|
Origine : http://infos.samizdat.net/article56.html?var_recherche=Rajsfus
Apprendre à dire non n’est pas toujours facile. Il
n’en reste pas moins que tout commence par le refus. C’est
même, bien souvent, un gage de survie.
Nous avons, paraît-il, changé de siècle et
de millénaire. Devons-nous pour autant modifier nos règles
de conduite ? Nous étions contestataires, nous le demeurons.
Nous sommes hostiles à la société des flics
et des patrons, pourquoi changer ? L’an 2001 ne représente
pas le début d’une ère paradisiaque, et l’attitude
la plus cohérente consiste à refuser l’avenir
qui nous est promis.
Apprendre à dire non, c’est surtout apprendre à
vivre ! S’il est un enseignement que l’on se garde bien
de dispenser aux écoliers, collégiens et lycéens,
c’est bien celui de la désobéissance cohérente.
Certes, de temps à autre, il est de bon ton de célébrer
tel officier général qui, en des circonstances particulières
a désobéi pour sauver la Patrie - comme on dit en
langage vulgaire. Bien entendu, nous savons que ce général
s’efforcera, plus tard, de faire revenir dans le droit chemin
ceux qui se hasardaient à s’opposer à la loi
dont il était devenu le défenseur proclamé.
Nous vivons dans une société où le système
éducatif est basé sur l’obéissance. Dès
lors, désobéir, c’et quitter le rail obligé,
se mettre en marge, se faire motnrer du doigt par ses contemporains.
A l’école primaire, ça peut être le piquet
mais, à l’âge adulte, la punition risque de conduire
celui que l’on décrit comme un teigneux sur la paille
humide des cachots.
Désobéir. Refuser. Dire non. C’est résister
aux grands principes. Ne pas céder aux injonctions, c’est
risquer d’être considéré comme un «
meneur », c’est manquer de respect à une société
dominatrice. C’est bafouer l’ordre moral. Ceux qui ne
disent jamais non ne savent pas la joie qu’il est possible
d’éprouver devant les faces de carême, blèmes
de rage.
On dit de celui qui désobéit qu’il se cabre,
que c’est un récalcitrant, un objecteur, un contestaire,
un chicaneur, un gibier de potence. Les qualificatifs ne manquent
pas aux hommes d’ordre pour dénoncer ceux qui ne se
sentent pas à l’aise dans les rangs.
La désobéissance est toujours comprise comme le prélude
à la rébellion. Pour aggraver le cas de ceux qui refusent
certains édits, on affirme qu’ils violent les lois,
pour éviter de dire simplement qu’ils contreviennent
à un ordre qui ne leur convient pas. Alors, le voleur d’œuf
peut se faire voleur de bœuf. Simple rapport de force. De même,
celui qui n’accepte pas de marcher dans les clous n’est
peut-être pas éloigné de ceux dont l’ambition
consiste à remettre en cause l’ordre établi.
Désobéir, c’est « manquer » à
ses mentors, au sens où l’on utilise ce mot dans les
milieux infréquentables. Refuser les ordres conduit à
être défini comme un réfractaire. En certaines
occasions, on tue ceux qui refusent de tuer. Dans le meilleur des
cas, on enferme les malentendants de la bonne parole. Il n’est
pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Alors, bouchons-nous
les oreilles et le donneur d’ordre parle dans le désert,
s’époumonne, se fatigue, devient pâle de rage
devant nos sourires et risque l’apoplexie. Il n’y a
pas là non-assistance à personne en danger. Simplement
œuvre de salubrité publique. En effet, nul n’est
censé passer son existence à écouter des inepsies
! Il est possible de multiplier les approches. L’enfant ne
devrait pas « tenir tête ». Sauf à être
morigéné, puis désigné comme un insolent.
Vient ensuite l’évocation de l’oubli de la promesse
donnée ou du serment. Bientôt, le gamin rétif
sera traité de parjure. Restons calmes : on a bien le droit
de n’être pas de l’avis de tout le monde.
Généralement, les jeunes enfants disent non à
toutes les propositions. Ce qui ne les empêche pas de dire
oui, après une rapide réflexion. C’est là
une approche naturelle, on le sait bien, car si l’individu
commence par dire oui, il est lié par sa parole, ficelé
serré. Bon exemple : à tout âge, gardons-nous
bien de dire oui trop rapidement. C’est peut-être la
meilleure façon de rester jeune. Hélas ! nous sommes
tous devenus « grands » et la société
ne néglige aucune occasion de se défendre, avec l’utilisation
d’un vocabulaire approprié : mauvaise tête, puis
factieux, mutin, insurgé peut-être. Comme nous ne devons
jamais être à court d’arguments, la riposte est
aisée et notre vocabulaire vaut bien celui de ceux qui veulent
nous mettre à l’index : s’opposer, se rebeller,
se cabrer, résister, être indocile, contrevenir, enfreindre,
se révolter enfin. Faire peur à celui ou à
ceux qui songeraient à nous mater. Toutes atittudes conduisant
naturellement à commettre des actes d’indiscipline,
d’insubordination, voire d’insoumission, contre cette
société hostile aux raisonneurs.
Comme il nous faut, bien souvent, aller à l’encontre
de lois adoptées sans que nous ayons été consultés,
nous apparaissons comme des récidivistes car ces lois et
décrets sont tellement nombreux que notre opposition est
constante. Tout comme nous sommes dans l’obligation de contrevenir
à une morale qui ne nous concerne pas. Ceux qui ont été
soldats - à leur corps défendant - connaissent cette
loi fondamentale : « L’obéissance faisant la
force principale des armées... » Passons.
On commence par obéir au doigt et à l’œil,
puis on tombe sous le joug, comme jadis les bœufs au labour.
On est inféodé, dominé, exploité, laminé.
L’humiation suit la soumission. On passe son existence à
s’incliner, et l’on devrait remercier de n’être
pas maltraité davantage. Comment peut-on accepter un avenir
composé exclusivement d’obligations et d’interdits
? L’apprentissage de la désobéissance est un
long cheminement - Il faut toute une vie pour atteindre la perfection.
Le philosophe Alain explique dans Histoire de mes pensées
: « J’ai pris l’habitude de ne jamais donner les
raisons d’un refus. Refuser en donnant les raisons, ce n’est
point refuser ! » A rebours, l’humoriste irlandais Georges-Bernard
Shaw était bien plus direct dans son Bréviaire du
révolutionnaire : « L’obéissance simule
la subordination, exactement comme la crainte de la police simule
l’honnêteté ». Enfin, le dictionnaire Larousse
nous enseigne que les contrevenants sont ceux « qui ne respectent
pas les prescriptions de la police ». Comment ne pas adhérer
à une telle définition de la désobéissance
?
Publié dans le mensuel No Pasaran ! - Janvier 2001.
|
|