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Origine : http://infos.samizdat.net/article128.html?var_recherche=Rajsfus
Vos grands parents ont adulé Pétain, en 1940. Vos
parents ont adoré De Gaulle (le retour) en 1958. Vous-même
avez peut-être aimé le Chirac de la fracture sociale
- en 1995. Ne soyez pas en proie à la honte, d’autres
entraient en transe à la seule vue de Mussolini, Hitler ou
Franco. Certes, c’était en d’autres lieux, en
d’autres temps. Il n’empêche, en 2002 ? des millions
d’entre-vous s’apprêtent à voter Le Pen
ou Mégret, peut-être même apporter leurs suffrages
à Madelin.
Décider de maintenir Chirac à la magistrature suprême
(comme on dit), constitue un choix de Gribouille, digne de la peur
panique du désordre de vos ascendants. Mieux vaut élire
un vrai truand politique - qui va chercher l’oseille où
elle se trouve qu’un socialiste qui voudrait jouer les partageux
! Pourtant, c’est ainsi que raisonne le citoyen de la France
profonde, décidé à considérer les hommes
de droit comme les sauveurs du pays lorsque la crise menace. Peu
importe de les avoir vus à l’oeuvre, leur discours
présent suffit. Ils se parent dans les plis du drapeau et
chantent La Marseillaise mieux que quiconque. Bien sûr, ces
politiciens sont prêts à vous servir le même
ragoût que leurs devanciers de 1940 : - Travail, Famille,
Patrie -, mais ils sont tellement rassurants derrière leur
sourire carnassier. Il en va de même d’un Chevènement
que nous avons vu aux manettes, depuis vingt ans : à l’Education
nationale, au ministère des Armées, et au ministère
de l’Intérieur, plus récemment. Certes, la gauche
plurielle nous a plus que déçus ou indignés
mais est-ce une raison suffisante pour prendre délibérément
une position qui nous ramènerait à un passé
que l’on croyait révolu ? Si la République des
flics et des patrons est confortée lors des prochaines consultations
électorales, avec cette fois la certitude d’un aller
simple - car le billet de retour sera long à obtenir mes
chers compatriotes - n’auront pas suffisamment de larmes pour
pleurer.
Raisonnons calmement. Le suffrage universel n’a jamais véritablement
contribué à faire souffler le vent révolutionnaire
- même en 1936 lorsque les velléités de changement
ont été rapidement dévoyées par un Front
qui n’avait de populaire que les aspirations des exploités.
Ce qui est certain, en revanche, c’est que les consultations
démocratiques du corps électoral ont souvent servi
à la droite la plus réactionnaire pour justifier la
nécessité de la mise en place d’un pouvoir fort
et respecté.
Quand je dis, "Mes chers compatriotes", ne vous sentez
pas outragés. C’est à la France profonde que
je m’adresse ici et, en tout cas, à tous ceux qui estiment
toujours que la gauche est belle sous la droite - comme durant les
premiers mois de 1997, lors des superbes manifestations en soutien
aux sans papiers. Ceux-là pourront toujours dire qu’ils
n’ont pas voulu le retour au pouvoir de ces "Compagnons"
du RPR, qui se conduisent surtout en Frères de la Côte
lorsqu’ils détiennent les clés du coffre en
même temps qu’ils occupent les allées du pouvoir.
Il reste, évidemment, que les bons esprits qui s’apprêtent
à sortir leur mouchoir, ont laissé la bride sur le
cou à une camarilla, qui se dit socialiste mais bien souvent
comparable à ceux qu’elle combat. Particulièrement
lorsque ces chers socialistes mettent au premier rang de leur réflexion
le renforcement des forces de répression.
Reprenons. En 1940, Pétain - le fusilleur de 1917 - estimait
que la meilleure façon de mater les Français raisonneurs
était de collaborer avec l’Allemagne nazie. Le De Gaulle
de 1958, oubliant qu’il avait été résistant,
s’appliquait à faire régresser la législation
sociale, à convaincre les Français que c’était
lui ou le chaos, faisait matraquer les étudiants, dix ans
plus tard, tout en graciant les généraux putschistes
de l’OAS. Le Chirac de 1995 était bien connu, chers
compatriotes. C’était déjà depuis longtemps
le porte-drapeau de cette France archaïque qui s’offusque
du "bruit et de l’odeur" des étrangers. Le
Chirac de 2002, c’est le profiteur de la République,
l’homme des valises de billets de banque, qui continue à
narguer les imbéciles et les inconscients ayant mêlé
leur suffrages à ceux des "bons citoyens" qui n’ont
pour projet que de les réduire plus encore, de les faire
taire si cela s’avère nécessaire.
