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 Michel Foucault : non aux compromis
Dits Ecrits tome IV texte n°318  

« Foucault: non aux compromis » (entretien avec R. Surzur), Gai Pied, no 43, octobre 1982, p. 9.

Dits Ecrits tome IV texte n°318


- Les homosexuels ont-ils raison d'avoir peur de la police ? Existe-t-il chez eux un sentiment de paranoïa ?

- Depuis quatre siècles, l'homosexualité a été beaucoup plus l'objet de répression, de surveillance et d'intervention de type policier que de type judiciaire. Il y a un certain nombre d'homosexuels qui ont été victimes de l'intervention de la justice, des lois. Mais cela reste très limité en nombre par rapport à la répression policière. Par exemple, il n'est pas vrai qu'on brûlait les homosexuels au XVIIe siècle, même si c'est arrivé quelquefois. En revanche, c'est par centaines qu'on en arrêtait au Luxembourg ou au Palais-Royal. Je connais mal la situation actuelle, je ne saurais dire si les homosexuels sont paranoïaques ou pas, mais, jusque vers 1970, on savait très bien que les patrons de bar, de sauna étaient rackettés par la police et qu'il y a là un enchaînement complexe, efficace et pesant de répression policière.

- Plus que dangereux, la police semble considérer les homosexuels comme étant en danger, Qu'en pensez-vous ?

- Il n'existe pas de différence de fond entre dire que quelqu'un est en danger et que quelqu'un est dangereux. Le glissement se fait aussitôt: cela s'est produit pour les fous que l'on a mis dans les hôpitaux, parce qu'ils étaient en danger dans la vie courante. Le glissement de «en danger» à «dangereux» est un glissement qui ne peut pas ne pas se produire, étant donné tous les mécanismes dont on dispose pour nous surveiller.

- La dissolution du service spécialement chargé des homosexuels vous paraît-elle positive ?

- Il était inadmissible qu'un certain nombre de lieux soient l'objet d'une intervention particulière de la police à partir de cet élément discriminant qui était que la pratique sexuelle des gens était l'homosexualité.

- Que pensez-vous de la circulaire Defferre visant à supprimer toute discrimination à l'égard des homosexuels, et de l’attitude du Parti socialiste ?

- Qu'un ministre ait fait diffuser une circulaire comme celle-ci est très important, même si elle n'est pas appliquée, car c'est un acte politique: on peut le lui objecter, s'en servir comme point de départ d'une campagne. J'aime mieux un homme politique comme celui-là qu'un autre qui laisserait courir les choses dans une demi -tolérance en tenant des propos réactionnaires contre les homosexuels. Il viendrait un moment où il faudrait en subir les conséquences. Pour ce qui est du P.S. il a pris très vite, une fois au gouvernement, un certain nombre de mesures. L'appareil législatif a été modifié et le Code pénal le sera. Bien sûr, il faut continuer à se battre.

- On semble s'acheminer vers une répression douce, localisée seulement sur quelques points: le vidéo-porno, par exemple...

- J'en viens à ce sur quoi il faut se battre: la loi et la police n'ont rien à voir avec la vie sexuelle des individus. La sexualité, le plaisir sexuel ne sont pas des critères déterminants dans l'ordre de la police et de la justice. Mais la sexualité ne doit pas être protégée comme une sorte de trésor personnel sur lequel la force publique n'a pas à intervenir, elle doit être l'objet d'une culture, et le plaisir sexuel, comme foyer de création de culture, est quelque chose de très important. C'est là-dessus qu'il faut faire porter l'effort. Pour ce qui est du vidéo-porno, qu'est-ce que cela peut faire à la police que l'on montre des gens faisant l'amour dans telle ou telle position ? La chasse aux images, le seuil d'intolérance est une chose contre laquelle il faut lutter.

- L'un des arguments de la police contre une libéralisation totale est qu'elle doit à la fois contenter ceux qui veulent des libertés et ceux qui n'en veulent pas,

- A Toronto, il s'est passé quelque chose comme cela. Après une période de plus grande tolérance est venu un moment où les autorités municipales ont fermé un certain nombre d'endroits, des actions judiciaires ont été intentées. Et la justification a été: «Nous sommes d'accord avec une libéralisation, mais la communauté à laquelle vous appartenez ne tolère plus les excès auxquels vous vous livrez : boîtes S.M., saunas, etc. Nous sommes amenés à nous placer au milieu de ce conflit, et il est bien entendu que c'est la majorité qui aura le dernier mot.» Là, il faut être intransigeant, on ne peut faire un compromis entre la tolérance et l'intolérance, on ne peut être que du côté de la tolérance. Il n'y a pas à chercher d'équilibre entre ceux qui poursuivent et ceux qui sont poursuivis. On ne peut pas se donner comme objectif de gagner millimètre par millimètre. Sur ce point du rapport entre la police et le plaisir sexuel, il faut aller loin et prendre des positions de principe.