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Origine : http://www.cnam.fr/lipsor/dso/articles/fiche/mmaffesolidunomadisme.doc
CONSERVATOIRE NATIONAL DES ARTS ET METIERS DE PARIS
Année 2005 – 2006
Organisation et fonctionnement de l’entreprise
OR 02
En vue de préparer le DESA Administration & Gestion
du Personnel
A l’attention de Monsieur Yvon PESQUEUX
Blandine PLOUVIEZ - code auditeur : 03-18576
SOMMAIRE
I- BIOGRAPHIE DE L’AUTEUR
II- POSTULAT
III- HYPOTHESES
IV- DEMONSTRATION
V- RESUME
1- La pulsion d’errance
2- Le nomadisme fondateur
3- Le territoire flottant
4- Sociologie de l’aventure
5- Exil et réintégration
VI- CONCLUSION
VII- DISCUSSION
I- BIOGRAPHIE DE L’AUTEUR
Michel MAFFESOLI
Né le 14 novembre 1944 à Graissessac (Hérault).
Professeur de sociologie à la Sorbonne.
Professeur titulaire de la chaire « Emile Durkheim »
à la Sorbonne.
Formation
Doctorat ès Lettres et sciences humaines : « La dynamique
sociale », sous la direction de Gilbert Durand. (1978).
Doctorat en sociologie, à l’université de Grenoble
« L’histoire comme fait social total ». Sous la
direction de Gilbert Durand (1973).
Etudes supérieures à l’université de
Strasbourg.
Cursus professionnel
1972-1977 : Attaché puis chargé de recherches à
l’université de Grenoble, co-directeur de l’équipe
de sociologie urbaine.
1978-1981 : Maître assistant à l’université
de Strasbourg.
Depuis Août 1981, professeur des universités, à
l’université Paris V-Sorbonne sciences humaines.
Directeur de Sociétés, revue internationale des sciences
humaines et sociales et des Cahiers de l’Imaginaire.
Directeur du Centre d’études sur l’Actuel et
le Quotidien (CEAQ), Laboratoire de recherches sociologiques en
Sorbonne.
Vice-président de l’Institut International de Sociologie
(I.I.S).
Distinctions de l’auteur
- Prix de l’Essai André Gautier, 1990 pour «
Au creux des apparences »
- Grand Prix des Sciences Humaines de l’Académie Française,
1992 pour « La transfiguration du Politique ».
II- POSTULAT
Le désir d’errance est un des pôles essentiels
de toute structuration sociale. L’errance ou nomadisme exprime
une socialité en gestation, un projet d’être,
une synthèse culturelle déterminant les formes de
l’être ensemble.
III- HYPOTHESES
Notre organisation sociale va s’achever, une nouvelle va
apparaître : Les soubresauts sont les prémisses d’une
nouvelle société, d’une nouvelle organisation,
moins rationnelle, plus émotive, plus libre.
La quête de chaque individu et chacune de ses expériences
constitue un fondement et une structuration mouvante pour la société
toute entière car elle s’intègre dans un tout.
IV- DEMONSTRATION
Pour Michel Maffesoli, exister, sortir de soi, s’ouvrir aux
autres, même de manière transgressive ; c’est
comme une constante anthropologique qui taraude chaque individu
et le corps social dans son ensemble. Le nomadisme contribue à
la construction de la réalité sociale contemporaine
intégrant une grande partie de symbolique, comme le montre
l’accentuation de l’écologique par rapport à
l’économique ou les implications de formes communautaires
et de solidarité concrètes.
De ce point de vue, l'ouvrage de Michel Maffesoli possède
une vertu radicale, celle de s'inscrire contre les pseudo évidences
du siècle qu'il nomme individualisme, chômage, productivisme,
fantasme de l'Un, en nous amenant à lire le construit social
dans toute son épaisseur; discours optimiste sans doute,
car fondé sur "une acceptation du monde tel qu'il est".
