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DU NOMADISME
Vagabondages initiatiques
Michel MAFFESOLI
ed La table ronde
Note de lecture


Origine : http://www.cnam.fr/lipsor/dso/articles/fiche/mmaffesolidunomadisme.doc

CONSERVATOIRE NATIONAL DES ARTS ET METIERS DE PARIS
Année 2005 – 2006
Organisation et fonctionnement de l’entreprise
OR 02

En vue de préparer le DESA Administration & Gestion du Personnel

A l’attention de Monsieur Yvon PESQUEUX

Blandine PLOUVIEZ - code auditeur : 03-18576


SOMMAIRE

I- BIOGRAPHIE DE L’AUTEUR

II- POSTULAT

III- HYPOTHESES

IV- DEMONSTRATION

V- RESUME

1- La pulsion d’errance

2- Le nomadisme fondateur

3- Le territoire flottant

4- Sociologie de l’aventure

5- Exil et réintégration

VI- CONCLUSION

VII- DISCUSSION


I- BIOGRAPHIE DE L’AUTEUR

Michel MAFFESOLI
Né le 14 novembre 1944 à Graissessac (Hérault).
Professeur de sociologie à la Sorbonne.
Professeur titulaire de la chaire « Emile Durkheim » à la Sorbonne.
Formation
Doctorat ès Lettres et sciences humaines : « La dynamique sociale », sous la direction de Gilbert Durand. (1978).
Doctorat en sociologie, à l’université de Grenoble « L’histoire comme fait social total ». Sous la direction de Gilbert Durand (1973).
Etudes supérieures à l’université de Strasbourg.
Cursus professionnel
1972-1977 : Attaché puis chargé de recherches à l’université de Grenoble, co-directeur de l’équipe de sociologie urbaine.
1978-1981 : Maître assistant à l’université de Strasbourg.
Depuis Août 1981, professeur des universités, à l’université Paris V-Sorbonne sciences humaines.
Directeur de Sociétés, revue internationale des sciences humaines et sociales et des Cahiers de l’Imaginaire.
Directeur du Centre d’études sur l’Actuel et le Quotidien (CEAQ), Laboratoire de recherches sociologiques en Sorbonne.
Vice-président de l’Institut International de Sociologie (I.I.S).
Distinctions de l’auteur
- Prix de l’Essai André Gautier, 1990 pour « Au creux des apparences »
- Grand Prix des Sciences Humaines de l’Académie Française, 1992 pour « La transfiguration du Politique ».

II- POSTULAT

Le désir d’errance est un des pôles essentiels de toute structuration sociale. L’errance ou nomadisme exprime une socialité en gestation, un projet d’être, une synthèse culturelle déterminant les formes de l’être ensemble.

III- HYPOTHESES

Notre organisation sociale va s’achever, une nouvelle va apparaître : Les soubresauts sont les prémisses d’une nouvelle société, d’une nouvelle organisation, moins rationnelle, plus émotive, plus libre.
La quête de chaque individu et chacune de ses expériences constitue un fondement et une structuration mouvante pour la société toute entière car elle s’intègre dans un tout.

IV- DEMONSTRATION

Pour Michel Maffesoli, exister, sortir de soi, s’ouvrir aux autres, même de manière transgressive ; c’est comme une constante anthropologique qui taraude chaque individu et le corps social dans son ensemble. Le nomadisme contribue à la construction de la réalité sociale contemporaine intégrant une grande partie de symbolique, comme le montre l’accentuation de l’écologique par rapport à l’économique ou les implications de formes communautaires et de solidarité concrètes.

De ce point de vue, l'ouvrage de Michel Maffesoli possède une vertu radicale, celle de s'inscrire contre les pseudo évidences du siècle qu'il nomme individualisme, chômage, productivisme, fantasme de l'Un, en nous amenant à lire le construit social dans toute son épaisseur; discours optimiste sans doute, car fondé sur "une acceptation du monde tel qu'il est".

IV- RESUME

1- La pulsion d’errance

Notre société évolue progressivement depuis des siècles vers un modèle d’organisation. Depuis la préhistoire, les hommes se sont transformés de nomades en sédentaires, constituants des petits groupes tribaux puis des communautés, puis formant des groupes encore plus importants, pour aboutir aux Etats et finalement à la mondialisation.

