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Préface, in Knobelspiess (R.), Q.H.S.: quartier de haute
sécurité, Paris, Stock, 1980, pp. 11-16.
Roger Knobelspiess était alors incarcéré pour
un vol à main armée, qu'il niait avoir commis. Rejugé
par la cour d'assises de Rouen, il fut libéré après
huit années de prison, en 1981. Un comité pour la
révision de son procès réunit de nombreux intellectuels.
M. Foucault n'en fit pas partie, mais avait accepté de préfacer
son livre sur l'instauration récente des quartiers de haute
sécurité dans les prisons.
Dits Ecrits tome IV texte n°275
« Se prétend innocent
et n'accepte pas sa peine. »
Voici un rude document. Il n'a pas été écrit,
il n'est pas publié comme un témoignage de plus sur
la vie carcérale. Depuis dix bonnes années s'est instauré
en France - mais dans d'autres pays aussi - un débat à
voix multiples. Certains s'en impatientent: ils aimeraient que l'institution
propose d'elle-même, et au milieu du silence des profanes,
sa propre réforme. Il est bon qu'il n'en soit pas ainsi.
Les transformations réelles et profondes naissent des critiques
radicales, des refus qui s'affirment et des voix qui ne se cassent
pas. Le livre de Knobelspiess appartient à cette bataille.
Ce n'est pas le livre d'un prisonnier sur la prison en général:
il vient d'un point névralgique du système pénitentiaire.
D'un point précis et nouveau : ce qu'on appelle les quartiers
de haute sécurité. En fait, il existe deux choses
: les « maisons » et les « quartiers de sécurité
renforcée », institués en 1975 (ils sont destinés
à certains détenus condamnés et considérés
comme « dangereux »; l'administration pénitentiaire
les y place en prenant en principe l'avis du juge de l'application
des peines ; Lisieux est l'une de ces maisons de sécurité
renforcée, où Roger Knobelspiess a passé un
certain temps) ; et les quartiers de plus grande sécurité
que les directeurs des maisons d'arrêt ont à leur disposition
et où ils peuvent placer les détenus sur leur seule
décision (ainsi à Fresnes, où est passé
également Knobelspiess).
Cette « réforme » avait été présentée
en 1975 comme une pièce nécessaire à l’humanisation
de l'appareil pénitentiaire : si on veut assouplir celui-ci,
accorder plus largement les permissions de sortie, les libérations
conditionnelles, les semi-libertés, il faut en même
temps limiter les risques. Et, pour rassurer aussi bien le personnel
pénitentiaire que le public, il faut disait-on, doter la
prison d'un régime spécial et renforcé pour
ceux auxquels ces facilités ne pourraient offrir que des
occasions de récidive. C'est logique et raisonnable, n'est-ce
pas ? Et, de toute façon, ces Q.H.S. ne concernent qu'une
poignée de furieux...
Le texte de Roger Knobelspiess est né de cette expérience.
Et il en montre les effet réels.
1) Réapparaît la vieille idée qu'on connaît
depuis le XIXe siècle: il faut deux modes de punition, parce
qu'il existe en fait deux classes de criminels, deux catégories
sociales, psychologiques, psychiatriques - et, pourquoi pas ? biologiques,
comme le pensent certains : les pauvres types d'un côté,
et, de l'autre, les durs, les irrécupérables. Ceux
dont on ne peut rien faire, et dont il faut faire en sorte qu'ils
ne soient plus rien. En principe, la loi et les tribunaux ne connaissent
qu'une gradation continue des peines. Le système des Q.H.S.
permet de tracer, dans les faits, le partage dont on rêve
depuis si longtemps entre bons et mauvais criminels. Ceux qu'on
redresse et ceux qu'on élimine.
2) Et ce partage se fait comment? Par la manière dont le
détenu se tient en prison. Ce qui donne à l'administration
pénitentiaire la possibilité de surimposer à
la justice ses propres sentences et de modifier de fait la peine
infligée par le tribunal. Ce qui lui permet aussi de faire
de l'adaptation à la prison la condition pour s'en sortir
le plus vite possible: comme si la prison était d'une manière
quelconque une préparation à l'existence réelle.
Regardez le cas de Roger Knobelspiess : il a été condamné
pour un crime qu'il nie farouchement. Pouvait-il s'accorder à
la prison sans se reconnaître de lui-même coupable ?
Mais on voit le mécanisme: puisqu'il résiste, on le
fait passer au Q.H.S. S'il est au Q.H.S., c'est qu'il est dangereux.
« Dangereux » en prison, donc plus encore s'il était
en liberté. Il est par conséquent capable d'avoir
commis le crime dont on l'accuse. Peu importe qu'il le nie, il aurait
pu l'avoir fait. Le Q.H.S. relaie les preuves; la prison montre
ce que l'instruction avait peut-être insuffisamment démontré.
3) En créant dans les prisons un double circuit, le Q.H.S.
met en place le fameux substitut qu'on cherche pour la peine capitale.
Le jour où la peine de mort sera abolie ou qu'elle sera du
moins tombée en désuétude, on aura avec le
Q.H.S. ce qui permet de la remplacer au plus juste : l'enfermement
indéfini et complet. On laisse vivre mais dans un temps sans
limites et dans un lieu dont on ne sort pas. Il faut lire les pages
très belles que Knobelspiess a écrites sur cette «asphyxie
cubique». La destruction au jour le jour tient lieu d'exécution.
Tel serait le vrai substitut au châtiment capital. La mort,
qu'on n'élimine pas si facilement, sera toujours là:
mais ce sera celle que le détenu s'inflige à lui-même.
Après tout n'apportera-t-elle pas délivrance au condamné
et soulagement à la conscience des autres ? Ceux-là,
au moins, seront rassurés que la chose se soit faite si proprement
et de la main même de celui qui était coupable.
Taleb Hadjadj, un résident des Q.H.S., s'est pendu l'an
dernier dans sa cellule. Il écrivait au moment de mourir
: « Il me reste quatorze ou quinze ans à faire... Toutes
ces années à faire ainsi, quand au bout de cinq ans
je n'en peux plus... Je n'ai pas assez de lâcheté ou
de courage pour résister. Alors reste l'utérus de
Thanatos. »
Roger Knobelspiess a été enfin dirigé vers
un régime de détention plus souple : Melun.
Le débat sur la peine de mort est important. Parce qu'il
s'agit de la mort. Et parce qu'il ne s'agit pas de remplacer une
mise à mort par une autre. L'élimination de la mort
comme mesure de justice doit être radicale. Elle demande qu'on
repense le système entier des punitions et son fonctionnement
réel.
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