IV- RESUME
1- La pulsion d’errance
Notre société évolue progressivement depuis
des siècles vers un modèle d’organisation. Depuis
la préhistoire, les hommes se sont transformés de
nomades en sédentaires, constituants des petits groupes tribaux
puis des communautés, puis formant des groupes encore plus
importants, pour aboutir aux Etats et finalement à la mondialisation.
Constamment, pour assoir son pouvoir, l’Etat a fixé
les populations, tout d’abord géographiquement puis
par l’organisation de la production, des mœurs, de l’éducation,
de la vie sexuelle. Tous les aspects de la vie sociale ont été
standardisés, réglementés, contingentés.
La rationalité et la spécialisation ont favorisé
le progrès, la diminution des risques et des dangers. La
société s’est alors structurée et a promis
à chaque homme un avenir meilleur, de la protection et de
la sécurité, quitte à refreiner certaines composantes
fondamentales de l’être humain, quitte à soumettre
certaines énergies vitales de l’être.
Collectivement, les mythes du progrès des lumières
ou encore celui du Grand Soir ont permis d’offrir à
chaque être humain et à l’humanité un
avenir radieux, un monde meilleur ou tout au moins l’espoir
de l’atteindre un jour.
La société s’est alors organisée en
une bonne mécanique, parfaitement rodée. Mais cette
mécanique est grippée.
En effet, paradoxalement, nous vivons actuellement une désillusion
collective et personnelle : Le sentiment de citoyenneté s’amenuise,
la confiance en l’avenir n’est plus de mise. Conjointement,
de nouveaux comportements, que la plupart des analystes considèrent
comme marginaux apparaissent : L’individualisme, la quête
du plaisir immédiat, le désir de voyage, du nomadisme,
l’errance, qu’elle soit voulue, assumée ou subie
: Mobilité dans le travail, dans les migrations touristiques
ou les déplacements massifs de population induits par les
disparités économiques.
De tels phénomènes ont déjà existé
à de nombreuses reprises dans l’histoire : Le peuple
juif est ainsi fondé sur l’errance, l’exil, la
rupture, source de sa cohésion et de sa vitalité au
cours des siècles. De nombreuses religions mettent l’accent
sur la nécessaire épreuve initiatique du voyage. De
même, le code de l’hospitalité réserve
une place de choix à l’étranger, au voyage inconnu
à qui l’on offre son meilleur couvert à sa table.
Ne l’oublions pas, le terme même d’existence,
(ek-sistence) évoque le mouvement, la rupture : Exister,
c’est s’ouvrir à l’autre même d’une
manière transgressive.
Ces phénomènes oubliés ou niés sont
de retour. Il sont l’émergence d’une nouvelle
organisation sociale : Notre société est en train
de se préparer à vivre une rupture profonde : D’une
part, comme l’a montré Durkeim, la spécialisation
entraîne le blocage de la circulation sociale et finalement
sa sclérose. D’autre part, des pulsions collectives
et individuelles reviennent s’exprimer, revitaliser l’être
et la société.
2- Le nomadisme fondateur
Depuis le choc de la naissance, le changement est un traumatisme,
fait de déchirures, de séparations, de remises en
cause, mêlant sentiments d’angoisse et d’espoirs.
Le destin n’est pas linéaire mais totalement imprévisible,
immaitrisable puisqu’en perpétuel devenir. Le rêve
de l’aventure vient donc bousculer la solidité des
institutions établies pour construire autre chose : C’est
le mythe de la frontière aux Etats Unis, cette quête
continuelle d’un possible lointain que chaque homme peut atteindre
ou au moins fantasmer. Le pionnier est animé d’une
pulsion dans sa recherche de l’Eldorado. Cette aventure collective
construit des valeurs qui permettent à chaque individu une
recherche de soi et une appropriation de ses valeurs. Ce long travail,
cette errance, cette aventure émerge peut à peu à
la conscience puis, dans un second temps est acceptée comme
partie intégrante de la structuration sociale.
