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Une mobilisation culturelle
Michel Foucault
its Ecrits Tome III texte n° 207

«Une mobilisation culturelle», Le Nouvel Observateur, no 670, 12-18 septembre 1977, p. 49.

Dits Ecrits Tome III texte n° 207


Au début de septembre 1977, avant le sommet de la gauche unie qui doit réactualiser le Programme commun, Le Nouvel Observateur et Faire, revue du socialisme autogestionnaire, organisent un forum qui réunit, en huit atelier, les principaux militants de l'expérimentation sociale qui ont, entre 1972 et 1976, cherché comment modifier les rapports sociaux dans l'éducation, la distribution des soins médicaux, l'urbanisme, les relations de travail, la défense de l'environnement ou la communication-forum de la société civile ou de la deuxième gauche. comme on dit alors, qui veut affirmer son autonomie culturelle et politique par rapport au risque «léniniste» d'accroissement du poids de l'État dans le cadre du Programme commun. Ce forum se tient dans la perspective vraisemblable alors d'une victoire de la gauche unie aux législatives de mars 1978. Y participent notamment J. Daniel, J. Delors, I. Illitch, M. Rocard, P. Rosanvallon, A. Touraine. P. Viveret. M. Foucault se contenta d'un rôle d' «intellectuel spécifique» en ne participant qu'au débat sur la médecine de quartier. Il a toujours affirmé son scepticisme sur la stratégie autogestionnaire, son hostilité aux nationalisations léninistes du Programme commun et la faible portée opératoire de l'opposition entre État et société civile. Le 28 septembre au matin, le P.C. rompait l'Union de la gauche, qui perdait les législatives de 1978. Sur ce forum de la reconstruction de la société civile, voir le numéro hors série du Nouvel Observateur du 28 novembre 1977.


– Qu'est-ce qui vous a poussé à vous inscrire dans l'atelier «médecine de quartier»? La curiosité ? L'intérêt ?

– J'écris et je travaille pour les gens qui sont là, ces gens nouveaux qui posent des questions nouvelles. Aujourd 'hui, les régions actives de l'intellect ne sont plus la littérature ou la spéculation. Un nouveau champ émerge. Ce sont les questions des infirmières ou du gardien de prison qui intéressent - ou qui devraient intéresser - les intellectuels. Elles sont infiniment plus importantes que les anathèmes que se jettent à la tête les intellectuels professionnels parisiens.

– Qu'est-ce qui vous frappe surtout, à l'issue du forum ?

– J'ai remarqué une chose : pendant ces deux jours de discussions serrées et de discussions profondément politiques, puisqu'il s'agissait de remettre en question les rapports de pouvoir, de savoir, d'argent, eh bien, pendant ces deux jours, aucun des trente participants du groupe médecine n'a prononcé le mot «mars 1978» ou le mot «élections». C'est important et significatif. L'innovation ne passe plus par les partis, les syndicats, les bureaucraties, la politique. Elle relève d'un souci individuel, moral. On ne demande plus à la théorie politique de dire ce qu'il faut faire, on n'a plus besoin de tuteurs. Le changement est idéologique, et profond.

Autre observation : jamais non plus il n'a été question de «médecine de classe». J'y vois le signe d'une disparition du terrorisme, de tous les terrorismes, autre chose remarquable.

– Ce refus total du politique, cette répugnance à l'égard des pouvoirs constitués ne vous semblent-ils pas, dans une certaine mesure, assez inquiétants ?

– Non. Un grand mouvement s'est déclenché depuis quinze ans, dont l'antipsychiatrie a été le modèle et Mai 68 un moment. Dans ces couches sociales qui assuraient autrefois le bonheur de la société - comme les médecins -, il Y a maintenant toute une population qui se déstabilise, qui bouge, qui cherche, en dehors des vocabulaires et des structures habituels. C'est une... je n'ose pas dire révolution culturelle, mais sûrement une mobilisation culturelle. Irrécupérable politiquement : on sent bien qu'à aucun moment le problème pour eux ne changerait de nature si le gouvernement changeait. Et, de cela, je me réjouis. Si nous allons vers la disparition des terrorismes, des monopoles théoriques et de la monarchie de la bonne pensée, tant mieux..