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Origine : http://infos.samizdat.net/article54.html?var_recherche=Rajsfus
Le grand mot est lâché : antisémitisme. Comme
si la France entière était, de nouveau, saisie par
les vieux démons. Les mots peuvent être meurtriers
et il convient d’en mesurer la portée. Et surtout,
ne pas oublier que ce sont surtout les Arabes et les Noirs qui sont
l’objet du rejet et même de la haine d’une partie
notable de la population de ce pays.
Antisémitisme, c’est le rappel d’une longue
traque, hideuse, qui conduisait au pire, il y a bientôt soixante
ans, à Auschwitz. Alors ceux qui, aujourd’hui, évoquent
le retour de ce cancer n’utilisent pas le mot antisémitisme
au hasard. Jadis, on tentait de se protéger de cette lèpre
en utilisant le langage de la raison, mais les vecteurs de cette
attitude de haine étaient, bien définis : on était
antisémite à droite et la réflexion s’arrêtait
là.
Le mot et son utilisation ont varié. Par exemple, au travers
du conflit israélo-palestinien, c’est une arme brandie
contre tous ceux qui s’opposent au sionisme, idéologie
active qui ne saurait souffrir la moindre critique. C’est
ainsi que le nombre des « antisémites » potentiels
n’a cessé de croître depuis la guerre de juin
1967 et l’occupation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza.
Peut-être désormais qualifié d’antisémite
quiconque dénonce le terrorisme officiel mené par
l’Etat d’Israël.
Il est quand même nécessaire de garder son calme,
et ne pas lancer des anathèmes, même lorsque - malheureusement
des synagogues sont détruites dans les banlieues parisienne.
En écoutant les mauvais augures, on pourrait croire que la
guerre contre les Juifs est de nouveau à l’ordre du
jour. Que la moitié de l’humanité veut détruire
les Juifs, tandis que l’autre moitié se voile la face
pour ne pas voir. Non. Des voix nombreuses se lèvent pour
dénoncer Israël et son comportement colonialiste. C’est
très différent. Que des Français d’origine
arabe vivent mal cette situation n’a rien que de très
naturel, mais il est de notre devoir d’expliquer inlassablement
que les Juifs ne sont pas nécessaire sionistes et qu’il
est plus que stupide de s’attaquer aux lieux de culte de ceux
qui croient en une divinité différente. Reste également
à vérifier si les intégristes islamistes qui
s’attaquent aux synagogues ne sont pas relayés par
des groupes d’extrême droite, bien français ceux-là.
Nous savons, de longue expérience, que la situation de parias
qui est celle des Palestiniens, depuis 1948, pour les réfugiés
de la région qui s’appelle aujourd’hui Israël,
n’a jamais ému les humanistes qui pleurent aujourd’hui.
Nous connaissons les conditions inhumaines faites aux Palestiniens
des territoires occupés depuis le mois de juin 1967. Et puis,
comment ignorer que, de tous temps, les Palestiniens ont été
considérés comme des sous-hommes dans leur propre
pays occupé par les héritiers des rescapés
du génocide ? A la limite, pour les Israéliens, les
Palestiniens n’existaient même pas, jusqu’à
l’Intifada de 1987.
Mais pourquoi parler de la Palestine occuper alors que la menace
d’un nouvel antisémitisme se ferait jour en France
? Une telle interrogation feint d’ignorer les liens existant
entre les institutions juives de France (CRIF et Consistoire, essentiellement)
qui ne représentent guère plus de 25% de ceux des
citoyens de ce pays qui revendiquent leur judaïsme et se considèrent
peut-être comme des Israéliens de l’arrière.
Depuis décembre 1987 et la révolte des pierres, conduites
par les jeunes palestiniens, la société israélienne
a pris conscience de l’existence bien réelle d’une
population spoliée et opprimée. La répression,
avec des centaines de morts, d’innombrables blessés
et des milliers de militants emprisonnés dans les pires conditions,
exprime la haine d’une société pédatrice
envers un peuple, colonisé dans un premier temps et surtout
invité à quitter les lieux. Cette guerre faite aux
Palestiniens - qui ont osé refuser l’oppression - a
tourné, depuis bien longtemps, à des comportements
de haine pure et au racisme anti-arabe.