Mais, dans un premier temps, l’errance, cette part d’ombre
est inquiétante : Par exemple, Platon, plus soucieux de régulation
sociale que d’aventure, souligne le caractère inquiétant
du voyageur. Il représente un risque moral parce qu’il
est porteur de nouveautés. Cette méfiance des «
barbares » se retrouve aussi chez les Romains, une fois leur
empire établi.
Ce danger est d’autant plus combattu par les sociétés
que leurs origines même sont issues des grands bouleversements
dont elles ont été fécondées, qu’elles
ont dompté, intégré et donc elles sont finalement
constituées. Même si, plus tard, elles tentent de l’occulter,
elles n’échappent pas à leur destin et tout
ou tard, une révolution les remet en cause.
Pour la société, la figure de l’errant est
donc structurellement ambivalente puisque porteur de bouleversements
voir de sa destruction et à la fois source de son mythe fondateur.
Il sert aussi de lien avec l’extérieur. Il sert donc
d’élément structurant, que cela soit positivement
ou en servant de repoussoir ; il fait partie intégrante du
groupe lui même.
A titre d’exemple, la richesse de la Grèce antique
repose sur l’enracinement dans une cité et sur l’indépendance,
voir le cosmopolitisme, la diversité. Le poète voyageur
par exemple, féconde la culture en son moment fondateur et
ouvre des brèches lorsque la civilisation qui en est issue
tend à se refermer sur elle même et risque de se scléroser.
Le bassin méditerranéen a été un extraordinaire
lieu de rencontre, bâtissant une culture puissante qui survit
aux pouvoirs politiques depuis des siècles.
L’intellectuel non conformiste, le « goliard »
du moyen âge, loin d’être considéré
comme nocif pour le corps social lui permet de retrouver un équilibre
global : En canalisant cette part obscure de l’individu, la
société évite de la voir surgir de façon
perverse et totalement incontrôlée. Le sexe, l’habitat,
l’éducation, le travail n’ont pas la stabilité
ou de délimitation précise qui sera le propre du monde
moderne, mais restent fondamentalement ambigus, ouvert à
l’aventure avec tout ce qui est indécis, hasardeux,
non prévisible.
Un tel nomadisme sommeillant en chacun n’est pas vécu
par tous mais par quelques uns, ce qui nourri l’imaginaire
collectif.
Dans un monde qui s’achève, le thème du nomadisme
redevient d’actualité. Actuellement, ce qui est ne
satisfait plus, les révoltes ou les petites rébellions
quotidiennes s’exacerbent, la confiance aux valeurs établies
disparaît. De nombreux essais erreurs sont alors tentés.
Les tensions engendrent des destructions. C’est dans le creux
de ces destructions que s’élabore ce qui est en train
de naître, de nouvelles valeurs, une nouvelle organisation
sociale. C’est pourquoi il convient d’être attentif
aux valeurs qui s’esquissent sous nos yeux et de réfuter
tout jugement a priori. Les valeurs qu’une avant garde élabore
tendent à se capillariser dans l’ensemble du corps
social.
Je prendrai l’exemple du mythe de Dionysos : Les femmes de
Thèbes font partie d’une société, tellement
organisée qu’elle est totalement figée. Ne pouvant
plus supporter cette léthargie, elles font appel à
l’opposé de cette organisation, à Dionysos,
qui par sa venue même apporte à cette société
sclérosée et au bord de la mort, un sang neuf, qui
finalement perturbe et renouvelle toute cette organisation qui ne
pouvait plus vivre sans cette mutation salvatrice.
La recherche d’émotions, l’errance érotique
revient sur le devant de la scène ainsi qu’une certaine
attitude libertaire. C’est la quête d’un ordre
qui n’est pas imposé de l’extérieur, mais
trouvant sa réalisation dans l’ajustement spontané
des individus les uns pas rapports aux autres, comme une auto-organisation.
