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Le principe de Judas Michel ONFRAY

Origine : http://info.club-corsica.com/index.php?art=65onfray001

On se demande parfois comment certains pouvaient collaborer avec le régime fasciste de Vichy, envoyer des copains d’école en camp de concentration, des amis à l’abattoir nazi ou des maîtresses dans les chambres à gaz. Pendant que d’aucuns plastiquaient les pylônes électriques, minaient les voies de chemin de fer, transportaient des courriers pour la Résistance, de précieux dandys, d’ineffables opportunistes, des ratés et minables bas de gamme, des envieux ravagés par leurs passions mauvaises, trouvaient là l’occasion d’une revanche sur le monde et se retrouvaient Rue Lauriston, non loin des caves et baignoires de sinistre mémoire.

Le traître, l’ordure, le salaud existent depuis toujours. Nommons ce tropisme le principe de Judas qui, lui, eut juste assez de morale pour se haïr d’être ce qu’il était, puis se pendre aux branches d’un figuier. L’infidèle trahit, il fut fidèle et dans ce qui fut cherchons la raison de ce qui advient un jour apparemment en dépit de toute logique. Apparemment seulement, car je crois que la déloyauté, chez le pitoyable qui s’en rend coupable, apure les comptes d’une loyauté qui lui a coûté un jour.

Je ne compte plus autour de moi, le temps passant, la liste de ceux qui m’ont un jour trahi. Ce jour là n’a rien de spécifique, il est tout simplement chez le malade celui de la goutte d’eau qui fait déborder le vase d’une âme déjà pleine de mauvaisetés accumulées. Tous ces fils de Judas ont un point commun : je ne me suis jamais économisé pour leur donner, leur faire du bien, les aider, les soutenir, les faire avancer : une rubrique tenue dans une revue ou à la télévision que j’avais refusée en soufflant à l’oreille de celui qui me l’avait proposée le nom d’un qui pourrait s’en occuper ; un ouvrage publié en collaboration ; une dédicace imprimée en exergue à l’un de mes livres ; le cadeau de vrais et beaux voyages ; des hommages publics appuyés ; des compagnonnages intellectuels – attelage d’un éléphant et d’une souris bien souvent ; des expositions rendues possibles par mon entregent ; des préfaces et textes de circonstance ; de l’argent prêté ; mon appartement mis à disposition, le lit parfois… Et passim !

Pourquoi donc cette méchanceté en guise de paiement à toute gentillesse ? Probablement parce que, de fait, le don crée systématiquement l’obligation d’un contre don dont chacun s’offusque d’avoir à s’en acquitter. Car seules les natures équilibrées, nobles, grandes et généreuses savent recevoir simplement sans que la vertu prodiguée chatouille et réveille en eux le vice qui toujours affleure. Le réel est ainsi fait : il existe d’évidentes prospérités aux vices et de perpétuels malheurs à la vertu. Faut-il donc cesser d’être vertueux ? Sûrement pas, car dans un univers sans Dieu seul compte pour toute morale de ne pas avoir contribué à la méchanceté du monde.

Michel ONFRAY