"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
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Jacques Gleyse
Michel Onfray. Théorie du corps amoureux. Pour une érotique solaire, Paris, Grasset, 2000, 303 p.

Origine : http://corpsetculture.revues.org/document739.html

Le lecteur se souvient probablement de l’importante recension de l’œuvre de Michel Onfray qui a été réalisée dans le numéro 2, hélas épuisé, de la revue Corps & Culture. Depuis ce travail, trois nouveaux ouvrages sont venus enrichir l’œuvre : Politique du rebelle dont Jean-Philippe Turpin a réalisé un compte rendu dans le numéro trois de Corps & Culture, Les vertus de la foudre. Journal hédoniste, Tome 2 et, aujourd’hui, Théorie du corps amoureux.

D’ouvrage en ouvrage Michel Onfray poursuit la réalisation de ce que l’on peut sans doute qualifier maintenant d’œuvre philosophique majeure de la fin du XXe et du début du XXIe siècle, ne serait-ce que par son volume.

Ici, partant comme bien souvent de son vécu, puis s’appuyant sur des philosophes antiques, l’auteur nous invite à réfléchir aussi bien sur le couple que sur la relation amoureuse et/ou sexuelle. Il retrouve dès lors, de plain-pied ses maîtres Nietzsche et Foucault.

L’ouvrage prend le parti, ce qui en fait l’originalité et la particularité dans l’œuvre, de s’appuyer sur des métaphores animales, comme le faisaient les philosophes antiques, pour stimuler la réflexion du lecteur sur le problème de la relation amoureuse et/ou sexuelle.

Il s’ouvre toutefois sur l’image du fœtus, Michel Onfray flottant dans le liquide amniotique, puis sur celle de la culotte maculée du sang menstruel d’une sœur de « copain de sottises ».

À la suite l’auteur nous propose dans un premier temps, une évocation dans un « manifeste pour la vie philosophique », le projet qu’il compte mettre en œuvre en s’appuyant sur des figure animales dont il formule une première élaboration théorique. De la sirène au hérisson en passant par le carrelet, le chien, l’éléphant, l’abeille et le pourceau, voici un zoo métaphorique porteur de sens pour la pensée philosophique, zoo largement exploré par les philosophes antiques, mais que Michel Onfray compte réactiver à son profit pour cet ouvrage. Il profite de cette ouverture générale pour nous inviter à réfléchir sur la notion d’épicurisme en rappelant notamment que l’étymon d’épicurien renvoie à epikourios qui qualifie des individus propres à apporter du secours et de l’aide. Autrement dit, il n’y aurait pas d’hédonisme possible sans une recherche du réconfort pour l’autre. C’est ce que va tenter d’élaborer l’auteur à la suite.

Une première partie centrée sur la « généalogie du désir » se divise en deux chapitres l’un utilisant la métaphore du carrelet et l’appui d’une critique de la philosophie d’Aristophane pour formuler une critique radicale de la neutralisation sexuelle, de l’androgynie, de l’abstinence et du couple, l’autre s’appuyant essentiellement sur Démocrite, contre Platon valorisant la puissance animale en l’Homme et appelant à la laïcisation et à la désacralisation des corps.

La deuxième partie, intitulée « la logique du plaisir », est formée de deux chapitres également, et se base sur deux métaphores zoologiques, celle de l’éléphant monogame et du pourceau épicurien. Le premier animal est convoqué pour être finalement critiqué dans la métaphore qu’il aide à formuler, celle du couple stable, de la continence, de la virginité, de l’aversion et de la répugnance de la chair, du platonisme paulinien. Il permet une deuxième critique fondamentale du legs judéo-chrétien et la promotion par le biais de l’hédonisme libertaire d’une doctrine féministe hédoniste. Le pourceau, lui, sert surtout à mettre en évidence la facette non ascétique de la doctrine d’Epicure et à montrer comment l’on doit posséder le plaisir mais ne pas être possédé par lui. Ce chapitre invite à un nomadisme amoureux et à un éros léger et libertin où il s’agit non pas de créer une durée neutralisante (le couple judéo-chrétien ou platonicien) mais une durée magnifique se satisfaisant des seuls moments de réel hédonisme libertin.