Ainsi, la liberté de l’errant est une recherche de
l’expérience de l’être, qui nécessite
toujours l’aide d’un autre, qu’il soit mystique
ou un être humain. Ainsi, l’errant peut être solitaire
mais il n’est pas seul : Il fait partie d’une communauté
qui n’est pas forcément durable et formelle, comme
les rassemblements festifs, les tchats sur internet ou bien les
rencontres de vacances. L’intensité des émotions
partagées dans ces communautés et d’autant plus
intense qu’elles sont petites et éphémères.
Les émotions jouent un élément essentiel dans
la structuration sociale et constitue l’essence de l’
« être ensemble ».
3- Le territoire flottant
Le contrat social liant les individus entre eux était univoque
et rationnel, ne laissant aucune place au hasard, à l’émotion,
à la déraison. Son but était de dépasser
les contractions, les fautes ou les péchés pour aboutir
à une synthèse harmonieuse.
La métaphore du nomadisme permet de mieux appréhender
la réalité des choses, tout particulièrement
dans leur ambivalence structurelle. D’une part, la personne
n’est pas monolithique mais elle est d’identification
multiple qui se dévoile par l’errance, et, d’autre
part, la vie sociale se construit par des mouvements de répulsion
et d’attraction.
L’errance débute par une fuite qui rappelle la fondation,
l’origine. Mais cette fuite pour qu’elle ait un sens
doit s’opérer à partir de quelque chose qui
soit stable. Pour outrepasser la limite, il faut bien que celle-ci
existe. C’est pourquoi il ne faut pas penser de manière
dialectique, mais appréhender la globalité systémique.
C’est ce que l’auteur qualifie « d’enracinement
dynamique » : L’être humain est issu d’un
lieu, il crée à partir de ce lieu des liens et des
références, mais pour qu’ils prennent sens,
pour qu’ils soient appropriés, il est nécessaire
qu’ils soient remis en cause, niés, dépassés,
transgressés. C’est le coté tragique de l’existence
car rien ne se résout pour aboutir à une synthèse,
mais tout se vit dans la tension de l’incomplétude
permanente. Dans le quotidien, chacun a besoin d’une stabilité
affective, professionnelle, sociale, idéologique, mais est
aussi tenté par quelques errances, ou l’exploration
de mondes étrangers.
Cette ambivalence complémentaire entre le statique et le
dynamique a été niée par la société
bourgeoise : L’individu et son extension, la famille, ont
été enfermés dans un petite institution sécurisante
par le biais de l’éducation, le déroulement
de la carrière professionnelle, le jeu social réglementé.
Il a été enfermé dans une sorte de «
prison heureuse » (Gilbert Durand). L’errant, le déviant,
le marginal, l’étranger a été domestiqué,
comme dans le roman « 1984 » (Georges Orwell), l’homme
a été assigné à résidence, privé
d’aventure.
Le territoire individualiste est alors devenu une prison plutôt
que de servir de base pour un possible départ. Créant
ainsi un déséquilibre profond dans la société
contemporaine.
C’est au contraire cet enracinement dynamique que l’on
retrouve dans l’histoire du peuple juif qui est très
fortement lié par un esprit commun tout en participant à
des espaces très divers : Dès son premier exil de
Babylone, puis dans les suivants, plutôt que de vouloir conquérir
territorialement, ce peuple se fortifie dans ses fondements, dans
son être, il intensifie sa propre culture tout en s ‘adaptant
et s’enracinant dans son nouveau lieu dans une autre société.
En plus de se renforcer, le peuple juif sert de passeur, de lien
entre différents groupes : Il introduit en occident ce que
l’orient avait découvert en matière de médecine
ou de science et fertilise leur terre d’accueil, comme tout
étranger. Le juif est donc le prototype de l’errant,
tout à la fois d’un lieu et tendu vers un non-lieu
aux aspirations démesurées de la terre promise et
aux désirs non satisfaits.
