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« Foucault: non aux compromis » (entretien avec R.
Surzur), Gai Pied, no 43, octobre 1982, p. 9.
Dits Ecrits tome IV texte n°318
- Les homosexuels ont-ils raison d'avoir peur de la police ? Existe-t-il
chez eux un sentiment de paranoïa ?
- Depuis quatre siècles, l'homosexualité a été
beaucoup plus l'objet de répression, de surveillance et d'intervention
de type policier que de type judiciaire. Il y a un certain nombre
d'homosexuels qui ont été victimes de l'intervention
de la justice, des lois. Mais cela reste très limité
en nombre par rapport à la répression policière.
Par exemple, il n'est pas vrai qu'on brûlait les homosexuels
au XVIIe siècle, même si c'est arrivé quelquefois.
En revanche, c'est par centaines qu'on en arrêtait au Luxembourg
ou au Palais-Royal. Je connais mal la situation actuelle, je ne
saurais dire si les homosexuels sont paranoïaques ou pas, mais,
jusque vers 1970, on savait très bien que les patrons de
bar, de sauna étaient rackettés par la police et qu'il
y a là un enchaînement complexe, efficace et pesant
de répression policière.
- Plus que dangereux, la police semble considérer les homosexuels
comme étant en danger, Qu'en pensez-vous ?
- Il n'existe pas de différence de fond entre dire que quelqu'un
est en danger et que quelqu'un est dangereux. Le glissement se fait
aussitôt: cela s'est produit pour les fous que l'on a mis
dans les hôpitaux, parce qu'ils étaient en danger dans
la vie courante. Le glissement de «en danger» à
«dangereux» est un glissement qui ne peut pas ne pas
se produire, étant donné tous les mécanismes
dont on dispose pour nous surveiller.
- La dissolution du service spécialement chargé des
homosexuels vous paraît-elle positive ?
- Il était inadmissible qu'un certain nombre de lieux soient
l'objet d'une intervention particulière de la police à
partir de cet élément discriminant qui était
que la pratique sexuelle des gens était l'homosexualité.
- Que pensez-vous de la circulaire Defferre visant à supprimer
toute discrimination à l'égard des homosexuels, et
de l’attitude du Parti socialiste ?
- Qu'un ministre ait fait diffuser une circulaire comme celle-ci
est très important, même si elle n'est pas appliquée,
car c'est un acte politique: on peut le lui objecter, s'en servir
comme point de départ d'une campagne. J'aime mieux un homme
politique comme celui-là qu'un autre qui laisserait courir
les choses dans une demi -tolérance en tenant des propos
réactionnaires contre les homosexuels. Il viendrait un moment
où il faudrait en subir les conséquences. Pour ce
qui est du P.S. il a pris très vite, une fois au gouvernement,
un certain nombre de mesures. L'appareil législatif a été
modifié et le Code pénal le sera. Bien sûr,
il faut continuer à se battre.
- On semble s'acheminer vers une répression douce, localisée
seulement sur quelques points: le vidéo-porno, par exemple...
- J'en viens à ce sur quoi il faut se battre: la loi et
la police n'ont rien à voir avec la vie sexuelle des individus.
La sexualité, le plaisir sexuel ne sont pas des critères
déterminants dans l'ordre de la police et de la justice.
Mais la sexualité ne doit pas être protégée
comme une sorte de trésor personnel sur lequel la force publique
n'a pas à intervenir, elle doit être l'objet d'une
culture, et le plaisir sexuel, comme foyer de création de
culture, est quelque chose de très important. C'est là-dessus
qu'il faut faire porter l'effort. Pour ce qui est du vidéo-porno,
qu'est-ce que cela peut faire à la police que l'on montre
des gens faisant l'amour dans telle ou telle position ? La chasse
aux images, le seuil d'intolérance est une chose contre laquelle
il faut lutter.
- L'un des arguments de la police contre une libéralisation
totale est qu'elle doit à la fois contenter ceux qui veulent
des libertés et ceux qui n'en veulent pas,
- A Toronto, il s'est passé quelque chose comme cela. Après
une période de plus grande tolérance est venu un moment
où les autorités municipales ont fermé un certain
nombre d'endroits, des actions judiciaires ont été
intentées. Et la justification a été: «Nous
sommes d'accord avec une libéralisation, mais la communauté
à laquelle vous appartenez ne tolère plus les excès
auxquels vous vous livrez : boîtes S.M., saunas, etc. Nous
sommes amenés à nous placer au milieu de ce conflit,
et il est bien entendu que c'est la majorité qui aura le
dernier mot.» Là, il faut être intransigeant,
on ne peut faire un compromis entre la tolérance et l'intolérance,
on ne peut être que du côté de la tolérance.
Il n'y a pas à chercher d'équilibre entre ceux qui
poursuivent et ceux qui sont poursuivis. On ne peut pas se donner
comme objectif de gagner millimètre par millimètre.
Sur ce point du rapport entre la police et le plaisir sexuel, il
faut aller loin et prendre des positions de principe.
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