Constamment, pour assoir son pouvoir, l’Etat a fixé les populations, tout d’abord géographiquement puis par l’organisation de la production, des mœurs, de l’éducation, de la vie sexuelle. Tous les aspects de la vie sociale ont été standardisés, réglementés, contingentés. La rationalité et la spécialisation ont favorisé le progrès, la diminution des risques et des dangers. La société s’est alors structurée et a promis à chaque homme un avenir meilleur, de la protection et de la sécurité, quitte à refreiner certaines composantes fondamentales de l’être humain, quitte à soumettre certaines énergies vitales de l’être.

Collectivement, les mythes du progrès des lumières ou encore celui du Grand Soir ont permis d’offrir à chaque être humain et à l’humanité un avenir radieux, un monde meilleur ou tout au moins l’espoir de l’atteindre un jour.

La société s’est alors organisée en une bonne mécanique, parfaitement rodée. Mais cette mécanique est grippée.

En effet, paradoxalement, nous vivons actuellement une désillusion collective et personnelle : Le sentiment de citoyenneté s’amenuise, la confiance en l’avenir n’est plus de mise. Conjointement, de nouveaux comportements, que la plupart des analystes considèrent comme marginaux apparaissent : L’individualisme, la quête du plaisir immédiat, le désir de voyage, du nomadisme, l’errance, qu’elle soit voulue, assumée ou subie : Mobilité dans le travail, dans les migrations touristiques ou les déplacements massifs de population induits par les disparités économiques.

De tels phénomènes ont déjà existé à de nombreuses reprises dans l’histoire : Le peuple juif est ainsi fondé sur l’errance, l’exil, la rupture, source de sa cohésion et de sa vitalité au cours des siècles. De nombreuses religions mettent l’accent sur la nécessaire épreuve initiatique du voyage. De même, le code de l’hospitalité réserve une place de choix à l’étranger, au voyage inconnu à qui l’on offre son meilleur couvert à sa table. Ne l’oublions pas, le terme même d’existence, (ek-sistence) évoque le mouvement, la rupture : Exister, c’est s’ouvrir à l’autre même d’une manière transgressive.

Ces phénomènes oubliés ou niés sont de retour. Il sont l’émergence d’une nouvelle organisation sociale : Notre société est en train de se préparer à vivre une rupture profonde : D’une part, comme l’a montré Durkeim, la spécialisation entraîne le blocage de la circulation sociale et finalement sa sclérose. D’autre part, des pulsions collectives et individuelles reviennent s’exprimer, revitaliser l’être et la société.

2- Le nomadisme fondateur

Depuis le choc de la naissance, le changement est un traumatisme, fait de déchirures, de séparations, de remises en cause, mêlant sentiments d’angoisse et d’espoirs. Le destin n’est pas linéaire mais totalement imprévisible, immaitrisable puisqu’en perpétuel devenir. Le rêve de l’aventure vient donc bousculer la solidité des institutions établies pour construire autre chose : C’est le mythe de la frontière aux Etats Unis, cette quête continuelle d’un possible lointain que chaque homme peut atteindre ou au moins fantasmer. Le pionnier est animé d’une pulsion dans sa recherche de l’Eldorado. Cette aventure collective construit des valeurs qui permettent à chaque individu une recherche de soi et une appropriation de ses valeurs. Ce long travail, cette errance, cette aventure émerge peut à peu à la conscience puis, dans un second temps est acceptée comme partie intégrante de la structuration sociale.

Mais, dans un premier temps, l’errance, cette part d’ombre est inquiétante : Par exemple, Platon, plus soucieux de régulation sociale que d’aventure, souligne le caractère inquiétant du voyageur. Il représente un risque moral parce qu’il est porteur de nouveautés. Cette méfiance des « barbares » se retrouve aussi chez les Romains, une fois leur empire établi.

Ce danger est d’autant plus combattu par les sociétés que leurs origines même sont issues des grands bouleversements dont elles ont été fécondées, qu’elles ont dompté, intégré et donc elles sont finalement constituées. Même si, plus tard, elles tentent de l’occulter, elles n’échappent pas à leur destin et tout ou tard, une révolution les remet en cause.

