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Le devoir de désobéissance
par Maurice Rajsfus
lundi 1er janvier 2001

Origine : http://infos.samizdat.net/article56.html?var_recherche=Rajsfus

Apprendre à dire non n’est pas toujours facile. Il n’en reste pas moins que tout commence par le refus. C’est même, bien souvent, un gage de survie.

Nous avons, paraît-il, changé de siècle et de millénaire. Devons-nous pour autant modifier nos règles de conduite ? Nous étions contestataires, nous le demeurons. Nous sommes hostiles à la société des flics et des patrons, pourquoi changer ? L’an 2001 ne représente pas le début d’une ère paradisiaque, et l’attitude la plus cohérente consiste à refuser l’avenir qui nous est promis.

Apprendre à dire non, c’est surtout apprendre à vivre ! S’il est un enseignement que l’on se garde bien de dispenser aux écoliers, collégiens et lycéens, c’est bien celui de la désobéissance cohérente. Certes, de temps à autre, il est de bon ton de célébrer tel officier général qui, en des circonstances particulières a désobéi pour sauver la Patrie - comme on dit en langage vulgaire. Bien entendu, nous savons que ce général s’efforcera, plus tard, de faire revenir dans le droit chemin ceux qui se hasardaient à s’opposer à la loi dont il était devenu le défenseur proclamé.

Nous vivons dans une société où le système éducatif est basé sur l’obéissance. Dès lors, désobéir, c’et quitter le rail obligé, se mettre en marge, se faire motnrer du doigt par ses contemporains. A l’école primaire, ça peut être le piquet mais, à l’âge adulte, la punition risque de conduire celui que l’on décrit comme un teigneux sur la paille humide des cachots.

Désobéir. Refuser. Dire non. C’est résister aux grands principes. Ne pas céder aux injonctions, c’est risquer d’être considéré comme un « meneur », c’est manquer de respect à une société dominatrice. C’est bafouer l’ordre moral. Ceux qui ne disent jamais non ne savent pas la joie qu’il est possible d’éprouver devant les faces de carême, blèmes de rage.

On dit de celui qui désobéit qu’il se cabre, que c’est un récalcitrant, un objecteur, un contestaire, un chicaneur, un gibier de potence. Les qualificatifs ne manquent pas aux hommes d’ordre pour dénoncer ceux qui ne se sentent pas à l’aise dans les rangs.

La désobéissance est toujours comprise comme le prélude à la rébellion. Pour aggraver le cas de ceux qui refusent certains édits, on affirme qu’ils violent les lois, pour éviter de dire simplement qu’ils contreviennent à un ordre qui ne leur convient pas. Alors, le voleur d’œuf peut se faire voleur de bœuf. Simple rapport de force. De même, celui qui n’accepte pas de marcher dans les clous n’est peut-être pas éloigné de ceux dont l’ambition consiste à remettre en cause l’ordre établi.

Désobéir, c’est « manquer » à ses mentors, au sens où l’on utilise ce mot dans les milieux infréquentables. Refuser les ordres conduit à être défini comme un réfractaire. En certaines occasions, on tue ceux qui refusent de tuer. Dans le meilleur des cas, on enferme les malentendants de la bonne parole. Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Alors, bouchons-nous les oreilles et le donneur d’ordre parle dans le désert, s’époumonne, se fatigue, devient pâle de rage devant nos sourires et risque l’apoplexie. Il n’y a pas là non-assistance à personne en danger. Simplement œuvre de salubrité publique. En effet, nul n’est censé passer son existence à écouter des inepsies ! Il est possible de multiplier les approches. L’enfant ne devrait pas « tenir tête ». Sauf à être morigéné, puis désigné comme un insolent. Vient ensuite l’évocation de l’oubli de la promesse donnée ou du serment. Bientôt, le gamin rétif sera traité de parjure. Restons calmes : on a bien le droit de n’être pas de l’avis de tout le monde.

Généralement, les jeunes enfants disent non à toutes les propositions. Ce qui ne les empêche pas de dire oui, après une rapide réflexion. C’est là une approche naturelle, on le sait bien, car si l’individu commence par dire oui, il est lié par sa parole, ficelé serré. Bon exemple : à tout âge, gardons-nous bien de dire oui trop rapidement. C’est peut-être la meilleure façon de rester jeune. Hélas ! nous sommes tous devenus « grands » et la société ne néglige aucune occasion de se défendre, avec l’utilisation d’un vocabulaire approprié : mauvaise tête, puis factieux, mutin, insurgé peut-être. Comme nous ne devons jamais être à court d’arguments, la riposte est aisée et notre vocabulaire vaut bien celui de ceux qui veulent nous mettre à l’index : s’opposer, se rebeller, se cabrer, résister, être indocile, contrevenir, enfreindre, se révolter enfin. Faire peur à celui ou à ceux qui songeraient à nous mater. Toutes atittudes conduisant naturellement à commettre des actes d’indiscipline, d’insubordination, voire d’insoumission, contre cette société hostile aux raisonneurs.

Comme il nous faut, bien souvent, aller à l’encontre de lois adoptées sans que nous ayons été consultés, nous apparaissons comme des récidivistes car ces lois et décrets sont tellement nombreux que notre opposition est constante. Tout comme nous sommes dans l’obligation de contrevenir à une morale qui ne nous concerne pas. Ceux qui ont été soldats - à leur corps défendant - connaissent cette loi fondamentale : « L’obéissance faisant la force principale des armées... » Passons.

On commence par obéir au doigt et à l’œil, puis on tombe sous le joug, comme jadis les bœufs au labour. On est inféodé, dominé, exploité, laminé. L’humiation suit la soumission. On passe son existence à s’incliner, et l’on devrait remercier de n’être pas maltraité davantage. Comment peut-on accepter un avenir composé exclusivement d’obligations et d’interdits ? L’apprentissage de la désobéissance est un long cheminement - Il faut toute une vie pour atteindre la perfection.

Le philosophe Alain explique dans Histoire de mes pensées : « J’ai pris l’habitude de ne jamais donner les raisons d’un refus. Refuser en donnant les raisons, ce n’est point refuser ! » A rebours, l’humoriste irlandais Georges-Bernard Shaw était bien plus direct dans son Bréviaire du révolutionnaire : « L’obéissance simule la subordination, exactement comme la crainte de la police simule l’honnêteté ». Enfin, le dictionnaire Larousse nous enseigne que les contrevenants sont ceux « qui ne respectent pas les prescriptions de la police ». Comment ne pas adhérer à une telle définition de la désobéissance ?

Publié dans le mensuel No Pasaran ! - Janvier 2001.