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Gros con s’en va t’en guerre...
par Maurice Rajsfus
vendredi 30 juin 2000

Origine : http://infos.samizdat.net/article33.html?var_recherche=Rajsfus

Il y a toujours eu, en France, une tradition « Gros con ». Ce français moyen que Cabu a caricaturé à sa manière dans sa série « Les Beaufs ». Jusqu’à ces dernières années, le gros con était un ancien combattant d’Indochine, un partisan de l’Algérie française, un baroudeur du SAC, etc. Il faut pourtant vivre avec son temps. Aujourd’hui, celui qui se pare des oripeaux du gros con de service, c’est le chasseur et, en tout cas, l’image qu’en donne le parti Chasse, pêche, nature et tradition (CNPT), lequel est représenté au Parlement européen depuis juin 1999. Ce qui prouve tout l’intérêt de cette structure inutile.

Tant que gros con se contente d’éructer des stupidités en rotant sa bière, il n’est pas exagérément dangereux. En revanche, lorsqu’il se mêle de politique, le gros con devient redoutable. Il se souvient avoir été para, dans sa jeunesse, et, avec ses fils, il endosse le même uniforme et la petite casquette stupide lorsqu’il part en guerre contre les lièvres et les perdrix. A-ton jamais vu un cueilleur de champignons ou de myrtilles changer de défroque ?

Le gros con est souvent tenté d’investir le champ politique après avoir échoué sur le champ de tir. Ainsi, lors de la tentative de coup de force du 6 février 1934, l’essentiel des troupes était composé d’anciens combattants nostalgiques de la Grande Boucherie, qui rêvaient d’en découdre avec la démocratie. Sous l’occupation allemande, nombre de gros cons se sont retrouvés dans les rangs du PPF de Doriot, dans la milice de Darnand ou sous les couleurs des SS français de la Légion des volontaires contre le Bolchévisme. Plus tard, on les retrouvera en Indochine ou en Algérie...

Il ne faudra pas attendre plus d’un dizaine d’années après la défaite de l’Allemagne nazie pour qu’un parti gros cons, composé de commerçants et d’artisans soit constitué sous la houlette de Pierre Poujade. En 1955, il était question de conduire la guerre fiscale contre le gouvernement, mais l’objectif allait rapidement évoluer. Comment s’étonner de trouver, parmi les 52 députés « poujadistes », élus le 2 janvier 1956, un énergumène nommé Jean-Marie Le Pen ? La guerre d’Algérie, avec le ralliement de la plupart de ces braves gens à l’extrême-droite, verra pourtant la disparition de ces politiciens sans pratique.

Depuis les gros cons s’étaient également répartis dans l’ensemble des partis, et même des syndicats. Ils n’étaient pas trop voyants, noyés dans la masse, parmi leurs contemporains à la réflexion courte. Il y avait donc un vide à combler. Depuis 1972, et plus encore depuis le début des années quatre-vingt, les gros cons étaient nombreux au Front national et l’erreur était d’oublier que les têtes pensantes du néo-fascisme ont toujours besoin d’une base ressemblant bien plus à des bœufs qu’à des idéalistes. L’implosion du Front national, en décembre 1998, crépuscule des bœufs laissera des milliers d’orphelins.

C ’est alors qu’apparu, pour les élections européennes de juin 1999, ce CPNT dont l’ambition est d’occuper le terrain, sous couvert de défendre les vrais valeurs, mais avec une base qui ne manifeste qu’une volonté de connerie agissante. Les rangs de ces braves chasseurs sont certainement remplis de ces audacieux agriculteurs qui, en 1998, avaient saccagé les bureaux de Dominique Voynet, ou même les courageux syndicalistes qui s’étaient attaqués à Daniel Cohn-Bendit, à la Hague en juin 1999.

Il est bien connu - l’expérience aidant - que le con qui entre en politique est nécessairement grossier et violent. Sa culture ne peut que le cantonner dans ses domaines où il excelle. Certes, on est toujours le con de quelqu’un mais, pour le commun des mortels, il est possible de souffler un peu pour réfléchir et s’interroger. Le gros con ne réfléchit pas, il explose. Sans être particulièrement thuriféraire de feu De Gaulle, je me souviens que, vers 1967, lors de l’un de ses déplacement en province, un cri s’éleva dans la foule : « Mort aux cons ! » Le général, nullement décontenancé, réplique, paraît-il : « Vaste programme ! » Comment ne pas adhérer à une telle proclamation ?

