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Foucault, le philosophe, est en train de parler. Pensez
Dits Ecrits Tome II Texte n°124

«Foucault, o filósofo, está falando. Pense» («Foucault, le philosophe, est en train de parler. Pensez» ; trad. S. de Souza), Estado de Minas, 30 mai 1973, p. 5. (Fragments d'une conférence tenue à Belo Horizonte le 29 mai 1973.)

Dits Ecrits Tome II Texte n°124


Sur le nouveau type de pensée que propose M. Foucault :

- Cette culture est à peine en train de se former, et cela pour une série de raisons. En premier lieu parce qu'elle est apparue spontanément dans les domaines les plus différents.

Elle n'a pas eu de place privilégiée. Par ailleurs, elle ne s'est pas présentée d'emblée en tant que retournement, mais a plutôt commencé lorsque Nietzsche a montré que la mort de Dieu, ce n'était pas l'apparition, mais la disparition de l'homme, que l'homme et Dieu avaient d'étranges rapports de parenté, car ils étaient en même temps des frères jumeaux et père et fils l'un de l'autre : Dieu étant mort, l'homme ne pouvait manquer de disparaître en même temps.

Elle est apparue également avec Heidegger, lorsque ce dernier a essayé de reprendre la relation fondamentale à l'être, dans un retour à l'origine grecque. Elle est apparue aussi avec Russell, lorsque celui-ci a fait la critique logique de la philosophie, et aussi avec les linguistes, les sociologues comme Lévi-Strauss.

Ainsi, même pour moi, actuellement, les manifestations de la raison analytique - qui serait la philosophie nouvelle - sont encore éparpillées. C'est alors que se présente pour nous une tentation dangereuse, le retour pur et simple au XVIIIe siècle, tentation qu'illustre bien l'intérêt que l'on porte actuellement au XVIIIe siècle. Mais un tel retour est impossible. Nous ne ferons plus l'Encyclopédie ni Le Traité des sensations de Condillac.

Sur sa pensée, qu'il considère comme dialectique, toute différente de l'analyse marxiste :

- Il nous faut faire un effort pour découvrir la forme appropriée et absolument contemporaine de cette pensée non dialectique. La raison analytique du XVIIIe siècle se caractériserait, pour l'essentiel, par son rapport à la nature ; la raison dialectique du XIXe siècle s'est surtout développée par rapport à l'existence, c'est-à-dire aux problèmes des relations entre l'individu et la société, de la conscience historique, du sens et du non-sens, du vivant et de l'inerte.

Aujourd'hui, l'interrogation du philosophe ne consiste plus à chercher à savoir comment le monde peut être vécu, expérimenté, traversé par le sujet. Le problème qui se présente maintenant est de savoir quelles sont les conditions imposées à un sujet quelconque, pour qu'il puisse s'introduire, fonctionner, servir de noeud dans le réseau systématique de ce qui nous entoure. Partant, la description et l'analyse n'auront plus pour objet le sujet dans ses rapports avec l'humanité, mais auront à voir avec le mode d'existence de certains objets (comme la science) qui fonctionnent, se développent, se transforment, sans aucune sorte de référence à quelque chose qui serait le fondement intuitif d'un sujet.

Des sujets successifs se limitent à rentrer, par les portes latérales, dans l'intériorité d'un système, lequel se trouve être non seulement quelque chose qui se conserve, avec sa propre systématicité, indépendante, dans un certain sens, de la conscience des hommes, mais s'avère avoir également une existence propre, indépendamment de l'existence d'un sujet ou d'un autre.

Sur la place de la littérature dans cette nouvelle forme de pensée :

Il me semble que la littérature actuelle fait partie de la même pensée non dialectique qui caractérise la philosophie. Je crois que la manière d'utiliser le langage dans une culture donnée et à un moment donné se trouve intimement liée à toutes les autres formes de pensée.

La littérature est l'endroit où l'homme disparaît au profit du langage. Là où apparaît le mot, l'homme cesse d'exister. Les oeuvres respectives de Robbe-Grillet, de Borges et de Blanchot portent témoignage de cette disparition de l'homme au profit du langage.

Toute l'oeuvre de Blanchot a consisté en une réflexion sur l'existence de la littérature, du langage littéraire, du sujet littéraire, indépendamment des sujets dans lesquels ce discours se trouve investi.

Toute la critique de Blanchot consiste au fond à montrer comment chaque auteur se place à l'intérieur de son oeuvre, et cela d'une manière si radicale que l'oeuvre doit le détruire.

C'est dans l'oeuvre que l'homme trouve son abri et sa place. C'est en elle qu'il habite, c'est elle qui constitue sa patrie ; sans elle, l'auteur n'aurait pas, littéralement, d'existence. Mais cette existence qu'a l'artiste dans son oeuvre est d'une telle nature qu'elle l'amène inexorablement à périr.