"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google

"Foucault répond"
Michel Foucault
Dits Ecrits Tome II Texte n°100
Cf Texte n° 96 et 97 sur le même sujet


"Foucault Responds" («Foucault répond» ; trad. F. Durand-Bogaert), Diacritics, t. I, no 2, hiver 1971, p. 60. (Réplique à la réponse de G. Steiner ; voir supra no 97.)

Dits Ecrits Tome II texte n°100

M. Steiner a droit à notre commisération. Qu'il essaie de comprendre ou de répondre, la malchance, inévitablement, s'acharne sur lui : les erreurs ne cessent de le poursuivre. Pour faire vite, j'aimerais ne relever ici que quatre de ces erreurs dans sa «réponse».

1° Il affirme que la signification du mot «archéologie», dans l'usage qu'en fait Kant, ne lui est pas inconnue. Il va même jusqu'à faire montre de son savoir. Manque de chance : il se trompe de mot, de texte ou de sens. Qu'il lise Fortschritte der Metaphysik, il y trouvera le mot, le texte et la signification auxquels je fais référence ; il ne s'agit absolument pas, contrairement à ce qu'il croit, d'un «conditionnement a priori de la perception» *.

* Kant (1.), Fortschritte der Metaphysik (rédigé en 1793, publié en 1804), in Gesammelte Schriften, Berlin, Walter de Gruyter, t. XX, 1942, p. 341 (Les Progrès de la métaphysique en Allemagne depuis le temps de Leibniz et de Wolf ; trad. L. Guillermit, Paris, Vrin, 1973, pp. 107-108).

2° Il trouve que ma mémoire est mauvaise et mes manières plus mauvaises encore, puisque je nie avoir écrit plusieurs monographies sur le diagnostic et le traitement des maladies mentales du XVIIe au XIXe siècle. Avec sa bonne mémoire et ses bonnes manières, M. Steiner prend la liberté de citer deux de ces monographies -Histoire de la folie et Naissance de la clinique. Manque de chance, là encore : il n'y a absolument rien, dans Naissance de la clinique, qui porte sur les maladies mentales ou sur la psychiatrie.

3° M. Steiner croit que j'ai emprunté à Lévi-Strauss la notion de liaisons entre la grammaire, les structures économiques et les «relations de parenté». Décidément, quel manque de chance! Je n'ai parlé ni des structures économiques (mais de la théorie de la monnaie, ce qui est tout à fait différent), ni des structures grammaticales (mais de la théorie du langage, ce qui est tout à fait différent), ni particulièrement des relations de parenté ou des règles du mariage. Se pourrait-il que M. Steiner ait confondu celles-ci avec la proximité taxinomique des espèces végétales et animales ? Étrange...

4° M. Steiner croit que j'aurais dû citer Kuhn. C'est vrai que je considère que le travail de Kuhn est admirable et définitif. Mais, manque de chance de nouveau (pour moi autant que pour M. Steiner) : lorsque j'ai lu le livre de Kuhn, au cours de l'hiver 1963-1964 (une année, je crois, après sa publication), je venais de finir d'écrire Les Mots et les Choses. Je n'ai donc pas cité Kuhn *, mais l'historien des sciences qui a façonné et inspiré sa pensée : G. Canguilhem.

Mais, tout compte fait, j'ai moi aussi fait une erreur. Ne connaissant absolument pas M. Steiner, j'ai pensé, en toute bonne foi, qu'il était journaliste et que des exigences professionnelles l'avaient contraint, contre sa volonté, à sortir de son domaine de spécialisation pour écrire sur un sujet qui ne lui était pas familier. J'ai donc lu son compte rendu avec un sentiment spontané d'indulgence amusée. M. Steiner me fait savoir, à présent, qu'il est professeur d'université. Cela augmente de beaucoup mon amusement. Il reste qu'il va me falloir maintenant augmenter mon indulgence dans une proportion au moins égale.