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Michel Onfray
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Origine : http://livres.lexpress.fr/entretien.asp/idC=9898/idTC=4/idR=5/idG=

Critique Traité d'athéologie 28/02/2005

Michel Onfray par Roland Mihaïl, Antoine Silber

Philosophe aussi atypique qu'attachant, amateur de peinture et de bon vin, Michel Onfray, 46 ans, a déjà publié une trentaine de livres. Cette fois, pourtant, il frappe fort: bien installé en tête des listes de best-sellers depuis sa parution, fin janvier, son Traité d'athéologie suscite autant d'engouement que de polémiques.

Le principal trait de votre caractère ?
La vitesse. Je trouve que tout va trop lentement.

Et celui dont vous êtes le moins fier ?
La précipitation, évidemment.

La qualité que vous préférez chez un homme ?
La prévenance.

Et chez une femme ?
Même chose.

Le bonheur parfait ?
Il faut le créer, s'y atteler sans cesse.

Où et à quel moment de votre vie avez-vous été le plus heureux ?
Je crois que c'est le jour où, après deux mois de service militaire, j'ai appris que j'étais réformé. C'était comme si je sortais de prison.

Votre dernier fou rire ?
Ce matin, en lisant Charlie Hebdo.

Et la dernière fois que vous avez pleuré ?
A la mort de ma vieille institutrice, que j'ai beaucoup aimée.

La figure historique que vous admirez ?
Cincinnatus, un consul romain célèbre pour la simplicité de ses moeurs. Chaque fois qu'il fut au pouvoir, il démissionna pour reprendre sa charrue.

Vos héros aujourd'hui ?
Les ouvriers qui font les trois-huit.

Vos compositeurs préférés ?
Varèse, Xenakis. Et Pascal Dusapin.

La chanson que vous sifflez sous la douche ?
Les Oiseaux de passage, de Georges Brassens.

Vos auteurs favoris ?
Julien Gracq et Joseph Delteil.

Votre livre de chevet ?
J'ai une centaine de livres au pied de mon lit. En haut de la pile, il y a Ainsi parlait Zarathoustra.

Votre plat préféré ?
Celui que je vais inventer ce soir. Cela fait vingt-six ans que je vis avec ma compagne. Elle n'a jamais cuisiné, elle. Même pas une omelette.

Votre boisson favorite ?
Le vin blanc.

Que possédez-vous de plus cher ?
Rien.

Votre couleur préférée ?
Le noir.

Les fautes pour lesquelles vous avez le plus d'indulgence ?
Toutes. Pourvu qu'on les regrette sincèrement.

Que détestez-vous par- dessus tout ?
L'arrogance.

Qu'avez-vous réussi de mieux ?
Je ne sais pas. Je ne pratique vraiment pas l'autosatisfaction. Mais je crois que je n'ai pas trop trahi l'enfant et l'adolescent que j'ai été.

Quel serait votre plus grand malheur ?
Connaître à l'avance la date de ma mort. Et m'entendre dire: «Il ne vous reste plus que deux mois.» Quelle horreur !

Et comment aimeriez-vous mourir ?
Vite. Et bien.

Etat présent de votre esprit ?
Serein.

Et votre devise ?
Ce pourrait être cette expression de Nietzsche: «Se créer liberté» !


BIO EXPRESS

1959 Naissance,le 1er janvier, à Argentan (Orne).

1982 Nommé professeur de philosophie dans un lycée de Caen.

1989 Le Ventre des philosophes (Grasset).

1993 Prix Médicis essai pour La Sculpture de soi (Grasset).

2000 Théorie du corps amoureux (Grasset).

2001 Antimanuel de philosophie (Bréal).

2002 Démission de l'Education nationale. Création, en octobre, de l'Université populaire de Caen, où il enseigne, désormais, tous les mardis.

