"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
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Bonne année Bonne sécurité !
par Maurice Rajsfus
vendredi 1er février 2002

Origine : http://infos.samizdat.net/article123.html?var_recherche=Rajsfus

Les policiers et les gendarmes ont reçu leurs étrennes, bien avant l’échéance. Les citoyens de ce pays également. Pour les forces de l’ordre, cela a consisté en une augmentation de leurs salaires de l’ordre de plus de 10%. Quant aux français (et aux immigrés), le cadeau est surtout législatif, sous la forme de la loi sur la Sécurité quotidienne (LSQ) qui place chacun d’entre nous sous la surveillance encore plus active des képis et des sociétés privées de sécurité.

Comment nos policiers et nos gendarmes pourraient-ils être satisfaits en étouffant sous les gilets pare-balle dont ils vont être dotés individuellement ? Les premiers exigent de bénéficier d’une réduction de 75% des tarifs sur les lignes de la SNCF - pour ne pas être en reste avec les cheminots, sans doute. Les seconds, qui vivent en cantonnement, et ne payent pas de loyer, s’étonnent de devoir, malgré tout, s’acquitter des charges locatives et de la taxe d’habitation. On croît rêver, mais, comme chacun sait, les revendications n’ont pas de limite faute de quoi les luttes sociales ne seraient que vains combats réformistes... De leur côté, les fonctionnaires lambda devront se contenter d’une amélioration de leur traitement d’environ 1,5% pour 2002. Et pas de rouspétance dans les rangs car l’Etat n’a pas les moyens d’instaurer le tout sécuritaire tout en rétribuant correctement la grande majorité de ses salariés. Si les fonctionnaires ne sont pas satisfaits, ils n’ont qu’à postuler un emploi dans la police et la gendarmerie. On embauche ! Depuis le 11 septembre, avec l’effondrement des tours jumelles de Manhattan, la préoccupation première réside dans le tout sécuritaire. Et peu importe que la démocratie ne trouve pas son compte dans la sinistre loi LSQ, votée par l’Assemblée nationale le 30 octobre et proclamée le 15 novembre 2001. Déjà largement contrôlés, nous sommes désormais sous très haute surveillance. Comme toutes les démocraties occidentales d’ailleurs mais, comme disent avec philosophie nombre de commentateurs : "Comment assurer la sécurité sans limiter les libertés ?" Choisir entre la liberté et la sécurité. C’est l’alternative à laquelle nous condamne Lionel Jospin. La gauche plurielle - qui se refuse à abandonner à la droite le terrain du tout sécuritaire, laquelle adhère sans état d’âme aux exigences de l’extrême droite - a perdu la raison. Bien entendu, il n’est pas question de crier en chœur, Jospin-Chirac-Le Pen même combat ! Pourtant, les repères sont à ce point perdus que l’électeur à qui s’adresse le discours sécuritaire risque de ne plus différencier un malfrat endurci d’un jeune des banlieues au teint plus mat que ne peut le supporter le bon citoyen de la France profonde.

Nos gouvernants et les partis de la gauche plurielle vont sans doute perdre les élections du printemps 2002. Ils n’en tiennent pas moins à léguer à leurs successeurs des textes répressifs que la droite aurait eu bien des difficultés à faire adopter sans résistance. Bien sûr, ces braves politiciens, qui se revendiquent du "peuple de gauche", souffrent du même cauchemar qu’en mars 1986 et en mars 1993. Ils vont bientôt nous inciter à crier avec eux : "Au secours, la droite revient !" Il n’en reste pas moins, en attendant, que comme l’exprimait si bien Laurent Fabius, en 1986, peu avant la lourde défaite électorale de la gauche : "C’est toujours nous qui faisons le sale boulot !" La loi LSQ, texte liberticide, livre la France pieds et poings liés à la police. Ce que Jean-Louis Debré n’a pas réussi en 1995, Daniel Vaillant l’a fait en 2001. Mise à part l’étiquette quelle différence fondamentale peut-il y avoir entre ces socialistes, adeptes du tout sécuritaire et une droite qui s’apprête à revenir au pouvoir, plus haineuse, plus revancharde que jamais ? Avec pour objectif d’aggraver sans doute cette loi LSQ que la gauche lui a offerte sur un plateau. Ce nouvel arsenal répressif ne peut que multiplier les bavures contre ces "sauvageons" montrés du doigt par Chevènement, en 1999 ! Désormais, finalement, nous sommes tous des sauvageons en puissance et les "délits" constatés seront de plus en plus nombreux, nécessairement. Particulièrement lorsque deviendront intolérables les fouilles de véhicules et les fouilles au corps que pourront opérer n’importe quel policier ou gendarme - sans raison valable - de même que les nervis des sociétés de sécurité qui se pavanent avec leurs chiens. Que l’on ne nous demande pas, dans quelques mois, par réalisme politique, d’appeler à voter pour cette gauche institutionnelle dont les délires sécuritaires ne peuvent que combler les vœux d’une société de plus en plus policière. Il y a beau temps, hélas ! que l’on a oublié le superbe slogan de mai 1968 : "Chassez le flic de votre tête !"

A coups de milliards supplémentaires, Jospin et Vaillant ont tenté de calmer la rébellion bien orchestrée des forces de l’ordre. Grave erreur stratégique. En effet, comme les policiers ont de plus en plus le sentiment que l’Etat leur appartient, il apparaît qu’au-delà des revendications salariales satisfaites, la volonté réside surtout de transformer le pays en un Etat policier. Chaque "individu", comme ils disent, devenant un suspect potentiel, il faudrait filer doux et faire révérence aux forces de l’ordre. Et l’on parle encore de police républicaine... Sous couvert de lutte antiterroriste, la France se voit dotée d’un arsenal législatif qui va la faire ressembler à l’une de ces dictatures que les démocraties sont censées combattre. Ensuite, il ne sera nul besoin d’évoquer quelque risque terroriste que ce soit, puisque la loi LSQ, dont la durée est limitée à 2003, sera sans doute régulièrement prorogée. Tout comme ce plan vigipirate qui, depuis le 11 septembre 2001, sert essentiellement à enfermer les sans papiers dans des centres de rétention dont la capacité explose. Certes, la gauche n’est pas la droite mais elle est toujours en mesure de faire passer ces textes scélérats qui montrent les limites de son discours social. En 1997, le "peuple de gauche" a donné sa confiance à Lionel Jospin pour rétablir une démocratie en panne, mais ce bel esprit n’a fait que se situer à la remorque de la droite. Sans doute pour conserver le pouvoir. Ils sont faits de cette pâte molle, nos socialistes, qui permet tous les abandons. Ce serait en pure perte qu’il faudrait tenter de les rappeler à leur pseudo-idéal. Quel idéal ? Songent-ils seulement à soulager la détresse de ceux que l’on appelait, jadis, les "Partageux" ? En 2002, le sécuritaire a allègrement pris la place du social, car nos socialistes n’ont pas changé. Leur politique consiste surtout à malmener les jeunes des banlieues, tout comme les SDF ou les précaires, à traquer les sans papiers. Comment peuvent-ils justifier cette appellation de "socialiste" qui leur sert de drapeau ? Comment leurs alliés de la gauche plurielle ont-ils pu s’acoquiner avec ces frères de la Côte qui n’ont jamais su ce que pouvait représenter le mouvement social ? Bonne année. Bonne sécurité !

P.-S.
Publié dans le mensuel No Pasaran ! janvier 2002