En ce sens, toute structuration sociale est bien la tension entre
un lieu et un non-lieu, cette utopie qui curieusement sert de fondement.
L’équilibre n’est pas un état, rien n’est
plus instable. L’ordre établi ne peut perdurer que
si il se remet en cause, que si il est déstabilisé,
témoignant que le dysfonctionnement, le péché,
le malheur font aussi partie intégrante de la vie. L’existence
appelle à une sortie de soi qui se vit aussi bien au niveau
collectif qu’individuel : Ce besoin de tendre vers quelque
chose d’autre qui n’est pas là pour le moment.
Cette tension, ce qui « pourrait être », anime
le présent : La réalité n’est qu’une
illusion toujours flottante qui ne peut être saisie que dans
son perpétuel devenir incomplet et sans fin.
Venise en est une bonne illustration de ces territoires flottants
: Cette ville si solide en surface n’a pas de fondation stable
sur la lagune : Une vie dont les attaches sont précaires
voir éphémères et qui peut à tout moment
sombrer dans le néant. « Venise n’a que la beauté
équivoque de l’aventure, qui flotte sans racine dans
la vie » (G. Simmel). Ville de la fugue amoureuse, de la passion
intense mais fragile, qui est tout le contraire d’une institution
stable ou d’un capital inépuisable.
Hermès, le dieu voyageur, celui des commerçants et
des voleurs nous vient également à l’esprit.
En perpétuel mouvement, il ne se laisse pas enfermer, au
contraire il s’emploie à déstabiliser : Grâce
à son pied ailé, il pose un pied sur la terre et utilise
ses ailes pour s’échapper, pour fuir. La figure d’Hermès
se mire dans le masque vénitien puisqu’il est empli
de ruse et de duplicité, il inquiète et aussi intrigue
en invitant à la rencontre. La fuite d’Hermès
nous rappelle l’évanescence de toute chose.
Venise témoigne également d’une vie double
car cette ville est d’une part un refuge chaud, un abri sécurisant
et d’autre part parcourue, ouverte vers l’extérieur,
vers l’infini. En particulier le débarcadère
témoigne de ce rituel de passage entre la fermeture et l’ouverture.
En tant que ville mythique Venise fait donc ressortir la dialectique
entre la sédentarité et l’errance, c’est
à dire la nécessité à la fois d’un
lieu matriciel et de son au-delà. Cette union des contraires
est complexe car, si l’on est dans un lieu ou un territoire
originel clos à partir duquel on peut rêver sa vie,
lorsque ce rêve se réalise en partie ou en totalité,
il se fonde toujours sur l’état originel qui est une
sorte de paradis perdu : Il n’y a pas de progression sans
une forme de régression. Ces voyages peuvent être également
immobiles. IL est également possible de vagabonder sans bouger
et après une longue quête, de retrouver dans un niveau
de sagesse souveraine une organicité primordiale, au delà
de la fragmentation des choses. Enraciné dans une tradition
et un espace culturel donné, le sage donne sens à
son errance et est capable d’en retirer toutes les ressources
possibles pour la structuration de son existence. Il a su concocter
un cocktail réussi de tous ces éléments différents
et souvent contradictoires, tout comme l’alchimiste. Le renouvellement
se fait par le biais de rites qui à la fois protègent
des chocs frontaux avec l’étrange et l’étranger,
tout en permettant d’être assimilés, unissant
sans cesse les contraires et gérant ce paradoxe de ce monde
double, cet enracinement dynamique source de fécondité
et de vie.
4- Sociologie de l’aventure
La société contemporaine a négligé
enfermé le coté dynamique et s’est donc elle
même sclérosée. C’est pourquoi nous sommes
en train de vivre une période charnière de rééquilibrage
entre ces composantes.
