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Le mystérieux hermaphrodite
Michel Foucault
Dits Ecrits Tome III texte n°237
« Présentation »
Michel Foucault
Dits Ecrits Tome III Texte n°223


«Il misterioso ermafrodito» («Le mystérieux hermaphrodite»; entretien avec E. Guicciardi ; trad. C. Lazzeti), La Stampa, supplément littéraire, 4e année, no 30, 5 août 1978, p. 5. Cet entretien ayant été résumé par la journaliste, n'ont été retenus que les rares propos prêtés directement à Michel Foucault.

Dits Ecrits III texte n°237


Ce qui m'a le plus frappé dans le récit d'Herculine Barbin *, c'est que, dans son cas, il n'existe pas de vrai sexe. Le concept d'appartenance de tout individu à un sexe déterminé a été formulé par les médecins et les juristes seulement au XVIIIe siècle environ. Mais, en réalité, peut-on soutenir que chacun dispose d'un vrai sexe et que le problème du plaisir se pose en fonction de ce prétendu vrai sexe, c'est-à-dire du sexe que chacun devrait assumer, ou découvrir, s'il est occulté par une anomalie anatomique ? Tel est le problème de fond soulevé par le cas d'Herculine. Dans la civilisation moderne, on exige une correspondance rigoureuse entre le sexe anatomique, le sexe juridique, le sexe social : ces sexes doivent coïncider et nous rangent dans une des deux colonnes de la société. Avant le XVIIIe siècle, il y avait cependant une marge de mobilité assez grande.

* Herculine Barbin, dite Alexina B., présenté par M. Foucault, Paris, Gallimard, coll. «Les vies parallèles», 1978. Voir supra no 223.

[...]

Entre autres aspects que je voudrais mettre en lumière, il y a le fait assez curieux que, dans l'iconographie et dans la littérature du XVIe siècle, l'hermaphrodisme se trouve lié à la Réforme, c'est-à-dire à la dualité de la religion chrétienne : c'est l'image emblématique d'un monde dans lequel les deux religions, la catholique et la réformée, se trouveraient réconciliées. D'autre part, il peut être aussi l'expression symbolique de la dualité de la papauté et de l'Empire. Au XVIIe siècle, au contraire, le thème de l'hermaphrodisme se relie directement à l'érotisme, en particulier à la découverte de l'érotisme de l'adolescent, cet être de transition, indéfinissable. Au XIXe siècle, parmi les nouvelles significations attribuées à l'hermaphrodisme, dans une perspective mystico-religieuse, nous trouvons celui du couple primordial. La religion catholique est la seule dans laquelle on ne rencontre pas de couple divin, une déesse à côté d'un dieu : cette lacune sera comblée par certaines sectes para-chrétiennes ou non chrétiennes qui proliféraient au cours du siècle dernier. Que l'on se réfère, par exemple, au positivisme d'Auguste Comte, qui, lorsqu'il se transforme en religion, instaure le couple religieux homme-femme.

[...]

Tel est l'un des principaux aspects qu'une histoire de l'hermaphrodisme devrait élucider : comment est-on parvenu à cette condamnation de deux phénomènes parfaitement distincts, celui de l'hermaphrodisme et celui de l'homosexualité.


Texte n° 223 « Présentation » Michel Foucault Dits Ecrits Tome III

Quatrième de couverture in Herculine Barbin, dite Alexina B., Paris, Gallimard, coll. «Les Vies parallèles», 1978.

Les souvenirs d'Herculine Barbin, tirés des Annales d'hygiène publique, devaient inaugurer la parution d'une série d'archives médico-légales traitant de la sexualité et notamment de l'hermaphrodisme. Après Herculine Barbin, la collection ne connaîtra qu'un seul titre : Le Cercle amoureux d'Henry Legrand, publié en 1979.

Les Anciens aimaient à mettre en parallèle les vies des hommes illustres; on écoutait parler à travers les siècles ces ombres exemplaires.

Les parallèles, je sais, sont faites pour se rejoindre à l'infini. Imaginons-en d'autres qui, indéfiniment, divergent. Pas de point de rencontre ni de lieu pour les recueillir. Souvent elles n'ont eu d'autre écho que celui de leur condamnation. Il faudrait les saisir dans la force du mouvement qui les sépare ; il faudrait retrouver le sillage instantané et éclatant qu'elles ont laissé lorsqu'elles se sont précipitées vers une obscurité où «ça ne se raconte plus» et où toute «renommée» est perdue. Ce serait comme l'envers de Plutarque : des vies à ce point parallèles que nul ne peut plus les rejoindre.