"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google
Le menteur et le truqueur
par Maurice Rajsfus
lundi 12 novembre 2001


Origine : http://infos.samizdat.net/article113.html



C’est l’histoire croisée de deux hommes politiques qui prétendent représenter l’avenir de ce pays. L’un se dit de gauche, tandis que l’autre se proclame de droite. Le premier est un gros menteur, mais son adversaire n’est qu’un vulgaire truqueur. L’un se réclame de cette vieille tradition sociale-démocrate, qui a toujours trahi ses électeurs, l’autre ne trompe que les possibles transfuges de la gauche qui changent de camp en espérant trouver ailleurs cette société du bien-être qui leur avait été promise par ceux qui se revendiquent d’un socialisme frelaté.

Jojo, tout comme Mitterrand, a cherché à nous persuader qu’il était socialiste, mais si l’ancien président de la République venait de Vichy, l’actuel premier ministre est issu du Faubourg Saint-Denis [1]. Tous deux ont conduit "la France de gauche" dans l’impasse, après avoir tenté de convaincre les bons citoyens que leur bonheur était au bout du bulletin de vote. En fait, François Machiavel et Jojo Lamberto ont surtout voulu démontrer à la droite qu’ils étaient tout aussi capables qu’elle de faire respecter l’ordre public, tout en mettant à mal les lois sociales.

Chichi, lui, n’a pas eu à forcer son talent. La trahison étant dans sa nature profonde. Jeune loup aux dents longues, en 1967, il torpillait Jacques Chaban-Delmas, en 1974, au profit de Giscard, avec pour récompense le poste de Premier ministre. Ce qui ne l’empêchait pas quelques années plus tard, de qualifier de porte parole de l’étranger celui qui l’avait fait roi. Il ne lui restait plus, pour asseoir sa légitimité, que de prendre, à la hussarde, la direction du parti gaulliste, en 1976, avant de conquérir la mairie de Paris l’année suivante, au prix d’une autre trahison. Il ne lui restait plus qu’à emplir son escarcelle, tranquillement, et faire connaître son ardent obligation de combattre la "fracture sociale", en 1995. C’est ainsi que Chichi est devenu l’empereur des cons : ceux qui votent pour le truand, de peur de se faire déposséder par les faux "partageux".

Au jeu classique du trompe-couillon, la gauche convenable n’a pourtant pas sa pareille. Sur les différents terrains labourés par la droite, elle a toujours tenté de faire entendre sa fausse différence. Rien n’y fait, pourtant, sauf le temps d’une campagne électorale aux promesses sans lendemain. Il va de soi que cette gauche n’a de chance d’être crédible que lorsqu’elle se décide de rassembler à l’image qu’elle prétend véhiculer, mais elle ne peut décidément pas s’y résoudre.

Depuis juin 1997, Jojo était au plus haut dans les sondages, jouant les équilibristes, ménageant les uns, se gardant bien de trop mécontenter les autres. Au bout de quatre années passées à Matignon, il est avéré que cette image du libéralisme avancé qu’il désirait donner à son clan - la gauche dite plurielle - a une fois de plus perturbé son électorat traditionnel. Cela s’est vérifié par une forte abstention, à gauche, lors des élections municipales de mars 2001.

Bilan. Si le chômage a effectivement reculé, c’est au profit d’une semi-précarité organisée. Parallèlement, face aux revendications, la gauche au pouvoir a montré qu’elle avait la nuque aussi raide que la droite qui, elle, ne sort jamais de son rôle. Si les 35 heures n’ont surtout été mises en œuvre que dans la mesure où leur adaptation aux besoins du patronat permettait un consensus social acceptable pour le Medef et les syndicats "collabos". Tristement, la gauche aura beau avoir créés plus d’emploi que la droite, dans la police particulièrement, sa crédibilité sera de moins en moins évidente. Surtout lorsque Jojo et ses alliés s’évertueront à proclamer que "la sécurité est une valeur de gauche".