Pour la société, la figure de l’errant est donc structurellement ambivalente puisque porteur de bouleversements voir de sa destruction et à la fois source de son mythe fondateur. Il sert aussi de lien avec l’extérieur. Il sert donc d’élément structurant, que cela soit positivement ou en servant de repoussoir ; il fait partie intégrante du groupe lui même.

A titre d’exemple, la richesse de la Grèce antique repose sur l’enracinement dans une cité et sur l’indépendance, voir le cosmopolitisme, la diversité. Le poète voyageur par exemple, féconde la culture en son moment fondateur et ouvre des brèches lorsque la civilisation qui en est issue tend à se refermer sur elle même et risque de se scléroser. Le bassin méditerranéen a été un extraordinaire lieu de rencontre, bâtissant une culture puissante qui survit aux pouvoirs politiques depuis des siècles.

L’intellectuel non conformiste, le « goliard » du moyen âge, loin d’être considéré comme nocif pour le corps social lui permet de retrouver un équilibre global : En canalisant cette part obscure de l’individu, la société évite de la voir surgir de façon perverse et totalement incontrôlée. Le sexe, l’habitat, l’éducation, le travail n’ont pas la stabilité ou de délimitation précise qui sera le propre du monde moderne, mais restent fondamentalement ambigus, ouvert à l’aventure avec tout ce qui est indécis, hasardeux, non prévisible.

Un tel nomadisme sommeillant en chacun n’est pas vécu par tous mais par quelques uns, ce qui nourri l’imaginaire collectif.

Dans un monde qui s’achève, le thème du nomadisme redevient d’actualité. Actuellement, ce qui est ne satisfait plus, les révoltes ou les petites rébellions quotidiennes s’exacerbent, la confiance aux valeurs établies disparaît. De nombreux essais erreurs sont alors tentés. Les tensions engendrent des destructions. C’est dans le creux de ces destructions que s’élabore ce qui est en train de naître, de nouvelles valeurs, une nouvelle organisation sociale. C’est pourquoi il convient d’être attentif aux valeurs qui s’esquissent sous nos yeux et de réfuter tout jugement a priori. Les valeurs qu’une avant garde élabore tendent à se capillariser dans l’ensemble du corps social.

Je prendrai l’exemple du mythe de Dionysos : Les femmes de Thèbes font partie d’une société, tellement organisée qu’elle est totalement figée. Ne pouvant plus supporter cette léthargie, elles font appel à l’opposé de cette organisation, à Dionysos, qui par sa venue même apporte à cette société sclérosée et au bord de la mort, un sang neuf, qui finalement perturbe et renouvelle toute cette organisation qui ne pouvait plus vivre sans cette mutation salvatrice.

La recherche d’émotions, l’errance érotique revient sur le devant de la scène ainsi qu’une certaine attitude libertaire. C’est la quête d’un ordre qui n’est pas imposé de l’extérieur, mais trouvant sa réalisation dans l’ajustement spontané des individus les uns pas rapports aux autres, comme une auto-organisation.

Ainsi, la liberté de l’errant est une recherche de l’expérience de l’être, qui nécessite toujours l’aide d’un autre, qu’il soit mystique ou un être humain. Ainsi, l’errant peut être solitaire mais il n’est pas seul : Il fait partie d’une communauté qui n’est pas forcément durable et formelle, comme les rassemblements festifs, les tchats sur internet ou bien les rencontres de vacances. L’intensité des émotions partagées dans ces communautés et d’autant plus intense qu’elles sont petites et éphémères. Les émotions jouent un élément essentiel dans la structuration sociale et constitue l’essence de l’ « être ensemble ».

3- Le territoire flottant

Le contrat social liant les individus entre eux était univoque et rationnel, ne laissant aucune place au hasard, à l’émotion, à la déraison. Son but était de dépasser les contractions, les fautes ou les péchés pour aboutir à une synthèse harmonieuse.
La métaphore du nomadisme permet de mieux appréhender la réalité des choses, tout particulièrement dans leur ambivalence structurelle. D’une part, la personne n’est pas monolithique mais elle est d’identification multiple qui se dévoile par l’errance, et, d’autre part, la vie sociale se construit par des mouvements de répulsion et d’attraction.