« La théorie des agencements libertins » constitue le cœur de la troisième partie qui en deux chapitres formule de nouvelles métaphores zoologiques qui servent de bases aux démonstration. Le premier chapitre s’appuie sur l’image de l’abeille grégaire pour la contester comme modèle notamment féminin. Il en résulte une réactivation de la critique de la famille comme ordre politique et une valorisation de l’image du célibataire comme figure antipolitique radicale.
Ce chapitre en appelle également au possible renoncement à la reproduction, fait naturel, qui s’oppose à la culture hédoniste libertaire. Mais, le point le plus fort de cette partie est constitué par l’image symbolique du hérisson. Le hérisson, pour le libertin, pour l’hédoniste matérialiste formule la bonne distance à adopter en matière de relations amoureuses : ni trop près ni trop loin. Les piquants repoussent, mais la douceur du ventre attire. La chaleur attire, mais les piquants blessent. Autrement dit, Michel Onfray formule là le bon niveau de relation interindividuelle qu’il juge possible dans les relations amoureuses. Le couple stable et encore moins le mariage, ne sont des formes acceptables. Au contraire, il s’agit de réaliser des contrats avec l’autre où il convient de ne pas s’engager au-dessus de ses forces, c’est-à-dire en aucun cas pour la vie ou pour la permanence, c’est-à-dire de réduire à rien la menace du désagrément.

Enfin, l’ouvrage se clôt par une Coda exprimant un manifeste pour le roman autobiographique, en philosophie et s’inspirant de positions de Lucien de Samosate.

On voit que Michel Onfray poursuit la réalisation de son projet hédoniste matérialiste. Le choix de métaphores zoologiques fait l’originalité de l’ouvrage, mais c’est surtout l’évocation de philosophes ou d’écrivains antiques très peu courus qui enrichit le lecteur : Sappho de Lebos, Leucippe, Démocrite d’Abdère, Diogène de Sinope, Aristippe de Cyrène (déjà évoquée dans d’autres ouvrages), Hérodote, Pythoclès, Mécénée, Métodore de Lampsaque, Démétrius, Zénon de Sidon, Philodème de Gadara, Tibulle, Lucien de Samosate, Diogène d’Œnanda. Mais, Onfray revisite aussi à sa manière des auteurs plus connus tels Lucrèce, Horace, Virgile ou Epicure, en nous permettant de voir les facettes habituellement dissimulées de ces œuvres.

Il reste que ce texte, dans le soi-disant (selon le médias) retour actuel au couple et au mariage, s’inscrit parfaitement dans le projet philosophique critique onfrayen. En outre l’alternative qu’il propose semble bien plus viable dans une perspective hédoniste, voire simplement humaniste, que le projet judéo-chrétien traditionnel. Par contre, l’ouvrage n’évoque sans doute pas assez l’efficace anti-marché du couple et de la famille (qui bien sûr pourrait être réalisée par d’autres formes communautaires) face à la figure du célibataire (qui lui est l’archétype de la « particule de capital intégré », voir à ce sujet Guigou J. La cité des égos). C’est pourtant ce système du marché capitaliste que Politique du rebelle s’est attaché à remettre en cause fondamentalement. N’y a-t-il pas contradiction entre les deux projets ?

Reste, comme toujours, chez Onfray, un ouvrage remarquablement écrit et une recherche bibliographique peu courante qui ne peut que ravir le lecteur.

Pour citer cet article Jacques Gleyse, «Michel Onfray. Théorie du corps amoureux. Pour une érotique solaire, Paris, Grasset, 2000, 303 p.», Corps et Culture [En ligne], Notes de lectures,

Disponible sur : http://corpsetculture.revues.org/document739.html.