ressortir les hauts faits
de la police et non les zones d’ombre, et notamment la rafle
du 16 juillet 1942 au cours de laquelle 7 000 policiers parisiens
ont arrêté 7000 juifs et le massacre des Algériens
le 17 octobre 1961 où plus de deux cents algériens
furent tués. Je ne crois pas que l’on puisse raisonner
en terme d’échelle : c’était plus grave
en 42 qu’en 61 ; le problème c’est de savoir
si la police est attachée à un servie de maintien
de l’ordre, de sécurisation ou des tâches de
recherche criminelle. Je crois même qu’il y a des circonstances
aggravantes en 1961. En 1942, les policiers français ont
livré des milliers de juifs à la Gestapo alors qu’en
1961, ils ont été directement les assassins.
En parlant de ce rapport, vous employez un terme fort,
vous parlez de relent de négationnisme.
Oui, parce qu’il est dit dans cet ouvrage pour la rafle le
16 juillet 1942 par exemple , que "la police parisienne a été
sollicitée", comme si l’on avait forcé
ces "braves gens" à faire ce travail. Il n’y
a aucun discours sur le comportement des policiers. On ne veut pas
dire que la police de ce pays a été au service de
la Gestapo.
Peut-on parler de la collaboration de la police française
avec le régime nazi ?
Oui, ils ont même été au-delà des demandes.
C’est bien ce que démontre la rafle du Vel d’Hiv.
Il n’avait jamais été question d’arrêter
des enfants et pourtant ce jour-là près de 4000 enfants
l’on été. La police n’a pas seulement
exécuté des ordres, elle a été aussi
initiatrice.
Il y a un discours qui émerge aujourd’hui
sur la résistance policière. Vous mettez à
mal ce mythe.
Oui. En fait, c’est sur le tard qu’il y a eu des groupes
de résistances dans la police et seulement quelques mois
avant le 19 août 44, jour du soulèvement à la
Préfecture de police de Paris qu’au sein de cette institution
se découvre des "vocations".
Il faut savoir que la plupart des policiers ayant collaboré
ont été réintégrés par De Gaulle,
qui dès le 25 août 1944 avait eu cette phrase en allant
à la Préfecture de police "Vous allez redevenir
des policiers français". Sur 100.000 policiers, entre
4 et 5.000 ont été écartés, puis réintégrés
et par la suite grimpés dans les grades intermédiaires
et même dans l’état-major de la police à
la fin des années 50, en pleine guerre d’Algérie.
Il y en a même qui serviront jusqu’en Mai 68.
J’ai écrit en 1995 dans mon livre "La police
de Vichy" que sur tous les livres écrits sur la période
de l’occupation parmi les historiens les plus sérieux,
aucun ne comportait un petit chapitre sur la police.
En 1982, tu rencontres 4 policiers de cette période,
tu voulais leur faire comprendre que ce n’était pas
la seule période de l’occupation qui était en
cause, mais plus largement cette institution.
Effectivement. Et l’après libération le démontre.
Comme le raconte Jean-Luc Enaudi, dans son texte, le 14 juillet
1953, il y a une manifestation des nationalistes algériens
dans les rues de Paris, il y a plusieurs morts. En1961, le Préfet
de police est M. Papon, qui après avoir été
à Constantine est rappelé en 1957 pour reprendre les
rênes de cette institution, ce qui illustre bien mon propos
de continuité. Ce dernier a été fonctionnaire
d’autorité à Bordeaux de 1942 à 1944
et il a fait arrêté et déporté 1600 juifs
bordelais. JL Einaudi raconte bien comment depuis des mois et des
mois à Paris, non seulement, et dans d’autres villes,
des Algériens étaient tués ; l’apogée
sera le 17 octobre, sans oublier le 8 février 1962 avec la
répression et les morts de Charonne, au cours d’une
manifestation pour la paix en Algérie, à l’instigation
du Parti communiste.
Mais le 17 octobre 1961 a été longtemps occulté
?
Oui. Pendant très longtemps, même les enfants d’immigrés
n’ont pas connu cet épisode. Dans le livre écrit
par la Préfecture de police, il n’y a évidemment
pas un mot sur le 17octobre 1961, mais par contre on parle de tragédie
nationale à propos des morts de Charonne, tout en parlant
d’actes d’individus incontrôlés, de dérapages,
et en ne mettant jamais en accusation la police comme corps répressif.
Quels sont les initiatives autour du 17 octobre 1961 ?
Cette année est un peu particulière ; c’est
le 40e anniversaire et de nombreux livres sont en préparation,
dont un de J.-L. Einaudi qui va compléter son livre paru
en 1996 "La Bataille de Paris", et une initiative plus
importante que les années précédentes devraient
être l’occasion de rappeler avec force l’attitude
de la police et de lutter contre l’oubli et l’amnésie.
Tu as écrit aussi un livre intitulé "Sous
les pavés, la répression", où tu expliques
que la période d’après 68 avec Marcelin a été
une période très dure.
Oui. Celle-ci ne s’exercait pas seulement contre les militants,
mais aussi contre tout ce qui pouvait être considéré
comme subversif par le pouvoir. Et cela peut recommencer à
tout moment comme le démontre le plan vigipirate renforcé.
On peut se demander en effet si l’objet de celui-ci est la
lutte contre le terrorisme ou contre les sans-papiers, les jeunes,
etc.
Un événément récent, Gênes,
a été l’occasion de voir à l’oeuvre
les forces de répression. On a mis cela sur le compte de
la victoire de Berlusconi, allié aux fachos. Penses-tu que
ce qui s’est passé là-bas pourrait se passer
ici ?
On a tendance à oublier qu’en France les discours
n’ont rien à envier aux policiers italiens et l’on
entend souvent quand les jeunes se font interpeller : "Tu verras
quand Le Pen sera là. Et à la limite il y a une certaine
logique. La police se sent à l’aise quand elle est
au service d’un régime fort.
Les silences de la police. De Jean-Luc Einaudi et Maurice Rajsfus.
Editions L’Esprit Frappeur. 96 p.
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