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Origine : http://corpsetculture.revues.org/document739.html
Le lecteur se souvient probablement de l’importante recension
de l’œuvre de Michel Onfray qui a été réalisée
dans le numéro 2, hélas épuisé, de la
revue Corps & Culture. Depuis ce travail, trois nouveaux ouvrages
sont venus enrichir l’œuvre : Politique du rebelle dont
Jean-Philippe Turpin a réalisé un compte rendu dans
le numéro trois de Corps & Culture, Les vertus de la
foudre. Journal hédoniste, Tome 2 et, aujourd’hui,
Théorie du corps amoureux.
D’ouvrage en ouvrage Michel Onfray poursuit la réalisation
de ce que l’on peut sans doute qualifier maintenant d’œuvre
philosophique majeure de la fin du XXe et du début du XXIe
siècle, ne serait-ce que par son volume.
Ici, partant comme bien souvent de son vécu, puis s’appuyant
sur des philosophes antiques, l’auteur nous invite à
réfléchir aussi bien sur le couple que sur la relation
amoureuse et/ou sexuelle. Il retrouve dès lors, de plain-pied
ses maîtres Nietzsche et Foucault.
L’ouvrage prend le parti, ce qui en fait l’originalité
et la particularité dans l’œuvre, de s’appuyer
sur des métaphores animales, comme le faisaient les philosophes
antiques, pour stimuler la réflexion du lecteur sur le problème
de la relation amoureuse et/ou sexuelle.
Il s’ouvre toutefois sur l’image du fœtus, Michel
Onfray flottant dans le liquide amniotique, puis sur celle de la
culotte maculée du sang menstruel d’une sœur de
« copain de sottises ».
À la suite l’auteur nous propose dans un premier temps,
une évocation dans un « manifeste pour la vie philosophique
», le projet qu’il compte mettre en œuvre en s’appuyant
sur des figure animales dont il formule une première élaboration
théorique. De la sirène au hérisson en passant
par le carrelet, le chien, l’éléphant, l’abeille
et le pourceau, voici un zoo métaphorique porteur de sens
pour la pensée philosophique, zoo largement exploré
par les philosophes antiques, mais que Michel Onfray compte réactiver
à son profit pour cet ouvrage. Il profite de cette ouverture
générale pour nous inviter à réfléchir
sur la notion d’épicurisme en rappelant notamment que
l’étymon d’épicurien renvoie à
epikourios qui qualifie des individus propres à apporter
du secours et de l’aide. Autrement dit, il n’y aurait
pas d’hédonisme possible sans une recherche du réconfort
pour l’autre. C’est ce que va tenter d’élaborer
l’auteur à la suite.
Une première partie centrée sur la « généalogie
du désir » se divise en deux chapitres l’un utilisant
la métaphore du carrelet et l’appui d’une critique
de la philosophie d’Aristophane pour formuler une critique
radicale de la neutralisation sexuelle, de l’androgynie, de
l’abstinence et du couple, l’autre s’appuyant
essentiellement sur Démocrite, contre Platon valorisant la
puissance animale en l’Homme et appelant à la laïcisation
et à la désacralisation des corps.
La deuxième partie, intitulée « la logique
du plaisir », est formée de deux chapitres également,
et se base sur deux métaphores zoologiques, celle de l’éléphant
monogame et du pourceau épicurien. Le premier animal est
convoqué pour être finalement critiqué dans
la métaphore qu’il aide à formuler, celle du
couple stable, de la continence, de la virginité, de l’aversion
et de la répugnance de la chair, du platonisme paulinien.
Il permet une deuxième critique fondamentale du legs judéo-chrétien
et la promotion par le biais de l’hédonisme libertaire
d’une doctrine féministe hédoniste. Le pourceau,
lui, sert surtout à mettre en évidence la facette
non ascétique de la doctrine d’Epicure et à
montrer comment l’on doit posséder le plaisir mais
ne pas être possédé par lui. Ce chapitre invite
à un nomadisme amoureux et à un éros léger
et libertin où il s’agit non pas de créer une
durée neutralisante (le couple judéo-chrétien
ou platonicien) mais une durée magnifique se satisfaisant
des seuls moments de réel hédonisme libertin.
