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Vous avez dit antisémitisme ?
par Maurice Rajsfus
mercredi 1er novembre 2000

Origine : http://infos.samizdat.net/article54.html?var_recherche=Rajsfus

Le grand mot est lâché : antisémitisme. Comme si la France entière était, de nouveau, saisie par les vieux démons. Les mots peuvent être meurtriers et il convient d’en mesurer la portée. Et surtout, ne pas oublier que ce sont surtout les Arabes et les Noirs qui sont l’objet du rejet et même de la haine d’une partie notable de la population de ce pays.

Antisémitisme, c’est le rappel d’une longue traque, hideuse, qui conduisait au pire, il y a bientôt soixante ans, à Auschwitz. Alors ceux qui, aujourd’hui, évoquent le retour de ce cancer n’utilisent pas le mot antisémitisme au hasard. Jadis, on tentait de se protéger de cette lèpre en utilisant le langage de la raison, mais les vecteurs de cette attitude de haine étaient, bien définis : on était antisémite à droite et la réflexion s’arrêtait là.

Le mot et son utilisation ont varié. Par exemple, au travers du conflit israélo-palestinien, c’est une arme brandie contre tous ceux qui s’opposent au sionisme, idéologie active qui ne saurait souffrir la moindre critique. C’est ainsi que le nombre des « antisémites » potentiels n’a cessé de croître depuis la guerre de juin 1967 et l’occupation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Peut-être désormais qualifié d’antisémite quiconque dénonce le terrorisme officiel mené par l’Etat d’Israël.

Il est quand même nécessaire de garder son calme, et ne pas lancer des anathèmes, même lorsque - malheureusement des synagogues sont détruites dans les banlieues parisienne. En écoutant les mauvais augures, on pourrait croire que la guerre contre les Juifs est de nouveau à l’ordre du jour. Que la moitié de l’humanité veut détruire les Juifs, tandis que l’autre moitié se voile la face pour ne pas voir. Non. Des voix nombreuses se lèvent pour dénoncer Israël et son comportement colonialiste. C’est très différent. Que des Français d’origine arabe vivent mal cette situation n’a rien que de très naturel, mais il est de notre devoir d’expliquer inlassablement que les Juifs ne sont pas nécessaire sionistes et qu’il est plus que stupide de s’attaquer aux lieux de culte de ceux qui croient en une divinité différente. Reste également à vérifier si les intégristes islamistes qui s’attaquent aux synagogues ne sont pas relayés par des groupes d’extrême droite, bien français ceux-là.

Nous savons, de longue expérience, que la situation de parias qui est celle des Palestiniens, depuis 1948, pour les réfugiés de la région qui s’appelle aujourd’hui Israël, n’a jamais ému les humanistes qui pleurent aujourd’hui. Nous connaissons les conditions inhumaines faites aux Palestiniens des territoires occupés depuis le mois de juin 1967. Et puis, comment ignorer que, de tous temps, les Palestiniens ont été considérés comme des sous-hommes dans leur propre pays occupé par les héritiers des rescapés du génocide ? A la limite, pour les Israéliens, les Palestiniens n’existaient même pas, jusqu’à l’Intifada de 1987.

Mais pourquoi parler de la Palestine occuper alors que la menace d’un nouvel antisémitisme se ferait jour en France ? Une telle interrogation feint d’ignorer les liens existant entre les institutions juives de France (CRIF et Consistoire, essentiellement) qui ne représentent guère plus de 25% de ceux des citoyens de ce pays qui revendiquent leur judaïsme et se considèrent peut-être comme des Israéliens de l’arrière.

Depuis décembre 1987 et la révolte des pierres, conduites par les jeunes palestiniens, la société israélienne a pris conscience de l’existence bien réelle d’une population spoliée et opprimée. La répression, avec des centaines de morts, d’innombrables blessés et des milliers de militants emprisonnés dans les pires conditions, exprime la haine d’une société pédatrice envers un peuple, colonisé dans un premier temps et surtout invité à quitter les lieux. Cette guerre faite aux Palestiniens - qui ont osé refuser l’oppression - a tourné, depuis bien longtemps, à des comportements de haine pure et au racisme anti-arabe.