2003 Féeries anatomiques (Grasset) et Archéologie du présent (Grasset-Adam Biro).

2005 Traité d'athéologie (Grasset).


http://livres.lexpress.fr/critique.asp/idC=9778/idTC=3/idR=12/idG=8

Le Très-Haut fait débat par Christian Makarian

Du brillant essai de Régis Debray au surprenant pamphlet de Michel Onfray, Dieu revient sur le devant de la scène

Au secours, Dieu revient ! Voici que deux livres paraissent pour s'en inquiéter, chacun à sa manière. Le premier, dû à Régis Debray, Les Communions humaines. Pour en finir avec «la religion», mérite les plus grands égards. Cet essai plein d'intelligence repose sur une analyse originale du fait religieux et de sa résurgence. «Désagréable nouvelle», reconnaît d'entrée Debray, qui s'est toujours dit athée: la religion est partout et, manifestement, il ne suffit plus de la tenir pour «une maladie infantile de la raison». Plutôt que de tenter de la comprendre en tant que phénomène mystique, il propose de l'envisager sous sa dimension de «communion», définition beaucoup plus polysémique, qui a la vertu d'éclairer le regain actuel.

Raisonnement limpide: «Comme la mère juive se sert aujourd'hui de Pessah ou de Hanoukka pour regrouper la famille, distante ou sceptique; comme le leader arabe aux abois se sert de l'islam pour remobiliser ses troupes, les hommes de jadis se sont donné des sacralités pour serrer les rangs et cheminer de conserve. Et ceux d'aujourd'hui (re) produisent du "religieux" dès qu'ils doivent (re) produire du lien, comme cela se voit en temps de guerre ou de menace "terroriste".» C'est d'un point de vue purement athée que Debray avance: «Nocifs sont les intégristes en ce qu'ils jettent de l'huile sur le feu communautaire. Nocifs par un autre tour de nuisance, les nihilistes qui le douchent à l'eau froide. Le feu sacré leur préexiste et leur survivra. Nous n'avons pas intérêt à ce que la fièvre groupale monte trop haut; mais moins encore à ce qu'elle tombe à zéro.» Car «l'éradication des religions n'éliminerait pas plus le sacré que la dissolution des armées la violence». D'accord, mais quid de la laïcité ? «Sacralité et laïcité ne s'excluent pas: quand une société se déconfessionnalise, elle troque un trou fondamental contre un autre... Dès qu'un réservoir de ferveur s'épuise, un substitut entre en fonction, fût-il bricolé ou parodique.» Et d'en citer maints symptômes, du renouveau des sectes à l'individualisme forcené, en passant par la vogue psy, le «bien-être spirituel», etc. Voilà pourquoi, questionne Debray, «on pourrait se demander si ce que nous avons baptisé religions ne serait pas mieux fondé à critiquer les philosophies, non pas au nom du Très-Haut mais du très-bas».

De quoi faire réfléchir Michel Onfray, auteur d'un ahurissant Traité d'athéologie. Ce pamphlet gonflé par l'air du temps dénonce avec fureur la religion, «pratique d'aliénation par excellence». Après avoir présenté l'athée comme une victime, triste usage de la mode, le provocateur ne brille que par son absence de rigueur. Passe encore qu'au titre d'une véritable obsession Onfray se paie l'apôtre Paul à longueur de pages et en fasse un «hystérique», empli de «haine de soi», de «névrose»; mais au titre d'un «diagnostic médical facile à faire» - sans blague ! - il en fait un impuissant et sonde pêle-mêle «l'estomac, les intestins, l'anus» de l' «avorton». Avec une passion jusqu'ici inavouée pour la gastro-entérologie, Onfray semble regretter que «Jésus n'excrète jamais». Comment ose-t-il écrire dans son introduction: «Je ne méprise pas les croyants» ? Qu'on en juge. «Les monothéismes n'aiment pas l'intelligence, les livres», alors qu'ils sont précisément fondés sur la chose écrite. A propos des textes bibliques, «rien de ce qui subsiste n'est fiable», alors que, pour Platon, l'ex-prof de philo ne se pose pas la question. «Les évangélistes méprisent l'Histoire», alors qu'ils l'ont justement écrite. Certaines têtes de paragraphe sont édifiantes: «Hitler disciple de saint Jean», «Le Vatican aime Adolf Hitler», et, sommet du genre, «Les compatibilités christianisme-nazisme».

Michel Onfray déshonore l'anticléricalisme. Le moins que l'on puisse dire, c'est que son «athéologie» n'est pas une source de paix intérieure. Bien plus qu'une déchristianisation, ce qui ne serait ni nouveau ni grave, elle suppose une «déculturation», ce qui est désespérant.

