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Origine : http://infos.samizdat.net/article94.html?var_recherche=Rajsfus
Se préparer pour changer le monde induit nécessairement
d’apprécier la vie et d’aimer ses semblables.
Sinon, pourquoi mettre tous ses espoirs dans une révolution
qui imposerait l’indispensable égalité entre
les humains. Il n’empêche, la haine a toujours été
moteur de la révolte sociale, quand l’Eglise prêchait
la nécessité d’un asservissement absolu envers
les oppresseurs, sous couvert d’amour de son prochain. De
Spartacus aux révoltes du Moyen-âge, de ces foules
d’esclaves qui faisaient trembler Rome aux "Jacques"
qui refusaient d’être écrasés par un ordre
féodal impitoyable, l’amour du prochain ne pouvait
trouver sa placer. Ils aiment la vie, à en crever. Tous ne
luttaient pourtant que pour leur survie.
Comment les révolutionnaires de l’An II auraient-ils
pu apprécier les nobles et les curés ? Pourquoi les
barricadiers de juin 1848, ou des jours sombres de la Commune de
Paris se seraient-ils reconnus comme frères humains avec
ces armées constituées de fils du peuple qui les fusillaient
à bout portant, sans état d’âme ?
La fraternité d’alors ne pouvait qu’être
réservée aux semblables en désespérance,
aux parias victimes de toutes les répressions. La haine dominait
toujours car il n’y avait pas de place pour cet amour angélique
prêché dans les églises. Du côté
des exploiteurs - ceux qui peuplaient les prie Dieu chaque doimanche
- il n’y avait que mépris envers ceux qui créaient
leurs richesses. A la fin du XIXe siècle, on envoyait la
maréchaussée ou les sergents de ville contre ceux
des plus hardis qui poussaient l’audace jusqu’à
oser se mettre en grève. C’était interdit par
le Père, le Fils et le Saint-Esprit, ce serait interdit par
les parrains de la République des Jules (*) qui posaient
leurs gros culs sur la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen.
De nos jours, nul ne peut imaginer la misère dans laquelle
étaient plongés les prolétaires et les paysans
pauvres, mais l’incroyable humanisme des pauvres s’exprimait
dans les paroles de ces chants qui perpétuent leur mémoire.
Les révolutionnaires de 1793 n’étaient pas dépourvus
de bon sens humain. Un couplet de la Carmagnole n’incitait-il
pas à la concordre entre les hommes, au nom des sentiments
ne devant rien à la charité bien ordonnée :
"Ah, s’ils avaient le sens commun (bis)
Tous les peuples ne feraient qu’un (bis)
Loin de d’entr’égorger
Ils viendraient tous manger
A la même gamelle..."
Dans son Chant des ouvriers, écrit en 1846, Pierre Dupont
dépeint une société où la misère
est le lot commun du plus grand nombre : le travail qui tue, le
sort des vieux travailleurs, les produits de la terre qui ne sont
réservés qu’aux riches, les femmes avilies.
L’auteur place malgré tout son espérance en
un "meilleur vent", quand serait oublié le sort
des "mal vêtus", de ceux qui survivent "logés
dans des trous, sous les combles". Mais le véritable
amour ne disparaît pas après la description de cette
douleur de vivre :
"Aimons-nous, et quand nous pourrons
Nous unir pour boire à la ronde
Que le canon se taise ou gronde
Buvons (ter)
A l’indépendance du monde..."
A la même époque, c’est en Allemagne qu’est
écrit le Chant des Tisserands, dont le nom de l’auteur
nous est inconnu. En 1844, une révolte des tisserands silésiens
a été noyée dans le sang, et les strophes écrites
par un contemporain ne laissent nulle place pour envisager une quelconque
collaboration de classe :
"O, pays que nous maudissons
C’est ton linceul que nous tissons
........................................
Dieu soit maudis, toi qu’on implore
Dans le besoin, toujours en vain
Quand la misère nous dévore
Qu’on gèle et qu’on n’a pas de pain
........................................
Toi, sois maudit ! Prince des riches
Tu ricanes de nos tourments
........................................
Soit maudite aussi, toi patrie
Car tu n’es qu’un fumier pourri
Où toute fleur est tôt flétrie."
Vingt ans plus tard, La Carmagnole où chaque révolution
a ajouté son couplet, est déjà plus virulente.
L’Eglise a désormais trouvé sa place dans cette
version datée de 1869, où l’auteur crache délibéremment
sur un clergé qui n’a jamais changé de cap et
se veut toujours l’allié privilégié des
riches et des puissants ;
"Que désire un républicain (bis)
Vivre et mourir sans calotins (bis)
Le Christ à la voierie
La Vierge à l’écurie
Et le Saint-Père au Diable..."
Comme les invectives contre les hommes en noir ne suffisent pas
pour assurer le bonheur du genre humain, La Carmagnole s’étoffe
dans le même temps de quelques trophes bien senties annonçant
la Commune de Paris :
"Que faut-il au républicain (bis)
Du fer, du plomb et puis du pain (bis)
Du fer pour travailler
Du plomb pour se venger
Et du pain pour ses frères..."
Comment, en ces années 2000, qui ont débuté
sous le signe du profit exacerbé et des licenciements boursiers,
ne pas se souvenir de ce couplet, pour le moins fondateur, de L’insurgé,
chanson écrite durant la Commune de Paris par Potier et Degeyter,
les futurs auteurs de l’Internationale :
"A la bourgeoisie écœurante
Il ne veut plus payer la rente.
Combien de milliards tous les ans ?
C’est sur vous, sur votre viande
Qu’on dépèce un tel dividende
Ouvriers, mineurs, paysans..."
Ecrite en 1871, par Eugène Potier, plus d’une décennie
avant d’avoir été chantée, l’Internationale
bien au-delà de la simple révolte, défini clairement
les ennemis des classes exploitées, "les rois de la
mine et du rail, qui n’ont jamais autre chose que dévalier
le travail." Ainsi que l’Etat "qui comprime"
et la loi "qui triche". Plus tard, les antimilitaristes
ajouteront l’indispensable couplet dit des généraux
: "S’ils s’obstinent ces canibales, à faire
de nous héros..."
N’oublions jamais, La Canaille, ce cri lancé par Alexis
Bouvier et Joseph Darcier, en 1865, à une époque où
les prolétaires travaillaient soixante heures par semaine,
tandis que les enfants de douze ans étaient exploités
dans les mines ou les filatures : "C’est la canaille,
eh bien j’en suis !" Cette "canaille", définie
de façon plus méprisante encore par Georges Pompidou
qui,le 11 mai 1968 - en pleine révolte étudiante,
laissait tomber cette réflexion qui se voulait définitive
"La réforme, oui, la chienlit, non !"
Le temps a passé et si l’exploitation a changé
de nature, les salariés et leurs syndicats, participent avec
leurs patrons, sous l’égide d’un pouvoir désigné
comme socialiste, à cette trouvaille social-démocrate
dénommée consensus social. L’ouvrier aimerait
devenir contremaître ou cadre, tandis que le patron, paternaliste
le dimanche mais licencieur en semaine, ne changerait jamais de
nature. Mais où casera-t-on les salariés sans grade
pour qui il n’est pas prévu d’autre évolution
que le chemin conduisant à l’ANPE ?
• Jules Ferry, Jules Grave, Jules Simon, Jules Grévy...
Sans oublier Jules Guesde, qui allait trahir en 1914 !
Publié dans le mensuel No Pasaran ! septembre 2001
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