Le gros con chasseur est de l’espèce perverse et, à l’occasion tueuse, comme en témoigne une récente déclaration du chef de meute Jean Saint Josse : « Ceux qui n’iront pas dans notre sens seront morts politiquement ! » Evidemment, il ne s’agit que de bulletins de vote mais l’imbécile de base comprend immédiatement qu’il peut passer à l’action, bien au-delà des urnes. D’où l’agression subie le 26 avril par un député socialiste de la Somme, Vincent Peillon. Lequel, quelques mois plus tôt, avait soutenu les « justes revendications » des chasseurs, en compagnie d’un stalinien tendance gros con : Maxime Gremetz.

Cet incident violent démontre, s’il en était nécessaire, qu’un simple ralliement ne suffit pas. Soutenir, à pas comptés, les cons devenus détenteurs d’un certain pouvoir équivaut à une trahison, ce que n’avait pas compris l’élu socialiste. En revanche, les gros cons chasseurs estimaient qu’ils seraient soutenus car le président de CPNT Somme comprenait « la colère des chasseurs », lesquels hurlaient aux gendarmes qui protégeaient l’élu du peuple : « Laissez-le nous, on va lui exploser la tête ! »

Le 1er mai, des chasseurs du Médoc, décidé à ouvrir la chasse à la tourterelle, malgré les édits, se sont risqués à tabasser le président de la ligue de défense des oiseaux, Alain Bougrain-Dubourg, sous les yeux des gendarmes qui se sont bien gardés de réagir, souhaitant au contraire bonne chasse à ces hors la loi. Dans l’un et l’autre cas, il y a, à l’évidence, non-assistance à personne en danger de la part des gendarmes - plus proches des gros cons que des défenseurs de la loi.

Il n’y a pas eu mort d’homme mais les images vues à la télévision, dans les jours qui ont suivi ces équipées sauvages, donnaient froid dans le dos. En effet, quand la connerie s’ajoute à la haine de la démocratie, il faut commencer à être inquiet. Succomber à la tentation de réduire à la simple connerie la volonté destructrice des chasseurs, des hobereaux de l’agriculture ou même de certains pêcheurs de haute mer, à l’occasion, serait une grave erreur. Il est utile de réfléchir aux nombreuses conjonctions intervenant entre ces faux défenseurs de la nature et les groupes de l’extrême droite ouvertement déclarés. D’ailleurs, à la veille du dernier congrès du Front national, Jean-Marie Le Pen a naïvement vendu la mèche en expliquant la désaffection des électeurs pour le FN, en juin 1999, par l’émergence du CPNT et du RPF de Charles Pasqua.

Ne soyons pas naïfs. Si les gros cons encombrent le paysage politique, ils n’en sont pas moins actifs et ne s’inquiètent pas à l’idée de renforcer l’extrême droite. De tout temps, il en a été ainsi : les gros cons défilent au pas cadencé dans le même temps que les aspirants dictateurs préparent la répression de masse qui sera mise en œuvre par ces débiles persuadés de sauver la civilisation blanche.

Notre ami le Petit Robert, qui ne mêle pas la politique à son érudition, nous met pourtant en garde contre ces tristes contemporains dont il énumère les possibles synonymes : idiots, crétins, bêtes, imbéciles, stupides, débiles, ineptes, mais également, de façon moins pédante : couillons, enflés, enflures, glands, pauvres d’esprits, andouilles, balourds, etc.

Soyons plus vulgaires. Parmi ces chasseurs qui s’avancent en rangs serrés pour participer à la création d’un ordre nouveau où chaque citoyen serait armé pour tuer tout ce qui bouge - y compris les opposants à leur projet de société - il est possible de décliner à l’infini ce mot en trois lettres. Il y a le con qui s’ignore, celui qui persiste, le con triste et le joyeux con. Nous trouvons également le con hébété, le con effaré, le con militant, le con obstiné. SI le con naïf se rencontre fréquemment, il côtoie souvent le con vindicatif, le con distingué et le con vulgaire, le vieux con et le jeune con (le plus dangereux car il a l’avenir devant lui). Sans oublier le con divergent, le méchant con, le mauvais con et le sale con, le grand con et le roi des cons. Comme il convient, malgré tout, d’être charitable, cette classification ne doit pas oublier en chemin : le con banal et le con ordinaire, le con méritant et con halluciné.

Chacun d’entre nous peut compléter à loisir cette liste interminable d’individus ayant droit à ce qualificatif, tout en prenant bien garde de ne pas oublier que ceux que nous combattons, en première ligne, sont loin d’être aussi cons qu’ils ne peuvent en avoir l’air.

Publié dans le mensuel No Pasaran ! - Juin, juillet, août 2000