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Meeting Vérité-Justice 1500 Grenoblois accusent (Intervention)
Dits Ecrits Tome II Texte n°112
Une giclée de sang ou un incendie (Intervention)
Michel Foucault
Dits Ecrits Tome II Texte n°113


«Meeting Vérité-justice. 1500 Grenoblois accusent», Vérité Rhône-Alpes. Journal du Secours rouge Rhône-Alpes (supplément de j'accuse), no 3, décembre 1972, p. 6.

Extrait d'une intervention au Stade de glace de Grenoble lors d'un meeting de mille cinq cents personnes organisé par le comité Vérité-Justice Rhône-Alpes le 24 novembre 1972, Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1970, le 5 / 7, discothèque de Saint-Laurent-du-Pont, près de Grenoble, était ravagé par un incendie. Les issues de secours avaient été condamnées pour empêcher le resquillage à l'entrée : cent quarante-six jeunes gens moururent asphyxiés ou brûlés. L'enquête judiciaire retint une cause technique : un générateur d'air pulsé trop puissant pour le décor en polyuréthanne. La population locale, elle, mettait en cause le non-contrôle de l'établissement par les services de tutelle et une possible complaisance à l'égard du milieu grenoblois soupçonné de pratiquer le racket. Ce drame est à l'origine d'une législation sur la responsabilité des élus locaux.

Les comités Vérité-Justice étaient des émanations de la Gauche prolétarienne.

Dits Ecrits Tome II Texte n°112


Avant de poser la question : Qui a tué ? je crois qu'il faut poser la question : Qui a été tué ?

Qui étaient-ils ceux qui sont morts ce soir de la Toussaint 1970 ?

Par exemple, quand la police interroge un témoin qui n'avait pas vingt ans et qui avait assisté au début de l'incendie, qu'est-ce que vous croyez que la police lui demande ?

Ce qu'il a vu, entendu ? Non, on lui a demandé si par hasard dans ces dancings on ne vendait pas de la drogue, qu'est-ce qui se passait avec les filles, si c'était pas un bordel.

Parce que pour la police, comme malheureusement pour beaucoup de journalistes, parler de la jeunesse, c'est d'abord parler de la drogue, de la délinquance, des vols...

On parle des bandes de jeunes, on ne parle pas des bandes qui rackettent les jeunes, qui les volent et qui exposent leurs vies.

L'usine. Quand un garçon de dix-huit ans se présente à l'embauche avec son C.A.P. : «Écoute, mon vieux, dans deux ans tu vas faire ton service militaire, alors tu comprends qu'on ne peut pas te donner le travail qui correspond à la profession que tu as apprise. On ne peut tout de même pas te former toi qui vas t'en aller bientôt. Alors, on va te prendre comme manoeuvre, comme manutentionnaire, en attendant.»

Eh bien, je pose la question, est-ce qu'on est honnête, est-ce que les employeurs sont honnêtes avec ce garçon ?

Ce peu d'argent qu'on lui donne, on va se dépêcher de le récupérer et au plus vite ; il y a bien sûr le matraquage publicitaire, on pousse à la consommation, achète ceci, achète cela...

Ce jeune, comme il n'a pas de logement, il faut bien qu'il sorte...

Alors, il va sortir, et c'est de nouveau le matraquage : il lui faut 12 ou 15 francs pour entrer dans un dancing, il se commande un jus d'orange, ça vaut 8 ou 10 francs, etc.

Eh bien, moi, je dis que ces garçons-là et ces filles-là, on les exploite et on les vole.

Cet argent qu'on leur prend, il n'est pas perdu pour tout le monde et il n'est pas non plus empoché par n'importe qui : il y a, bien sûr, les impôts du percepteur, mais il y a les impôts des truands, il y a des bandes de racketteurs qui dans tous les dancings de la région, vous le savez bien, prélèvent quelque chose comme de 25 à 30 % de la recette.

