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Origine :
http://perso.wanadoo.fr/libertaire/archive/2001/235-jan/onfray.htm
Michel Onfray est un philosophe et un écrivain très
prolixe.
Il a composé 15 livres en 10 ans ayant tous trait à
l'hédonisme. Le dernier en date (1) invite à une érotique
solaire - contre la vie mutilée - entièrement construite
sur la liberté amoureuse, la chair sans culpabilité,
le célibat joyeux et l'égalité libertine des
hommes et des femmes. Il s'agit d'établir une arithmétique
du plaisir, du désir, de la jouissance et de définir
le contrat hédoniste et ses conditions.
Carpe Diem
Beaucoup de gens se font une idée totalement erronée
de l'hédonisme le réduisant à une caricature
grotesque du style manger beaucoup et vomir après ou cigarettes,
whisky et p'tites pépées. L'hédonisme véritable
procède en réalité d'une construction. Il figure
un certain type de présence au monde, une présence
qui se veut joyeuse et qui appelle à vivre l'instant présent
pleinement. Cueillir dès aujourd'hui les roses de la vie
ou Carpe Diem d'Horace, voilà qui peut définir cet
hédonisme qui est aussi renoncement à la douleur et
recherche du plaisir.
Métaphysique de la stérilité
Difficile dans le contexte socio-économique actuel de se
reconnaître dans cette attitude et en quoi le travail du philosophe
pourrait-il rendre l'existence moins pénible ? Dans un entretien
accordé à France Culture, Michel Onfray décortique,
ausculte, analyse cette existence qui a priori n'est que douleur,
combat, peine et dans les quelque 300 pages de Théorie du
Corps Amoureux, il s'attache à prouver que, malgré
tout cela, le plaisir existe et qu'il est possible de traverser
l'existence de manière jubilatoire et joyeuse. Il insiste
sur l'opposition principe de plaisir/principe de réalité.
Constat. On nous éduque pour le principe de réalité,
on nous demande d'avoir des plaisirs sociaux : on fait des enfants,
on entre dans des logiques d'honneur, de pouvoir, on participe à
des stratégies sociales, on est acteur du théâtre
mondain.
Michel Onfray compose des pages très lucides sur le désir
d'enfant. Sa position reste très explicite : par amour des
enfants, on ne devrait pas en faire. Car en infligeant la vie, on
voue sa progéniture à l'inéluctabilité
de la mort, on la soumet à l'intérêt qui mène
le monde, on l'oblige au travail salarié dur et contraint,
on l'expose à la précarité et au chômage.
Dès que l'enfant paraît, on bricole dans l'incurable
(Cioran), c'est-à-dire qu'on fait avec. Par ailleurs, dès
qu'on devient père ou mère, on cesse d'être
un individu pour devenir une fonction.
Onfray estime qu'on est libre de se soustraire à cette obligation
de donner la vie et prône ainsi une métaphysique de
la stérilité. On n'est pas tenu culturellement de
consentir à la nécessité d'avoir un enfant.
Urgence de l'hédonisme
La somme des plaisirs l'emporte-t-elle sur l'embrigadement social
? Tout dépend des individus car tout le monde ne pourra pas
répondre de la même façon. Beaucoup n'ont pas
de plaisir à exister. D'où l'urgence de l'hédonisme
: à partir d'un trajet individuel, d'une proposition individuelle,
on peut trouver comme une invitation à parler de l'universel.
L'hédonisme me permet d'être moins malheureux, moins
dans le malaise, là maintenant, sans tabler sur un au-delà
meilleur. La philosophie hédoniste doit servir à rendre
les existences plus joyeuses.
Dans ce renoncement conscient et volontaire de la douleur, Onfray
recourt aux métaphores chirurgicales. Il compare le travail
du philosophe à celui d'un chirurgien : recourir au bon geste,
s'entourer du meilleur éclairage, avoir la maîtrise,
associer tension et attention à l'élégance
des gestes, ne pas faire saigner. L'étymologie du nom d'Épicure
se signifie-t-elle pas secours ?
Aussi, la philosophie ne doit pas se limiter à des grandes
élaborations savantes et illisibles, mais elle gagne à
construire des petites évidences philosophiques pratiques
et applicables. Rappelons la solution épicurienne de la mort
Tant que nous sommes, elle n'est pas et lorsqu'elle est, nous ne
sommes plus !
L'érotique solaire
Onfray aime ce qui brûle. Il a publié en deux volumes
son journal hédoniste : Le désir d'être un volcan
et Les vertus de la foudre. L'érotique solaire brûle,
partout, et produit de l'incandescence. Ce livre sous-tend un bilan
et le rapport de l'auteur avec les femmes : depuis la mère,
l'institutrice, les copines, les infirmières, les amantes,
l'épouse. Il estime qu'à 15 ans on est à l'age
des mythologies grégaires et sociales mais qu'avec le temps,
on peut comprendre que pour une jubilation personnelle, on est en
droit de redéfinir ce terrain. Fort de quatre certitudes
(la puissance inéluctable et dangereuse du désir,
l'irréductibilité du corps des hommes à celui
des femmes, la nature radicalement animale du plaisir, la fidélité
comme une affaire exclusive de mémoire), de cinq questions
(qu'est-ce qu'une femme ? Comment peut-on atteindre le corps de
l'autre sans être dans un rapport de guerre, sans être
pétrifié dans le couple, la monogamie ou le mariage
? Quelles sont les semblances et les différences ontologiques
entre masculin et féminin ? Est-ce que l'envie d'enfant est
uniquement un désir de femme auquel les hommes consentent
et accèdent ? Est-ce que désir et plaisir sont sexués
?) et de quatre commandements (le réel est atomique, le vitalisme
est nécessaire, le plaisir est réalisable, le négatif
est conjurable), Michel Onfray va déconstruire l'idéal
ascétique, fondement des sociétés occidentales
chrétiennes et bâtir le matérialisme hédoniste
dans ce livre à trois entrées : une histoire de la
philosophie antique, une histoire des rapports sexués, le
bestiaire dans la philosophie. Le tout articulé en trois
temps : le désir, le plaisir, les agencements.