Traité d'athéologie Michel Onfray éd. Grasset


http://livres.lexpress.fr/premierespages.asp/idC=9765/idTC=13/idR=6/idG=8

Traité d'athéologie

Dieu respire encore. Dieux est mort ? Cela reste à voir... Pareille bonne nouvelle aurait produi des effets solaires dont on attend toujours, en vain, la moindre preuve. En lieu et place d’un champ fécond découvert par une pareille dispatition on constate plutôt le nihilisme, le culte du rien, la passion pour le néant, le goût morbide du nocturne des fins de civilisations, la fascination pour les abîmes et les trous sans fond où l’on perd son âme, son corps, son identité, son être et tout intérêt à quoi que ce soit. Tableau sinistre, apocalypse déprimante...

La mort de Dieu fut un gadget ontologique, un effet de manche consubstantiel a un xxe siècle voyant la mort partout: mort de l'art, mort de la philosophie, mort de la métaphysique, mort du roman, mort de la tonalité, mort de la politique. Qu'on décrète donc aujourd'hui la mort de ces morts fictives ! Ces fausses nouvelles servaient jadis à quelques-uns pour scénographier des paradoxes avant retournement de veste métaphysique. La mort de la philosophie permettait des livres de philosophie, la mort du roman générait des romans, la mort de l'art des oeuvres d'art, etc. La mort de Dieu, elle, a produit du sacré, du divin, du religieux à qui mieux mieux. Nous nageons aujourd’hui dans cette eau lustrale...

A l’évidence, l’annonce de la fin de Dieu a été d’autant plus tonitruante qu’elle était fausse... Trompettes embouchées. annonces théâtrales, on a joué du tambour en se réjouissant trop tôt. L’époque croule sous les informations vénérées comme la parole autorisée de nouveaux oracles et l’abondance se fait au détriment de la qualité et dc la véracité : jamais autant de fausses informations n’ont été célébrées comme autant de vérités révelées. Pour que la mort de Dieu fût avérée, il eût fallu des certitudes, des indices, des pièces à conviction. Or tout cela manque...

Qui a vu le cadavre ? A part Nietzsche, et encore... A la manière du corps du délit chez Ionesco. on aurait subi sa présence, sa loi, il aurait envahi, empesté, empuanti, il se serait défait petit à petit, jour après jour, et l’on n’aurait pas manqué d’assister à une réelle décomposition — au sens philosophique du terme également. Au lieu de cela, le Dieu invisible de son vivant est resté invisible même mort. Effet d’annonce, On attend encore les preuves. Mais qui pourra les donner ? Quel nouvel insensé pour cette impossible tâche ?

Car Dieu n’est ni mort ni mourant —contrairement à ce que pensent Nietzsche et Heine. Ni mort ni mourant parce que non mortel. Une fiction ne meurt pas, une illusion ne trépasse jamais. un conte pour enfants ne se réfute pas. Ni l’hippogriffe ni le centaure ne subissent la loi des mammifères. Un paon, un cheval oui; un animal du bestiaire mythologique, non. Or Dieu relève du bestiaire mythologique, comme des milliers d’autres créatures répertoriées dans des dictionnaires aux innombrables entrées entre Déméter et Dionysos. Le soupir de la créature opprimée durera autant que la créature opprimée, autant dire toujours...

D’ailleurs, où serait-il mort ? Dans Le gai savoir ? Assassiné à Sils-Maria par un philosophe inspiré, tragique et sublime, hantant, hagard, la seconde moitié du xixe siècle ? Avec quelle arme ? Un livre, des livres, une oeuvre ? Des imprécations, des analyses, des démonstrations, des réfutations ? A coups de boutoir idéologique ? L’arme blanche des écrivains... Seul, le tueur ? Embusqué ? En bande : avec l’abbé Meslier et Sade en grands-parents tutélaires ? Ne serait-il pas un Dieu supérieur le meurtrier de Dieu s’il existait ? Et ce faux crime, ne masque-t-il pas un désir oedipien, une envie impossible, une irrépressible aspiration vaine à mener à bien une tâche nécessaire pour générer de la liberté, de l’identité et du sens ?