L’errance débute par une fuite qui rappelle la fondation, l’origine. Mais cette fuite pour qu’elle ait un sens doit s’opérer à partir de quelque chose qui soit stable. Pour outrepasser la limite, il faut bien que celle-ci existe. C’est pourquoi il ne faut pas penser de manière dialectique, mais appréhender la globalité systémique. C’est ce que l’auteur qualifie « d’enracinement dynamique » : L’être humain est issu d’un lieu, il crée à partir de ce lieu des liens et des références, mais pour qu’ils prennent sens, pour qu’ils soient appropriés, il est nécessaire qu’ils soient remis en cause, niés, dépassés, transgressés. C’est le coté tragique de l’existence car rien ne se résout pour aboutir à une synthèse, mais tout se vit dans la tension de l’incomplétude permanente. Dans le quotidien, chacun a besoin d’une stabilité affective, professionnelle, sociale, idéologique, mais est aussi tenté par quelques errances, ou l’exploration de mondes étrangers.

Cette ambivalence complémentaire entre le statique et le dynamique a été niée par la société bourgeoise : L’individu et son extension, la famille, ont été enfermés dans un petite institution sécurisante par le biais de l’éducation, le déroulement de la carrière professionnelle, le jeu social réglementé. Il a été enfermé dans une sorte de « prison heureuse » (Gilbert Durand). L’errant, le déviant, le marginal, l’étranger a été domestiqué, comme dans le roman « 1984 » (Georges Orwell), l’homme a été assigné à résidence, privé d’aventure.

Le territoire individualiste est alors devenu une prison plutôt que de servir de base pour un possible départ. Créant ainsi un déséquilibre profond dans la société contemporaine.

C’est au contraire cet enracinement dynamique que l’on retrouve dans l’histoire du peuple juif qui est très fortement lié par un esprit commun tout en participant à des espaces très divers : Dès son premier exil de Babylone, puis dans les suivants, plutôt que de vouloir conquérir territorialement, ce peuple se fortifie dans ses fondements, dans son être, il intensifie sa propre culture tout en s ‘adaptant et s’enracinant dans son nouveau lieu dans une autre société. En plus de se renforcer, le peuple juif sert de passeur, de lien entre différents groupes : Il introduit en occident ce que l’orient avait découvert en matière de médecine ou de science et fertilise leur terre d’accueil, comme tout étranger. Le juif est donc le prototype de l’errant, tout à la fois d’un lieu et tendu vers un non-lieu aux aspirations démesurées de la terre promise et aux désirs non satisfaits.

En ce sens, toute structuration sociale est bien la tension entre un lieu et un non-lieu, cette utopie qui curieusement sert de fondement. L’équilibre n’est pas un état, rien n’est plus instable. L’ordre établi ne peut perdurer que si il se remet en cause, que si il est déstabilisé, témoignant que le dysfonctionnement, le péché, le malheur font aussi partie intégrante de la vie. L’existence appelle à une sortie de soi qui se vit aussi bien au niveau collectif qu’individuel : Ce besoin de tendre vers quelque chose d’autre qui n’est pas là pour le moment. Cette tension, ce qui « pourrait être », anime le présent : La réalité n’est qu’une illusion toujours flottante qui ne peut être saisie que dans son perpétuel devenir incomplet et sans fin.

Venise en est une bonne illustration de ces territoires flottants : Cette ville si solide en surface n’a pas de fondation stable sur la lagune : Une vie dont les attaches sont précaires voir éphémères et qui peut à tout moment sombrer dans le néant. « Venise n’a que la beauté équivoque de l’aventure, qui flotte sans racine dans la vie » (G. Simmel). Ville de la fugue amoureuse, de la passion intense mais fragile, qui est tout le contraire d’une institution stable ou d’un capital inépuisable.

Hermès, le dieu voyageur, celui des commerçants et des voleurs nous vient également à l’esprit. En perpétuel mouvement, il ne se laisse pas enfermer, au contraire il s’emploie à déstabiliser : Grâce à son pied ailé, il pose un pied sur la terre et utilise ses ailes pour s’échapper, pour fuir. La figure d’Hermès se mire dans le masque vénitien puisqu’il est empli de ruse et de duplicité, il inquiète et aussi intrigue en invitant à la rencontre. La fuite d’Hermès nous rappelle l’évanescence de toute chose.

