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Piéger sa propre culture
Michel Foucault
Dits Ecrits Tome II Texte n°111

«Piéger sa propre culture», in «Gaston Bachelard, le philosophe et son ombre», Le Figaro littéraire, no 1376, 30 septembre 1972, p. 16.

Dits Ecrits Tome II Texte n°111

Ce qui me frappe beaucoup chez Bachelard, c'est en quelque sorte qu'il joue contre sa propre culture, avec sa propre culture. Dans l'enseignement traditionnel - et pas seulement, dans l'enseignement traditionnel, dans la culture que nous recevons - , il y a un certain nombre de valeurs établies, de choses qu'il faut dire et d'autres qu'il ne faut pas dire, d'oeuvres qui sont estimables et puis d'autres qui sont négligeables, il y a les grands et les petits, il y a la hiérarchie enfin, tout ce monde céleste avec les Trônes, les Dominations, les Anges et les Archanges !... Tout ça est très hiérarchisé. Eh bien, Bachelard fait se déprendre de tout cet ensemble de valeurs, et il fait s'en déprendre en lisant tout et en faisant jouer tout contre tout.

Il fait penser, si vous voulez, à ces joueurs d'échecs habiles qui arrivent à prendre les grosses pièces avec des petits pions. Bachelard n'hésite pas à opposer à Descartes un philosophe mineur ou un savant... un savant, ma foi, un peu... un peu imparfait ou fantaisiste du XVIIIe siècle. Il n'hésite pas à mettre dans la même analyse les plus grands poètes et puis un petit mineur qu'il aura découvert comme ça, au hasard d'un bouquiniste... Et faisant cela, il ne s'agit pas du tout pour lui de reconstituer la grande culture globale qui est celle de l'Occident, ou de l'Europe, ou de la France. Il ne s'agit pas de montrer que c'est toujours le même grand esprit qui vit, fourmille partout, qui se retrouve le même ; j'ai l'impression, au contraire, qu'il essaie de piéger sa propre culture avec ses interstices, ses déviances, ses phénomènes mineurs, ses petits couacs, ses fausses notes.