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Lacan, le « libérateur » de la psychanalyse  
Michel Foucault
Dits Ecrits tome IV texte n°299

« Lacan, il « liberatore » della psicanalisi » (« Lacan, le « libérateur » de la psychanalyse »; entretien J. Nobécourt; trad. A. Ghizzardi), Corriere della sera, vol. 106, no 212, 11 septembre 1981, p. 1.

Dits Ecrits tome IV texte n°299


- On a l'habitude de dire que Lacan a été le protagoniste d'une « révolution de la psychanalyse ». Pensez-vous que cette définition de « révolutionnaire » soit exacte et acceptable ?

- Je crois que Lacan aurait refusé ce terme de « révolutionnaire » et l'idée même d'une « révolution en psychanalyse ». Il voulait simplement être « psychanalyste ». Ce qui supposait à ses yeux une rupture violente avec tout ce qui tendait à faire dépendre la psychanalyse de la psychiatrie ou à en faire un chapitre un peu sophistiqué de la psychologie. Il voulait soustraire la psychanalyse à la proximité, qu'il considérait comme dangereuse, de la médecine et des institutions médicales. Il cherchait en elle non pas un processus de normalisation des comportements, mais une théorie du sujet. C'est pourquoi, malgré une apparence de discours extrêmement spéculatif, sa pensée n'est pas étrangère à tous les efforts qui ont été faits pour remettre en question les pratiques de la médecine mentale.

- Si Lacan, comme vous le dites, n'a pas été un « révolutionnaire », il est, toutefois, certain que ses oeuvres ont eu une très grande influence sur la culture des dernières décennies. Qu'est-ce qui a changé après Lacan, également dans la façon de « faire » de la culture ?

- Qu'est-ce qui a changé ? Si je remonte aux années cinquante, à l'époque où l'étudiant que j'étais lisait les oeuvres de Lévi-Strauss et les premiers textes de Lacan, il me semble que la nouveauté était la suivante : nous découvrions que la philosophie et les sciences humaines vivaient sur une conception très traditionnelle du sujet humain, et qu'il ne suffisait pas de dire, tantôt avec les uns, que le sujet était radicalement libre et, tantôt avec les autres, qu'il était déterminé par des conditions sociales. Nous découvrions qu'il fallait chercher à libérer tout ce qui se cache derrière l'emploi apparemment simple du pronom « je ». Le sujet : une chose complexe, fragile, dont il est si difficile de parler, et sans laquelle nous ne pouvons pas parler.

- Lacan eut beaucoup d'adversaires. Il fut accusé d'hermétisme et de « terrorisme intellectuel ». Que pensez-vous de ces accusations ?

- Je pense que l'hermétisme de Lacan est dû au fait qu'il voulait que la lecture de ses textes ne soit pas simplement une « prise de conscience » de ses idées. Il voulait que le lecteur se découvre lui-même, comme sujet de désir, à travers cette lecture. Lacan voulait que l'obscurité de ses Écrits * fût la complexité même du sujet, et que le travail nécessaire pour le comprendre fût un travail à réaliser sur soi-même. Quant au « terrorisme », je ferai simplement remarquer une chose : Lacan n'exerçait aucun pouvoir institutionnel. Ceux qui l'écoutaient voulaient précisément l'écouter. Il ne terrorisait que ceux qui avaient peur. L'influence que l'on exerce ne peut jamais être un pouvoir que l'on impose.

* Lacan (J.), Écrits, Paris, Éd. du Seuil, 1966.