Venise témoigne également d’une vie double car cette ville est d’une part un refuge chaud, un abri sécurisant et d’autre part parcourue, ouverte vers l’extérieur, vers l’infini. En particulier le débarcadère témoigne de ce rituel de passage entre la fermeture et l’ouverture. En tant que ville mythique Venise fait donc ressortir la dialectique entre la sédentarité et l’errance, c’est à dire la nécessité à la fois d’un lieu matriciel et de son au-delà. Cette union des contraires est complexe car, si l’on est dans un lieu ou un territoire originel clos à partir duquel on peut rêver sa vie, lorsque ce rêve se réalise en partie ou en totalité, il se fonde toujours sur l’état originel qui est une sorte de paradis perdu : Il n’y a pas de progression sans une forme de régression. Ces voyages peuvent être également immobiles. IL est également possible de vagabonder sans bouger et après une longue quête, de retrouver dans un niveau de sagesse souveraine une organicité primordiale, au delà de la fragmentation des choses. Enraciné dans une tradition et un espace culturel donné, le sage donne sens à son errance et est capable d’en retirer toutes les ressources possibles pour la structuration de son existence. Il a su concocter un cocktail réussi de tous ces éléments différents et souvent contradictoires, tout comme l’alchimiste. Le renouvellement se fait par le biais de rites qui à la fois protègent des chocs frontaux avec l’étrange et l’étranger, tout en permettant d’être assimilés, unissant sans cesse les contraires et gérant ce paradoxe de ce monde double, cet enracinement dynamique source de fécondité et de vie.

4- Sociologie de l’aventure

La société contemporaine a négligé enfermé le coté dynamique et s’est donc elle même sclérosée. C’est pourquoi nous sommes en train de vivre une période charnière de rééquilibrage entre ces composantes.

Nous le voyons bien par de nombreux indices dans la société contemporaine : La société prône une uniformisation, des valeurs communes, relayées par les medias et les pouvoirs politiques ou économiques mais qui n’ont finalement de moins en moins d’impact sur les individus ou la société. Par contre, au contraire, les valeurs enfouies ressurgissent comme les aspirations à la différentiation, aux particularismes, à l’essai- erreur, au nomadisme, à la pluralité, à un autre futur.

L’homme quitte la pensée unifiée, linéaire, abandonne peu à peu le désir de se maîtriser et de maîtriser son environnement pour se diriger vers un monde double, gagner les territoires flottants : Cette ouverture à l’inconnu, ce besoin d’ailleurs, cette acceptation de la vie comme une succession d’étapes dans une divagation sans fin, évoluant dans le « hasard objectif » cher aux surréalistes dans lequel rien n’est assuré. La continuité de l’existence est faite de multiples écarts, de bons moments, d’évènements éphémères où le danger et l’intensité sont étrangement mêlés, ce qui lui donne son coté tragique.

L’individu mu par des affects et des passions de ses origines renouvelés se réapproprie des archétypes latents et communs à d’autres, ce qui forme finalement une sorte d’inconscient collectif, sorte de dénominateur commun. Par exemple, ce phénomène est bien visible lors des liesses collectives qui favorise la communion avec un principe vital dont tout un chacun n’est qu’une infime partie.

Chacun alors fait l’expérience d’une vraie liberté qui n’est ni rationnelle, ni fondée sur la conscience individuelle comme nous l’avons longtemps cru, mais d’une liberté enracinée dans un principe vital originel, antérieur à l’individu et qui lui survivra dans un présent toujours et à nouveau renouvelé.

Cette identité plurielle et le fait de ne pas être inscrit dans une histoire finalisée permet de vivre pleinement l’instant présent : Tous les moments se valent, l’existence est toute entière présente dans chacun de ses fragments. La réalité ne s’inscrit pas dans une perspective utilitaire mais consiste finalement à l’acceptation de ce qui est de l’intensité de l’expérience ludique qu’elle nous donne à vivre.