On ne tue pas un souffle, un vent, une odeur, on ne tue pas un rêve, une aspiration. Dieu fabriqué par les mortels à leur image hypostasiée n’existe que pour rendre possible la vie quotidienne malgré le trajet de tout un chacun vers le néant. Tant que les hommes auront à mourir, une partie d’entre eux ne pourra soutenir cette idée et inventera des subterfuges. On n’assassine pas un subterfuge, on ne le tue pas. Ce serait même plutôt lui qui nous tue: car Dieu met à mort tout ce qui lui résiste. En premier lieu la Raison, l’Intelligence, l’Esprit Critique. Le reste suit par réaction en chaîne...

Le dernier dieu disparaîtra avec le dernier des hommes. Et avec lui la crainte, la peur, l’angoisse, ces machines à créer des divinités.

Traité d'athéologie Michel Onfray éd. Grasset


http://livres.lexpress.fr/critique.asp/idC=9653/idTC=3/idR=12/idG=8

Les dieux en font-ils trop ? par Jacqueline Remy

A la télévision, dans les stades ou sur la scène politique, le religieux s'affiche. Gare aux gourous ! crient les esprits critiques

C'est devenu un créneau, depuis le 11 septembre 2001. La religion s'est installée au coeur du débat social et politique. Elle est sortie de la sphère privée pour envahir le champ public. Nicolas Sarkozy, qui veut récrire la loi de 1905, se signe devant les caméras au lancement d'un méthanier. A la télévision, même Thierry Ardisson, le grand prêtre de la dérision, exhibe sa foi catholique, tandis que l'agnostique Michel Drucker n'hésite pas à demander gravement à tel invité: «Vous êtes croyant ?» Gérard Depardieu, qui a lu saint Augustin à Notre-Dame, clame avoir «testé» tous les dieux (Vivant ! chez Plon). Sur les stades, les sportifs rivalisent ostensiblement de prosternations et de signes de croix. Ce n'est pas la ferveur qui sidère, mais l'affichage. Insensiblement prospère l'idée que les dieux auraient tous les droits et que les religions seraient au-dessus de toute critique.

De quoi déchaîner Michel Onfray, philosophe «antiplatonicien» et hédoniste plein de santé. Dans un essai exaspéré (Traité d'athéologie, chez Grasset), il dénonce le mélange des genres - religieux et politique - dans nos sociétés dites laïques et démocratiques. En se défendant de tout mépris pour les croyants, il souligne le caractère irrationnel de leur foi: «De la pensée magique, dit-il, pour éviter de regarder le réel en face.» Quand il n'y a plus ni beaux discours, ni grandes idées, ni horizons très nets, on se raccroche à Dieu: «Plutôt une fable que rien.» Onfray prévient: «On ne tue pas un rêve, on n'assassine pas un subterfuge. Ce serait même plutôt lui qui nous tue: car Dieu met à mort tout ce qui lui résiste. En premier lieu la Raison, l'Intelligence, l'Esprit critique.» Loin d'être inoffensifs, les monothéismes sont dangereux, selon Onfray. Ils auraient généré «bien plus de batailles, de massacres, de conflits et de guerres que de paix», ils enseigneraient la haine de l'intelligence, la haine du corps, la haine des femmes.

Pour se consoler d'être mortels, et mettre de l'ordre dans leur chaos intime, certains ont choisi d'autres cultes - le développement de soi - et des demi-dieux: ces «gourous et charlatans» auxquels Roger-Pol Droit consacre un essai en forme de fiction: Votre vie sera parfaite, chez Odile Jacob. Mais, dans le miroir, assène l'auteur, on ne retrouve jamais que soi-même, lesté de quelques truismes. «Et si vous retrouviez votre liberté ?» suggère-t-il. Michel Onfray ne dit pas autre chose. Mais lui propose, outre Epicure, une solution collective: militer fermement pour un athéisme «vraiment athée», nettoyé de ses influences judéo-chrétiennes. Le retour bruyant du religieux suscitera d'autres colères.
Jacqueline Remy


http://livres.lexpress.fr/entretien.asp/idC=7521/idTC=4/idR=5/idG=

Michel Onfray: retrouver le souci du plaisir féminin par Kerchouche Dalila

«Il est temps de fabriquer des couples libres, joyeux, ludiques, mêlant amour et amitié, débarrassés des mythes du péché et de l'éternité. Et, surtout, de retrouver une culture érotique, qui n'existe pas en Occident. Les civilisations orientales ont beaucoup à nous apprendre.