Peut-on dire que Jojo et ses minsitres ont changé de camp ? Certainement pas ! Ils sont dans leur rôle. Il y a les grands principes et la pratique. La gestion par la gauche du problème des sans papiers s’est avérée tout aussi catastrophique, pour les parias, que celle de la droite, et la chasse aux immigrés n’a jamais cessé depuis 1997. Sur des problèmes aussi simples que le droit de vote aux élections locales pour les étrangers non-communautaires, la frilosité de Jojo est telle que certains élus de droite peuvent lui en remontrer sur ce point.

Depuis le conflit de Renault-Vilvoorde, en 1997, jusqu’aux licenciements boursiers annoncés par Danone, en 2001, en passant par le désintérêt porté au dégraissage effectué chez Michelin, en 1998, il y a cette volonté affichée de Jojo de ne pas intervenir dans des conflits où l’entrepreneur doit être considéré comme maître chez lui. C’est ainsi que des sociétés réalisant de somptueux bénéfices peuvent se permettre de "jeter" leurs salariés sans que cela trouble excessivement l’ancien militant révolutionnaire, depuis longtemps assagi.

Certes, les partenaires de Jojo protestent parfois, pour la forme, s’insurgent même mais n’en restent pas moins au sein de cette gauche plurielle sans laquelle ils ne seraient plus grand chose. Quelques miettes s’avérant suffisantes pour calmer leur souffrance sociale.

Dans ces conditions, lorsque l’action politique de nos gouvernants est basée sur la seule conquête de l’Elysée, comment s’étonner qu’un électorat déboussolé se réfugie dans l’abstention ? Alors, comme en mars 1986, comme en mars 1993, c’est une véritable autoroute qui s’ouvre à cette droite dite "républicaine" qui, à l’occasion, chausse les bottes du Front national avec d’autant plus d’application que l’extrême droite paraît affaiblie depuis bientôt trois ans. Sans jouer les mauvais prophètes, nous pourrons constater, dans les mois à venir, que Le Pen et Mégret ont d’ores et déjà leurs clones au RPR, à l’UDF et Démocratie Libérale.

Jojo et ses conseillers ont tellement peur de se couper des électeurs du centre et de la droite "républicaine" qu’ils leur servent la soupe. Ils ne peuvent pourtant qu’afficher leur chagrin lorsque la copie leur est retournée, avec l’inévitable réflexion : "Peut mieux faire !" Il en va ainsi avec les chasseurs, qui représentent le groupe de pression le plus caricatural, mais aussi, plus généralement, avec tous ceux qui, dans ce pays, ont hâte de voir revenir la droite dure au pouvoir.

Lorsque Jojo s’indigne de voir Chichi s’emparer de pans entiers de son programme, il ferait bien de s’interroger sur son contenu. En effet, rien n’est plus facile que de faire du Jojo sans Jojo : mise à mal des acquis sociaux et du Code du travail, alignement sur une mondialisation nécessairement contraire à la survivance d’une apparence de démocratie, banalisation de l’idéologie sécuritaire, chasse aux sans-papiers, traque aux sans-logis, criminalisation des jeunes des banlieues, etc.

Quelles que soient ses gesticulations, la gauche, drivée par Jojo, ne pourra jamais convaincre un électorat habituellement conservateur de lui faire confiance. Dans le même temps, elle éloigne défintivement ceux qui croyaient casser la droite en votant à gauche par simple réflexe. Même si depuis 1981, la gauche sera restée au pouvoir durant quinze ans contre seulement six à la droite, chaque épisode législatif a permis de démontrer que si la manière changeait, quelques fois, la finalité restait toujours la même.

Restons au ras des pâquerettes : est-ce que les matraques des policiers sont moins dures sous la gauche que sous la droite ? Est-ce que les patrons ont été contraints à devenir moins arrogants ? La véritable précarité aurait-elle tendance à diminuer ? Dernière interrogation : à quoi servent Jojo et ses amis ?


Publié dans le mensuel No Pasaran ! novembre 2001

Notes

[1] Lieu où se trouve le siège du courant trotskiste, dit "lambertiste"