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Origine : http://infos.samizdat.net/article78.html?var_recherche=Rajsfus
Nous sommes en 2001. Il y a beau temps que des hommes ont sautillé
sur la lune, tandis que d’autres envisagent déjà
l’exploration de la planète Mars. Internet permet l’information
pointue, en temps réel, mais il semble que, de plus en plus,
nos contemporains se désintéressent de la situation
politique. Certes, on guérit plus facilement du cancer mais
les rebouteux ont encore de beaux jours devant eux. Malgré
les dérives bien connues de l’Ordre du temple solaire,
les sectes ont toujours la vie dure et continuent à recruter
; y compris dans les milieux intellectuels. Il paraît d’ailleurs
que les Scientologues sont très bien introduits dans la magistrature,
comme dans d’autres rouages de l’Etat.
Notre société de très haute technologie, où
l’on exige déjà le niveau Bac + 2 pour devenir
CRS, souffre d’un terrible déficit d’intelligence.
Les naïfs y sont toujours aussi nombreux qu’en des temps
reculés, avec cette circonstance aggravante qu’il est
possible à tous d’accéder avec succès
aux sources de la connaissance. Le mystère prend souvent
le pas sur les valeurs acquises car la réflexion n’est
pas mise à contribution. Est-ce à dire que rien n’a
changé depuis le haut Moyen-âge, lorsque les terreurs
ponctuelles naissaient de rumeurs qu’il n’était
même pas question de réfuter ?
La réflexion est peut-être ailleurs. Il s’agirait
bien plus d’une perte de ce bon sens dont n’étaient
pourtant pas dépourvus les naïfs d’antan. Peut-on
alors estimer que l’accès à l’éducation
pour tous n’aurait pas nécesairement permis l’ouverture
des esprits ? Ainsi, à la mi-avril 2001, on a pu constater
que nombre d’habitants d’Abeville, maire et adjoints
en tête, se plaignaient de ce que les graves inondations dues
aux pluies et à la crue de la Somme aient eu pour origine
la volonté de protéger Paris - le gouvernement s’étant
appliqué à refouler vers le Nord les eaux du bassin
de la Seine. Comme un postulat n’a pas à être
démontré, les pervers qui ont colporté la rumeur
ne pouvait que rencontrer l’adhésion d’hommes
et de femmes dont le comportement ordinaire avait toujours paru
cohérent. De plus, ces pauvres hères étaient
incités à délirer par les énervés
de Chasse Pèche Nature et Traditions (CPNT) dont les liens
directs et indirects avec l’extrême sont bien connus.
Comme la connerie est encore un territoire incomplètement
exploré, il ne faut pas s’étonner de voir le
député PCF de la Somme, Maxime Gremetz, entrer dans
le jeu des abrutis. Ce demeuré de choc ne peut oublier qu’il
a été, il y a peu d’années, l’un
des tenants de ce "socialisme scientifique" qui faisait
la gloire du stalinisme et d’une Union soviétique dont
le bilan était considéré comme "globalement
positif" jusqu’à l’orée des années
quatre-vingt par Georges Marchais et ses séïdes.
Il ne suffit pas d’être capable de raison pour être
doué d’intelligence. Le bon sens fait même souvent
défaut à ceux qui sont pourtant persuadés de
faire le bon choix. Il est vrai que la réflexion n’est
pas nécessaire aux impatients. Certes, il y a bien l’esprit
de déduction mais il est aussi absent que les idées.
Pour les cerveaux obtus, l’essentiel n’est pas de comprendre
mais d’être persuadé. A l’affût de
la fausse science et du sensationnel, l’égaré
s’enthousiasme tout autant qu’il peut se lamenter. La
raison n’a pas nécessairement sa place dans le jugement
porté sur les événements. La logique étant
abstente, si le sujet est emporté par la violence de son
imagination, il ne faut pas attendre de lui des réactions
cohérentes. Apparemment en bonne santé morale, l’homme
qui débat pour soutenir des idées fausses est persuadé
qu’il est dans le vrai. Ses affirmations, comme ses objections,
paraissent aller de soi. Peu importe la rationnalité. Comme
disait Tertulien, l’un des premiers docteurs de la loi chrétienne,
avant qu’il ne devienne schismatique : "Je crois parce
que c’est absurde !"
Dès lors, toute rumeur peut devenir réalité.
Peu importent les arguments sérieux. La certitude absolue
domine la réflexion. Toute évidence approximative
devient vérité obligée. La moindre affirmation
fallacieuse, mais délivrée avec des accents de sincérité,
est considérée comme preuve irréfutable. Certes,
la conviction n’est pas toujours abstente des affirmations
les plus hasardeuses, les plus folles, mais les certitudes qui peuvent
paraître absolues ne sont que rarement vérifiées.
C’est ainsi qu’une vérité approximative
peut devenir dogme. Nulle nécessité alors de vérifier
la véracité de telles affirmations.
C’est ainsi que fonctionne l’extrême droite,
en s’appuyant sur les difficultés des plus démunis
qui, séduits, oublient leurs véritables problèmes
et favorisent la montée des pouvoirs forts. Comment la gauche,
qui floue régulièrement les exclus, pourrait-elle
s’indigner de ce constat, elle qui a oublié que son
devoir doit la situer au plus près de ces marginalisés
? Au début du siècle passé, par exemple, les
"Possibilistes", déjà en voie de rupture
avec le socialisme, expliquaient que toute lutte révolutionnaire
ressortissait du domaine de l’utopie et qu’il fallait
se contenter de la portion congrue, c’est-à-dire du
"possible". Rien de tel pour inciter le fameux peuple
de gauche à changer de camp car en matière d’acquis
raisonnables et octroyés, la droite n’a pas sa pareille,
et l’extrême droite moins encore.
Il ne faut donc pas chercher la cohérence là même
où elle éprouve les plus grandes difficultés
à être admise. Il en va de même de l’intelligence
politique. Jean Rostand exprimait cela avec beaucoup de pertinence
: "Ce n’est pas de la faute de l’intelligence si
les imbéciles la mettent là où elle n’a
que faire !"
Nous avons beau avoir "la droite la plus bête du monde",
comme disait jadis Guy Mollet, la sottise se partage également
dans tous les corps de cette société malade. Nous
côtoyons chaque jour des esprits louds, des pauvres penseurs,
à gauche comme à droite. Le crétinisme basique
répond constamment à l’appel. Les cerveaux creux,
les débiles militants, tous ceux qui, au quotidien, outragent
le bon sens, ne peuplent pas que nos cauchemars. Bien entendu, les
abrutis ne sont jamais modestes, ils donnent même des leçons,
et si leur pédantisme fait peine à voir, ces tristes
cons ont plus de crédit qu’il y paraît auprès
de la masse des citoyens rendus benêts par leur difficulté
à choisir la voie naturelle : celle de la lutte contre l’exploitation
et l’autoritarisme. Sommes-nous tellement plus intelligents
que ces demeurés qui ne savent pus où est leur camp
? Devons-nous devenir des donneurs de leçons ? Gardons-nous
en bien ! Il n’y a rien de pire que la "ligne correcte"
assenée. Modestement, il faut se contenter de démontrer,
informer et non seriner des sermons abstaits. Sans oublier que,
sur le terrain, l’adversaire est bien défini et que
nous ne le combattrons pas seulement avec des mots.
Publié dans le mensuel No Pasaran ! - Juillet/Août
2000.
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