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Les demeurés et les autres
par Maurice Rajsfus
mardi 3 juillet 2001

Origine : http://infos.samizdat.net/article78.html?var_recherche=Rajsfus

Nous sommes en 2001. Il y a beau temps que des hommes ont sautillé sur la lune, tandis que d’autres envisagent déjà l’exploration de la planète Mars. Internet permet l’information pointue, en temps réel, mais il semble que, de plus en plus, nos contemporains se désintéressent de la situation politique. Certes, on guérit plus facilement du cancer mais les rebouteux ont encore de beaux jours devant eux. Malgré les dérives bien connues de l’Ordre du temple solaire, les sectes ont toujours la vie dure et continuent à recruter ; y compris dans les milieux intellectuels. Il paraît d’ailleurs que les Scientologues sont très bien introduits dans la magistrature, comme dans d’autres rouages de l’Etat.

Notre société de très haute technologie, où l’on exige déjà le niveau Bac + 2 pour devenir CRS, souffre d’un terrible déficit d’intelligence. Les naïfs y sont toujours aussi nombreux qu’en des temps reculés, avec cette circonstance aggravante qu’il est possible à tous d’accéder avec succès aux sources de la connaissance. Le mystère prend souvent le pas sur les valeurs acquises car la réflexion n’est pas mise à contribution. Est-ce à dire que rien n’a changé depuis le haut Moyen-âge, lorsque les terreurs ponctuelles naissaient de rumeurs qu’il n’était même pas question de réfuter ?

La réflexion est peut-être ailleurs. Il s’agirait bien plus d’une perte de ce bon sens dont n’étaient pourtant pas dépourvus les naïfs d’antan. Peut-on alors estimer que l’accès à l’éducation pour tous n’aurait pas nécesairement permis l’ouverture des esprits ? Ainsi, à la mi-avril 2001, on a pu constater que nombre d’habitants d’Abeville, maire et adjoints en tête, se plaignaient de ce que les graves inondations dues aux pluies et à la crue de la Somme aient eu pour origine la volonté de protéger Paris - le gouvernement s’étant appliqué à refouler vers le Nord les eaux du bassin de la Seine. Comme un postulat n’a pas à être démontré, les pervers qui ont colporté la rumeur ne pouvait que rencontrer l’adhésion d’hommes et de femmes dont le comportement ordinaire avait toujours paru cohérent. De plus, ces pauvres hères étaient incités à délirer par les énervés de Chasse Pèche Nature et Traditions (CPNT) dont les liens directs et indirects avec l’extrême sont bien connus.

Comme la connerie est encore un territoire incomplètement exploré, il ne faut pas s’étonner de voir le député PCF de la Somme, Maxime Gremetz, entrer dans le jeu des abrutis. Ce demeuré de choc ne peut oublier qu’il a été, il y a peu d’années, l’un des tenants de ce "socialisme scientifique" qui faisait la gloire du stalinisme et d’une Union soviétique dont le bilan était considéré comme "globalement positif" jusqu’à l’orée des années quatre-vingt par Georges Marchais et ses séïdes.

Il ne suffit pas d’être capable de raison pour être doué d’intelligence. Le bon sens fait même souvent défaut à ceux qui sont pourtant persuadés de faire le bon choix. Il est vrai que la réflexion n’est pas nécessaire aux impatients. Certes, il y a bien l’esprit de déduction mais il est aussi absent que les idées. Pour les cerveaux obtus, l’essentiel n’est pas de comprendre mais d’être persuadé. A l’affût de la fausse science et du sensationnel, l’égaré s’enthousiasme tout autant qu’il peut se lamenter. La raison n’a pas nécessairement sa place dans le jugement porté sur les événements. La logique étant abstente, si le sujet est emporté par la violence de son imagination, il ne faut pas attendre de lui des réactions cohérentes. Apparemment en bonne santé morale, l’homme qui débat pour soutenir des idées fausses est persuadé qu’il est dans le vrai. Ses affirmations, comme ses objections, paraissent aller de soi. Peu importe la rationnalité. Comme disait Tertulien, l’un des premiers docteurs de la loi chrétienne, avant qu’il ne devienne schismatique : "Je crois parce que c’est absurde !"

Dès lors, toute rumeur peut devenir réalité. Peu importent les arguments sérieux. La certitude absolue domine la réflexion. Toute évidence approximative devient vérité obligée. La moindre affirmation fallacieuse, mais délivrée avec des accents de sincérité, est considérée comme preuve irréfutable. Certes, la conviction n’est pas toujours abstente des affirmations les plus hasardeuses, les plus folles, mais les certitudes qui peuvent paraître absolues ne sont que rarement vérifiées. C’est ainsi qu’une vérité approximative peut devenir dogme. Nulle nécessité alors de vérifier la véracité de telles affirmations.

C’est ainsi que fonctionne l’extrême droite, en s’appuyant sur les difficultés des plus démunis qui, séduits, oublient leurs véritables problèmes et favorisent la montée des pouvoirs forts. Comment la gauche, qui floue régulièrement les exclus, pourrait-elle s’indigner de ce constat, elle qui a oublié que son devoir doit la situer au plus près de ces marginalisés ? Au début du siècle passé, par exemple, les "Possibilistes", déjà en voie de rupture avec le socialisme, expliquaient que toute lutte révolutionnaire ressortissait du domaine de l’utopie et qu’il fallait se contenter de la portion congrue, c’est-à-dire du "possible". Rien de tel pour inciter le fameux peuple de gauche à changer de camp car en matière d’acquis raisonnables et octroyés, la droite n’a pas sa pareille, et l’extrême droite moins encore.

Il ne faut donc pas chercher la cohérence là même où elle éprouve les plus grandes difficultés à être admise. Il en va de même de l’intelligence politique. Jean Rostand exprimait cela avec beaucoup de pertinence : "Ce n’est pas de la faute de l’intelligence si les imbéciles la mettent là où elle n’a que faire !"

Nous avons beau avoir "la droite la plus bête du monde", comme disait jadis Guy Mollet, la sottise se partage également dans tous les corps de cette société malade. Nous côtoyons chaque jour des esprits louds, des pauvres penseurs, à gauche comme à droite. Le crétinisme basique répond constamment à l’appel. Les cerveaux creux, les débiles militants, tous ceux qui, au quotidien, outragent le bon sens, ne peuplent pas que nos cauchemars. Bien entendu, les abrutis ne sont jamais modestes, ils donnent même des leçons, et si leur pédantisme fait peine à voir, ces tristes cons ont plus de crédit qu’il y paraît auprès de la masse des citoyens rendus benêts par leur difficulté à choisir la voie naturelle : celle de la lutte contre l’exploitation et l’autoritarisme. Sommes-nous tellement plus intelligents que ces demeurés qui ne savent pus où est leur camp ? Devons-nous devenir des donneurs de leçons ? Gardons-nous en bien ! Il n’y a rien de pire que la "ligne correcte" assenée. Modestement, il faut se contenter de démontrer, informer et non seriner des sermons abstaits. Sans oublier que, sur le terrain, l’adversaire est bien défini et que nous ne le combattrons pas seulement avec des mots.


Publié dans le mensuel No Pasaran ! - Juillet/Août 2000.