En France, les institutions juives, toujours à l’écoute
des événements du Proche Orient, se sont toujours
déclarée solidaires de la politique des gouvernement
successifs - que la droite ou la « gauche » israélienne
soit au pouvoir. Dès lors, la haine des Arabes franchissait
la Méditerranée une seconde fois (c’était
déjà le cas après 1962, lors de l’arrivée
en France des pieds noirs) transformant bien des Juifs communautaires
en racistes avérés. L’histoire du génocide
des Juifs d’Europe étant convoquée pour mieux
illustrer ce rejet. On ne peut oublier, en effet, que lors de la
visite de Yasser Arafat à Paris, les 1er et 2 mai 1989, les
institutions juives de France clamaient : « Comment la France
a-t-elle pu inviter le chef des terroristes palestiniens alors même
que nous commémorons la mémoire des déportés
juifs ? »
Incroyable. A ce stade, la volonté était de faire
porter aux Palestiniens une partie de la responsabilité du
génocide des Juifs conduit par les nazis, de 1940 à
1945. Encore plus incroyable, ce type de discours ne manquait pas
de faire mouche, d’autant plus qu’une fraction importante
des Français sont maladivement racistes face aux Arabes,
car la guerre d’Algérie a laissé des traces
durables et hideuses au pays des droits de l’homme. Et puis,
comment ne pas être solidaires de ces Israéliens qui
cassent du « Bougnoule » dans les territoires occupés
? (Ces bons Français sont les dignes héritiers de
ceux qui ne sont tus lorsque, de 1941 à 1944, la police de
Vichy traquait les Juifs, immigrés de préférence
!)
Ces réflexions ne nous éloignent pas du débat
actuel. Bien au contraire, elles nous y ramènent. Depuis
le 28 septembre 2000, un nouveau conflit a éclaté.
Lassés de voir s’enliser les résultats des accords
d’Oslo (1993) puis de Washington, les Palestiniens se sont
de nouveau révoltés, après la promenade provocation
du boucher Ariel Sharon, sur l’esplanade des mosquées,
à Jérusalem. Malgré les rencontres au sommet,
et les promesses, sur le papier, d’une autonomie élargie,
les Israéliens ont poursuivi leur politique de colonisation
de la Cisjordanie. Oubliées et enterrées les résolutions
de l’ONU de 1967, exigeant d’Israël l’évacuation
des territoires occupés. Oubliés le sort des réfugiés
de 1948 et de 1967, ces familles qui vivent dans des camps depuis
trois générations. Il est donc possible de comprendre
les moteurs de cette nouvelle révolte. Simple différence
: en décembre 1987, c’étaient les pierres contre
les mitrailles, alors qu’en octobre 2000 ce sont les mitraillettes
et les pierres contre les chars et les hélicoptères
de combat.
Face à cette nouvelle répression de masse, plus de
cent morts et trois mille blessés en moins de quinze jours,
les institutions juives de France n’ont pas manqué
de prendre rapidement position. Le 3 octobre, Jean Kahn, président
du Consistoire central israélite n’hésitait
pas, appelant à « l’identification avec Israël,
sinon nous nous rendons responsables d’un manquement pouvant
mener à la fin de l’existence d’Israël ».
Il n’y a pas la moindre équivoque dans cette déclaration,
qui signifie sans détour que les Arabes palestiniens ont
pour projet de détruire Israël et de massacre les Juifs
- bien qu’ils affirment le contraire depuis 1989. Ce propos
de Jean Kahn ne pouvait qu’appeler à la haine réciproque.
Il est bien connu que la haine appelle la haine et l’on a
entendu, lors de la manifestation parisienne du 7 octobre des cris
tels que « mort aux Juifs » dans un cortège séparé
conduit par des islamistes intégristes. Le soir même,
des casseurs, dont on peut estimer qu’ils étaient proches
des voyous du Bétar (organisation extrémiste juive),
brisaient les vitres du siège du MRAP, à Paris, organisations
antiraciste où se côtoient, parmi d’autres, des
Juifs et des Arabes.
Les mots ne sont jamais innocents. C’est d’autant plus
évident dans l’affrontement actuel, qui dépasse
le conflit israélo/palestinien alors que nous assistons à
une tragique montée de l’intégrisme aussi bien
au sein du monde musulman que dans le judaïsme. Des actions
dommageables pour tous suivent les prises de position irrédentistes.
Ainsi, en proclamant leur attachement à Israël, les
institutions juives de France se sont désignées comme
des alliés objectifs de la police française qui pourchasse
les jeunes des banlieues. C’est sans doute un raisonnement
simpliste, mais comment parler de cohérence avec une génération
d’enfants d’immigrés à qui la société
française ne cesse d’indiquer la porte de sortie.
Bien sûr, il faut calmer le jeu, et avant tout combattre
ce racisme, d’où qu’il vienne. En quelques jours,
les dégâts se sont avérés gravissimes
car la haine crée des fossés rapidement infranchissables.
Ceux qui participent à la logique du rejet de l’autre
ne doivent pas ’étonner des dérives qui peuvent
s’en suivre...
Publié dans le mensuel No Pasaran ! - Novembre 2000
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