Bien sûr, en cas de défaite, la gauche plurielle aurait
beaucoup contribué au retour d’une droite qui ne respecte
les institutions qu’à condition de les contrôler
toutes. La République des Chirac, Sarkozy, Juppé,
Madelin, Pasqua, Bayrou, Chevènement et Cie, ressemble surtout
à un conseil d’administration surtout soucieux de ne
pas entendre les revendications considérées comme
outrecuidantes. La République, soit, mais en se débarrassant
des oripeaux de la démocratie. Depuis, juin 1997, avec son
attitude crasseuse envers les sans papiers, son mépris déguisé
pour les précaires, son attention portée aux doléances
des policiers, notre triste gauche pourrait être accusée
de complicité subjective à la victoire de ceux qu’elle
prétend combattre.
Mes chers compatriotes, vos grands-parents ont été
tristement muets (sous la dictature) lorsque la pire des répressions
raciales s’abattait sur les Juifs étrangers, de 1940
à 1944. Vos parents ont lâchement accepté (sous
la démocratie) que des policiers de la République
puissent assassiner, par centaines, des travailleurs algériens,
en octobre 1961, puis matraquer et gazer des dizaines de milliers
d’étudiants, en mai et juin 1968. Vous-mêmes
n’êtes pas tellement émus du sort réservé
aux sans papiers, traqués au quotidien dans un pays qui s’est
longtemps revendiqué du droit d’asile pour les parias.
Là encore, il est vrai, la gauche s’est évertuée
à maintenir les lois scélérates édictées
par Charles Pasqua et Jean-Louis Debré.
Pourtant, cela vous satisfait, chers compatriotes, car venir manger
le bon pain des Français a toujours constitué un crime
inexpiable. Alors, Pasqua ou Chevènement, c’était
du pareil au même. L’essentiel étant de se retrouver
entre personnes bien nées. Ce qui permettait d’oublier
la triste condition sociale des uns et la richesse insolente des
autres. Un même drapeau et une chansonnette guerrière
en guise de soutien moral permettant de désigner - tous ensemble
- l’ennemi commun : cet étranger venu polluer le sol
national et dont la place se trouve tout naturellement dans ces
centres de rétention administratifs d’où l’on
expulse, surtout vers les pays du Sud.
Très chers compatriotes, vous êtes nombreux à
vouloir voter pour Chirac, en mai prochain, et pour les siens en
juin 2001. Sans doute pour que ces grands républicains puissent
appliquer la loi LSQ dans toute sa rigueur et remplacer la présomption
d’innocence par la certitude de la culpabilité. Dans
deux mois, nous pourrons chanter, "Ils ont voté, et
puis voilà", de Léo Ferré. Vous auriez
voté, et offert en prime un président bleu-horizon.
"Ils", ce sont ces compatriotes qui ont tellement peur
d’une apparence d’insécurité qu’ils
préfèrent une certitude de terreur !
Nous n’en sommes pas encore là, mais il ne s’agit
nullement d’une fiction. La hantise d’un possible pouvoir
populaire fait bien plus peur encore que ces jeunes des banlieues
censés faire trembler la République sur ses bases.
Peu importe que le candidat Chirac soit un possible repris de justice
- l’un de ces délinquants en col blanc qui se bousculent
dans les allées d’un Parti gaulliste qui n’a
pour religion que le pouvoir du fric.
La France profonde, c’est bien connu, n’a jamais été
vraiment de gauche. Cela se saurait. Il lui faut toujours un sauveur
suprême. Si nos socialistes ont pu gouverner ces dernières
années, faisant fi des illusions de leurs électeurs,
c’est surtout parce qu’ils ne s’éloignaient
guère des sentiers battus par la droite, sous les quolibets
des héritiers du Général, criant sur l’air
des lampions : "Peut mieux faire !"
Mes chers compatriotes, je comprends votre difficulté, à
l’heure du choix, entre les pourris et les traitres. Ne comptez
pas sur moi pour vous conseiller, même si j’estime qu’il
n’y a rien de pire que la droite haineuse au pouvoir.
Publié dans le mensuel No Pasaran ! février 2002
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