« La théorie des agencements libertins » constitue
le cœur de la troisième partie qui en deux chapitres
formule de nouvelles métaphores zoologiques qui servent de
bases aux démonstration. Le premier chapitre s’appuie
sur l’image de l’abeille grégaire pour la contester
comme modèle notamment féminin. Il en résulte
une réactivation de la critique de la famille comme ordre
politique et une valorisation de l’image du célibataire
comme figure antipolitique radicale.
Ce chapitre en appelle également au possible renoncement
à la reproduction, fait naturel, qui s’oppose à
la culture hédoniste libertaire. Mais, le point le plus fort
de cette partie est constitué par l’image symbolique
du hérisson. Le hérisson, pour le libertin, pour l’hédoniste
matérialiste formule la bonne distance à adopter en
matière de relations amoureuses : ni trop près ni
trop loin. Les piquants repoussent, mais la douceur du ventre attire.
La chaleur attire, mais les piquants blessent. Autrement dit, Michel
Onfray formule là le bon niveau de relation interindividuelle
qu’il juge possible dans les relations amoureuses. Le couple
stable et encore moins le mariage, ne sont des formes acceptables.
Au contraire, il s’agit de réaliser des contrats avec
l’autre où il convient de ne pas s’engager au-dessus
de ses forces, c’est-à-dire en aucun cas pour la vie
ou pour la permanence, c’est-à-dire de réduire
à rien la menace du désagrément.
Enfin, l’ouvrage se clôt par une Coda exprimant un
manifeste pour le roman autobiographique, en philosophie et s’inspirant
de positions de Lucien de Samosate.
On voit que Michel Onfray poursuit la réalisation de son
projet hédoniste matérialiste. Le choix de métaphores
zoologiques fait l’originalité de l’ouvrage,
mais c’est surtout l’évocation de philosophes
ou d’écrivains antiques très peu courus qui
enrichit le lecteur : Sappho de Lebos, Leucippe, Démocrite
d’Abdère, Diogène de Sinope, Aristippe de Cyrène
(déjà évoquée dans d’autres ouvrages),
Hérodote, Pythoclès, Mécénée,
Métodore de Lampsaque, Démétrius, Zénon
de Sidon, Philodème de Gadara, Tibulle, Lucien de Samosate,
Diogène d’Œnanda. Mais, Onfray revisite aussi
à sa manière des auteurs plus connus tels Lucrèce,
Horace, Virgile ou Epicure, en nous permettant de voir les facettes
habituellement dissimulées de ces œuvres.
Il reste que ce texte, dans le soi-disant (selon le médias)
retour actuel au couple et au mariage, s’inscrit parfaitement
dans le projet philosophique critique onfrayen. En outre l’alternative
qu’il propose semble bien plus viable dans une perspective
hédoniste, voire simplement humaniste, que le projet judéo-chrétien
traditionnel. Par contre, l’ouvrage n’évoque
sans doute pas assez l’efficace anti-marché du couple
et de la famille (qui bien sûr pourrait être réalisée
par d’autres formes communautaires) face à la figure
du célibataire (qui lui est l’archétype de la
« particule de capital intégré », voir
à ce sujet Guigou J. La cité des égos). C’est
pourtant ce système du marché capitaliste que Politique
du rebelle s’est attaché à remettre en cause
fondamentalement. N’y a-t-il pas contradiction entre les deux
projets ?
Reste, comme toujours, chez Onfray, un ouvrage remarquablement
écrit et une recherche bibliographique peu courante qui ne
peut que ravir le lecteur.
Pour citer cet article Jacques Gleyse, «Michel Onfray. Théorie
du corps amoureux. Pour une érotique solaire, Paris, Grasset,
2000, 303 p.», Corps et Culture [En ligne], Notes de lectures,
Disponible sur : http://corpsetculture.revues.org/document739.html.
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