Dans La Vie sexuelle dans la Chine ancienne, de Robert Van Gulik, on nous enseigne, par exemple, que les variations de posture ne sont pas des exercices de gym, mais servent à différer le plaisir masculin, afin qu'il s'accorde au plaisir féminin, plus lent à monter.

Il faut lire L'Erotique des troubadours, de René Nelli, ou L'Art d'aimer, d'Ovide. Tous ces ouvrages ont un réel souci du plaisir féminin, que nous n'avons plus aujourd'hui.»


http://livres.lexpress.fr/critique.asp/idC=2803/idTC=3/idR=12/idG=36

Celui qui philosophe sans ennuyer par François Busnel

En philosophie, il y a ceux qui cherchent et ceux qui trouvent. Michel Onfray fait partie de ces philosophes pour qui une petite découverte existentiellement utile vaut mieux qu'une grande recherche théorique inapplicable dans la vie quotidienne.

Depuis quelques années, il s'est imposé par la singularité de sa réflexion. Il prône les plaisirs joyeux, l'art de la table et celui du libertinage, théorise dans ses livres le délice du cigare et l'attitude de la femme fatale. Son Antimanuel s'adresse sans faux-semblants à des élèves de classe terminale faits de chair et d'os, eux-mêmes sujets à des sautes d'humeur, sceptiques - pour ne pas dire naturellement réticents - à toute tentative d'élévation philosophique. Au lieu de se contenter, comme c'est désormais l'usage, d'aligner les textes canoniques, Onfray a rédigé un véritable cours, illustré pour chaque thème par des morceaux choisis.

Rassurez-vous, aucun des thèmes et des auteurs du programme ne manque à l'appel. Mais ils se trouvent en compagnie de philosophes boudés par l'institution et qui, pourtant, furent de joyeux drilles: les cyrénaïques, les cyniques, les gnostiques licencieux... De manière impressionniste, en filigrane, on retrouve donc dans cet Antimanuel jubilatoire toute l'histoire de la philosophie: du mythe de la caverne de Platon au traditionnel «Je pense donc je suis» de Descartes, avec en prime un Diogène qui se masturbe, un Malebranche qui botte les fesses d'un chien qui passe ou un La Mettrie victime d'une indigestion de pâté de faisan. On peut donc philosopher sans s'ennuyer ! Que demander de plus ?

Pourtant, des voix s'élèvent et crient au scandale. L'Antimanuel de Michel Onfray serait purement et simplement démagogique ! Ben voyons ! Les belles âmes qui s'offusquent de ce que l'on puisse commencer un cours en posant la question «Faut-il brûler votre professeur de philosophie ?» ont-elles mis les pieds dans un lycée, ces derniers temps ? «J'ai publié mon cours comme je le pratique depuis dix-sept ans en lycée technologique, explique Onfray. Avec mes élèves, je pars des préoccupations qui sont les leurs pour les emmener sur le terrain de la philosophie.» Ainsi, pour aborder le thème «Nature et culture», Onfray entraîne ses élèves sur la piste du cannibalisme: «Montaigne disait que nous appelons barbare ce qui n'est pas de notre fait. Mais qui est le barbare ? Le cannibale n'est pas forcément un barbare. Les élèves peuvent le comprendre à condition qu'au préalable on leur explique que l'acte de cannibalisme est un rituel - au même titre, d'ailleurs, que l'acte qui consiste à mettre les morts dans une petite boîte en sapin avec leurs objets fétiches en attendant qu'ils pourrissent sous terre. Ils découvrent alors que le cannibalisme est pour certaines peuplades une façon de donner une sépulture aux grands ancêtres. Que retiennent-ils ? Que l'on peut juger, mais seulement après avoir compris. Que le cannibale est non un barbare, mais quelqu'un qui vit autrement et différemment. Je crois qu'une telle approche peut être intéressante aujourd'hui pour penser la question de l'altérité, de la culture ou de la civilisation de l'autre: le cannibalisme interpelle et indigne, c'est vrai, mais permet aussi - grâce à Montaigne et à Lévi-Strauss - de penser la question du mode de vie de notre voisin quand ce mode de vie ne ressemble pas au nôtre.» Irrévérencieux, certes, mais plus que nécessaire par les temps qui courent.

Antimanuel de philosophie Michel Onfray éd. Bréal