Dans la tradition ascétique, le corps est détestable,
les pulsions sont haïssables, le désir est manque, le
plaisir ne se trouve que dans la complétude et l'agencement
doit se faire sur le mode familial. L'homme ou la femme s'imagine
qu'il y a quelque part une moitié avec laquelle on peut ne
devenir qu'un. Illusion ! On ne trouvera jamais une chose qui n'existe
pas. On connaît les ravages que causent la recherche de l'âme-sœur.
Le monde occidental, construit à partir de la théorie
platonicienne, socialise le désir en ne lui reconnaissant
qu'un seul sens : le couple et le mariage. Cet agencement fondé
sur la monogamie et la fidélité imposée est
source de douleur et de souffrance, contribue aux beaux jours des
psychanalystes, conseillers conjugaux, sexologues et propulse les
ventes de médicaments anxiolytiques et antidépresseurs
nous conduisant tout droit dans les chambres obscures des psychoses
et des dépressions.
Pour les philosophes matérialistes, le désir est
excès et le plaisir est dans la dépense de cette énergie.
Le bestiaire apporte à ces propos quelques illustrations
notoires : le carrelet renvoie au poisson masturbateur, l'éléphant
au pourceau et l'abeille au hérisson. Le désir de
se reproduire est commun aux hommes et aux animaux. D'où
cette expression d'Onfray, Le plaisir est dans le frottement et
le désir de se répandre. Mais seul le genre humain
est capable d'érotisme. Car dans le fond de la sexualité,
il n'y a pas que de l'animalité. La culture permet de donner
des formes à cette énergie. Désir et plaisir
peuvent se sculpter.
Je propose et nous disposons
Cette sculpture se trouve dans le mouvement car rien n'est jamais
acquis, il faut construire en permanence, savoir avec qui l'on est,
pratiquer l'élection ou l'éviction. Les relations
humaines ne sont faites que de stratégies plus ou moins bien
formulées. À l'instar des animaux, nous marquons notre
territoire en considérant que tout individu qui traverse
cet espace doit en demander l'autorisation. Cela rejaillit sur nos
comportements amoureux puisque certains s'estiment en juste droit
d'accaparer autrui par amour, le définissant comme sa propriété.
La sculpture de soi se réfère à une relation
toute autre qui relève du contrat : je propose et nous disposons.
C'est-à-dire contre l'impossible altruisme du genre chrétien
- qui oblige à une relation inégalitaire où
je suis moins que l'autre - et pour le contrat hédoniste
où autrui compte autant que moi, ni plus, ni moins.
Personne n'est obligé de contracter, mais quand on a contracté,
on est obligé de tenir. La fidélité suppose
donc qu'on se soit engagé sur une chose clairement dite.
Ainsi redéfini, le couple est une construction en permanence.
Mais si l'on est maître de la parole donnée, on n'est
pas maître des sentiments et on ne domine pas toujours les
raz-de-marée dans ce type de relation.
Onfray revient sans cesse à la théorie matérialiste
qui oblige à une métaphysique solipsiste : il n'y
a que soi et rien d'autre. Le réel est construit à
partir de soi. Pas de jugement moral, mais une évidence.
Dans la relation amoureuse, je m'engage pour moi. Si autrui se fait
du cinéma ou se raconte des histoires, c'est son affaire.
On ne peut pas contraindre l'autre à une histoire d'amour
dont il ne veut plus. Alors, plutôt que de souffrir du mal
d'amour, il faut s'interroger : que faire de cette douleur d'amour,
cette blessure narcissique qui bien évidemment ne se balaie
pas d'un revers de la main ? Il faut concentrer son énergie
à faire son deuil et le deuil est aussi une histoire de volonté.
Car si on ne domine pas l'intégralité de ses sentiments,
du moins on peut maîtriser une partie de son évolution.
L'enseignement du hérisson
Le contrat hédoniste ne fait pas abstraction de la vie sociale.
Il y trouve au contraire sa définition profonde que Michel
Onfray nomme eumétrie, la bonne distance. La métaphore
du hérisson prend toute son importance : les hommes sont
entre eux comme les hérissions quand ils ont froid. Ils se
rapprochent et se piquent. Ils se piquent et donc s'éloignent.
En s'éloignant, ils ont froid. Donc ils se rapprochent. Bref,
une trop grande proximité induit à une promiscuité
et un trop grand éloignement conduit à la solitude.
Ni trop proche, ni trop lointain. Tout un art de rester soi dans
le rapport à autrui. Le livre d'Onfray nous engage à
découvrir cette terra incognita.
Martine Fédération Anarchiste
(1) Théorie du corps amoureux. Pour une érotique
solaire, Michel Onfray, éditions Grasset.
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