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Les travailleurs de la matraque
par Maurice Rajsfus

Origine : http://nopasaran.samizdat.net/article.php3?id_article=45

Au bon temps du Front populaire, les manifestants défilaient aux cris de “La police avec nous !”, à l’adresse d’un service d’ordre vigilant présent aux carrefours, sur les grands boulevards. C’était d’une grande naïveté, c’est vrai, mais l’illusion pouvait être forte que l’on était en famille : les policiers étant issus de la classe ouvrière, tandis que les gardes mobiles venaient de la paysannerie. Ceux qui étaient ainsi interpellés souriaient, parfois, même s’ils restaient insensibles à cette invitation.

En ce début du XXIème siècle, les policiers sont d’origine inconnue. Presque tous bacheliers, pour les plus jeunes, ils sont complètement déconnectés de la population qu’ils sont chargés à l’occasion, de réprimer rudement. Jeunes des banlieues, chômeurs, précaires, sans papiers, tout “individu” est digne de se faire matraquer. Sans remords.

Notre gauche convenable, dans son infinie stupidité, n’a pas voulu comprendre qu’en rivalisant avec la droite, en matière de sécurité, elle faisait également le lit de l’extrême droite. C’est ainsi que Le Pen caracole dans les sondages, sans même avoir besoin de hausser le ton - d’autres le font pour lui. Nos socialistes s’évertuent également à ignorer qu’un cocktail sécuritaire bien agité, avec la police et à l’extrême droite à l’écoute, ne peut que préparer l’arrivée d’un régime autoritaire.

A moins de trois mois de l’élection présidentielle, le paysage démocratique s’est déjà singulièrement détérioré. L’idéologie sécuritaire s’est répandue dans tous les pores de notre société, au point de représenter bien plus d’intérêt que le chômage. Malgré la fin de la croissance, les licenciements sauvages, et le retour aux préoccupations matérielles, l’homme de la rue a été convaincu de s’inquiéter davantage de sa sécurité que des oripeaux de ses libertés qui partent en lambeaux. Rassuré par la vue des képis, qui se multiplient dans son environnement immédiat, le Français moyen est de plus en plus persuadé que l’ordre musclé assurera sa quiétude. Peu importe l’avenir que cette prolifération policière ne manque pas d’annoncer.

Forte du reniement de la gauche, qui remet en question la loi sur la présomption d’innocence, la police se croit désormais tout permis. Remettre en cause la loi qu’il est censé faire respecter est devenu une habitude chez nos défenseurs de l’ordre public. Comme, dans le même temps, la justice distribue généreusement les acquittements et les non-lieux aux policiers qui tirent plus facilement dans la nuque que dans les pneus, il convient de s’inquiéter. L’opinion publique - si elle existe encore - s’habitue à ce que les jeunes des banlieues soient tirés comme des lapins. Demain, il paraîtra naturel de voir des policiers dégainer contre des manifestants ou des salariés en grève occupant leur entreprise. Bien sûr, c’est là une vision pessismiste mais à vivre couché l’habitude vient rapidement de ne rien voir, de ne rien entendre.

Traditionnellement, selon les pays, les régimes autoritaires qui s’annoncent s’appuient nécessairement sur la police ou sur l’armée. En France, il semble que la police soit disponible pour jouer le rôle de garde prétorienne. D’autant plus facilement que, par la droite comme par la gauche, la population a été convaincue de la nécessité de vivre à l’ombre rassurante des matraques.

Bien sûr, cala acomporte quelques inconvénients, mais en évitant de trop s’intéresser aux dommages causés, il est possible de vivre douillettement au beau pays de France. Nos parents, grands parents ou arrière grands parents ont connu de telles situations, tremblant à la vue d’un uniforme ; les plus réticents à la loi policière connaissant une répression brutale. L’heure est peut-être venue de se livrer à quelques amalgames et rappeler que, sous la botte nazie, policiers et gendarmes de ce pays ont participé à la déportation de quelques 250 000 habitants de ce pays, dont 76 000 Juifs. Voilà ! J’ai osé ! Et je suis persuadé que nos policiers de 2002 sont prêts à se comporter avec les Maghrébins de façon tout aussi odieuse, même si, cette fois, Auschwitz n’est pas au bout du voyage.

Police et gendarmerie, une fois leurs revendications essentielles satisfaites, ne sont pas décidées à en rester là. Par exemple, c’est le Syndicat général de la police (SGP) qui proclame haut et fort son intention de débarrasser le pays de la “Chienlit”. Ce qui nous renvoie aux propos de Charles de Gaulle et de Georges Pompidou, lorsque les forces de l’ordre déversaient leur haine sur la jeunesse étudiante, en mai 1968.

Lorsque les forces de police se considèrent comme les derniers garants de la démocratie, les libertés sont menacées et il est peut-être temps de s’inquiéter de cette propension à confier notre avenir à ces mercenaires qui rentrent au chenil lorsqu’ils ont obtenu quelques deniers supplémentaires !

Certes, les temps ont changé et la cible n’est plus la même. Depuis bien des années, ce sont les jeunes des cités qui seraient à l’origine de ce “non-droit” qui chagrine tellement nos policiers. Comme les garçons d’origine maghrébine sont nombreux dans ces banlieues où leurs familles ont été concentrées, la volonté répressive peut s’y manifester, et les policiers de la BAC ne se font pas faute d’apparaître en vengeurs d’une société menacée.

Sur le terrain, cela se manifeste par l’arrogance, la hargne, le verbe haut, la morgue, la volonté d’humilier, les insultes et les propos racistes, les réflexions sexistes et la violence. A l’occasion, les flingues sont dégainés et les balles partent toutes seules. Ces modes de comportement tenant souvent lieu de mode de dialogue de “proximité”.

Par un curieux transfert, il y a volonté de convaincre, la population que les policiers sont en danger permanent, malgré leur surarmement et les gilets pare-balle. Dans un tel climat, il paraît de plus en plus naturel que des policiers puissent tirer sans sommation (ce que la loi interdit, sauf en situation de légitime défense). De plus en plus, il y a volonté d’assimiler les jeunes des banlieues aux truands du grand banditisme. Ce qui ne peut que faciliter la comparaison entre des gamins largués par notre société et les braqueurs qui se hasardent à tuer un porteur d’uniforme.

Pour les policiers, la guerre a déjà commencé. Il dépend de nous que soit stoppée cette politique de la haine qui met notre société en danger.

Maurice Rajsfus

* Sur la police de Vichy, Maurice Rajsfus vient de publier La Rafle du Vel d’hiv (Que sais-je, PUF, janvier 2002), précédant Opération Etoile jaune (Le Cherche midi éditeur, février 2002). Nous reviendrons dans le prochain No Pasaran sur ces deux livres.