Le plaisir de vivre et l’errance sont deux pôles qui sont censés élaborer la culture, tout cela favorisant la circulation des affects, des biens et engendre dans tous les sens du terme la création de richesses. Bien que peu attentif à l’utilité, ces pôles vont paradoxalement constituer le ciment social et vont générer des institutions stables grâce auxquelles les sociétés perdurent.
En illustration, il est intéressant de noter que la parole évangélique « aime ton prochain comme toi même » lie l’altruisme aux plaisirs personnels et collectifs dans une quête incomplète et infinie. Cette soif de l’infini, la recherche d’un autre plaisir, d’un autre état de choses n’a pas de but précis. Le détachement qu’elle demande dans sa mise en œuvre ainsi que le fait d’aller toujours de l’avant sont deux aspects essentiels du principe vital. C’est en cela que la postmodernité s’apparente à la pré modernité : Ne pas se préoccuper du lendemain, jouir de l’instant, s’accommoder du monde tel qu’il est. A cet égard, Diogène est un heureux antidote aux lamentations concernant le chômage, la crise économique et les maux de notre temps. Il vit intensément et simplement, avec jubilation et ruse, il aime la légèreté de l’être, les légitimes plaisirs de la vie, mêlant recherche de satisfactions corporelles et profond souci du spirituel. Bien sur il exprime également une révolte contre l’institué car le plaisir de jouir du monde s’accompagne du plaisir de détruire. D’où les explosions qui traduisent ce processus de destruction / construction. Nous retrouvons aussi ces éléments dans la révolte de la jeunesse qui s’affirme et prend assise. Mais la jeunesse peut aussi concerner un moment civilisationnel donné. Comme les normes de notre société contemporaine sont affaiblies, les assurances promises fragiles, l’on est arrêté par rien. Ayant parcouru le possible, on se prend à rêver de l’impossible et l’on peut être certain que la passion et les pulsions libertaires vont se développer. Pour que l’excès ne devienne pas pratique courante, il sera nécessaire de construire de nouveaux rites. Nous observons déjà de fortes appartenances à de petits groupes, à plusieurs petites tribus. L’homme devient peu à peu à l’aise dans de multiples « cultures ». Selon le contexte ou le temps, il est à la fois étranger et proche de l’autre ; Manger, se vêtir, penser, prier, vivre sa sexualité s’expriment en des langues forts diverses. Nous sommes bien loin de l’analyse classique de la mondialisation !

Bien sur, il y a là quelque chose de tragique car la synthèse sécurisante est impossible, l’être n’est pas fondement mais devenir, errance, tendu vers un destin infini et d’incomplétude.

5- Exil et réintégration

Les problèmes de l’âme sont éternels. Nous retrouvons la réalisation de soit dans les pèlerinages comme à Saint Jacques de Compostelle, ou bien dans les retraites monastiques ou les pratiques extrêmes orientales. La recherche de la « cité de dieu » est bien une errance de l’âme caractérisée par des chutes successives, un parcours semé d’embûches mais permettant d’éprouver les capacités d’amour que chacun possède et les réaliser. Le pèlerin vit le tragique au plus haut point car il n’atteint jamais le paradis lors de ses pèlerinages, mais il est en tension empli d’une sensibilité le poussant à errer pour trouver une plénitude de l’être, celle qui donne l’intensité vécue au présent, autre manière de dire l’éternité. Pour le psychologue, après le stade de l’initiation, de la chute suivie de l’épreuve vient celui de la réintégration.

Il s’agit donc bien d’une structure anthropologique que l’on retrouve également en Extrême Orient avec les moines errants ou bien du bouddhisme. Le pèlerinage existentiel a pour fonction de favoriser une sorte de communion avec la nature et avec les autres dans un idéal communautaire dépassant la séparation ou le principe de dualité. L’errance s’inscrit dans un ensemble global, qu’il soit communautaire ou naturel, écologique.

L’existence ne vaut que si elle se consume dans l’intensité, dans la dépense, dans le souci d’une recherche spirituelle qui ne soit pas réduite à la consommation matérialiste, mais soucieuse de vibrer au dynamisme et de la force de l’immatériel.

Le rebelle ou le nomade est donc caractérisé par une exigence essentielle dont le fondement est avant tout spirituel : Il fuit l’emprise de la civilisation, il lui «lâche prise » et garde le cap d’un idéal qu’il entrevoit dans les moments propices durant lesquels il peut faire l’expérience de l’être, de l’absolu ou d’une forme d’absolu. Ceci est accessible, d’ailleurs il y a beaucoup plus de non-conformisme que l’on croit dans le quotidien dans ses pulsions qui poussent vers l’autre, les occasions de « s’éclater », le désir de faire masse, de se coller aux autres. Quelle erreur que de qualifier ceci d’individualisme.

