Origine : http://www.lecerveau.mcgill.ca/flash/capsules/articlesenpdf/onfray.pdf
2 février 2003
Michel Onfray : Éloge du plaisir
Lauréat du Médicis de l'essai 1993 pour (Grasset),
Michel Onfray cultive les paradoxes. "Nietzschéen de
gauche", il se prétend ennemi de tous les ordres et
veut "restaurer le politique" et rabattre le bec de l'économie;
anarchiste de toujours, il accepte comme des maux nécessaires
l'État, l'armée ou le nucléaire. À l'occasion
de la parution de son nouvel ouvrage, (Grasset), ce philosophe hédoniste
et penseur impur a accepté de répondre à nos
questions.
La sculpture de soi Théorie du corps amoureux
Propos recueillis par Maud Reid
Je n'ai pas renoncé à l'idée que la
philosophie puisse être totalisante.
Je pense que l'hédonisme est susceptible d'une totalité.
Donc on doit pouvoir dire à quoi ressemble une morale hédoniste,
une politique hédoniste, voire une philosophie des sciences
hédoniste ou une esthétique hédoniste si tant
est que l'hédonisme est ce qui vise à replacer le
corps au centre de la perception et de la vision du monde. Je reste
très nietzschéen dans cette perspective, je crois
qu'un philosophe, c'est d'abord le corps d'un philosophe et que
la pensé, c'est d'abord la confession d'une existence propre
et d'une existence particulière. Il y a chez moi un désir
de formuler, livre après livre, un trajet hédoniste
qui soit théorique et pratique et susceptible de produire
des effets également dans la vie quotidienne.
En quoi consisterait ce projet de philosophie hédoniste
dont vous vous êtes employé à formuler les diverses
modalités tout au long de votre œuvre ?
Le malentendu avec ce livre, c'est qu'on a cru qu'il proposait
une théorie des rapports sexuels alors qu'il propose une
théorie des rapports sexués. C'est une invitation
au rapport avec autrui. Nous avons tout de même une moitié
de l'humanité constituée d'hommes et l'autre de femmes.
Il y a dans cet ouvrage comme une érotique au sens grec du
terme, c'est à dire une invitation au rapport sexué,
de l'amour à l'amitié en passant par la camaraderie,
en passant par toutes les formes possibles d'hédonismes.
Où situer votre dernier ouvrage dans ce projet ?
La nuit au fond c'est ça, c'est faire triompher la pollution
de mort à une relation avec autrui. Donc l'asservissement,
la possession, propriété, la domination enfin, tout
ça c'est nocturne. Le solaire, c'est tout ce qui est libertaire.
C'est une érotique libertaire qui permet de garder toute
sa liberté, un vitalisme d'une certaine manière. C'est
une confiance en la vie, une invitation à dire nous sommes
vivants, peu de temps mais c'est suffisant. Et la philosophie, c'est
d'abord le grand oui à cette vitalité et à
cette existence.
Dans Théorie du corps amoureux, vous jetez les bases de
ce que vous appelez l'"érotique solaire". Qu'entendez-vous
par là?
Vous critiquez violemment les préjugés "traditionnels",
à tendance idéaliste ou judéo-chrétienne,
contre la sexualité et le désir et montrez les conséquences
néfastes de ces préjugés.
À propos Ce qui a changé, ce sont les formes mais
pas le fond. Sur les formes bien évidemment, on n'enseigne
plus les choses comme il y a un siècle ou comme il y a dix
siècles; mais sur le fond, c'est toujours la même chose,
la même peur, la même angoisse de ce qui est sensualité,
de ce qui est corporisé. On n'aime pas beaucoup le corps,
on est toujours sur des logiques sociales, grégaires, communautaires.
Ça s'est modifié parce qu'il y a eu mai 68, il y a
eu des révolutions sur ce terrain là. Mais ce sont
les formes qui ce sont modifiées; sur le fond, il y a toujours
cette idée qu'on ne peut rien construire sur le désir
autrement que des petites affaires privées.
Moi je crois qu'il y a plus que ça à faire avec le
désir, notamment restaurer une relation solaire entre les
individus. On n'est pas tenus de consentir au schéma dominant,
les schémas dominants sont faits pour du grégaire,
du collectif, du social, de la communauté. On peut ne pas
viser la communauté, et plus simplement vouloir une existence
individuelle épanouie.
Pensez-vous qu'ils soient toujours aussi présent
aujourd'hui?
Les sociétés occidentales n'ont-elles pas
réussi à se défaire de ses tabous ?
Ça dépend de ce que les gens mettent dans leur histoire
d'amour, s'ils veulent de la passion, ce n'est pas la même
chose que s'ils veulent une espèce de relation classique,
occidentale, enfin ce qu'on imagine habituellement, c'est à
dire l'hétérosexualité, la monogamie, la fidélité,
la cohabitation, la paternité, la maternité…
enfin toutes ces choses-là qui sont des formes classiques.
Je pense qu'on perd sa liberté dans ces formes-là
et qu'on doit pouvoir maintenir et conserver sa liberté en
inventant des histoires, en inventant des relations, ce qui n'exclut
pas l'amour mais ce qui redéfinit l'amour.
Ce livre est une invitation à redéfinir le couple,
l'amour, la relation à autrui. Ce n'est pas une condamnation,
ce n'est pas un livre nihiliste, c'est au contraire un livre très
positif qui formule des propositions. Il n'est pas contre seulement.
Il est contre parce qu'il est aussi pour.
On peut aimer mais différemment. On peut être fidèle
mais différemment. La fidélité, ce n'est pas
l'exclusivité. L'amour, ce n'est pas la monogamie. La monogamie,
ce n'est pas l'amour.
Si l'on fait exception du dernier chapitre qui semble un peu plus
conciliant sur la question, votre ouvrage pourrait laisser croire
à l'impossibilité, voire au caractère néfaste
du lien amoureux, source de contraintes à la liberté.
Dans quelle mesure ce lien peut-il se concilier avec le projet hédoniste
?
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