Nous le voyons bien par de nombreux indices dans la société
contemporaine : La société prône une uniformisation,
des valeurs communes, relayées par les medias et les pouvoirs
politiques ou économiques mais qui n’ont finalement
de moins en moins d’impact sur les individus ou la société.
Par contre, au contraire, les valeurs enfouies ressurgissent comme
les aspirations à la différentiation, aux particularismes,
à l’essai- erreur, au nomadisme, à la pluralité,
à un autre futur.
L’homme quitte la pensée unifiée, linéaire,
abandonne peu à peu le désir de se maîtriser
et de maîtriser son environnement pour se diriger vers un
monde double, gagner les territoires flottants : Cette ouverture
à l’inconnu, ce besoin d’ailleurs, cette acceptation
de la vie comme une succession d’étapes dans une divagation
sans fin, évoluant dans le « hasard objectif »
cher aux surréalistes dans lequel rien n’est assuré.
La continuité de l’existence est faite de multiples
écarts, de bons moments, d’évènements
éphémères où le danger et l’intensité
sont étrangement mêlés, ce qui lui donne son
coté tragique.
L’individu mu par des affects et des passions de ses origines
renouvelés se réapproprie des archétypes latents
et communs à d’autres, ce qui forme finalement une
sorte d’inconscient collectif, sorte de dénominateur
commun. Par exemple, ce phénomène est bien visible
lors des liesses collectives qui favorise la communion avec un principe
vital dont tout un chacun n’est qu’une infime partie.
Chacun alors fait l’expérience d’une vraie liberté
qui n’est ni rationnelle, ni fondée sur la conscience
individuelle comme nous l’avons longtemps cru, mais d’une
liberté enracinée dans un principe vital originel,
antérieur à l’individu et qui lui survivra dans
un présent toujours et à nouveau renouvelé.
Cette identité plurielle et le fait de ne pas être
inscrit dans une histoire finalisée permet de vivre pleinement
l’instant présent : Tous les moments se valent, l’existence
est toute entière présente dans chacun de ses fragments.
La réalité ne s’inscrit pas dans une perspective
utilitaire mais consiste finalement à l’acceptation
de ce qui est de l’intensité de l’expérience
ludique qu’elle nous donne à vivre.
Le plaisir de vivre et l’errance sont deux pôles qui
sont censés élaborer la culture, tout cela favorisant
la circulation des affects, des biens et engendre dans tous les
sens du terme la création de richesses. Bien que peu attentif
à l’utilité, ces pôles vont paradoxalement
constituer le ciment social et vont générer des institutions
stables grâce auxquelles les sociétés perdurent.
En illustration, il est intéressant de noter que la parole
évangélique « aime ton prochain comme toi même
» lie l’altruisme aux plaisirs personnels et collectifs
dans une quête incomplète et infinie. Cette soif de
l’infini, la recherche d’un autre plaisir, d’un
autre état de choses n’a pas de but précis.
Le détachement qu’elle demande dans sa mise en œuvre
ainsi que le fait d’aller toujours de l’avant sont deux
aspects essentiels du principe vital. C’est en cela que la
postmodernité s’apparente à la pré modernité
: Ne pas se préoccuper du lendemain, jouir de l’instant,
s’accommoder du monde tel qu’il est. A cet égard,
Diogène est un heureux antidote aux lamentations concernant
le chômage, la crise économique et les maux de notre
temps. Il vit intensément et simplement, avec jubilation
et ruse, il aime la légèreté de l’être,
les légitimes plaisirs de la vie, mêlant recherche
de satisfactions corporelles et profond souci du spirituel. Bien
sur il exprime également une révolte contre l’institué
car le plaisir de jouir du monde s’accompagne du plaisir de
détruire. D’où les explosions qui traduisent
ce processus de destruction / construction. Nous retrouvons aussi
ces éléments dans la révolte de la jeunesse
qui s’affirme et prend assise. Mais la jeunesse peut aussi
concerner un moment civilisationnel donné. Comme les normes
de notre société contemporaine sont affaiblies, les
assurances promises fragiles, l’on est arrêté
par rien. Ayant parcouru le possible, on se prend à rêver
de l’impossible et l’on peut être certain que
la passion et les pulsions libertaires vont se développer.