Il y a donc une sagesse reposant sur une tension d’éléments hétérogènes, équilibre constitué d’une harmonie en contradiction avec elle-même. Marqué par le refus, la vie, tout comme l’œuvre d’art, la vie est le fruit d’une succession d’épreuves qu’il faut dépasser ou a minima assumer. Zavathoustra, ce philosophe marchant, nous dit « quoi qu’il puisse encore m’arriver comme destin à vivre, il y aura toujours là-dedans un voyage et une ascension ».

Cette mise en chemin personnelle spirituelle s’inscrit dans le cadre plus vaste de la communauté humaine et dans la compassion qui lui sert de ciment : Les premiers chrétiens eurent exactement cette recherche de vie parfaite aux premiers siècles du christianisme. Le dépouillement des choses secondaires lors notamment de la fameuse traversée du désert, permet de jouir de la moindre des choses et de comprendre le sens de la solidarité. L’expérience de l’être est quotidienne et intense, que cela soit pour le Prochain ou cela soit pour Dieu et permet une réalisation du Soi. C’est cela qui en fait une structure anthropologique reposant sur un trajet complexe où s’expriment des éléments hétérogènes, polyculturels et polyliteistes en attente d’un équilibre à venir.

En un moment où le rationalisme et l’idéal progressiste des lumières sont mis à mal, où le divin établi est absent, une rupture peut se produire engendrant un nouveau départ de ce lieu vers l’aventure dynamique. Il faut être attentif au retour du mythe nocturne des errants dionysiaques qui, dans l’angoisse et la jubilation peuvent féconder tout un chacun et le corps social tout entier et leurs permettre d’aspirer à une « soif de l’infini », qui par nature est d’incomplétude. Cette vie tragique accorde à l’instant présent, à l’aléatoire une place de choix, comme un instant d’éternité qui unit le proche et le lointain et qui accumuler à d’autre nous fait prendre conscience que nous sommes arrivés à bon port.

V- CONCLUSION

Dans son ouvrage « Du nomadisme », le projet de Michel Maffesoli est de poursuivre par la socialité, l’investigation de ce qui existe à côté de la raison. Errance ou nomadisme expriment une socialité en gestation, un projet d’être, une synthèse culturelle déterminant les formes de l’être ensemble. En ce sens, le nomadisme est contraire à la domestication recherchée par les Etats-nations qui se méfient de ce qui ne peut être contrôlé.

VI- DISCUSSION

Un aspect intéressant de l’étude de Michel Maffesoli est sa notion de creux, de vide nécessaire. Notre société se veut trop parfaite, tout doit être positif, que ce soit dans le domaine technologique ou social. La globalisation affirme vouloir le bien de tous, les nouvelles technologies sont au service de tout un chacun pour son épanouissement, la législation se diversifie pour améliorer le cadre de vie, bref on veut tout mieux et tout bien. Ce qui, implicitement, crée un besoin de vide, de dérapage, envie de quelque chose qui échapperait à tout ordre et à toute règle, qui serait qualitatif, soit, mais non quantifiable, pas de normes ISO ou de critères de qualité, rien que de l’émotion brute indéfinissable.

Michel Maffesoli explique, en partie, de la sorte, le retour sur le devant de la scène des hippies, vagabonds et autres voyageurs, désireux d’échapper à la société sans pour autant la nier. On veut appartenir à un groupe, mais en aucun cas perdre son identité. L’errance aide à construire mais aussi à se reconnaître, à conserver un mode d’existence que l’on estime enrichissant. Cette errance prend diverses formes, inutile de partir en roulotte à l’autre bout du monde, déambuler sans but dans les rues de son quartier peut contribuer à cette approche de soi. Ce n’est pas de la révolte, c’est un besoin d’imaginaire et de plaisir.

Les phénomènes de zapping ou de zapping génération, tout comme ce que l’on appelle l’individualisme ne sont pas des phénomènes irrationnels, incohérents mais sont en fait l’expression de diverses facettes de l’être.

Principe de précaution : Actuellement l’Etat et les hommes veulent tout contrôler, ne prendre aucun risque, ce qui induit des scléroses sociales ou des excès (grippe aviaire, fumeurs aux USA, ou autre) en plus d’un sentiment d’incompréhension d’emprisonnement, de non liberté, voir d’un certain totalitarisme. Le livre nous donne un autre éclairage.