Eh bien, moi, je dis qu'il y a partout du vol, mais du vol dont les jeunes sont les victimes... Alors qu'on ne vienne pas nous parler de la délinquance générale des jeunes, mais qu'on nous parle plutôt, qu'on interroge plutôt la délinquance généralisée à l'égard des jeunes...

Ce genre d'injustice et d'exploitation ne date pas d'aujourd'hui, c'est vrai, mais depuis quelque temps, en France, et dans cette région peut-être un peu plus qu'ailleurs, il a pris une forme qui est je crois particulièrement dangereuse.

Ce genre d'injustice et d'exploitation a maintenant directement partie liée avec les hommes qui sont aujourd'hui au pouvoir.

Pour le personnel politique de ce que nous appelons une démocratie, c'est une tradition d'être au contact avec la corruption et les illégalités.

Pour la police, c'est une tradition de travailler près, tout près, trop près des truands.

Ce qu'il y a de nouveau aujourd'hui, c'est que le pouvoir travaille maintenant directement avec les truands.

Ce sont les truands qui servent maintenant de chauffeurs, de gardes du corps, de colleurs d'affiches, indicateurs d'agents électoraux, ce sont les truands qui sont chargés d'intimider une ville, de surveiller la population, de faire voter comme il faut...

A travers le pays se met en place, discrètement ou indiscrètement, bruyamment ou à bas bruit, tout un quadrillage : le député avec sa cocarde, les cadres U.D.R. *, le S.A.C. **, les polices parallèles ou pas parallèles : tout cela est en train d'encadrer la population et se charge de la faire marcher au pas ou de la réduire au silence.

* U.D.R : sigle du parti gaulliste, l'union des Républicains.

** S.A.C. ; «Service d'action civique», service parallèle gaulliste.

Quant à l'Administration, dans tout cela, qu'est-ce qu'elle fait ? Elle n'a qu'une chose à faire et elle le fait bien : elle ferme les yeux et laisse faire.

Elle laisse construire, ouvrir et brûler le 5 / 7, elle laisse Coppolani * et les trafiquants de drogue, elle laisse faire les truands, elle laisse faire partout et chaque fois que quelqu'un veut faire du profit.

La veille de la Toussaint 1970, tout était en place pour que ce qui est arrivé arrive, et il faudra bien que l'Administration rende des comptes.

Il faudra bien que l'Administration rende compte de tous ces jeunes qui n'étaient ni des voleurs ni des drogués, mais qui ont été brûlés.



«Une giclée de sang ou un incendie», La Cause du peuple - J'accuse, no 33, 1er décembre 1972, p. 6.

Dits Ecrits Tome II Texte n°113


A travers tout le pays se met en place discrètement, à bas bruit ou avec éclat, peu importe, tout un quadrillage : le député avec sa cocarde, les cadres U.D.R., le S.A.C., les recherches et contentieux, les policiers parallèles ou pas parallèles. Les truands, désormais, se chargent d'encadrer la population, de la faire marcher au pas ou de la réduire au silence.

Quant à l'Administration, dans tout cela, que fait-elle ? L'Administration n'a qu'une chose à faire et elle le fait bien : elle ferme les yeux et laisse faire. Elle laisse faire les escrocs, elle laisse faire les truands, elle laisse faire partout et chaque fois que quelqu'un peut faire du profit. Elle laisse faire Rives-Henry, elle laisse faire Copolani et les trafiquants de drogue, elle laisse construire, ouvrir et brûler n'importe quel dancing dans n'importe quelles conditions.

Alors, nous ne pouvons pas laisser dire que, pour l' Administration, l'incendie du 5 / 7 **, c'était un incident imprévisible et regrettable. En fait, tout était fait au 5 / 7 de telle sorte qu'il ne pouvait que brûler comme une torche. C'était de l'étoupe. L'Administration a laissé faire, parce qu'elle respecte le profit. La veille de la Toussaint 1970, tout était en place pour que ce qui est arrivé arrive.

* Coppolani .soupçonné de liens avec le milieu.

** Voir supra no 112.