Pour que l’excès ne devienne pas pratique courante,
il sera nécessaire de construire de nouveaux rites. Nous
observons déjà de fortes appartenances à de
petits groupes, à plusieurs petites tribus. L’homme
devient peu à peu à l’aise dans de multiples
« cultures ». Selon le contexte ou le temps, il est
à la fois étranger et proche de l’autre ; Manger,
se vêtir, penser, prier, vivre sa sexualité s’expriment
en des langues forts diverses. Nous sommes bien loin de l’analyse
classique de la mondialisation !
Bien sur, il y a là quelque chose de tragique car la synthèse
sécurisante est impossible, l’être n’est
pas fondement mais devenir, errance, tendu vers un destin infini
et d’incomplétude.
5- Exil et réintégration
Les problèmes de l’âme sont éternels.
Nous retrouvons la réalisation de soit dans les pèlerinages
comme à Saint Jacques de Compostelle, ou bien dans les retraites
monastiques ou les pratiques extrêmes orientales. La recherche
de la « cité de dieu » est bien une errance de
l’âme caractérisée par des chutes successives,
un parcours semé d’embûches mais permettant d’éprouver
les capacités d’amour que chacun possède et
les réaliser. Le pèlerin vit le tragique au plus haut
point car il n’atteint jamais le paradis lors de ses pèlerinages,
mais il est en tension empli d’une sensibilité le poussant
à errer pour trouver une plénitude de l’être,
celle qui donne l’intensité vécue au présent,
autre manière de dire l’éternité. Pour
le psychologue, après le stade de l’initiation, de
la chute suivie de l’épreuve vient celui de la réintégration.
Il s’agit donc bien d’une structure anthropologique
que l’on retrouve également en Extrême Orient
avec les moines errants ou bien du bouddhisme. Le pèlerinage
existentiel a pour fonction de favoriser une sorte de communion
avec la nature et avec les autres dans un idéal communautaire
dépassant la séparation ou le principe de dualité.
L’errance s’inscrit dans un ensemble global, qu’il
soit communautaire ou naturel, écologique.
L’existence ne vaut que si elle se consume dans l’intensité,
dans la dépense, dans le souci d’une recherche spirituelle
qui ne soit pas réduite à la consommation matérialiste,
mais soucieuse de vibrer au dynamisme et de la force de l’immatériel.
Le rebelle ou le nomade est donc caractérisé par
une exigence essentielle dont le fondement est avant tout spirituel
: Il fuit l’emprise de la civilisation, il lui «lâche
prise » et garde le cap d’un idéal qu’il
entrevoit dans les moments propices durant lesquels il peut faire
l’expérience de l’être, de l’absolu
ou d’une forme d’absolu. Ceci est accessible, d’ailleurs
il y a beaucoup plus de non-conformisme que l’on croit dans
le quotidien dans ses pulsions qui poussent vers l’autre,
les occasions de « s’éclater », le désir
de faire masse, de se coller aux autres. Quelle erreur que de qualifier
ceci d’individualisme.
Il y a donc une sagesse reposant sur une tension d’éléments
hétérogènes, équilibre constitué
d’une harmonie en contradiction avec elle-même. Marqué
par le refus, la vie, tout comme l’œuvre d’art,
la vie est le fruit d’une succession d’épreuves
qu’il faut dépasser ou a minima assumer. Zavathoustra,
ce philosophe marchant, nous dit « quoi qu’il puisse
encore m’arriver comme destin à vivre, il y aura toujours
là-dedans un voyage et une ascension ».