En France, les institutions juives, toujours à l’écoute des événements du Proche Orient, se sont toujours déclarée solidaires de la politique des gouvernement successifs - que la droite ou la « gauche » israélienne soit au pouvoir. Dès lors, la haine des Arabes franchissait la Méditerranée une seconde fois (c’était déjà le cas après 1962, lors de l’arrivée en France des pieds noirs) transformant bien des Juifs communautaires en racistes avérés. L’histoire du génocide des Juifs d’Europe étant convoquée pour mieux illustrer ce rejet. On ne peut oublier, en effet, que lors de la visite de Yasser Arafat à Paris, les 1er et 2 mai 1989, les institutions juives de France clamaient : « Comment la France a-t-elle pu inviter le chef des terroristes palestiniens alors même que nous commémorons la mémoire des déportés juifs ? »

Incroyable. A ce stade, la volonté était de faire porter aux Palestiniens une partie de la responsabilité du génocide des Juifs conduit par les nazis, de 1940 à 1945. Encore plus incroyable, ce type de discours ne manquait pas de faire mouche, d’autant plus qu’une fraction importante des Français sont maladivement racistes face aux Arabes, car la guerre d’Algérie a laissé des traces durables et hideuses au pays des droits de l’homme. Et puis, comment ne pas être solidaires de ces Israéliens qui cassent du « Bougnoule » dans les territoires occupés ? (Ces bons Français sont les dignes héritiers de ceux qui ne sont tus lorsque, de 1941 à 1944, la police de Vichy traquait les Juifs, immigrés de préférence !)

Ces réflexions ne nous éloignent pas du débat actuel. Bien au contraire, elles nous y ramènent. Depuis le 28 septembre 2000, un nouveau conflit a éclaté. Lassés de voir s’enliser les résultats des accords d’Oslo (1993) puis de Washington, les Palestiniens se sont de nouveau révoltés, après la promenade provocation du boucher Ariel Sharon, sur l’esplanade des mosquées, à Jérusalem. Malgré les rencontres au sommet, et les promesses, sur le papier, d’une autonomie élargie, les Israéliens ont poursuivi leur politique de colonisation de la Cisjordanie. Oubliées et enterrées les résolutions de l’ONU de 1967, exigeant d’Israël l’évacuation des territoires occupés. Oubliés le sort des réfugiés de 1948 et de 1967, ces familles qui vivent dans des camps depuis trois générations. Il est donc possible de comprendre les moteurs de cette nouvelle révolte. Simple différence : en décembre 1987, c’étaient les pierres contre les mitrailles, alors qu’en octobre 2000 ce sont les mitraillettes et les pierres contre les chars et les hélicoptères de combat.

Face à cette nouvelle répression de masse, plus de cent morts et trois mille blessés en moins de quinze jours, les institutions juives de France n’ont pas manqué de prendre rapidement position. Le 3 octobre, Jean Kahn, président du Consistoire central israélite n’hésitait pas, appelant à « l’identification avec Israël, sinon nous nous rendons responsables d’un manquement pouvant mener à la fin de l’existence d’Israël ». Il n’y a pas la moindre équivoque dans cette déclaration, qui signifie sans détour que les Arabes palestiniens ont pour projet de détruire Israël et de massacre les Juifs - bien qu’ils affirment le contraire depuis 1989. Ce propos de Jean Kahn ne pouvait qu’appeler à la haine réciproque. Il est bien connu que la haine appelle la haine et l’on a entendu, lors de la manifestation parisienne du 7 octobre des cris tels que « mort aux Juifs » dans un cortège séparé conduit par des islamistes intégristes. Le soir même, des casseurs, dont on peut estimer qu’ils étaient proches des voyous du Bétar (organisation extrémiste juive), brisaient les vitres du siège du MRAP, à Paris, organisations antiraciste où se côtoient, parmi d’autres, des Juifs et des Arabes.

Les mots ne sont jamais innocents. C’est d’autant plus évident dans l’affrontement actuel, qui dépasse le conflit israélo/palestinien alors que nous assistons à une tragique montée de l’intégrisme aussi bien au sein du monde musulman que dans le judaïsme. Des actions dommageables pour tous suivent les prises de position irrédentistes. Ainsi, en proclamant leur attachement à Israël, les institutions juives de France se sont désignées comme des alliés objectifs de la police française qui pourchasse les jeunes des banlieues. C’est sans doute un raisonnement simpliste, mais comment parler de cohérence avec une génération d’enfants d’immigrés à qui la société française ne cesse d’indiquer la porte de sortie.

Bien sûr, il faut calmer le jeu, et avant tout combattre ce racisme, d’où qu’il vienne. En quelques jours, les dégâts se sont avérés gravissimes car la haine crée des fossés rapidement infranchissables. Ceux qui participent à la logique du rejet de l’autre ne doivent pas ’étonner des dérives qui peuvent s’en suivre...

Publié dans le mensuel No Pasaran ! - Novembre 2000