Cette mise en chemin personnelle spirituelle s’inscrit dans
le cadre plus vaste de la communauté humaine et dans la compassion
qui lui sert de ciment : Les premiers chrétiens eurent exactement
cette recherche de vie parfaite aux premiers siècles du christianisme.
Le dépouillement des choses secondaires lors notamment de
la fameuse traversée du désert, permet de jouir de
la moindre des choses et de comprendre le sens de la solidarité.
L’expérience de l’être est quotidienne
et intense, que cela soit pour le Prochain ou cela soit pour Dieu
et permet une réalisation du Soi. C’est cela qui en
fait une structure anthropologique reposant sur un trajet complexe
où s’expriment des éléments hétérogènes,
polyculturels et polyliteistes en attente d’un équilibre
à venir.
En un moment où le rationalisme et l’idéal
progressiste des lumières sont mis à mal, où
le divin établi est absent, une rupture peut se produire
engendrant un nouveau départ de ce lieu vers l’aventure
dynamique. Il faut être attentif au retour du mythe nocturne
des errants dionysiaques qui, dans l’angoisse et la jubilation
peuvent féconder tout un chacun et le corps social tout entier
et leurs permettre d’aspirer à une « soif de
l’infini », qui par nature est d’incomplétude.
Cette vie tragique accorde à l’instant présent,
à l’aléatoire une place de choix, comme un instant
d’éternité qui unit le proche et le lointain
et qui accumuler à d’autre nous fait prendre conscience
que nous sommes arrivés à bon port.
V- CONCLUSION
Dans son ouvrage « Du nomadisme », le projet de Michel
Maffesoli est de poursuivre par la socialité, l’investigation
de ce qui existe à côté de la raison. Errance
ou nomadisme expriment une socialité en gestation, un projet
d’être, une synthèse culturelle déterminant
les formes de l’être ensemble. En ce sens, le nomadisme
est contraire à la domestication recherchée par les
Etats-nations qui se méfient de ce qui ne peut être
contrôlé.
VI- DISCUSSION
Un aspect intéressant de l’étude de Michel
Maffesoli est sa notion de creux, de vide nécessaire. Notre
société se veut trop parfaite, tout doit être
positif, que ce soit dans le domaine technologique ou social. La
globalisation affirme vouloir le bien de tous, les nouvelles technologies
sont au service de tout un chacun pour son épanouissement,
la législation se diversifie pour améliorer le cadre
de vie, bref on veut tout mieux et tout bien. Ce qui, implicitement,
crée un besoin de vide, de dérapage, envie de quelque
chose qui échapperait à tout ordre et à toute
règle, qui serait qualitatif, soit, mais non quantifiable,
pas de normes ISO ou de critères de qualité, rien
que de l’émotion brute indéfinissable.
Michel Maffesoli explique, en partie, de la sorte, le retour sur
le devant de la scène des hippies, vagabonds et autres voyageurs,
désireux d’échapper à la société
sans pour autant la nier. On veut appartenir à un groupe,
mais en aucun cas perdre son identité. L’errance aide
à construire mais aussi à se reconnaître, à
conserver un mode d’existence que l’on estime enrichissant.
Cette errance prend diverses formes, inutile de partir en roulotte
à l’autre bout du monde, déambuler sans but
dans les rues de son quartier peut contribuer à cette approche
de soi. Ce n’est pas de la révolte, c’est un
besoin d’imaginaire et de plaisir.
Les phénomènes de zapping ou de zapping génération,
tout comme ce que l’on appelle l’individualisme ne sont
pas des phénomènes irrationnels, incohérents
mais sont en fait l’expression de diverses facettes de l’être.
Principe de précaution : Actuellement l’Etat et les
hommes veulent tout contrôler, ne prendre aucun risque, ce
qui induit des scléroses sociales ou des excès (grippe
aviaire, fumeurs aux USA, ou autre) en plus d’un sentiment
d’incompréhension d’emprisonnement, de non liberté,
voir d’un certain totalitarisme. Le livre nous donne un autre
éclairage.
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